Terre Promise (Eugène Morel - La Revue blanche)/5

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Terre Promise (Eugène Morel - La Revue blanche)
La Revue blancheTome XIV (p. 127-146).

Terre Promise  [1]
troisième partie
X (suite)

Mais la femme. Mais l’enfant…

Espère… La misère va te prendre l’un et l’autre. Tu seras libre. Une Providence t’a désigné. Tout cela, c’est l’épreuve, c’est l’endurcissement. Il faut que pas un espoir de joie de ce monde-ci ne te reste, pour que tu en veuilles un autre, — à plein toi-même !

Rappelle-toi… Un ferment, un seul…

Humanité, tas des humains, foule qui passe, polypier de douleurs, vaste croupissement de désirs, d’inerties et d’angoisses, de rêves envasés et de bourgeonnante boue… — est-ce qu’un ferment, un seul, multiplié en toi, soulevant à gros bouillons ta masse putride et molle, en ferait l’alcool clair qui brûle, saoule et tue…

Si c’était Toi ! Messie de la Sociale… Espoir du gamin ivre de mots… Si c’était Toi…

— Père… j’ai faim… et je ne dors pas… Il fait si froid…

Si froid, si froid… Remonte bien haut la couverture… La plainte du petit qui demande à manger, rêve que demain peut-être tu pourras exaucer, remonte-la bien haut contre le froid terrible de toute ton impuissance…

Va donc ! agis… remplis le monde de tes miracles…

Le monde est vide. Il l’était depuis les Romains. Et depuis, avec quoi a-t-on pu l’emplir, sinon du mal ? Qu’as-tu en toi pour mettre en lui ? De la douleur… Verse, verse tout. Il y en a déjà tant… Ça ne paraîtra même pas !

Faire un peu de mal… très peu. C’est tout ce que tu trouves ?

Effrayer des chevaux qui s’emballent de peur… Bombes qui ratent, voisins de procureurs endommagés un peu ; peut-être des petites filles qui passent seront blessées, et des immeubles auront besoin de réparations…

Et la Cause ! ébréchée par tant de stupidité, de quelles réparations n’aura-t-elle pas besoin !

Jésus, Messie… ou bien pauvre Croque-Mitaine…

Impuissance ! Ne pouvoir se soulever du sol, qu’en se mettant d’abord à genoux. Écraser le monde… Pas même de la rage, où l’on se vautre, pouvoir un autre écrasement que de soi-même…

Cependant tu seras vengé, homme qui souffre.

Laisse ta vengeance. Ses fruits tu ne les verrais pas. Ta vengeance ? Rien et ça vont également au but. Elle frapperait les heureux. Il n’y a point d’heureux. Elle frapperait les bourgeois… Regarde. Compte les vides. Tu t’attardes aux espoirs de révolte et de monde futur. La retraite a sonné pour tout ce monde-ci. Mais on ne va nulle part ailleurs que vers la tombe…

Regarde. Compte les vides. C’est la race de France, la tienne, celle qui a fait les révoltes de jadis…

Multiplie ! dit la nature. Restreins ! dit le rentier. Il te montre l’exemple. La route de la richesse : exploiter et restreindre. Car il est riche, il dresse sa puissance d’or comme un arc de triomphe sur la route de la mort, où il va. N’est-ce pas lui qui toujours contredit la nature, qui érige ses droits où se heurtent tes désirs, qui te barre le gîte, la nourriture, l’amour, tout ce que la nature donne… Mais elle donne la vie ! — Lui ne la donne pas.

Ici, le riche s’arrête ; entends son cri d’alarme ; Dieu affole qui il veut perdre. Soudain le riche oublie le principe qu’il proclama, l’exemple qu’il donna, sa route vers la richesse ; il voit la mort au bout, il appelle au secours ; toi, pauvre, à son secours ! Ivre, il parle de religion, patrie, est-ce qu’on sait… Je crois qu’il parle d’amour ! Pauvre ! fais des enfants, fais-lui, oui, des enfants…

Pour la France !

C’est qu’il n’importe pas, père, que tu vives heureux ; il importe peu que les enfants de France voient la lumière du ciel, respirent l’air du pays, soient gais, au moins le temps qu’ils sont petits, le temps d’aimer la terre qu’on leur donne à défendre, et que toi, nous tous, eux plus tard, vivent, — heureux serait trop, — mais tranquilles sur le pain, le travail, puissent avoir une femme, un peu de repos parfois, et une vieillesse. Il importe d’être un gouvernement, et que la société, non ceux qui la composent, soit tranquille, que l’on puisse aligner de belles masses de chair où mordent bien les fusils ; il importe d’avoir des cités aux rues larges, des parcs à fainéants, des quartiers propres, qu’il y ait un Opéra, des arts, de la pudeur et des filles, des statues, des ministères, des gardes municipaux, et que, sale en-dessous, il y ait dans la société astiquée la correction d’une tenue militaire.

Fais des fils, pour qu’ils soient en nombre à produire l’or, et s’empêcher mutuellement d’en jouir, en nombre pour qu’une digue de chair bien armée protège l’ordre social contre tes cris, tes révoltes, ton odeur d’ouvrier, ta famélique marmaille…

À quoi bon un de plus.. ! Le pauvre même se l’est dit. Rêves de monde meilleur, d’humanité complète, toutes patries réunies… Utopies, utopies ! — Ne serait-ce là que le cri de la race lassée, qui, incapable d’aller plus avant, tombe en route, et rêve dans son sommeil qu’elle arrive déjà ?

