Tableau de Paris/642

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CHAPITRE DCXLII.

Tribunal des Maréchaux de France.


On voit dans l’histoire qu’ils avoient une jurisdiction souveraine & sans appel sur les gens de guerre & la noblesse. De nos jours ils prennent encore connoissance de tout billet & engagement d’honneur.

Le tribunal des maréchaux de France est le seul qui soit redoutable aux égrefins ; & il faut avouer que quelques militaires ne sont point assez délicats, lorsqu’il s’agit d’emprunter pour ne pas rendre. Il seroit à desirer que les citoyens portassent à ce tribunal toutes les affaires d’honneur sur lesquelles nos loix grossieres sont muettes ou insuffisantes.

Les tribunaux n’écoutent nos demandes que lorsqu’il s’agit d’argent, & cette foule d’offenses qui chagrinent les ames délicates & sensibles restent pour la plupart impunies, parce qu’il n’y a pas des juges faits pour venger cet honneur particulier, non moins précieux que la vie. Nos ancêtres étoient plus heureux que nous ; ils avoient des tribunaux ouverts pour tout ce qui choquoit leur noble fierté.

Les maréchaux de France ont deux jurisdictions : l’une volontaire, quoiqu’en partie contentieuse, concernant le point d’honneur entre la noblesse & les gens de guerre ; l’autre purement contentieuse & qui se régit par les formalités ordinaires aux loix générales, instituées pour l’administration de la justice. Les maréchaux de France exercent la premiere eux-mêmes dans leur tribunal ; ils y terminent les différends qui viennent à leur connoissance.

Le siege de la connétablie du palais est une jurisdiction sous l’autorité immédiate des maréchaux de France ; on y juge toutes les affaires contentieuse des particuliers avec gentilshommes ou militaires, les rebellions envers la maréchaussée. Les jugemens de ce siege se rendent toujours au nom des maréchaux de France.

À l’égard de la compétence des personnes qui peuvent être traduites devant les lieutenans des maréchaux de France, il n’a pas encore été déterminé bien précisément l’extension que l’on y pourroit donner ; c’est l’objet d’un réglement auquel on travaille depuis long-rems.

Tout homme d’honneur devroit de son propre mouvement se rendre justiciable de cet auguste tribunal, lui soumettre d’avance ses engagement, ses paroles & ses actions. S’il connoît de toutes les contestations concernant le point d’honneur entre les gentilshommes & les officiers, n’y a-t-il pas une nombreuse classe d’hommes qui, sans être militaires, vivent noblement, & qui ont aussi leur point d’honneur ? Si l’engagement de tout homme libre étoit porté devant ce tribunal : s’il embrassoit toutes les personnes qui ont reçu cette éducation distinguée, laquelle établit une différence réelle entre les hommes, une foule de procédés honteux qui déshonorent la société disparoîtroient. On ne connoîtroit plus ces débats qui donnent un spectacle scandaleux & tendent à avilir des proférions honorables : les engagemens les plus sacrés ne seroient pas annullés par la lenteur des loix ; le respect de soi-même, ce sentiment énergique, connu de nos ancêtres, renaîtroit dans toute sa dignité ; la parole deviendroit un contrat ; toute injure seroit effacée ; toute accusation gratuite seroit punie ; le fourbe, l’intrigant, le menteur n’ayant plus pour égide les formes tortueuses & ténébreuses de la chicanne, seroient à découvert devant la franchise & la loyauté des juges. Le regne de l’honneur reparoîtroit ; on seroit soumis à d’augustes loix, & le lâche seroit celui qui esquiveroit ou voudroit infirmer les sentences émanées d’un pareil tribunal.

Le doyen des maréchaux de France porte par distinction des autres, au côté droit de ses armes, une épée nue, & au côté gauche un bâton d’azur semé de fleurs de lys d’or, soutenus & portés par deux mains droites.

Louis-François Armand du Plessis, duc de Richelieu & de Fronsac, pair de France, est aujourd’hui doyen des maréchaux de France, il a pris au bas de ses armes le titre de connétable. C’est chez lui que se tient le tribunal, & que la compagnie de la connétablie y fait un service des plus assidus. Il est né le 15 Mars 1696, & son nom, ses services, son caractere, sa fortune, sa renommée, l’influence de son esprit & son âge, lui donnent rang parmi ces hommes peu communs qui piquent la curiosité de leur siecle, & dont le portrait ne manquera pas d’être transmis à la postérité, à qui seule il appartient de les juger en dernier ressort.