Tandis que la terre tourne/Viens, je veux t’expliquer

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VIENS, JE VEUX T’EXPLIQUER…


Viens, je veux t’expliquer le scarabée aurore
Qui se chauffe au soleil dans le berceau des fleurs ;
Le matin ruisselant d’humidité se dore
Et tombe goutte à goutte en fondant ses vapeurs.
Les nids qui sont pleins d’œufs tachetés et fragiles
Suspendent aux rameaux leurs petits paniers ronds
Et l’abeille en chantant laboure les argiles
Du pollen qui s’attache à ses cuissots larrons.
Je suis une ménade ayant encor des tresses
Sur le dos ; toi, petit chèvre-pied nouveau-né,

Le sein est l’outre où vont encore tes tendresses,
Tu laisses au frelon notre miel tartiné ;
Mais bientôt plus vaillant sur tes jambes tremblantes
Tu sauteras dans l’herbe avec les criquets verts
Et tu voudras saisir dans les griffes des plantes
La mûre granuleuse et les bourgeons amers.
Comme je me ferai petite pour te plaire ;
Nous jouerons, nous verrons avec des yeux naïfs
La libellule boire au courant de l’eau claire
Et la guêpe effarer les agneaux attentifs.
La courtillère en ses couloirs de terre fraîche
Ronflera de plaisir ; tu passeras tes bras
Au cou de la brebis, nous mordrons dans la pêche,
Comme le limaçon cornu tu baveras.
La mante paraîtra monstrueuse et sournoise
Dans l’agenouillement de ses bras anguleux.
Nous ferons des gâteaux charmants où la framboise
Mettra son mufle pourpre au cœur des graviers bleus.
Nous construirons avec des boulettes de terre
Des châteaux olympiens pour loger un grillon.
Au sommet flottera la brindille légère
D’un rameau de fenouil servant de pavillon.

La lune au soir ainsi qu’une servante honnête
Nous dira : Couchez-vous, c’est l’heure, il faut dormir,—
Mais parfois comme une grandʼmère rondelette
Elle se laissera dans un rire attendrir.
Nous la verrons rôder autour de la fenêtre
Agitant le hochet de l’astre au feu changeant
Et peut-être qu’alors le brouillard viendra mettre
Un bonnet vaporeux sur ses cheveux d’argent.
Ton âme sera si candide que mon âme
Près d’elle redeviendra blanche et quand nos fronts
Se toucheront sur l’herbe où la chaleur se pâme,
Je croirai que nous devenons deux liserons
Fleur contre fleur mêlant leurs bouches de rosée.
Car nous serons très près de la terre. Le jour
Indulgent de nous voir plus jeunes que la haie
D’aubépine dira : — qu’ils aient beaucoup d’amour,
Que la simplicité rustique les enchante,
Qu’un lait coule pour eux de l’avoine et du foin
Et que tous mes rayons tiennent dans chaque plante
Pour que mon cœur trop grand ne semble pas si loin.—

J’aurai l’insouciance agreste de la chèvre,
Parfois je t’offrirai des fraises sur ma lèvre,
Parfois comme la prêle et les fins peupliers
Dans l’eau pleine d’azur nous tremperons nos pieds.
Tu prendras le bouc mâle et roux par la barbiche,
Nous trouverons le tertre où la taupe se niche ;
Nous verrons la belette au corsage élancé
Disparaître élégante aux ronces d’un fossé.
L’automne ayant jeté des feuilles sur la porte,
Nous y découvrirons la sauterelle morte ;
Nous jouerons au ressort de ses pattes longtemps.
Mais nous serons surtout les frères du printemps.
J’aurai des parentés avec la mère-poule,
Avec la mère-biche, avec la guêpe soûle
Qui fait glisser son vol sur un fil de soleil
Et qui baise sur l’œil l’alicante vermeil.
Les bourgeons paraîtront des tétines de chatte
Que bleuit le chaton sous sa morsure ingrate ;
Je verrai fluer du lait dans les eaux
Où nage l’aurore ;
Nos mains chercheront entre les roseaux
La conque sonore.

Ton pied frappera le monde indulgent
Comme un bœuf paisible,
Le lac plissera des cerceaux d’argent
Dans son jeu flexible.
J’oublierai que j’eus parfois dans le cœur
Un goût d’amertume,
Tu verras flotter mon nouveau bonheur
Ainsi que la plume.
Je te dirai : Viens, amour-nourrisson,
Ta grâce est si belle
Que c’est le soleil avec sa toison
Contre ma mamelle.
Ne découvre pas ton ventre doré,
Car l’abeille folle
Pourrait s’y blottir comme au flanc sucré
De quelque corolle.
Ne taquine pas avec ton pied nu
L’herbe à peine haute
Car le noir frelon jetterait dessus
Un coup de sa botte ;
Ne regarde pas autour de la fleur
Errer cette mouche,

Car mon jeune sein verrait sa liqueur
Couler de ta bouche.
Ainsi je m’amuse, ainsi tu t’endors,
La terre gazouille,
Pour nous écouter l’heure en robe d’or
Suspend sa quenouille.