Pays de misère, pays de déchéance, terre d’ennui, belle France qui t’éteins doucement, ramenant, pour te couvrir, ce qui reste de tiédeur aux loques d’une vieille gloire, nous ne t’avons pas vue allègre en ta jeunesse, mais fêtarde fardant mal les défaites subies ; et nés aux jours de deuil, c’est sans joie que nous avons écouté l’histoire de tes conquêtes, — qui mesuraient ta honte. Sur la pointe des pieds, et le bras haut tendu, on nous montrait combien nos pères étaient grands. Nous ne sommes pas nés dans l’orgueil de notre maison. Les grands faiseurs de tours guerriers l’avaient quittée, après avoir au prix de millions de vies d’hommes, diverti de crimes, de panaches et de paillasseries le peuple où fut inventée l’idée de Liberté. Belle France, vendue aux vieux après le soudard, de ménage en ménage en dépit d’aventures, mangée et démangée de pions et gens d’affaires, qui va mieux cependant, ne songe plus à sa blessure, s’égaie de temps en temps et parle de grivoiseries, qui inventa la guerre et ne peut plus la nourrir, qui voulant des enfants, les chassant quand ils viennent, conquiert pourtant des terres pour les fils qu’elle n’a pas, — incapable de colère, même contre les siens, même pour défendre cette liberté, son orgueil ! ni pour affront ni par misère, même par ennui ! Terre des révoltes sans révolte désormais, et qui s’éteint, vieille noble terre, comme ce petit, faute d’aliments…

Jacques ! petit enfant, petit Français !

Tu ne reconquerras pas l’Alsace et la Lorraine, tu n’enfileras pas le pantalon rouge qui rend si fiers les gamins de ta race, tu ne disputeras pas aux étrangers avides les salaires de ton pays, tu n’entretiendras pas, feu de veuve, que l’on traîne, l’éblouissante et rayonnante République, tu ne voteras pas pour les candidats des réformes positives, et ne rêveras pas de monde meilleur que le tien : la tombe. Ni citoyen, ni juré, ni caporal, et pas même prolétaire ! — Mais tu n’enfanteras pas, toi, d’enfants qui ne peuvent vivre ; entreprenant des existences pour les rater, tu n’iras pas tirer du néant des matières satisfaites d’y être, pour les jeter dans la vie se tenant sur une patte, mie seule posant à plein sur la misère, et l’autre chez les riches, patrons, marchands de pain, ou au Mont-de-Piété, sans le sou pour l’y chercher.

— Meurs, petit, meurs, mon petit Jacques !

Il s’éteignait, degré par degré, comme une fleur sans eau…

Ah ! jadis, homme et femme, tous deux seuls, s’adorant, comme, du haut de leur amour, retentissant de baisers, — les grandes jouissances gratis — comme ils avaient bravé et défié la Misère…

Elle avait attendu. Elle revenait, pour le triomphe.

Alors Pilleux se décida et se leva.

— Où vas-tu ?

— Chercher de l’ouvrage. À tout à l’heure, femme.

Se révolter. Travailler. Mourir. Trois impossibles.

Pourtant n’y avait-il rien autre chose à faire ?

— À tout à l’heure, femme.

XI

L’horrible journée de faim tombait enfin dans l’ombre.

Jean n’était pas rentré, et Georgette, épuisée, lasse de tendre l’oreille, de se dresser à un bruit, de se pencher au palier, de se pencher à la fenêtre, lasse d’imaginer des choses que l’on mange, inerte, regardait la nuit, rongeait le temps, écoutait le silence.

— Rentrerait-il ? Rien encore. Toujours rien.

Le silence. Par instant la toux rauque de l’enfant secouait l’ombre, puis l’ombre retombait de la douleur au silence.

Des voix montaient de la cour. Georgette regardait.

Sombre, longue cour, hauts murs jaunes à trous noirs, sale et morne fourmilière d’humains. Rien de la nature n’y souriait, pas même le ciel, pan de brume tendu sur le carré des toits, pas même les pots de fleurs jaunissant aux fenêtres, ainsi que sur les cheminées s’effacent les portraits de ceux qu’on a perdus, tristes photographies de la nature absente.

Visqueux, blafards, ces murs semblaient se dresser contre la joie. Il ne pouvait s’y gîter que des vies minables, gluantes. Des cloportes hantaient ces pierres, ou des crapauds ; les lézards vainement y attendraient le soleil. Mais non : c’était bâti par des hommes, pour des hommes. Cette laideur était voulue. Œuvre humaine, malheur artificiel, il avait fallu des siècles et des vies, des civilisations, des efforts de génie, et des luttes de races pour en édifier toute l’horreur, purgée de tout ce qu’il y a de doux dans ce que la nature donne.

Là dedans nichait l’homme, par familles compactes, tassées en cases carrées, là, dans l’humidité, les excréments, la nuit, vivaient des brutes pâles, puantes et désolées, épuisées, inconscientes.

