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Tableau de Paris/722

La bibliothèque libre.

CHAPITRE DCCXXII.

Mémoires de l’Académie de Chirurgie.


Ils forment cinq gros volumes in-4o de dissertations sur des faits relatifs à la chirurgie ; ils ont été composés dans l’espace de quarante ans, par plusieurs chirurgiens, qui, tous les jeudis de chaque semaine, s’occupent, pendant deux heures, à disputer le pour & le contre sur un point de leur profession.

Les cinq volumes de mémoires publiés jusqu’à présent, passent pour être très-bons ; ils ont été traduits dans plusieurs langues. J’ai entendu les chirurgiens de différens pays rendre hdmmage à l’exactitude des faits ; mais je doute que les médecins leur soient aussi favorables. La physiologie ne se montroit que sous un habit latin, il y a quarante ans ; & alors la chirurgie n’entendoit pas même son Pater noster.

Quoi qu’il en soit, l’académie de chirurgie a cela de bon & de particulier, qu’elle n’a point d’académiciens honoraires dans son sein. Ses membres sont libres & égaux, & s’assemblent, une fois la semaine, pour causer & disserter sur la chirurgie. Ceux qui ne sont pas en état de concourir aux progrès de cet art, viennent néanmoins exactement à ces assemblées, pour leur instruction, & pour mettre à profit celle des autres, dans le traitement journalier des malades confiés à leurs soins.

Tandis qu’on disserte théoriquement tous les jeudis, sur les maladies chirurgicales, on a en outre l’avantage d’avoir, dans la même maison, un hôpital de vingt-deux lits, où l’on traite gratuitement les maladies chirurgicales les plus rares. Ainsi l’on a la théorie & la pratique tout à la fois ; car il y a en chirurgie, comme dans toutes les sciences pratiques, la science & le métier. Pour être parfait, il faut savoir l’un & l’autre.

Cela forme un lieu de grande & journalière instruction, parce que rien ne s’y fait, que les professeurs n’aient d’abord donné leur avis, & examiné ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Aussi, y a-t-on vu & fait des observations très précieuses. J’ai été témoin bien des fois que des gens de la lie du peuple ont eu, pendant leurs maladies très-graves, plus de véritables secours de la part de l’art de guérir, que n’en pourroit avoir un millionnaire avec tout son or. Les opérations, réputées, il y a cent ans, les plus difficiles, se rapprochent du point de perfection.

Il y a encore, dans l’école, une bibliothèque d’environ dix mille volumes ; ce qui est un secours utile. Aussi, cet art a-t-il été véritablement en croissant. Il n’y a point d’esprit de corps, L’académie de chirurgie n’a pas plus de liaison, directe ou indirecte, avec la faculté de médecine, que le turc n’en a avec le pape. Ce sont, peut-être au détriment de la société, deux compagnies très-distinctes, qui ont chacune leur district à part. C’est enfin dans cette académie que l’on peut voir le tableau des connoissances naturelles, acquises laborieusement depuis deux mille ans, relativement à l’anatomie. Le pédantisme est étranger à cette école, toute en démonstration ; mais le pédantisme, en général, n’est plus que dans les colléges : il n’existe plus ni dans la société, ni dans les livres, ni dans les académies.

À commencer par François Ier, tous les rois ont spécialement protégé la chirurgie ; soit qu’ayant beaucoup de soldats, comme souverains, ils fussent intéréssés à la conservation de leurs armées ; soit qu’environnés d’un plus grand nombre de jouissances variées & faciles, ils redoutaient, au sein de leur grandeur, les suites de la volupté, qui ne compose avec personne.

Charles IX sauva Ambroise Paré, son chirurgien, du massacre de sa Saint-Barthelemi, en disant ces paroles, où l’égoïsme se trahit si coulamment : N’ôtons point la vie à celui qui peut nous la conserver.

