Tant mieux pour elle/Chapitre 11

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Romans et contes, première partie (p. 216-220).


CHAPITRE XI

Qui n’étonnera personne.


Il arriva en habit long, et demanda à ces Dames ce qu’elles désiroient de son petit ministere. Ce n’est qu’une bagatelle, dit Potiron ; il s’agit de traiter cette Reine comme vous avez coutume de traiter les jolies femmes. Vous voulez m’éprouver, répondit le Pontife. Hé bien, quand cela seroit, répondit Potiron, l’épreuve ne vous feroit qu’honneur. Seigneur, reprit le grand Instituteur, je sais trop le respect que je vous dois. Je vous en dispense, répondit Potiron : je sais fort bien que cette grande figure-là est ma belle-mere ; mais vous pouvez lui manquer de respect tant que vous voudrez, sans que je m’en formalise. Vous ne m’entendez pas, répliqua l’Instituteur ; je n’essayerai point de désanchanter la Reine ; je ne veux pas aller sur vos brisées. Rompre ce charme, sont vos affaires ; la mienne est de lever celui de la Princesse. Permettez-moi d’aller à mon petit ouvrage. Plaît-il, Monsieur le Curé, dit vivement le Prince ? Seigneur, continua la Fée Rusée avec l’air de quelqu’un qui meurt d’envie de rire, le Destin a déclaré que ces deux enchantemens, par une bizarrerie singuliere, seroient liés entre eux ; en rompant l’un, l’autre le sera aussi par un effet du contre-coup. Il n’y a que vous qui puissiez venir à bout de celui de la Reine ; et si vous ne voulez pas mettre à prosit un si beau privilege, l’honneur de faire cesser celui de la Princesse appartient de droit à notre Instituteur. Je me moque de cela, répartit Potiron, je veux avoir la rose. Seigneur, reprit l’homme céleste, prenez garde à ces paroles : Voilà pour lui. Hé bien, dit Potiron, c’est moi qui suis lui. Seigneur, continua le grand Instituteur, je crois que vous vous trompez ; c’est vous qui êtes toi. La premiere devise vous regarde, et les deux doigts vous reviendront tôt ou tard ; mais je suis sur que la rose sera pour moi. À ces mots, le grand Instituteur tourna ses pas vers la Princesse. Potiron s’accrocha à lui pour le retenir ; mais l’Instituteur prononça ces paroles avec un ton d’inspiration : Puissances invisibles soumises à mes décrets, étendez en ce lieu un rideau sacré qui me sépare des profanes. On vit sur le champ l’appartement séparé en deux par un beau rideau de velours de Gênes. Potiron resta avec les deux Fées du côté de la Reine Tapisserie, et l’Instituteur se trouva, du côté du lit, seul avec la Princesse.

Potiron devint surieux comme tous les petits hommes ; il voulut passer par-dessous le rideau ; il crioit de toutes ses forces : Attends, attends-moi, vilain Prêtre. C’est ce qu’il ne faut pas, s’écria Tricolore. Ce mot ralluma le transport au cerveau du pauvre Prince. Ah ! singe exécrable, reprit Potiron, tu auras affaire à moi. En attendant, dit la Fée Rusée, je crois que la Princesse va avoir affaire à lui. Ce qui me console, répartit Potiron, c’est qu’il se piquera du moins. Mesdames, un peu de silence, je vous prie ; il faut savoir comment il s’en tirera ; la chose mérite attention. En même temps, il se colla l’oreille contre le rideau ; il ne s’attendoit pas au dialogue que voici.

Ah, quel plaisir, dit le grand Instituteur ! Quel plaisir, interrompit Potiron ? mais il faut que cet homme soit enragé ! Écoutons encore. Ah, que vous me faites de mal, s’écria la Princesse ! Je ne me connois plus, poursuivit le Serviteur des Autels. Je vais m’évanouir, reprit Tricolore. Chere Princesse, adorable Princesse, beauté vraiment divine, continua le grand Instituteur en balbutiant, encore un moment de courage. Ah ! je suis morte, dit la Princesse en jetant un cri perçant. Le charme se rompit, le rideau disparut ; la Reine de tapisserie s’élança au cou du grand Instituteur, en lui disant : Monseigneur, que j’ai d’obligation à votre Grandeur ! Elle passa ensuite devant Potiron, et lui adressa ces mots.

Je vous en fais mon compliment, mon gendre. Faut-il se faire écrire chez vous, poursuivit la Fée Rusée ? Mon fils, continua la Fée Rancune, vous n’êtes pas le seul. Seigneur, dit le grand Instituteur, j’ai bien des grâces à vous rendre, je serai toujours à vos ordres, toutes les fois qu’il vous plaira d’augmenter le casuel de mon petit bénéfice. Potiron resta seul avec la Princesse : la connoissance ne lui étoit pas encore revenue. Potiron, pour la ranimer, voulut lui tâter le pouls (chacun a sa méthode) ; elle crut apparemment que c’étoit le grand Instituteur. Elle lui serra la main, en disant : Ah ! mon cher Abbé ! En même temps elle ouvrit les yeux.

Hé quoi ! c’est vous, Monsieur, reprit-elle ; que faites-vous donc là ? Ce que je peux, Madame, répondit Potiron (il avoit toujours la repartie juste). Tricolore devint honteuse : le Prince étoit embarrassé ; mais il fut encore plus curieux. Ah ! ah ! s’écria-t-il d’un air surpris, il n’y a plus ni rose ni piquans ; mais, mais cet homme-là a pourtant d’excellens secrets : c’est apparemment, Madame, cette extirpation qui produisoit vos plaisirs ? Précisément, répondit Tricolore. Je le crois aisément, répliqua-t-il. Cela n’empêche pas que ce ne soit une fort belle opération ; mais qu’a-t-il fait de tout cela ? Seigneur, dit la Princesse, il l’a emporté pour placer dans son cabinet d’histoire naturelle. Au fond, cela est juste, reprit Potiron ; c’est-là ce qu’il entendoit sans doute, lorsqu’il m’a remercie d’avoir augmenté son casuel. À parler franchement, je n’en suis pas fâché. Voilà bien de la besogne faite ; je sens que j’ai envie de dormir.