Tablettes d’un mobile/28

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À L’ÉGLISE.

Mai 1871.



La rue est roide, étroite, et le pavé crotté.
Entre deux croque-morts rudement ballotté,
Un petit cercueil blanc chemine vers l’église.
Derrière, un homme pâle, à la moustache grise,
Marche, les yeux au sol, triste, le front penché.

Sur le seuil de l’église, un insurgé couché
Fume sa pipe et voit le convoi qui s’avance :
« Halte-là, citoyen ! et qu’on passe à distance !

On n’entre pas ici ! — Je viens pour mon enfant…
— Impossible ! — Pourtant ?… — La consigne défend
De te laisser entrer : et puis d’ailleurs, regarde,
Depuis hier l’église est faite corps de garde.
Nous avons remplacé ces calotins damnés.
— Pourtant je ne peux pas laisser… vous comprenez…
Mon pauvre enfant chéri sans messe, sans prière…
— Des messes, citoyen ! des messes ! pourquoi faire ?
Si ton petit est mort, les messes n’y font rien.
Il faut se consoler comme un vrai citoyen,
Et, laissant de côté curés et patenôtres,
Quand on perd un enfant, en fabriquer deux autres. »
Le père devint rouge et son poing se roidit.
Il voulut insister ; mais, hélas ! qu’eût-il dit ?
Qu’eût-il fait ?
Qu’eût-il fait ?Il partit, et vers le cimetière
Marcha, les yeux fixés sur la petite bière,
Le cœur gonflé de pleurs, — mais pensant qu’en haut lieu
Il est une justice, et qu’on l’appelle : Dieu !