Je trouve, à point nommé, une marque de reconnoissance de Henri IV, envers son chirurgien. On a recherché avec empressement l’ouvrage de Louise Bourgeois, sage-femme, dans lequel on trouve l’histoire de la naissance de Henri IV. On ne sera pas moins curieux peut-être d’apprendre, au sujet de ce même roi, un trait inconnu aux littérateurs. Il existe dans un livre dédié au roi Louis XIII, par M. G. Loyseau, médecin & chirurgien ordinaire du roi, imprimé à Bordeaux, par Gilbert Vernoy, en 1617, avec privilège du roi ; intitulé : Observations médicinales & chirurgicales, avec histoires, noms, pays, saisons & témoignages. Je vais en transcrire l’épître dédicatoire. La naïveté des expressions prouve qu’on n’attachoit point encore à une maladie déjà cruelle des idées honteuses. Loyseau parle, au roi Louis XIII, avec ce ton de bonhommie & de simplicité qui caractérisoient les mœurs, ainsi que le style du temps.

AU ROI.
» Sire,

» Trente ans sont passes que le feu Roy Henri le Grand, vostre pere (d’heureuse mémoire) estant seulement lors Roy de Navarre, & Gouverneur de Guyenne, comme premier Prince du sang, voyant les heureux succès des cures par moi faictes, ès personnes de plusieurs Seigneurs de sa Cour, & autres, par l’art de la chirurgie, (de laquelle j’ai toujours fait profession avec la Médecine), me fit l’honneur de se vouloir servir de moy, & m’ayant appellé, me fit coucher sur l’estat au nombre de ses Chirurgiens ordinaires : l’obéissance que naturellement je lui devois, jointe l’affection particuliére que Sa Majesté me tesmoigna en cela, (comme auparavant il avoit fait en autres choses) me firent volontiers rejetter toutes considérations de guain & utilité, que je pouvois faire dans la Guyenne & ailleurs… Pendant le temps de mon service, estant au voyage de la Franche-Comté, Sa Majesté se trouvant mal, d’une difficulté d’urine, me fit l’honneur de m’appeller seul, & me communiquer sa maladie. L’ayant sondé, je recognus qu’il avoit une carnosité au méat urinal, près des prostates, de laquelle (par son commandement) je le traittay à Monceaux, au mois de juillet de l’an 1598 ; & moyennant la faveur & assistance de Dieu, l’en guéris entiérement. C’est une des principales & plus excellentes cures que j’aye mis dans mes Observations chirurgicales dignes de remarque & de mémoire, tant pour la difficulté d’icelle, que pour la personne en laquelle elle a esté faicte, à savoir, le premier Monarque du monde… »

Cette étrange épître dédicatoire rappelle les services du fils de l’auteur, aussi chirurgien, & médecin, servant, pour son père, le roi Henri IV, & décédé jeune encore. Après avoir dédié au roi ses observations, il finit ainsi :

» Sire, priant Dieu vous combler de ses saintes bénédictions, affermir vostre trosne, & vous faire régner longuement & heureusement.

» Votre très-humble, très-
fidele, & très-obéissant
serviteur & subject,
G. Loyseau.

On trouve, en tête du livre dédié, la description chirurgicale de la maladie du roi Henri IV. Elle étoit grave, & les symptômes des plus alarmans. Le chirurgien rapporte ensuite une lettre du roi, & une lettre de M. de la Rivière, médecin, qui le pressoient également d’arriver, parce que le mal empiroit. Le chirurgien remarque que, pendant le traitement, le roi se fâchoit, & s’étonnoit de quoi il tardoit tant à guérir ; & à ses brusques impatiences, le chirurgien répondoit au roi qu’il le guériroit (avec l’aide de Dieu) au mois de septembre, pourvu qu’il fût obéissant ; mais la carnosité fut rebelle, à cause de quelques excès que sa majeste avoit faits. Enfin, le roi fut guéri radicalement dans cinq semaines, par la grace de Dieu, ajoute Loyseau.

Il a donné en latin la même description, de peur que la postérité n’en fût pas instruite ; il a fait aussi graver la sonde ou cannule d’argent, qu’il avoit inventée pour cette cure importante. Il entre ensuite dans des détails qui prouvent bien que les idées de décence, de discrétion & de respect, changent réellement avec les générations humaines.

Tout cela est dédié à Louis XIII (à ce même Louis XIII, à qui Bouvard, son médecin, fit prendre, en une seule année, deux cents quinze médecines, deux cents douze lavemens, & qu’il fit saigner quarante-sept fois) ; l’impression en fut autorisée par ses lettres-patentes, données à Paris, le 21e jour de novembre 1616, scellées du grand scel de la chancellerie, & signées par le roi en son conseil. Renouard.

C’est bien là le cas de répéter, que l’on trouve de tout dans les livres.