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Tableau de Paris/705

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CHAPITRE DCCV.

Place de Henri IV.


Cette place est dangereuse par sa pente rapide, par les six issues qu’elle offre, & par l’incertitude où l’on est de quel côté aboutiront les voitures. Plusieurs fantassins y sont pris ; & il ne faut pas être distrait en traversant cette place, à moins qu’on ne suive directement le trottoir qui passe par-devant la statue. Les accidens enfin y sont fréquens ; il ne faut point traverser cette place sans regarder tout autour de soi.

L’espace étroit qui l’environne seroit très-précieux par sa position ; mais il est fermé, & je n’ai jamais pu toucher, d’une main sensible & respectueuse, le piédestal de cette statue vénérée.

Pourquoi interdire à l’amour du peuple la jouissance de tourner autour de ce monument ? La vue & le cœur seroient également réjouis, car l’emplacement est admirable. Il n’y a point d’étranger qui, en traversant le pont-neuf, ne s’y arrêtât, pour contempler un point de vue unique, & pour rassasier ses yeux d’un monument qui rappelle tant de faits importans.

En face de cette statue règne un cordon de marchandes d’oranges : ce fruit, aussi beau que salutaire, abonde en pyramides, comme si l’on étoit en Portugal ; Voltaire en fut frappé, & il s’émerveilloit d’en voir une si grande quantité : car, il y a quarante ans, ces belles pommes d’or étoient rares en France, & se vendoient vingt sous pièce. Aujourd’hui, il nous en arrive par milliers, & l’on peut manger tout l’hiver ce fruit agréable, & qui contribue merveilleusement à la santé : car les acides doux conviennent très-bien aux habitans de la capitale, en ce qu’ils corrigent toute putridité.

On ne passe point devant ce cordon sans être tenté de porter la main sur ces belles pommes du jardin des Hespérides, qui semblent être les fruits du jardin du bon Henri. On les a à bon marché, & lorsqu’on vient à songer qu’ils sont étrangers à notre climat, on admire leur abondance, & l’on goûte mieux leur saveur.

Quelquefois la neige couvre les toits sous lesquels ils se vendent, & ce contraste paroît les rendre plus agréables à la vue. Je me suis guéri d’une espèce de consomption, en mangeant de ce fruit pendant un mois entier. Voilà une médecine qui ne rebute ni le goût ni l’odorat.

C’est le commerce qui nous apporte les oranges ; elles se soutiennent bonnes & succulentes jusqu’à la fin du mois de mai ; après quoi il faut aller les manger dans leur pays natal.