Aller au contenu

Tableau de Paris/699

La bibliothèque libre.

CHAPITRE DCXCIX.

Discours scandaleux.


Les arts ont conquis l’homme, & l’ont soumis aux rois.


Ce beau vers est peu connu. Tous les arts travaillent pour les riches, depuis la terrible artillerie, qui assure & protège leurs jouissances journalières, jusqu’à la verge électrique, qui écarte le tonnerre de leurs hôtels. L’univers entier ne s’occupe que de leurs plaisirs ; rien ne leur échappe des productions de la nature ; ce qu’ils ne peuvent avoir vivant sur leur table ou dans leur maison, ils l’ont, mort ou peint, dans leur cabinet.

Dorment-ils ? des colonnes soutiennent les alcoves de leur lit. Un art voluptueux y fait jouer la lumière du jour à travers les taffetas de toutes couleurs. S’éveillent-ils ? les bustes vénérables des philosophes frappent leurs regards, & sont là pour relever la beauté des Vénus & des Dianes demi-nues.

Entrent bientôt tous les valets, qui viennent annoncer au maître les jouissances de sa journée, Chaque heure doit apporter une volupté nouvellement combinée. Jamais les anciens rois de l’Asie ne rassemblèrent autant de plaisirs dans Suze ou dans Ecbatane, que nos jeunes seigneurs dans Paris.

Eh bien ! c’est du sein de tant de voluptés que sortent les murmures contre la Providence. Ce sont les riches qui oublient tous les matins de remercier Dieu des biens qu’il leur a prodigués ; ce sont les riches qui blasphèment devant leurs valets, comme R⸻l dans un café, & qui placent dans leur bibliothèque ces ouvrages impies qui attaquent la divinité, & qui détruisent les espérances consolantes de l’humanité plaintive. Dans leurs propos superficiels & dangereux, ils contredisent l’instinct universel du genre humain, qui se porte vers une autre vie plus durable & plus fortunée. Le mépris qu’ils font du pauvre tend à lui ravir jusqu’à son ame immortelle ; ils voudroient anéantir l’éternité, avec toutes les notions de la morale & de la justice.

Le dirai-je ? les concerts de louange qui devroient s’élever des voûtes de ces hôtels, où toutes les commodités de la vie sont rassemblées, qui devroient s’élancer vers le ciel pour bénir l’auteur de la nature, ou du moins l’auteur des sensations agréables dont jouissent les riches du siècle, sortent des greniers, des galetas, des hôpitaux, des réceptacles de la misère & de l’indigence, tant la volupté est dangereuse au cœur de l’homme, en ce qu’elle l’éloigne de l’adoration ! Oui, les athées sont au milieu des jouissances exquises, au sein des richesses, & dans les palais du luxe ; & voilà ce que les prédicateurs de la capitale n’ont point encore dit assez haut, & avec la véhémente éloquence qui appartiendroit à leur ministère. Ils ne distinguent pas assez la classe qui gémit, qui souffre, & qui adore, de celle qui épuise tous les plaisirs, & qui refuse l’adoration à l’Être suprême.

Lorsque j’entends ces discours scandaleux, je répète tout haut & posément ces paroles sublimes du livre de Job : Où étois-tu quand je posois les fondemens de la terre ? Dis-le moi, si tu as de l’intelligence ; as-tu pénétré au fond de l’Océan ? t’es-tu promené sur les sources qui renouvellent l’abyme ? Dis-moi où habite la lumière, & quel est le lieu des ténèbres ? savois-tu, lorsque l’univers existoit déjà, que tu devois naître toi-même ? Et je conseille à ces insensés de lire Job, & de reconnoître, dans le plus ancien & le plus majestueux des livres, l’empreinte de cette primitive & grande idée, qu’un Dieu existe.