Tableau de Paris/589

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CHAPITRE DLXXXIX.

Corbillard.


Vaste char servant aux magnifiques obseques des princes, où l’on porte à son dernier gîte un grand personnage mis en plomb. Il va au lieu de sa sépulture se reposer, le plus souvent de quels travaux ? des fatigues journalieres de la chasse.

La marche lourde & lente de ce corbillard traîné par huit chevaux caparaçonnés & portant le deuil de Son Altesse, quel spectacle bizarre ! Les crêpes du cocher pendent jusqu’à terre. Les chevaux, sous la casaque noire & blanche qui les couvre, sont indociles à l’ordre des funérailles. Le volume de ce char est élevé & fort ample, comme si le corps qu’il recele étoit celui d’un géant, ou d’un homme extraordinaire. Les armes du défunt sont peintes au-dehors d’une maniere également large & tranchante.

Mais tandis que le deuil environne ce char funebre, sous sa vaste toile qui est très-épaisse, doublement & triplement tendue, sont des ouvriers en veste, qui jouent aux cartes & aux dez sur le cercueil royal pour se désennuyer de la longueur de la marche. Ce que j’avance ici est un fait.

On diroit que ce corbillard est l’image des courtisans qui semblent s’affliger, & que l’étiquette conduit à cette lugubre cérémonie. Les dehors peignent la tristesse ; au-dedans des cœurs est la distraction.

Non, rien ne peint mieux le revers de la grandeur & le néant des représentations humaines, que ces bourreliers, ces garçons selliers, ces charrons qui, commandés pour raccommoder le corbillard en cas d’accident, sont cachés sous la toile tendue, & roulent les dez sur le corps de l’éminent personnage, lorsque tout l’appareil d’un deuil fastueux, les flambeaux, les crêpes, le cortege sacerdotal, les aumôniers à cheval, les timbales voilées font mettre toute la ville aux fenêtres.