Tant mieux pour elle/Chapitre 13

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Romans et contes, première partie (p. 225-228).


CHAPITRE XIII

Cela va prendre couleur.


Potiron salua le Prince de la main et du ventre, à la façon d’un Financier. Voilà un pauvre garçon qui a l’air trop sot, dit-il à la Princesse ; je gagerois que vous l’avez reçu froidement, peut-être brusquement, et cela n’est pas bien. Je ne trouve pas mauvais que vous fassiez les honneurs de chez moi, pourvu que vous n’en fassiez pas les plaisirs. Cet avantage, répondit Tricolore, n’est réservé qu’à vous. Tandis que Potiron raisonnoit si bien, la Fée Rusée devinoit plus juste sur Monsieur son fils. Elle jugea dans ses yeux, que s’il ne tenoit pas le bonheur, il y touchoit du moins. Il ne se comportoit point en fat, qui, d’un désaveu même, fait une indiscrétion ; il nia, avec l’effronterie qu’en pareil cas on doit avoir, et mentit comme un honnête homme. Vous ne voulez pas me confier où vous en êtes avec la Princesse, reprit la Fée ? je le saurai malgré vous, je n’ai que cela à vous dire.

En effet, dès qu’elle eut quitté le Prince, elle jeta un enchantement sur tous les maris, dont l’effet devoit être de leur donner une attaque de colique toutes les fois que les femmes auroient une foiblesse. Je crois le Lecteur bien certain que les tranchées vont devenir un mal épidémique. Tricolore ne se doutoit nullement que Potiron seroit dans le cas ; elle se contemploit sans cesse dans sa vertu ; elle se remercioit à tous momens de la rigueur qu’elle avoit tenue à son Amant : elle ignoroit que d’y attacher tant de mérite, c’étoit s’en étonner, et que cet étonnement est un commencement de défaillance. La vraie sagesse ne se sait gré de rien. Une femme indifférente résiste, et s’en souvient à peine ; une femme tendre s’applaudit de ses refus, et s’en applaudissant, elle s’en rappelle l’objet, elle s’attendrit, et finit par se rendre. En général, trop de réflexions sur la résistance est une préparation à la défaite. Tricolore cependant forma le projet de la plus glorieuse défense. On verra le succès de sa résolution.

Le lendemain, le Prince Discret fit épier le moment de la sortie de Potiron, pour déterminer l’instant de sa visite. Princesse, dit-il en l’abordant, vos yeux paroissent fatigués ; ce qui prouve que Potiron a passé une bonne nuit. Prince, répondit-elle, vous prenez-là un ton qui ne vous va point ; cela peut être une chose libre, elle n’ést qu’entortillée. L’explication n’en seroit pas difficile, repartit le Prince. Je vous en dispense, reprit promptement la Princesse : de quoi parlerons-nous ? De vous, dit le Prince. Non, cela m’est suspect, répliqua-t-elle. De Potiron ? Cela m’ennuieroit. De moi, continua le Prince sur un ton de roman ? Encore moins, dit vivement Tricolore ; vous ne parlez de vous que pour en venir à moi. Je voudrois, poursuivit Discret, que ces deux choses se touchassent. Vous allez vous embarquer si je n’y prends garde, s’écria Tricolore.

Tournons l’entretien sur une autre matiere. Par exemple, apprenez-moi pourquoi Madame votre mere vous changea en ver luisant, je n’en ai jamais senti la raison de préférence. Cela est trop simple, répondit le Prince. Vous devez vous souvenir du temps que j’étois coq ; et même ce fut vous, Madame, qui me fîtes l’honneur de me faire entrer en charge. Abrégeons, dit Tricolore en rougissant. Volontiers, Madame. Vous vous rappelez sans doute que la Fée Rancune alloit me saisir : il falloit me faire disparoître, et ma mere n’y réussit qu’en me donnant la forme d’un très-petit animal. Elle fit sensément, continua la Princesse ; il y a tant de grosses bêtes dans le monde !

Lorsque je fus vermisseau, reprit Discret, je me trouvai tout d’une venue ; mais comme mon amour étoit inséparable de moi, tous mes esprits, toutes mes sensations se réunirent, et se porterent dans l’endroit où vous apperçûtes une espece d’étoile. Il est étonnant, repartit la Princesse, combien cela vous donna de physionomie. Madame, dit le Prince, vous me surprenez, je n’avois point de visage, et, puisqu’il faut vous parler net, mon étoile étoit sur la queue. Je ne sais que vous dire, poursuivit Tricolore ; mais je vous le répete, vous aviez beaucoup de physionomie, et c’étoit-là une heureuse étoile. En effet, répliqua le Prince Discret, il me souvient que vous me prîtes avec bonté entre vos doigts, vous me serrâtes avec amitié, vous me chatouillâtes ; je remuai ; vous craignîtes apparemment que je ne vous échappasse ; vous appuyâtes votre pouce, et vous me fîtes le plaisir de me tuer le plus joliment du monde. Je vous assure, dit Tricolore, que cela me fit une grande impression, et je sentis..... Vous ne saviez pas, interrompit Discret, qu’en cet instant je redevenois homme de votre main.