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Tableau de Paris/710

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CHAPITRE DCCX.

Printemps.


On a bien eu raison de se moquer de tous ces poètes français, qui, non moins glacés que leurs vers, chantent le printemps de Paris & ès environs, comme si ce printemps existoit. Notre printemps n’est qu’une espèce d’hiver prolongé. Nos fruits, presque toujours frappés par un vent destructeur, tombent lorsqu’ils sont en fleurs. On n’entend point le rossignol aux premiers jours de mai ; on se chauffe, tandis qu’une atmosphère humide & glaciale nous interdit la campagne, & me condamne à l’opéra, où Alcindor m’ennuie étrangement.

Tel berger, dans les Alpes, a trois habitations, une d’hiver, une de printemps & d’automne, & une d’été. Il déménage, selon les saisons, avec sa famille, ses meubles & ses troupeaux ; il a son Marly, son Compiègne, & son Fontainebleau ; il visite l’amphithéâtre des premières & secondes montagnes : le bétail, à chaque époque, connoît le jour du déplacement ; il monte ou descend sans le tromper.

Voilà de ces jouissances que le riche ne connoît pas à Paris. Tel financier, avec tout son or, n’a jamais éprouvé le charme que donne la respiration sur les hauteurs ; il ne connoît point l’extase des grandes vues : & qu’auroit-il besoin, sur ces hauteurs, des idées & des sentimens qu’on y éprouve ? au lieu de voyager, il se loge à Passy, & là, il se croit bonnement à la campagne.