Chaque aurore les voyait sortir de leurs tanières non pour courir, chasser, tuer, et s’accoupler, mais, le front bas, brouter l’herbe fastidieuse d’un travail éternel, et rapporter, non pas les viandes réjouissantes que les fauves dans leur gueule portent comme des trophées, mais la proie sans saveur que donne une besogne sans joie.

C’était l’heure. On les voyait rentrer.

Ils s’attardaient en bas, recomptaient dans leur poche les sous d’un dernier verre, traînaient un bout de causette, se résignaient enfin, et, arrêtés encore, humaient l’air, — dernière fois ! Une gorgée, et se glissant par le trou infect, à tâtons, ils gagnaient l’antre. La femelle et les petits attendaient en grognant, se dressaient avides, anxieux : Qu’est-ce qu’il rapportait ? Puis des grincements, des luttes… Misère, c’était ça vivre ; et cette bête de ténèbres, sans beauté, sale, piteuse, hargneuse, la bête de ces tanières profondes, c’était l’homme.

Mais elle revivait, l’antique bête des bois. L’alcool galvanisait son agonie fétide ; pour mordre, le blessé retrouvait une saccade de force.

Alors des cris, des hurlements et des sanglots. La femelle et le mâle, pris de querelle, cognaient. Puis sans qu’on sut pourquoi, les fureurs descendaient ; héritiers de douleur, les gosses battus pleuraient.

Qu’avaient-ils fait ? N’importe ! Dam ! ça les apprendrait ! Minables, ils apprenaient… apprentis de misère ! S’ils avaient su plus tôt, ils ne seraient pas venus.

Stupide animal mis en cage et qui se venge, qui tout le jour, doux et tendant la patte, pour qui le méprise, asservit, et torture, s’efforce, travaille, — et le soir, pour l’être qui lui tient prêt et l’amour et la soupe, n’a plus qu’injures, coups, et toute la haine de tout le jour amassée.

Georgette attendait. Rentrerait-il, le sien ? Que ne venait-il frapper et crier comme les autres ? Elle soupirait après sa part de pâture et de coups.

Tous étaient revenus. Une à une, dans la cour, du haut en bas avaient brillé les lumières rousses auxquelles se pouvaient compter les foyers de misérables. La sienne, inéveillée encore à la nuit noire, voyait passer l’armée des narguantes étoiles, sans une goutte d’huile pour briller, elle aussi.

Du haut en bas de la cour, les mangeailles ayant apaisé les querelles, on aurait presque dit qu’il faisait un peu de joie ! — Pilleux ne rentrait pas.

Alors, au second, le chanteur commença ses refrains, comme il faisait chaque soir.

En face, l’employé s’était installé à ses bandes ; il collait, il collait ; et la lampe acharnée brûlerait toute la nuit…

La fille du cinquième, elle, redescendait déjà. Pas revenue d’un travail, elle courait à l’autre. Lasse des bras, du ventre. Et c’était peu des deux métiers, pour pouvoir vivre.

Celle du sixième monte à son tour, la dernière. C’est celle qui se meurt. N’ayant pas d’eau là-haut, elle monte la cruche lourde, mais il faudra s’y reprendre à plus d’une fois. Assise sur les marches, elle tousse, tousse comme pour écorcher les âmes qui l’entendent. Enfin elle a craché, elle respire, et se lève. Ayant repris la cruche lourde, elle s’efforce encore. Et péniblement elle achève de monter.

Et tandis qu’on travaille, chante et meurt, toutes ces misères tassées si serrées qu’elles s’étouffent, joie contre peine, mort contre vie. — soudain une douleur plus noire et plus aiguë vient consterner dans l’ombre et la mère et l’enfant : il monte un fumet chaud des mangeailles d’en bas.

L’enfant dit : ça sent bon, et plus bas : j’ai bien faim. Elle, serre son ventre qui se crispe et la mord.

Toujours à la fenêtre ; mais ce n’est plus pour voir arriver Jean. Ses yeux troubles ne regardent pas. Elle ne songe plus à lui ; elle ne songe qu’à la faim. L’enfant crie ; elle ne l’entend plus. Elle a si faim, si faim, que si une croûte tombait elle ne partagerait pas.

Sans doute il a de l’argent. Il le boit. Quand il l’aura bu, il rentrera.

C’est très possible, elle le sent bien, d’avoir des sous, de les boire sans en rien rapporter.

Elle se lève, — et chancelle ; la chambre tourne, la nuit sous ses pas ouvre un gouffre. L’ombre est comme sabrée par des lueurs d’éclairs. Tout danse. Seuls, fixes, des yeux la regardent, dans le noir, des yeux rouges.

Alors c’est la peur, — les monstres, les monstres ! L’enfant les voit aussi ; il appelle. Terrible est sa petite voix qui appelle. Mais quoi ! Chacun pour soi dans l’épouvante ; la mère se sauve. Quelques pas… Voici la porte, la vraie porte, qu’elle tient bien, qu’elle ouvre. Enfin !

C’est le corridor ; au bout brûle le gaz rassurant. Elle n’y tient plus, affolée, claque la porte, laisse l’enfant et descend à la rue.

Et l’air fait un peu de bien, comme s’il nourrissait…

Tandis que là-haut, seul, hurle, hurle l’enfant.


Elle va… ne sait ou. On se retourne sur elle.

Jadis c’était pour dire : jolie fille.

