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Tableau de Paris/640

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CHAPITRE DCXL.

Du ton militaire.


Le ton militaire a long-tems régné en France. On ne pouvoit se présenter sans un air dispos, leste & avantageux. On croyoit annoncer par là l’homme d’honneur & de courage. Cette opinion tenoit au caractere national, qui a un extrême penchant à la légéreté. Mais on passoit les bornes.

Des lumieres nouvelles ont répandu l’esprit de justesse, & l’on a tempéré cet air qui, dans son excès, n’avoit plus bonne grace.

Depuis on a été moins jaloux des qualités extérieures. On a jugé sensément qu’il y en avoit de plus réelles. Le militaire a donc eu un air plus décent, & par conséquent plus noble ; & excepté quelques jeunes gens, à qui l’on pardonne tout, parce que l’âge les corrigera bientôt, le point de sa vraie politesse a été enfin rencontré.

Le militaire ne craint point le péril, mais la fatigue, & sur-tout l’absence du luxe. Il faut que le militaire traîne des chariots de cuisine & de garde-robe. Il renonce plutôt à la vie qu’à son équipage. Aussi les vivres & les fourrages absorbent-ils toute l’attention des généraux. Et dans les campagnes de 1756 & de 1757, il falloit aux officiers du pain de Paris sur leurs tables, & de l’eau de la Seine pour leur café.

Paris amollit les militaires plus que toute autre ville du royaume. Ils y perdent l’habitude indispensable de la discipline & l’amour des exercices guerriers. Ils y entendent des maximes & des raisonnemens dangereux qu’ils ne doivent point connoître. Il est donc d’une saine politique de les éloigner de la capitale, de ses plaisirs & de sa licence, autant qu’il sera possible.

Le penchant à l’insubordination & à un examen téméraire se fortifie an milieu de cette foule d’hommes oisifs & aisés, qui ont dans la bouche, encore plus que dans le cœur, les principes & les expressions de l’indépendance & de la sensualité.

Les jeunes officiers sont ceux qui mettent le plus de dureté dans le commandement. Quelques militaires, orgueilleux de leurs noms & échappés de la cour, dans un âge éloigné de l’expérience, se sont mis en tête qu’ils commandoient souverainement le corps qui leur étoit confié. Ils ont imprimé des codes de leur pleine autorité sous les noms d’instructions, d’Extraits de l’ordonnance. L’officier fatigué d’une soumission toute nouvelle, à laquelle l’ordre du souverain pouvoit seul l’assujettir, rebuté de la multiplicité des exercices & de leur contradiction avec les manœuvres de l’ordonnance qu’il falloit savoir, nonobstant au moins pour la revue de l’inspecteur, a pris son état en dégoût, & a fait retomber sur le soldat la mauvaise humeur que lui inspiroit le caprice de ses chefs.

Le grand art de tout général est de bien connoître le génie de la nation qu’il conduit pour en régler l’usage. Le François bouillant, impétueux, est capable d’exécuter ce que le courage tranquille d’un peuple flegmatique ne peut entreprendre sans témérité.

Quelques chefs se sont trop écartés d’un plan calculé sur le vrai génie de la nation. Comment n’ont-ils pas tous senti la nécessité de conduire une nation d’après son caractere ? La manie de la plupart de nos colonels de traiter officiers & soldats à l’allemande, n’ayant point eu une certaine gradation, offensoit le caractere national & pouvoit faire passer le soldat par tous les degrés du désespoir. Et la nation Françoise est peut-être la seule qu’avec ces deux mots, l’honneur & la confiance, on élevera, dans tous les tems, à tous les genres de prodiges.

On a donné quelquefois aux dames, dans le Champ de Mars, attenant l’école militaire, le spectacle d’une revue au lieu d’un bal. Elles y ont été invitées nommément ; & les soldats, cheveux poudrés, le roi de carreau pommadé, formant une boucle de face, ont manœuvré pour elles. Or il faut avouer que la parade des princes Allemands est toute autre chose.