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Tableau de Paris/665

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CHAPITRE DCLXV.

Établissement à Vaugirard.


Que l’adulte porte la peine de son libertinage ou de son imprudence, on le plaint : cependant il connoissoit le péril ; la raison & la morale ne l’ont point arrêté sur le bord du précipice. Mais voir des enfans nouveaux-nés attaqués du virus vénérien, & ce fléau rongeur attaché à leur débile enfance ; qui ne verseroit des larmes de compassion, & quel spectacle au monde commande plus puissamment la miséricorde & la pitié !

Ces enfans sortis d’une source empoisonnée, seroient condamnés à sentir jusqu’à l’âge de puberté les tourmens qui punissent le vice, pour expirer ensuite à la fleur de leur âge, si la charité éclairée ne venoit à leur secours.

C’est peu. Leur bouche innocente verseroit dans le sein de la nourrice qui les allaiteroit ce venin subtil ; & pour prix de ses bienfaits, ces nouveaux-nés lui apporteroient le long supplice d’une mort douloureuse, qui pourroit embrasser encore son époux, & le transmettre à sa postérité… De tels désastres ne seroient pas croyables si l’expérience, hélas ! ne les avoit confirmés. Ô cruel arimane ! quoi, jusques sur des enfans !

Il étoit donc important d’arrêter la contagion qui, cachée dans des êtres innocens, n’en devenoit que plus formidable. Ces levres enfantines n’en récelent pas moins le poison & la mort ; & la fonction la plus sacrée alloit être interrompue par la crainte légitime, & par la plus juste horreur,

On a établi à Vaugirard un hôpital où tous les enfans attaqués du mal vénérien sont traités avec leurs meres, si le fatal présent qu’elles ont fait à leur fruit n’affoiblit pas ici le respect qu’inspire ce nom sacré.

Les nourrices trompées, & qui, pour prix d’une fonction maternelle, ont reçu dans leurs veines un trépas commencé, ont droit aux soins de cette charité pieuse, & il sembloit en effet que l’état leur dût un dédommagement.

On sauve le tiers des enfans qui, à l’entrée de la vie, portent le sceau honteux du libertinage de leurs peres, & ce tiers que l’on sauve est un vrai miracle ; car aux Enfans-trouvés, de ceux qui naissent sans accident, on n’en sauve pas autant ; mais ici les soins sont délicats & multipliés.

Cet établissement qui suffiroit à immortaliser le nom de son fondateur, est dû à l’administration prévoyante de M. Le Noir.

Ô trop nombreuse population, entassée dans une grande ville, si vous offrez le spectacle des arts & les ouvrages majestueux du génie, quelle corruption résulte de cet assemblage d’individus, & quel spectacle que ces tristes berceaux où une génération naissante porte ces taches honteuses ! L’image seule que cet hôpital présente sera un vrai phénomene & bien effrayant pour des pays même voisins, qui n’ont ni chef-d’œuvres à montrer, ni plaies hideuses de cette espece à voiler,