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Tant mieux pour elle/Chapitre 17

La bibliothèque libre.
Romans et contes, première partie (p. 242-246).


CHAPITRE XVII

Qui est de trop.


Malgré la Reine, le grand Instituteur parut ; le premier coup-d’œil le frappa. Voilà, s’écria-t-il, une galerie dans un goût nouveau : ce que j’y trouve de charmant, c’est que tous ces tableaux se portent aisément ; c’est ce que, nous autres Savans, nous appelons communément des veni mecum. Cela fera une fort jolie suite d’estampes, au moins, dit le Roi. Alors l’Instituteur fit cette demande à la Reine : Comment votre Majesté désire-t-elle que je la grave ? Est-ce au burin ou à l’eau-forte ? M. l’Instituteur, repartit la Reine, eh ! pour Dieu, mêlez-vous de vos affaires. Il me paroît, répondit le grand Instituteur, que bien des gens se sont mêlés des vôtres. Je ne demande pas mieux que de tirer ces estampes ; mais, en conscience, ce n’est pas au Roi à faire les frais des planches.

Je vous entends, dit le Roi, parce que j’ai bien de l’esprit ; ces petits amis-là m’ont l’air d’avoir été autant d’Amans. Je le croirois assez, poursuivit l’Instituteur : c’est une méchanceté de la Fée Rancune, qui a décidé que tout portrait qui cesseroit d’être dans le cœur de la Reine, passeroit où vous le voyez. On envoya chercher la Fée Rancune ; et le grand Instituteur, en attendant, examina les portraits en détail En voici, dit-il, de très-jolis ; ils ne sont qu’au crayon ; mais les attitudes sont plaisantes ; ce sont de vrais Clinchetel. Rancune arriva. Nous admirons votre ouvrage, dit le Roi ; vous avez eu, je vous l’avoue, une idée bien extraordinaire. J’ai voulu savoir, répondit la Fée, s’il y avoit une femme irréprochable, et j’ai imaginé l’enchantement de la fontaine. S’il s’en trouve une seule, poursuivit-elle, qui n’ait pas un petit portrait sur le corps, tous ceux de la Reine disparoîtront. C’est une expérience à faire, s’écria la Reine ; elle sera d’autant plus facile, que presque toutes les femmes se sont baignées. Il n’y a qu’à les faire passer dans la salle des Suisses, et nommer Visiteur le grand Instituteur.

Madame, répliqua-t-il, c’est un droit attaché à ma place ; mais je veux de la décence, et j’exige que la visite se fasse dans ma petite maison. La proposition fut acceptée : chaque femme, sans en dire la cause, fut appelée et reçue en son rang. Le Visiteur s’acquittoit de son emploi avec toute l’attention possible ; il débutoit toujours par cette phrase : Madame, permettez-moi de voir s’il n’y a pas quelque chose là-dessous. Cela ne manquoit jamais ; c’étoient perpétuellement des femmes à tiroir. La Reine crut que les Coquettes pourroient rompre le charme ; mais le saint Visiteur observa que la seule différence étoit dans la peinture, et que les portraits de leurs Amans n’étoient jamais qu’en pastel. Il prit le parti de les envoyer chez Loriot, pour les fixer.

On fit venir une Dévote célebre, qui ne sortoit guere d’un Temple dont elle étoit voisine ; elle marchoit gravement, parloit froidement, sentoit vivement, et ne regardoit qu’en dessous ; c’étoit la réputation la plus imposante du Royaume. Le grand Instituteur représenta que vraisemblablement cette femme n’étoit pas dans le cas de l’épreuve. La vertu, dit-il, va rarement à la fontaine, ou par négligence, ou parce qu’elle n’en a pas besoin, ou parce qu’elle ne fait pas usage du privilége qui y est attaché. On risqua l’aventure. La Dévote fut interdite, lorsque le Visiteur lui tint ce discours : Madame, votre vertu va dans l’instant recevoir le plus grand éclat ; permettez que je vous visite. Insolent, s’écria la Dévote !.... C’est ma charge, Madame...... Je vous donnerai un soufflet. C’est ce qu’il faut voir, répliqua-t-il.

Notre Sainte, piquée, frappe, égratigne, mord ; le Visiteur ardent, tient ferme, pousse, et triomphe. Oh ! oh ! s’écria-t-il, me voici en pays de connoissance ; voilà les portraits de tous nos bons amis : je reconnois tous les Novices et les jeunes Profès du Temple où vous allez. Voici le Procureur-Général ; ici c’est le Recteur, qui n’est pas nommé ainsi pour rien, à ce qu’il me paroît. Mais, mais, en vérité, Madame, cela est très-édifiant ; votre corps a l’air d’une congrégation. J’apperçois cependant un cadre qui n’est pas rempli ; cela fait un mauvais effet ; j’ai envie d’y mettre ordre. Ah ! Monseigneur, répondit la Dévote en se mettant les mains sur le visage, n’abusez pas de votre charge. Ah ! que faites-vous ? rien ne vous arrête ; je n’oserai pas voir la lumiere après cette aventure..... Ah ! Monseigneur, ah ! que vous avez un grand..... talent pour peindre ! Le grand Instituteur fut un Héros..... aussi se trouva-t-il dans le cadre en habit de cérémonie : tous les petits portraits avoient changé d’attitude, et paroissoient, avec respect, prosternés autour de lui. Le grand Instituteur fit conduire honorablement chez lui cette femme célebre, et jugea à propos de finir ses visites.

Le Prince Potiron, qui étoit délivré de sa colique, prit son parti sur Tricolore. Tous les Oracles, qui avoient paru contradictoires, se trouverent vérifiés. Le Prince Discret avoit eu la Princesse en qualité d’Amant, et ne l’avoit pas eue en qualité de Mari ; c’étoit tant mieux pour elle. Potiron ne l’avoit eue que comme un sot, et même n’en profita point ; ainsi il l’eut, et ne l’eut pas : elle lui avoit apporté ses prémices, et cependant avoit eu dix-sept enfans. Discret, par le moyen de la fontaine enchantée, avoit cueilli cette fleur si précieuse, quoiqu’il eût été prévenu par le grand Instituteur. Il avoit reçu la mort de sa Maîtresse, et ç’avoit été tant mieux pour lui. Potiron avoit eu la colique bien serrée.

Après de si grands événemens, les deux Fées allerent dans d’autres Cours ; le Roi continua de végéter dans la sienne, et la Reine passa son temps à se faire achever de peindre.


FIN