Elle aurait grand besoin qu’on la trouve jolie ; mais on dit seulement : qu’est-ce que celle-là ? Ivre !

Si pâle ! et titubante de cette soûlerie : la faim !

Bruissent les rues ; les boulevards chantent ; les gaz flambent… Oh ! le joyeux fracas de Paris toutes ces ombres qui bourdonnent, bêtes de nuit qui s’éveillent !

Tout devant elle passe fantôme : les lumières elles-mêmes, comme des feux follets reculent devant elle, et les passants, larves errantes, et les voitures, telles que des monstres… — Oh ! toujours les yeux de feu qui la regardent, les yeux fixes.

Des filles errent et s’offrent. La concurrence est grande, il faut savoir les bons endroits. Ce n’est pas d’emblée, par caprice, qu’on réussit. Il y a encore de la peine, mais moins qu’à l’atelier. Socialement les ouvrières se sont élevées. Si c’était complètement… au-dessus de la misère ! — Rougir ? Non. Elles sont fières. Mais elles souffrent, souvent.

Jouir ! être belle ! Monter aussi jusqu’à ce niveau de société où commence la soie, le fard, les parfums, les gants ! Être un peu de tout ça, de l’humanité qui jouit, pour qui la vie toute emmitouflée de choses douces, n’a que des frottements de plaisir, sent bon, se mire, et ne chine pas.

Que faire pour cela ? Rien peu ! Se prêter. Faire semblant de rire, et forniquer sans joie. C’est bien peu de chose ; c’est moins sale que la misère, ça ne prend qu’un moment, ce travail-là. Pas toute la vie ! Et il donne à manger.

Pouvait-elle encore ?

Oui. Des demi-pauvres ne s’effrayaient pas de son air minable, de ses joues creuses, de ses haillons, de ses yeux fous. Ils avaient encore quelques sous à en donner. Ils l’accostaient.

Elle serait belle, bien nourrie, quand elle « reprendrait ». La chair humaine manquait toujours, et faisait prime… Puis, dans les rues plus noires, on verrait moins…

Si bête la société, que le pain manquant devant le trop de bouches tendues, ces bouches se manquaient l’une à l’autre pour s’embrasser !

— Mademoiselle…

Jean peut-être était rentré à cette heure.

— Mademoiselle…

Sûrement, il rentre. Elle n’est pas là. Où donc ? Quel poids au front, quel froid au cœur ! Où était-elle ? Lugubre, impatiente attente dans la nuit. Et à son tour, elle rentrerait… Comment mentir ? Il eût fallu bien de l’instruction pour cela !

— Mademoiselle ! Mais où courez-vous comme cela !

Chez elle ! Chez lui, chez eux, pas ailleurs ! Elle courait. Dans la cour sinistre où ne descend pas le soleil, là-haut, dans la mansarde, elle courait remettre la fleur, toute petite fleur, qui résistant au froid, sans eau, sans air, sans terre, avait fleuri et gardé pur son sourire.

Les banales, virginales et troublantes jacinthes !

Toute sa vie, sa joie de vie, sa seule propriété, son morceau de richesse, sa femme, cela au moins à lui ! rien qu’à lui, pour toujours. Elle court. Temps encore ! avant qu’il ressorte et cherche. Elle grimpe. Elle est là, entre…

Noire, la chambre.

En dessous on chante toujours. En face on tousse toujours. L’enfant pleure.

— Ton père ! L’as-tu vu ?

L’enfant pleure.

— Réponds donc !

Mais la peur, les larmes ou la toux l’en empêchent.

— Répondras-tu ! sale gosse !

La main s’abat ; l’enfant frappé pleure plus fort. La main s’abat de nouveau, et la mère cherche dans l’ombre un fouet, quelque-chose qui frappe mieux… Elle ne trouve que ses ongles. Et sa faim se repaît de l’innocente chair qui hurle.,.

— Mère ! mère ! pardon…

Pardon de quoi ? De souffrir, d’être au monde, de se mourir ?

— Tais-toi ! te tairas-tu !

L’enfant crie plus fort. Son seul droit, tout ce qu’il peut : crier. Il n’a personne, lui, qu’il puisse faire souffrir.

Épuisée de rage, déjà elle se frappe elle-même, et retombe en torpeur. L’enfant s’est enfin tu, et c’est un peu de calme, dans le silence noir, où les deux êtres abattus, sans mouvement, entendent seulement, dans le profond d’eux-mêmes, leur ventre dont la faim ne peut pas s’endormir.

Puis de nouveau, comme un râle, dernier adieu de la douleur, l’enfant, — et cela semble de très loin, très loin, — dit un mot vague qui s’efforce à dire : j’ai mal.

La mère se dresse, le touche, et le sent glacé, qui tremble… Oh ! il ne pleure plus.

Elle le prend dans ses bras, l’étreint d’autant de caresses qu’elle l’accablait de coups…

— J’ai faim… j’ai froid… j’ai mal !

— Jacques ! mon pauvre petit… Je suis ta petite mère, je t’aime !

L’enfant rend les baisers, caresse de ses petites mains. Il n’en veut pas à sa mère du mal qu’elle lui a fait. Il comprend que souffrir, ça fait faire souffrir. Il sait qu’on ne le bat pas quand on a des sous. Heureux, il se pelotonne, aime et voudrait sourire.

