Tablettes d’un mobile/29

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NUITS DE MAI.

Mai 1871.



Ônuits du mois de mai, nuits tranquilles, sereines,
Où la brise en chantant vient caresser les fleurs,
Où la terre sourit, oubliant ses douleurs,
Et dans son sein, gonflé d’espérances prochaines,
Reçoit les frais baisers de la rosée en pleurs ;


Ô douces nuits de mai, pleines de rêverie,
Qui sûtes inspirer un poëte adoré,
Rafraîchir son beau front brûlé par l’insomnie,
Et verser dans son cœur, harassé de la vie,
Un peu de cet espoir qu’il avait renié ;

Nuits chères aux amants, aux oiseaux, au poëte,
Vous qui rendez le calme à la vie inquiète,
Le chant aux rossignols et le feuillage aux bois,
Belles nuits de tendresse, où l’âme est toute prête
À s’ouvrir à l’amour pour la première fois ;

Vous, si calmes toujours, que vous étiez cruelles
Quand on a vu briller dans votre obscurité
Le feu, l’horrible feu, par la brise excité,
De son brûlant manteau, pailleté d’étincelles,
Enveloppant Paris, Paris épouvanté !

Sur vos voiles épais, profondeurs transparentes,

Comme un rouge serpent sur un océan noir,
L’incendie élevait ses flammes ondoyantes :
L’incendie… ô fureur ! ô rages impuissantes !
Ô mesquine vengeance et lâche désespoir !

N’aviez-vous pas assez, ô scélérats infâmes,
D’avoir tout usurpé, tout souillé, tout proscrit,
La liberté des corps, la liberté des âmes ? —
Non, le sang est trop peu : voici venir les flammes !
Il faut anéantir après avoir détruit.

Allez, haro ! pillez, volez ! Jusqu’à la gorge
Vautrez-vous dans le vol, la débauche et le vin !
Tuez la République en disant qu’on l’égorge !
Partout où vous passez, marquez votre chemin
En appliquant aux murs votre sanglante main.

Devant les Allemands, — qui vous payent peut-être, —
Dociles instruments de l’étranger vainqueur,

Chiens qui pour mieux manger léchez la main d’un maître,
Brisez ce monument fait d’airain et d’honneur
Où vos pères jadis ont inscrit leur valeur.

Puis, pour couronnement à votre œuvre insensée,
Voyant en quelques jours votre règne finir,
N’ayant su triompher, et ne sachant mourir ;
Après avoir souillé notre gloire passée,
Voulant souiller encor notre gloire à venir,

Brûlez Paris : versez la poudre et le pétrole
Sur ces vieux monuments que le temps respecta ;
Bombardez au hasard la grande ville folle ;
Allez ! obéissez, sans dire une parole,
Sous l’œil triomphateur des vaincus d’Iéna.

Allez ! semez partout le meurtre et la souffrance ;
Que chacun, sans faiblir, risque son existence ;
On vous a bien payés, vous devez bien agir.

Mais vous, des assassins, n’ayez pas l’impudence
De vous croire héros pour avoir pu mourir !

Lorsque viendra le jour où l’histoire future
Devra juger votre œuvre, elle ne dira pas,
Ô lâches pétroleurs, que vous fûtes soldats :
Elle vous jettera la honte à la figure
Et flétrira vos noms en les disant bien bas.

Honte éternelle à vous, communeux, race esclave
Des ignobles instincts que l’homme doit briser ;
Ce que vous avez fait, pour avoir pu l’oser
Il fallait être infâme, et non pas être brave ;
Et, si l’on pense à vous, c’est pour vous mépriser !