Tableau de l’instruction primaire en France/0
AVANT-PROPOS.
Il y aurait de l’injustice à prétendre que, depuis trois ans, l’instruction primaire n’a fait en France aucun progrès ; mais il faut bien se garder aussi de l’erreur commune qui attribue à ces progrès une extension malheureusement trop peu réelle. Les efforts du gouvernement pour la répandre ont porté des fruits ; mais le but est encore loin d’être atteint, et le moyen d’y parvenir, c’est de ne point se complaire dans une sécurité trompeuse et funeste. Sans doute, il serait plus doux d’applaudir, sans examen, aux rapports favorables que l’intérêt des particuliers, des fonctionnaires, et quelquefois des localités, met, tous les jours, sous les yeux du public ; mais c’est de près qu’il faut observer les faits, et nous en appelons à l’expérience et à l’impartialité des hommes que leurs fonctions obligent à étudier le progrès sur place, et à l’apprécier pas à pas. Déjà, cette année, des comités, dont le zèle ne s’est jamais ralenti, ont exprimé leur surprise de voir que le nombre comparatif des élèves et des écoles de leur ressort était plutôt en décroissance ; et des préfets, dans la dernière session du conseil général de leur département, ont appelé l’attention sur la torpeur inexplicable que l’apathie générale oppose aux encouragements de l’administration.
Pour nous, dans les différents emplois où nous avons été à même de juger l’ensemble des faits relatifs à l’instruction primaire, et d’en pénétrer les détails, nous avons été bien moins frappé du peu qui vient d’être fait, que du bien immense qui reste à faire, et, pour stimuler l’ardeur qui s’éteint, pour soutenir le zèle qui s’endort dans la confiance, pour parvenir à faire pénétrer et circuler dans la vie intime du pays ce progrès apparent qui déjà se montre à la surface, nous avons cru utile de présenter, dans un tableau général, l’état de l’instruction primaire en France.
Jamais, avant la fin de 1833, cet état n’avait été constaté. M. Guizot, alors Ministre de l’instruction publique, au moment de mettre à exécution la loi du 28 juin, conçut la pensée de faire exécuter une battue générale dans les écoles, par toute la France, et bientôt, en effet, près de 500 inspecteurs partirent ensemble, au signal donné, gravirent les montagnes, descendirent dans les vallées, traversèrent les fleuves et les forêts, et portèrent dans les hameaux les plus lointains, les plus isolés, les plus sauvages, la preuve vivante que le gouvernement ne voulait plus rester étranger désormais à l’éducation du plus humble citoyen. Les rapports adressés au Ministre par les hommes chargés de cette mission présentaient toutes les garanties souhaitables. Choisis la plupart dans le nombre de ceux qui, par devoir ou par goût, s’étaient déjà livrés à l’enseignement de la jeunesse, ils étaient en état de bien apprécier la chose. C’étaient en général des professeurs de collège, des magistrats, des membres de comité, qui n’avaient aucun intérêt à exagérer le bien ni le mal. Aussi leurs rapports sont-ils surtout remarquables par un air de loyale franchise qui en double le prix. C’est là que M. le Ministre de l’instruction publique a puisé les documents dont se compose son rapport au Roi, mais, en y recueillant tous les faits de quelque importance pour la statistique, il y annonce en même temps l’intention, après les avoir étudié de plus près, de faire un rapport spécial à sa Majesté, et de lui faire ainsi pleinement et précisément connaître l’état moral et matériel des écoles primaires en France, au moment où la loi du 28 juin 1833 a commencé à être appliquée (Rapport au Roi, avril 1834, p. 64).
Des soins plus impérieux n’ont pas permis au Ministre de remplir cette promesse, et c’est pour y suppléer qu’avec les mêmes documents nous avons composé ce livre, véritable point de départ de la loi sur l’instruction primaire ; seulement, afin qu’il eût pour les lecteurs un intérêt encore plus présent, nous n’avons point négligé de consulter et de citer souvent des documents non moins authentiques et plus récents que les rapports des inspecteurs de 1833.
Après avoir consacré une part notable des sept dernières années à l’instruction primaire, nous nous devons maintenant tout entier à de nouvelles fonctions. Puisse au moins ce dernier hommage que nous lui offrons, servir encore ses intérêts, en éveillant la sollicitude de ceux qui doivent veiller à l’accomplissement d’une œuvre si importante pour le pays, et pourtant encore si imparfaite !