Mais rien ne vient de plus à ses lèvres pâlies qu’une plainte pâle aussi et pâle comme un râle :

— J’ai faim… j’ai froid… j’ai mal !

Lentement défaille le petit corps vivant, déjà si peu vivant ! Rouge qui s’enfonce dans la cendre, et si faible, qu’un souffle qui le voudrait ranimer l’éteindrait…

Aussi la mère ne dit plus un mot ; dans ses bras elle le laisse mourir ou s’endormir, elle ne sait. Et lequel des deux sommeils vaudrait mieux, ça, le sait-elle ! Celui sans doute, dont on ne se réveille pas en disant : j’ai faim !

La chair dépouillée de sang comme un lac en hiver, lorsque s’est effeuillé le reflet des verdures, — blanche, s’immobilise, froide, et bientôt de glace. Plus un frisson. Ou tel qu’un passage d’oiseau triste, un peu de murmure sur les lèvres, un mot, peut-être, qui voudrait se poser et grelotte partout.

L’enfant rêve qu’il a faim. L’enfant rêve qu’il a froid…

Ah ! qui imposera donc du sommeil douloureux, où la vie sans pitié prolonge son cauchemar…

— J’ai faim… j’ai froid… j’ai mal, dit l’enfant endormi.


Et maintenant…

Les mots qui viennent du rêve viennent de plus loin que le rêve. Le « j’ai mal » est si loin qu’il ne fait plus souffrir. Un son vague, rauque, un ah ! que respirer entraîne… Ce son épouvantable, la mère le connaît, elle l’entendit à l’hôpital, chez des mourants. La cloche qui tinte la mort au dedans de vous-même, le râle…

Le père pas rentré. Voici que l’enfant meurt…

Femme ! sois libre !

Ni homme, ni enfant. Vends-toi et mange. Sois libre ! Délivrée ! De quel cri de joie, hideux, monstrueux mais subit, elle accueille la douloureuse délivrance… — Mais aussi, cela rend trop méchante, la faim. À force de misère, elle se faisait horreur. L’amant, elle l’eût trompé ; elle battait son enfant. Qu’ils la quittent tous deux, ceux à qui elle n’a plus que du mal à faire ! Ils se rompent, ces liens tenaces de la misère. Maintenant, vivre ! seul but enfin de la vie : vivre ! Seule au monde, mais nourrie ; sans joie peut-être, mais avec ce sans quoi il n’est jamais de joie : la nourriture. Sois donc heureuse, malheureuse !

On tousse, en face ; on ronfle à côté. Ici l’on meurt. Le râle enfantin secoue la nuit.

Le père, s’il rentre demain ou plus tard, ne reverra plus son gamin adoré. Dès l’aube la mère, le prenant dans ses bras, l’emmitouflant de loques, doucement le descendra, et le mènera là-bas… elle sait où ; — il sera bien. On dit qu’aux pauvres qui meurent, qui veulent bien mourir, la société se fait tendre, devient une bonne mère, prépare des petits lits blancs, même offre du bon vin pour arroser l’adieu…

Oui, tu iras, petit Jacques. La patrie t’appelle un peu tôt. Patrie, terre des pères ! Patrie ! terre des morts ! Patrie, c’est ton enfant. Prends enfin soin de lui.

La mère le quittera. Et le père l’a vu pour la dernière fois.

À l’hôpital !

Un lit chaud, bien doux, blanc, de bonnes choses à manger, de grandes fenêtres claires… On y a même des sortes de mamans qui vous soignent.

La vraie maman encore une fois, berce le petiot.

— Dors dans mes bras. Demain, je te jure, tu seras mieux…


La nuit lugubre passe. Les heures fuient dans l’ombre.

Les heures !

Nulle pendule ne les sonne. Aussi elles sont si longues ! Quand quelque chose qui dit l’heure n’est pas là, le dîner, le manger ne sait pas qu’il doit venir. La faim se prolonge infinie comme l’ombre. Il n’y a plus de temps, il n’y a que de la souffrance. Un amas de nuit, un peu plus épais seulement, là où se tasse le groupe de la mère et de l’enfant… C’est plus noir là, parce que c’est plus douloureux.

Cependant ces silhouettes immobiles avancent. L’immobile nuit, les heures qui semblent s’être figées les entraînent. Ces ténèbres, comme le vent une fumée, l’aube les dissipera. Cette nuit si dense reculera devant le soleil, et le froid, si dur, un rayon, moins qu’un souffle, très doux, va le briser. Encore la nuit traînera-elle sur l’horizon, les étoiles pâliront dans une lente agonie — mais l’agonie de cette femme et de cet enfant dans l’ombre… — qu’il paraisse seulement du pain, un peu de pain, et soudaine, surgira la vie, d’un coup si brusque… que la faim et la mort s’abattront, assommées.

Des yeux clairs, des joues vives, des mouvements de joie vont fleurir de cette silhouette de deuil et d’hiver… écoutez ! écoutez ! Des pas ! des pas qui montent !

Est-ce vrai… Ils ne peuvent plus croire ! Une dernière cruauté de la faim : un faux espoir.

Elle ne sait plus comment, par où les faire souffrir. Elle les ramène en arrière, les halluciné, leur montre en rêve… — Non, pas en rêve… C’est vrai !

