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Tableau de Paris/657

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CHAPITRE DCLVII.

Miracles.


On a dansé sur la tombe du diacre Pâris ; on a mangé de la terre de son tombeau. Quoi de plus miraculeux que cette frénésie ? Voir l’homme éteindre le flambeau de sa raison ; une ville entiere se repaître de prestiges : quoi de plus étonnant ?

Ensuite est venue la guérison miraculeuse d’une dame de la fosse, qui pour preuve a suivi la procession du Saint-Sacrement pendant trente années. Il n’y avoit rien à répondre à cela : aussi point de contradiction.

Le dernier miracle qui s’est fait à Paris, ou plutôt que le peuple a imaginé, regardoit une vierge de plâtre du faux-bourg Saint-Antoine. Cette vierge étoit dans sa niche à l’encoignure d’une rue, sans qu’aucune personne eût jamais pris garde de quel côté elle avoit la tête tournée. La procession du Saint-Sacrement venant à passer, quelqu’un s’écria qu’elle venoit de tourner la tête du côté du prêtre, comme pour saluer son divin fils. Ce miracle passa de bouche en bouche ; la populace accourut ; une vieille alluma un cierge au pied de la vierge ; le lendemain cinquante mille ames sur pied environnoient la statue de plâtre. C’étoit en 1752.

Notez que la vierge de plâtre adossoit la boutique d’un marchand épicier, qui vendoit des cierges ; il eut bientôt vuidé tout son magasin ; c’étoit à qui en allumeroit. Le concours devint si considérable, que la police ne sut trop comment amortir cet enthousiasme & dissiper la foule incroyable qui remplissoit ce fauxbourg. On enleva la vierge ; elle fut transportée ailleurs & enfermée.

On dit que le marchand épicier, qui étoit mal dans ses affaires, avoit décolé l’image de plâtre, & au moyen d’un fil-d’archal lui avoit fait tourner la tête, persuadé qu’il étoit, qu’il vendroit assez de cire aux dévots pour remonter sa fortune délabrée.

Le prophete de la rue des Moineaux ne demeura pas aussi paisible ; il guérissoit, par le simple attouchement, tout le peuple par une commotion électrique vraiment inexplicable. Il guérit comme faisoit Jésus-Christ ; il en a reçu ses pouvoirs. Le prophete fut renvoyé doucement, & cette fermentation qui avoit embrassé la ville entiere, tomba tout aussi précipitamment qu’elle s’étoit formée.

Il y a vraiment des épidémies morales qui naissent tout à-coup, & dont on ne sauroit assigner la cause, ni prévoir les effets. Une police qui rompt avec adresse ce vent impétueux, & qui éteint l’extravagance publique, ainsi qu’on fait d’un embrasement dans son origine, est un bienfait réel du gouvernement. Que de désastres dans les siecles antérieurs faute de n’avoir pas su arrêter l’étincelle qui à certaines époques allume les cerveaux !