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Tant mieux pour elle/Chapitre 16

La bibliothèque libre.
Romans et contes, première partie (p. 238-241).


CHAPITRE XVI

Les Tableaux.


Rien de si tentant, ni de si dangereux, que les remedes que l’on ne connoît point. La fontaine enchantée devoit être suspecte, puisqu’elle étoit indiquée par une Fée qui n’étoit contente que lorsque les autres ne l’étoient pas ; mais ce que promettoient ses eaux étoit bien séduisant. Tricolore s’y baigna, et fit bien ; la Reine l’imita, et fit mal. La premiere recouvra toute l’intégrité d’une fille de douze ans ; mais sa mere tomba dans un piége que Rancune s’étoit bien donné de garde de déclarer. Cette fontaine avoit le secret merveilleux qu’on avoit annoncé ; mais ce n’étoit que pour celles qui n’avoient jamais eu qu’un Amant. Je ne parle point d’un mari, cela ne se compte point.

Elle produisoit un effet tout contraire sur les femmes qui avoient eu plus d’une affaire dans leur vie : ces eaux ne manquoient jamais de faire paroître empreints sur le corps les portraits de tous les Amans que l’on avoit eus ; et, pour ménager le terrein, ils n’étoient qu’en miniature, comme s’ils eussent été peints exprès pour être mis en bague. Les ressemblances étoient frappantes. La Reine en fit la malheureuse épreuve : elle se plongea dans la fontaine avec confiance ; elle fut confondue, lorsqu’en sortant elle se vit si bien meublée ; elle reconnut tous ses amis. Elle fit l’impossible pour les effacer de là, comme ils l’étoient de son cœur ; plus elle se baignoit, plus les couleurs devenoient vives : les proportions étoient gardées, tous les dessins exacts, les nuances bien ménagées ; c’étoient autant de chef-d’œuvres de peinture. La Reine, qui n’étoit pas connoisseuse, ne sentit point tout le prix de ce nouveau mérite : elle questionna sa fille ; elle s’étonnoit qu’elle n’eût pas le portrait du grand Instituteur : mais comme la Princesse l’avoit reçu par nécessité, il n’en paroissoit nulle trace.

Le charme n’exprimoit que les portraits de ceux qu’on avoit eus par goût. Elle étoit dans cet excès, lorsqu’on vint lui annoncer le Roi : ce Monarque venoit la chercher avec impatience ; elle fit une résistance qui, pour la premiere fois de sa vie, ne fut pas jouée. Une pudeur d’amour propre lui monta au visage ; elle se rappeloit que son époux avoit plus de curiosité que d’activité ; et c’étoit, dans le cas présent, tout ce qu’elle craignoit. Elle hésitoit, elle balbutioit, et le Roi crut qu’elle minaudoit ; ses désirs en redoublerent ; il lui donna la main, et la traîna dans son appartement.

À peine y fut-elle, que sa crainte devint excessive. En vérité, Seigneur, lui dit-elle, il me semble qu’à nos âges.... cela n’est pas raisonnable. Que parlez-vous d’âge, Madame, reprit le Roi ? la fontaine vient de l’effacer. Vous me paroissez plus belle, plus jeune, plus fraîche que le jour que je vous épousai ; votre printemps est revenu, et je sens qu’il a ramené le mien : en ces instans il lui prit une vivacité de jeune homme. Seigneur, dit la Reine en le repoussant, quoi ! malgré les lumieres....... Comment ! repartit le Roi, voilà une fontaine miraculeuse, elle donne de la modestie ; mais je vous connois, et vous me saurez gré de ne la pas ménager. La Reine tomba en foiblesse, et le Monarque s’écria : Ah ! bon Dieu, que de portraits ! mais, mais je connois toutes ces figures-là.

Voilà toute ma petite écurie ; voici les Pages de ma chambre ; voici celui-ci ; voici celui-là ; oh ! oh ! voilà mon gendre aussi ; en vérité, il est parlant : c’est bien la chose la plus singuliere que j’aie vue de ma vie. La Reine reprit ses sens, et vit le Roi occupé à regarder avec son gros verre, pour examiner mieux. Votre Majesté, dit-elle, doit être bien surprise. Extrêmement, Madame ; vous savez que je suis amateur. Tous ces portraits-là sont fort bons, au moins ; vous figureriez très-bien dans le cabinet d’un Curieux, et je pense qu’il faut vous exposer au Sallon.

Sire, reprit la Reine, vous devez savoir combien mes amis me sont chers ; j’ai prié une Fée de faire en sorte que j’en eusse tous les portraits ; je ne m’attendois pas qu’elle les placeroit là. Je trouve cela très-commode, dit le Roi, cela ne remplit point les poches. Mais, poursuivit-il, je suis scandalisé d’une chose ; parmi tous ces petits portraits, je ne vois point le mien, et je remarque que tous vos amis sont des enfans de quinze à vingt ans au plus. Seigneur, répliqua la Reine, je crains tant de les perdre, que je les prends toujours les plus jeunes qu’il m’est possible. Il me vient une idée, interrompit le Roi ; je voudrois avoir des estampes de tout cela ; je serois curieux de vous faire graver comme la Chapelle des E... T... Le grand Instituteur est un fort joli Graveur, je vais le mander, je veux le consulter.