Lui ! Il revient ! Debout, la mère, debout, l’enfant.

C’est la lumière ! Car Jean apparaît sur la porte, glorieux, tenant haute la bougie, et dans ses bras… des choses…

Quelles choses ! Des choses de vie… il les étale… des choses à manger !

Il rit, il resplendit, beau, fort, joyeux, féroce.

Prenez ! Mangez ! Ceci est de la chair ! Ceci est du sang. Voici : Dieu !

Hosannah ! Ils adorèrent, ressuscités.

Qui que tu sois, voyant cette joie de femme et de petit, voyant dans ces joues jeunes poindre cette aube rose, la renaissance, ce printemps que fait dans un être l’effroyable faim apaisée… devant ces choses, ces mangeailles qui firent ces joies, lève-toi, et ose dire : ceci est à moi !

Toi femme, tu as compris, et tu sautes au cou de l’homme… Aime-le, aime-le, lui qui donne la vie, — et les yeux dans les yeux, tu fouilles au fond de son secret, et devines à l’air de joie particulier, l’air de victoire…

— Tu as donc volé ?

— Oui.

Et ils s’aimèrent prodigieusement.

XII

Riches quelques jours, ils retombèrent à la misère, chemin sinueux où semble ramener tout sentier qui le quitte.

Or depuis longtemps, matelas, pendule et hardes mis au clou et jusqu’aux chaises passées chez le brocanteur, les quelques livres de Jean sur les quais, la mansarde était nue, eux-mêmes l’étaient presque. Il n’y avait plus qu’eux-mêmes dont ils pussent se défaire. Mais, ils en vinrent là.

Le petit Jacques partit le premier. On s’en défit. Le docteur signa la reconnaissance.

L’enfant avait une richesse enviée de bien des riches : un père qui l’adorait. Il s’en sépara, pour manger.


L’enfant parti, Pilleux, navré, dit : cette fois, je n’ai plus rien.

Il se trompait : sa femme. Mais ils purent encore attendre.

Des draps blancs, un petit lit bien doux, de hautes fenêtres claires… était-ce le Paradis où l’enfant s’éveillait ? La Terre Promise, le mieux espéré de tous grands ou petits, proche ou loin, passé la mort, ou avant elle… Et des soins de femmes si empressées, si vigilantes ! D’où venait toute cette joie ! À qui la devait-il ? Aux femmes inconnues et tristes qui le soignaient, — au médecin qui venait le tripoter avec bonté, — au Christ pendu au mur ?

À la société, petit, tu devais cela. À la société, qui votait des crédits considérables, intervenait, et te faisant conduite jusqu’à la mort, t’y apportait de la vie un regret que peut-être tu n’aurais pas eu. Oui, à la société qui ne voulait pas que tu meures, sans l’éblouissement de ce qu’elle « pourrait » faire.

Le beau pain blanc, le bouillon qui regarde si chaud, ce lait plein de crème, ce rouge puissant vin… regarde ! mange et bois, puis dors copieusement dans ce lit tiède et tendre qui caresse tout le corps…

Plus faim ! Plus soif ! Froid malgré tout. Il assistait à ces bonnes choses, sans toucher, comme jadis à travers les glaces, avec envie, il regardait les bonnes choses des étalages…

Et il n’avait de désir que pour le soleil pâlot, qui s’éveillait de l’hiver de la brume encore aux yeux, mais qui, lui, ne s’éteindrait qu’ayant fait toute sa route ; — et du désir pour les jardins et pour les arbres, pour la campagne…

Dans la cour, on voyait des fenêtres, un petit carré de campagne en cage, de campagne sous verre. Bientôt il y aurait là des fleurs… Mais là-bas, il y avait de la campagne bien plus grande. Il irait, se promènerait, voulait… Son grand désir… ! Il n’avait de désir que pour tout l’impossible.

Rien ne lui disait plus. Hier, tout lui disait tant ! il eut tant dit à tout ! Mais il était un petit Jacques nouveau, bien différent.

Lui, on l’avait laissé dans la mansarde douloureuse. Et dans la vaste salle aux petits lits alignés, on n’avait apporté du vrai Jacques qu’une fleurette fanée de figure, d’où sortaient, car l’habitude est bien forte, les mots accoutumés : j’ai froid, j’ai faim, j’ai mal…

Parfois il demandait où était son père. Puis il se demandait où il était lui-même ! Où est Jacques ? Il se sentait absent, très loin. Il se sentait qu’il ne reviendrait plus jamais.

Et languissant, il s’étonnait… oh ! de lui-même. Il ne souffrait plus ; il était bien. Mais sa petite âme… Il était venu en lui une âme d’étranger, petite âme triste qu’il ne connaissait pas, triste et pleine d’idées, raisonneuse, pensant continuellement, toujours en fièvre, mais sans que rien de l’agitation de sa tête n’anime son corps, sans que rien du bien-être de son corps n’égaie son âme.

Comme il pensait ! Ses yeux voyaient tout autre qu’ils n’avaient vu, ses yeux voyaient aigu ; et les choses en venaient à flots à sa cervelle encombrée, et si pressées, idées, images neuves, réflexions, souffrances… déjà il ne pouvait plus se reconnaître dans ce chaos, et de nouvelles idées se bousculaient pour entrer, elles voulaient entrer de suite, ensemble, n’importe comment. Pourquoi se dépêchaient-elles… Comme elles se dépêchaient !

