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Tableau de Paris/768

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CHAPITRE DCCLXVIII.

Mot du Czar.


Mais il y auroit quelques objections à faire sur les deux chapitres précédens, & je ne veux point les taire. Le czar, lorsqu’il vint à Paris, fut tellement effrayé de sa grandeur, qu’après s’être recueilli, il proféra ces mots : Je la brûlerois, si j’étois le souverain du royaume. Il ne l’eût pas fait certainement ; mais cet arrêt prouve qu’il sentoit la difficulté d’alimenter une aussi grande ville.

Un philosophe verroit bien d’autres inconvéniens ; il verroit tous les grands accourir dans cette grande ville, & déserter les campagnes. Il verroit l’argent de tout le royaume y fondre à la suite du roi & de tous les grands ; il verroit la cour assiégée de tous ces prétendus grands, sollicitant des grâces aux dépens des peuples ; il verroit une multitude de gens oiseux, uniquement occupés des moyens de tuer l’ennui, stipendiant une foule de bras inutiles ; il verroit le vice toujours prêt à entrer en action, parce que la misère affamée se prête à tout pour avoir du pain, ou se procurer de l’or ; il verroit les provinces dépeuplées d’hommes & d’animaux pour les nourrir. Le nombre des bœufs est diminué, dit-on, considérablement & diminuera de jour en jour ; nos forêts ne fourniront bientôt plus assez de bois, nos campagnes assez de chevaux pour subvenir à la dépense de la luxueuse capitale.

C’est Suze, c’est Persépolis, c’est Babylone, c’est Ecbatane, qui livrèrent la Perse à Alexandre ; ces malheureuses cités renfermoient une multitude d’hommes corrompus, richement armés, mais sans vigueur & sans discipline.

Athènes, cette ville de Minerve, où l’on cultivoit tous les arts, succomba longtemps avant Sparte, parce qu’elle étoit bien plus peuplée. Elle étoit pourtant aussi savante dans l’art de la guerre que l’autre étoit agreste. Constantinople a dévoré l’empire d’orient.

Il faut avoir vu les bourgades & les villages, pour voir ce que les mœurs ont perdu ou gagné à entasser les hommes les uns sur les autres, ou à les tenir un peu séparés.

J’ai dit le pour & le contre. Pesez, lecteurs, mais songez qu’un grand bien en politique n’est jamais qu’une moindre imperfection.