Tableau du royaume de Caboul et de ses dépendances dans la Perse, la Tartarie et l’Inde/Tome 3/Nausser

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NAUSSER.

Toutes les peuplades dont on vient de parler, et beaucoup d’autres dont la nomenclature eût été trop longue, possèdent des terrains en propre ; mais les Naussers n’ont aucun territoire, et ils se portent partout où ils jugent convenable de s’établir temporairement. Ils se distinguent des autres tribus par leur vie entièrement nomade.

Au printemps, ils se répandent par petites hordes de trois, quatre ou cinq tentes sur les contrées désertes des Tokhées et des Holukées. En été, ils se resserrent et forment des camps depuis cent jusqu’à deux cents tentes, et voyagent à petites journées, en cherchant de tous côtés des pâturages. À la fin de l’automne ils tiennent conseil, plient leurs tentes, et font un voyage de long cours dans la région chaude du Damaun.

La tribu traverse en deux divisions le pays des Vizirées, avec qui elle est continuellement en guerre. Le khan et les moushirs décident quelle est la division qui doit la première se mettre en marche. Le rendez-vous général est à Kunsour, sur le Gomur.

Les Naussers traversent d’abord des contrées absolument désertes ; mais en s’approchant de Kunsour, ils rencontrent d’autres hordes qui s’avancent de différens points vers ce lieu de réunion. Il en résulte parfois une confusion inexprimable. Si par hasard deux hordes ennemies se rencontrent dans une vallée étroite et encombrent les passages, il est rare qu’on n’en vienne pas aux mains.

Le nombre de ceux qui arrivent à Kunsour n’est pas moindre de trente mille âmes : ils traînent avec eux des troupeaux innombrables, des chameaux, enfin toutes leurs richesses.

Lorsque toutes les divisions sont réunies, on se remet en route pour le pays de Damaun.

Cependant les Vizirées ne négligent aucune mesure pour profiter du passage de leurs ennemis, et leurs préparatifs se font avec des précautions et un mystère qui ne peuvent avoir lieu que parmi des sauvages. Cachés par milliers dans les profondeurs des montagnes, ils laissent sur une pointe de rocher un seul espion qui écoute en silence. Averti par le bruit de l’approche des Naussers, il donne l’alarme à ses compagnons, qui se jettent dans les défilés par des routes connues d’eux seuls, et attaquent la troupe en désordre, ou se bornent à tomber sur les traîneurs, suivant la force ou la vigilance de leurs ennemis.

Pendant ce temps de danger, qui dure huit ou dix jours, les Naussers se tiennent sur leurs gardes ; leurs chefs apaisent tous les différens, règlent la marche, et pourvoient aux moyens de défense. Toute la division se meut en un seul corps ; des guerriers d’élite protégent le front, les flancs et l’arrière-garde.

Ces précautions sont bien justifiées par le caractère rapace et par la haine invétérée des Vizirées. Ceux-ci ne font jamais quartier à un Vizirée qui tombe entre leurs mains.

Enfin la troupe atteint le passage de Zirkunny, et se disperse dans la plaine. Chacune des hordes a un endroit fixe pour ses campemens : elle place tout auprès ses magasins de fourrages ; les tentes sont rangées en cercle, et le bétail parque au milieu pendant la nuit.

Dans cette situation, les Naussers mènent une vie inactive, parce que la surveillance des chameaux et des moutons n’exige pas un grand nombre d’hommes ; quelquefois cependant ils font de grandes chasses. Les femmes dressent les tentes, vont chercher du bois, de l’eau, et préparent les alimens.

Quoique les femmes ne soient jamais voilées, elles se recommandent par cette chasteté et cette modestie qui distinguent toutes les tribus barbares.

Lorsque les neiges de la haute montagne, connue sous le nom de Trône de Salomon, commencent à se fondre, le principal chef des Naussers tient conseil pour fixer le temps du départ et retourner vers le Khorassan.

Les Naussers, comme on vient de le voir, n’ont guère d’autres ressources que leurs troupeaux. Ils fabriquent avec la laine des moutons leurs tentes, leurs tapis, et des sacs pour contenir la farine ; la peau de ces animaux est employée à différens usages. Ils tirent du lait des brebis, du fromage, du beurre et du lait aigri. Quant à la viande de mouton, c’est pour eux un objet de luxe.

Avec le produit de leurs moutons et le loyer de leurs chameaux, ils se procurent les articles de nécessité qui leur manquent.

Les tentes qu’ils habitent sont petites, légères, et d’un déplacement très-facile ; tout leur mobilier consiste en un ou deux habillemens complets, quelques sacs de farine, une demi-douzaine de pots-de-terre, et un ou deux vases de cuivre.

Ces hommes sont petits, noirs, laids et d’un aspect repoussant, malgré l’honnêteté de leurs manières et l’innocence de leurs mœurs. On en compte douze mille familles. Leur gouvernement ressemble à celui des tribus indépendantes.

Quand ils sont rassemblés dans leurs camps, chaque division obéit à son moushir, sans que le khan principal jouisse presque d’aucune autorité. Sont-ils dispersés dans la plaine, ils n’ont plus de forme quelconque de gouvernement ; mais en marche ils sentent la nécessité du commandement d’un seul, et le khan exerce un pouvoir illimité.

Le khan et tous les moushirs sont élus parmi les familles les plus considérables. On ne manqueroit pas de les déposer, s’ils se trouvoient incapables de remplir leurs devoirs. Le moushir prononce sur les différens, et a droit d’expulser l’offenseur du camp sans assembler le jirga. Il règle aussi d’une manière absolue ce qui a rapport aux marches ou à l’assiette des camps. Il est cependant obligé d’écouter les représentations que lui font sur ce point quatre ou cinq individus réunis ; mais il prend ensuite telle détermination qu’il lui plait, et on est forcé de lui obéir.