Sa tristesse lassée n’était pas faite d’ennui ; il ne demandait ni à jouer, ni à se distraire ; il n’espérait pas se lever un jour. Peut-être resterait-il toujours allongé.

D’ailleurs, l’avenir, il ne pouvait pas y songer, tant le fiévreux présent tourbillonnait en lui. L’avenir ! C’était dimanche, et ensuite jeudi. La visite, n’est-ce pas ? le jour où ils viendront me voir…

L’heure qui sonne, les quarts d’heure que l’on compte sur ses doigts, et le soleil qui éclaire les petits lits l’un après l’autre ainsi que les signes d’un cadran, lente promenade que les jeux des petits malades suivent, tout cela entraîne, tire, hisse le temps, arrache un jour, le lundi, qui est l’échelon tout de suite après le dimanche. Ce jour-là on n’espère pas, on se souvient seulement ; mais le soir on commence à espérer déjà… On dort, on se réveille, avec un bon bout de chemin fait sans s’en apercevoir. Quand on dort, le temps file ; Que ne dort-on toujours ! Mais on s’est réveillé. Quel jour c’est-il. Jeudi ? Non. Encore le mardi, et encore un autre jour, ou deux, trois, je ne sais plus… l’infini ; rien ne va aussi loin. Le temps même n’ira jamais si loin que ça !

On aurait été trop heureux, si l’on pouvait aller jusque là. Parce que c’est sûr qu’après on aurait tout le bonheur. Riche, bien riche ! Et l’on irait là-bas, où tu dis, petit père, qu’il fait toujours soleil. Toujours soleil. Manger des fruits après les arbres. J’irai à la chasse, et je tuerai des bêtes avec un grand fusil. Je ferai paître des moutons. Et toi, moi, maman, rien que nous trois, sais-tu ? nous deviendrons sauvages.

Maman en serait-elle ? Il l’aimait bien, mais une femme, c’est gênant. Il aimait mieux avoir son père pour lui tout seul.

— Tu entends, petit père ! Nous allons à la chasse !

Il tournait le dos au jour, enfonçant de ses poings l’oreiller dans ses yeux, faisant la nuit, la nuit où l’on dort plein de rêves. Nuit volontaire autour de laquelle flotte bien le jour, mais il fait tout ce qu’il peut, de ses coudes, de son front plissé, des draps qu’il recroqueville, il se mure contre le jour, il barricade son rêve, il se crispe, cramponné de tout ce qui lui reste de force… — pour repousser l’assaut de la réalité.

Elle renonce, elle s’écarte, vaincue, la réalité. Elle n’a plus grand’chose à faire de si petit être, et cède. Les lits mornes alignés, la sèche et ennuyeuse cornette de la sœur qui rôde, les murs aux hautes fenêtres, tout cela que l’enfant ne voit pas, les yeux clos, mais qu’il sent, commence un va et vient, un grand balancement. C’est ainsi toujours que le vrai s’en va, comme un navire, l’ancre levée, que la vague soulève. Il part. Il sera loin bientôt. Comme tout danse… Une ! Deux ! Les fenêtres oscillent, lentes, se balancent d’un bout à l’autre de la pensée. Pleine mer ! La houle, les vagues géantes qui écument. On monte jusqu’au ciel. On fonce dans l’abîme. Haussé, précipité, à la merci du flot. Le vertige se hâte, monte plus haut, tombe plus bas, mais de plus en plus vite. Si vite que lits, fenêtres, tous objets disparaissent, ce n’est plus qu’un énorme nuage qui tremble…

Bonheur ! On va dormir…

Terre ! On reprend pied, et l’on s’étonne du sol solide. — On dort. — Oh ! tout à fait ! je dors complètement. — Terre ! C’est la Terre Promise, l’on y est pour de bon — jusqu’à ce qu’on ouvre les yeux.

Il ne se cramponne plus. Le réel ne peut plus l’atteindre. Il laisse son poing s’abattre, puis sa tête, et s’étend, de tout son long, sur le dos, pour bien rêver ! La lumière crue qui tombe des croisées frappe ses paupières, mais vainement, car au dedans c’est une lumière éblouissante. Plein jour ! Soufflez la flamme de la réalité.

Jungles, savanes, courses folles, avides chevauchées, cris dont la poitrine jouit… à cheval, bride abattue, il mange l’espace, il est le frère du vent qui lui passe sa main âpre dans les cheveux.

Le petit moribond rêve des exploits inouïs.

Il rêve, il rêve, à toute tête déployée.

Or les petits malades s’étaient agités, causant de lit en lit, s’enfiévrant, prenant froid, découverts à force de grouiller leurs petons sous les draps, et ceux qui ne pouvaient se soulever pour voir avaient vingt fois demandé l’heure aux autres : c’était jeudi, jour où viennent ceux qui vous aiment.

De lit en lit, des lits pareils de l’hôpital, le bonheur allait dont apporter sa misère : l’injustice. Car il y aurait des riches et des pauvres, des choyés, comblés, qui riraient, guéris par joie, — et que d’autres, abandonnés, regarderaient être heureux.

Jacques fut riche ce jour-là.

Et il ne partagea pas.

