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Tableau de Paris/764

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CHAPITRE DCCLXIV.

Le Déficit.


Mot nouveau dans notre langue, & tristement naturalisé. Il présente l’image d’un abyme obscur, & il ne fait naître que des cogitations vagues & ténébreuses ; mais enfin l’Espérance avec son ancre est toujours là qui nous montre le port, en nous promettant d’y surgir le vaisseau de l’État.

Il ne nous faut qu’un homme qui connoisse nos facultés, & qui sache les mettre en œuvre. Enfin la nation assemblée peut réparer les maux de la nation ; elle a incontestablement les lumières & sur-tout la générosité propres à cette régénération.

Le déficit, la recette, la dépense, la réforme, voilà les mots avec lesquels on bataille aujourd’hui dans toutes les sociétés, & chacun y loge une idée toute différente de celle de son voisin.

Le déficit est un mal sous un certain rapport ; il est un bien sous un autre : il tempère les fougues de l’autorité, & prive d’alimens les erreurs ambitieuses ; il éveillera l’honneur national ; il commandera tous les sacrifices nécessaires ; il sanctionnera la foi publique ; il nous donnera une constitution, car toutes les vérités se tiennent par la main ; il ne nous faut que bien trouver la première, & le corps politique, robuste, mais malade, reprendra force, grandeur & vie, & toute sa considération au dehors. Felix culpa !

On peut bien croire que le Parisien n’a point tari en plaisanteries sur le déficit ; mais en plaisantant il pense & raisonne : autrefois il plaisantoit & pensoit peu.

À quelle somme réelle monte le déficit ? Demandez-le à tous les confesseurs ; ils vous diront que dans toutes les conférions des bons chrétiens, l’aveu complet du gros péché n’arrive jamais qu’à la fin.

Voulons-nous augmenter nos libertés civiles & politiques, payons, & payons largement. Un peuple qui paie généreusement & grandement, est toujours libre ; mais comment faire entendre cela à la tourbe des esprits ? Moins un peuple paie, moins il est en état de se défendre ou de se prémunir contre la volonté terrible des souverains. Plus l’impôt est fort, moins l’esclavage est à redouter. Le tribut large & permanent sera toujours le gage de la dignité d’une nation ; l’avarice des citoyens est ce qui tue leur liberté ; payons la dette nationale, & nous aurons une patrie.