Tableau du royaume de Caboul et de ses dépendances dans la Perse, la Tartarie et l’Inde/Tome 3/Ghiljies

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GHILJIES.

La vallée de la rivière Caboul est habitée par une peuplade qu’on nomme les Ghiljies. Ce territoire forme un parallélogramme dont la longueur peut être de soixante lieues, et la largeur de vingt-huit. Le climat en est froid ; l’hiver y est plus dur qu’en Angleterre, et l’été pas beaucoup plus chaud.

Les Ghiljies étoient jadis les plus célèbres des Afghans. Au commencement du dix-huitième siècle cette seule tribu a conquis la Perse, et a battu les armées de la Porte-Ottomane[1]. Après une longue résistance, le troisième roi de Perse, de la dynastie des Ghiljies, fut expulsé par Nadir-Schah ; mais une partie des conquérans s’est maintenue long-temps dans quelques districts, et en conserve peut-être encore quelques parties.

Le caractère de cette tribu est aussi varié que le pays qu’elle habite. Elle se partage en deux grandes familles, les Torauns et les Bourhauns, qui se subdivisent en huit branches.

Le gouvernement intérieur des Ghiljies n’est pas à beaucoup près le même que celui des Douraunées. Les chefs ont perdu le pouvoir dont ils étoient investis sous les rois de leur nation. Ni le khan d’une tribu, ni le mullik d’un village, n’oseroient intervenir dans la plus légère dispute pour l’apaiser.

Chez les Ghiljies orientaux, le chef n’a pas assez de pouvoir pour réunir toute la horde sous les mêmes lois ; cette horde se divise en petites communautés presqu’indépendantes.

La terre appartient aux propriétaires, et leur soumission féodale envers le roi n’est qu’une pure fiction : elle ne touche à aucun de leurs droits, soit au fond, soit même en la forme. Chaque individu dispose de ses biens suivant son gré, et ses enfans les partagent après sa mort.

Malgré leurs querelles domestiques assez fréquentes, et leurs démêlés avec d’autres tribus, les Ghiljies ne sont point des hommes violens ni irritables. Ils vivent généralement en bonne intelligence, et ont, comme les Douraunées, leurs réunions publiques et leurs amusemens. Un officier est préposé pour recevoir les étrangers, et pour les héberger aux dépens du village.

Leur costume (Voyez le frontispice du tome II.) est comme celui des Indous, une robe de coton blanc et un turban. Quand ils n’ont point de turban, ils portent un bonnet à la manière des uhlans, mais plus élevé que celui des Douraunées.

Outre leurs armes offensives, qui sont le sabre et le mousquet, ils portent un bouclier de peau de buffle ou de rhinocéros.

La plupart des hommes ont une tonsure au milieu de la tête, comme les Douraunées. Cependant quelques-uns, qui se piquent d’intrépidité à la guerre, laissent croître leur chevelure. Il est d’usage que celui qui s’avance contre l’ennemi jette son bonnet à terre, et se fasse tuer plutôt que de reculer par delà cette limite.


  1. Le père Krusinski, jésuite, qui se trouvoit alors à Ispahan, a écrit l’histoire de cette conquête. Les récits du voyageur Hanway et de William Jones passent pour être plus exacts.