Tant mieux pour elle/Chapitre 10

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Romans et contes, première partie (p. 211-215).


CHAPITRE X

Façon de rompre un enchantement.


Potiron reprit sa connoissance ; ce n’étoit pas reprendre grand’chose : il ouvrit les yeux, regarda la Princesse, et lui tint ce discours tout rempli de bon sens : Madame, j’aimerois beaucoup mieux que vous me menassiez par le nez. La Princesse, un peu remise, eut envie de rire ; elle se retint cependant, et ne répondit rien. Y sont-ils encore, poursuivit Potiron ? J’en ai peur, dit Tricolore. C’est ce qu’il faut voir, dit le Prince. Il les trouva plus que jamais en forme de compas, avec les mêmes paroles ; Voilà pour toi. Le caractere en étoit tout au plus gros. Je suis fort aise de les retrouver, s’écria Potiron ; j’ai dans ma poche une paire de ciseaux que ma mere m’a donnés ; ils ont la vertu de couper toutes les choses enchantées. L’épreuve réussit, il rasa les deux doigts ; mais la rose et les épines prirent la place aussi-tôt, avec ces mots écrits ; Voilà pour lui. Il fit la même opération sur ce nouvel enchantement ; les deux doigts reparurent, et toujours : Voilà pour toi.

Madame, dit le Prince, il me paroît que voilà une place qui n’est jamais vacante. C’est l’horoscope qu’on en a toujours tiré, répondit Tricolore. Ce que je ne conçois pas, repartit Potiron, ce sont ces deux devises : Voilà pour toi ; voilà pour lui. Je crois qu’il y a beaucoup d’esprit 1à-dedans, mais je ne l’entends pas. La premiere devise, répliqua la Princesse, me paroît la moins obscure ; il me semble que l’emblême en facilite l’intelligence. La Fée Rancune et la Fée Rusée arriverent pendant cette discussion. Mon fils, dit Rancune, je sais que vous êtes dans l’embarras, mais vous n’en êtes pas quitte. Est-ce comme cela que vous venez m’en retirer, repartit Potiron ? Pourriez-vous me dire ce que c’est que cette rose et ses accompagnemens ? C’est mon présent de noces, répondit la Fée Rusée. Pour un présent de cette espece, reprit Potiron, il est bien à sa place. Et les deux doigts ? Les deux doigts, poursuivit Rusée, sont le présent de mon fils ; il les a donnés à la Princesse, et l’a chargée de vous les rendre. Malheureusement, dit la Fée Rancune, ils resteront là jusqu’à ce qu’ils soient à leur destination naturelle ; c’est une piece d’attente : cependant ils disparoîtront tout-à-fait, s’ils ne vous empêchent pas d’être heureux avec la Princesse. Essayez, mon cher fils. Non, parbleu, cria Potiron, je ne crois pas qu’on m’y rattrape. Puis se ravisant, je vais, dit-il, tenter encore une fois de rompre l’enchantement : ainsi, Mesdames, ayez la bonté de vous retirer.

Potiron, en effet, plein d’un nouveau courage, voulut s’emparer de la rose enchantée ; les peines ne le rebuterent pas. Hélas ! il fut la dupe de sa valeur ; il se trouva enveloppé dans vingt mille fusées de la Chine, dont la flamme étoit de toutes couleurs. Potiron fut traité en enfant perdu. Au feu, au feu, s’écria-t-il ! Seigneur, lui dit la Princesse, prenez bien garde qu’il n’y vienne des cloches.

Il y a de la magie dans tout ce qui se passe ici, reprit le Prince Potiron. C’est sans doute,répondit la Princesse, encore une galanterie de la Fée Rusée : il n’y a point eu de feu au fruit ; elle vous l’a réservé pour une meilleure occasion : il faut avouer que l’on a poussé bien loin la perfection de l’artifice. Les deux Fées reparurent, en disant : Ah ! qu’il sent ici le brûlé ! Il y a raison pour cela, répondit Potiron ; si l’artillerie du Roi est aussi bien servie que celle de sa fille, je défie que l’on prenne ses places. Il y a un moyen tout simple de lever cet obstacle, poursuivit la Fée Rusée. Vous savez bien que Madame votre belle-mere la Reine, a été métamorphosée en figure de tapisserie. Hé bien, répliqua Potiron., qu’est-ce que cela me fait à moi ? Je sais parfaitement que c’est une de vos facéties ; mais je n’en vois pas le fin. Je vais vous l’apprendre, dit Rusée d’un ton plein de bonté : il est naturel que je prenne le parti de mon fils ; il étoit amoureux de la Princesse. Parbleu, interrompit Potiron, j’en ai été assez témoin le soir de la chanterelle ; mais, grâces au Ciel, il est perdu ce petit Monsieur-là. Il se retrouvera, reprit la Fée. Je reviens à l’événement.

Voyant donc que mon fils étoit amoureux de la Princesse, et que vous étiez en droit de l’épouser, j’ai du moins cherché à vous empêcher de jouir de votre bonheur, et, pour y parvenir, j’ai jugé à propos de former un enchantement sur la Reine, et un autre sur Tricolore. Le dernier ne pourra être rompu, que préalablement le premier ne l’ait été : ainsi vous ne ferez disparoître la barriere qui vous prive de la Princesse, qu’en rendant à la Reine sa forme naturelle. Je vous crois beaucoup d’esprit, répartit Potiron, mais je ne vous trouve pas le sens commun. Comment voulez-vous que je fasse pour que la Reine cesse d’être une figure de tapisserie ? C’est, répliqua la Fée, en la traitant comme vous vouliez traiter Mademoiselle sa fille. Qui, moi ! reprit brusquement le Prince, que j’aye commerce avec une Reine de haute-lisse ! Vous n’y pensez pas. Que trop, répondit Rancune : il faut que vous sassiez cette politesse à la Reine des Patagons, ou ce sera un autre qui désenchantera la Princesse. Mais, en vérité, s’écria Potiron, je vous jure en honneur que cela m’est impossible. Hé bien, dit froidement la Fée Rusée, qu’on aille chercher le grand Instituteur.