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Tableau de Paris/769

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CHAPITRE DCCLXIX.

Projet.


Il s’agit d’un projet grand & utile ; ce seroit l’excavation d’un canal royal, vraiment digne du monarque, de la nation & de la capitale, canal qui communiqueroit de la mer de Dieppe, en passant par les terres, à notre fauxbourg Saint-Germain. Ce canal favoriseroit la navigation marchande, & Paris verroit, dans un bassin creusé à ses portes, une foule de navires, qui seroient ses correspondans avec tous les peuples de la terre.

Cet ouvrage, digne d’un peuple versé dans les connoissances de la géométrie & de la science hydraulique, alimenteroit l’industrie inépuisable de la capitale. Elle jouiroit des avantages d’un commerce maritime ; & cet avantage deviendroit incalculable. Les esprits accaparés par le brigandage appellé finance, & par l’agiotage, plus vil encore, & qui en est la suite nécessaire, abjureroit un manége aussi infame. Des légions de jeunes gens, accoquinés à des professions déshonorantes, friponnant dans les académies, ou immolant leurs plus brillantes années dans des lieux de débauche, & finissant par arborer la paresseuse & libertine cocarde, renonceroient à la fièvre estueuse des passions, pour monter sur des vaisseaux qui leur promettroient des richesses légitimement acquises. Paris, rival, & rival bientôt supérieur à l’enfumée Albion, deviendroit l’entrepôt du monde.

Mais quoi ! en vain cette capitale a pris pour armes un vaisseau avec toutes ses voiles & ses agrêts, en vain ce vaissau-Sphinx appelle le commerce & ces grandes spéculations du haut des toits de l’hôtel-de-ville ; les Œdipes français sont encore à naître, & ce canal royal, dont la possibilité est démontrée, cette corne d’abondance, qui doit faire le bonheur du royaume, attend encore le premier coup de pioche, & l’attendra probablement long-temps, car nous savons assez tout commencer, mais nous ne finissons rien. Nous voyons, nous aimons le bien, nous nous y portons avec feu, mais ce feu s’éteint en un moment. Il faudroit, pour nos têtes légères, que le bien s’exécutât aussi rapidement que le mal. La bataille de la Hogue nous avoit appris combien étoit nécessaire un port sur les côtes de Normandie. Il nous a fallu un siècle, la perte de nos immenses possessions du nord de l’Amérique, les pirateries anglaises & leur orgueil, pour nous en donner un. Le Louvre ne finit point ; le musée paroît une sorte de Pénélope ; le fameux canal de Picardie est interrompu. Hélas ! nous autres bons citoyens, nous faisons des Utopies dans des siècles de pourriture.