Aller au contenu

Tableau de Paris/671

La bibliothèque libre.

CHAPITRE DCLXXI.

Eau de la Seine clarifiée.


De quoi ne fait-on pas marchandise dans cette ville extraordinaire ? Une compagnie se forme pour nous vendre l’eau de la Seine. La compagnie en fait une espece de liqueur dont elle vante la dépuration, à l’aide de trente mille imprimés qu’elle distribue. Elle s’étaie des décrets de la faculté de médecine, & des certificats de l’académie des sciences ; il ne manque plus que des lettres patentes. Elle établit des inspecteurs, des charretiers distributeurs de l’eau unique, un bureau, des commis. De quoi ne s’avise-t-on pas pour faire de l’argent dans ce séjour magique, puisqu’on nous y vend l’eau de la Seine, avec toute la pompe & l’éclat d’une merveilleuse entreprise ?

Que prouve cet établissement ? Que l’eau de la Seine est bourbeuse les trois quarts de l’année, & que, malgré tout l’étalage de la régie, ses bureaux & ses inspecteurs ; il faut épurer chez soi l’eau de la Seine, si l’on veut la boire légere & salubre.

On buvoit l’eau il y a vingt ans sans y faire beaucoup d’attention ; mais depuis que la famille des gaz, la race des acides & des sels ont paru sur l’horison immédiatement après les pantins & les silhouettes, on a réfléchi sur les annonces des chymistes ; on s’est apperçu que tous les ruisseaux & les égouts souterreins alloient droit à la riviere ; alors on s’est armé de toutes parts contre le méphytisme. Ce mot nouveau a retenti comme un tocsin formidable ; on a vu par-tout des gaz malfaisans, & les nerfs olfactoires sont devenus d’une sensibilité surprenante.

Cela prête à la plaisanterie, d’accord. Mais il n’y a rien de plus réel que notre ignorance sur les qualités nuisibles ou salutaires des corps que nous avalons ou respirons. On reste confondu de surprise & d’étonnement quand on voit les expériences nouvelles de la chymie sur les décompositions de l’air.

On a donc commencé par analyser l’eau ; & l’on réfléchit aujourd’hui quand on en boit un verre, ce que ne faisoient pas nos ancêtres insoucians. On a analysé ensuite l’air, que ci devant on respiroit en tout lieu, sans s’enquérir du reste.

Nous verrons ce que deviendra, en dernier ressort, le magnétisme animal, & si Mesmer & Deslong ont voulu nous mistifier.

Nous saurons, je l’espere, dans quelques années ce que nous ne savons pas, & ce dent nous nous moquons en attendant avec notre prudence accoutumée. Nous apprendrons peut-être que la santé dépend de certaines attentions qu’on croyoit superflues ; mais jusqu’à ces jours de réforme & de salubrité universelle, la légéreté parisienne s’amusera beaucoup de voir les chymistes transvaser l’air comme des joueurs de gobelets, & porter ensuite leurs nerfs olfactoires sur les lunettes méphytisées.

On fait qu’il faut que le Parisien commence une leçon instructive par en rire, afin d’en mieux profiter ensuite. Les bons mots n’en ont pas moins conduit à bon port, & la guerre d’Amérique, & la découverte des gaz. Puisse de même le magnétisme animal se manifester à l’univers entier, comme à M. Deslong, afin que ce docteur, qui s’est dévoué, rentre dans le giron de la faculté de médecine, pénétrée alors, malgré elle, du magnétisme animal. Il y a cent ans que la faculté de médecine avoit prescrit le pain mollet. Point de docteur aujourd’hui qui ne déjeûne avec un petit pain mollet.

Il ne s’agit, à cette époque, que de bouleversemens. On démolit de toutes parts le vieux temple de l’opinion, qu’on appelle celui de l’erreur. On bouleverse la physique, la chymie, l’histoire naturelle, le systême newtonien, la politique ; & ce qui est cent fois plus absurde & plus téméraire, la forme sacrée de la tragédie françoise. Ô Corneille ! ô Newton ! ô Stahl ! ô Becker ! &c. allez-vous être mis tous ensemble dans le même matras, pour que toutes vos idées soient refondues à neuf ? J’en ai vraiment peur.