Père, mère étaient venus. Ils s’étaient fait beaux ; ça allait mieux à la maison. À deux on a toujours plus que pour trois. Était venu aussi un vieux, très vieux, l’ami de Jean, qui avait vu la grande révolte du siècle, et la Commune, et la Nouvelle, et qui, revenu, venait voir mourir les petits enfants. N’ayant pu leur offrir la République rêvée, il apportait des oranges. Monsieur Jacques, flatté, entouré, tout en fête, put s’asseoir — on l’aida, — et dominer de sa petite royauté vaniteuse les autres lits, où les délaissés s’enfonçaient sous leurs draps, gênés, et ne voulant pas entendre ce qui ne les regardait pas, faisaient semblant — ils ne pouvaient que semblant — de dormir.

Ce jour-là, la mère borda son enfant, mais ne sut pas très bien, n’ayant guère pu apprendre sur le matelas par terre et sans draps de la mansarde. Ne désirait-il rien ? Non, mère, une seule chose : que tu sois toujours là !

Mais si les mères soignaient elles-mêmes leurs enfants, que feraient les garde-malades, les sœurs de charité ? Faut que tout le monde vive, petit. Que n’es-tu tout le monde ! C’est déjà beau qu’une fois par semaine, avant qu’ils meurent, les mères fouillées et surveillées, aient le droit de dorloter une heure les chéris.

Le père regardait, étonné. Il ne savait quoi dire et tournait sa casquette …

— Jacques, petit Jacques… tu n’as plus besoin de rien ?

Mais non, père ! La société est bonne pour moi. Elle ne donne pas à manger, mais elle donne à mourir.

Il n’eut besoin de rien le temps que met une âme à constater une joie. Déjà la toux, la fièvre reprenaient le faible corps.

On avait encore droit, mais pour ne pas le fatiguer, on partit avant l’heure. On l’embrassa, on l’embrassa fort, beaucoup de fois. Mais on partit très vite, pour ne pleurer que dehors.

Maintenant… Dimanche !

À dimanche ! On reviendrait, et avec des amis. Il ne serait plus un petit Jacques malade, il se lèverait !

On revint dimanche, avec tous les amis.

Jacques n’était plus malade, et on put le lever, sans peine, sans un effort : il était si léger ! Même on le sortit, dans une grande voiture. On le mena bien loin, dans les champs.

Il neigeait,

La campagne, les champs… y vivre pour toujours, rêve des petits Parisiens.

Que la campagne est triste, quand il neige !


La veille avait été un premier jour de soleil, et la sœur raconta que le petit Jacques, joyeux, s’était hissé de tout ce qu’il avait de force, pour voir ce qu’il y avait de campagne par la fenêtre : la grande cour… Du jardin en cage y végétait.

De même il avait vu la vie : par la fenêtre. Un peu de joie entre des murs y végétait. Mais il y avait les champs… Les champs qu’il avait vu deux ou trois fois… les champs… Ne pleure pas, tu vas y dormir à jamais.

Dans le carré de jardin l’écorce noire de la terre se saupoudrait de bourgeons, petites étoiles de loin qui sont des mondes de près… Sans grand air, sans grande terre, mais avec plein de ciel, des milliers d’enfants de fleurs s’en allaient vers la vie…

Dans les carrés des salles des hauts bâtiments clairs, ils allaient à la mort, les milliers d’enfants d’homme. La dernière neige qui tombe étoufferait le bruit de leurs pas qui s’éloignent ; car elle tombe, la neige, pour tenir chaud aux jeunes pousses, les dorloter et caresser, couvrir de beaux draps blancs leurs petons bien au chaud, Elle vient quand il faut venir, pas comme la société, qui apporte des langes quand il faut un linceul.

Jacques avait souri et s’était mis à penser à un tas de choses, — son papa, sa maman, certain bon Dieu dont on lui parlait depuis quelque temps.

Et les champs… et les champs…

Et les pays où c’est toujours soleil, et quand on serait sauvage ! et les bonnes choses à manger, et tout ce qui peut faire des âmes heureuses d’enfants…

Rêve qui s’atténua, s’éteignit dans une brume, se fondit par degrés, se perdit jusqu’à rien…

Être un sauvage !

XIII

C’était bien loin, mais on était venu tout de même.

— Mon pauvre Pilleux !… ma pauv’dame !

Devant eux, elle perdue dans les larmes, et lui sombre, effondré, hébété, les amis défilaient, serraient les mains, disaient quelques mots, regardaient par terre.

Ils étaient venus, religieux têtus comme des Bretons ; ils avaient apporté des fleurs, des couronnes rouges. Ils suivaient leur superstition de pauvres gens. Ils allaient là où on ne disait pas la messe, Ils bravaient les curés. Ayant consolé un peu, ils s’éloignaient, formaient des groupes ; causaient d’autre chose.

Mais ils étaient venus.

Sur leur dimanche ils avaient pris une large part pour leur ami. Sur leur vin ils avaient pris des sous pour la couronne. Ils faisaient tout le devoir. Ils ne se montreraient pas seulement sous le porche, aux parents, la messe finie. Ils iraient jusqu’au bout, au trou où on jette le cadavre, et ce ne serait pas tout ; ils ne lâcheraient pas alors le père malheureux, mais le suivant au malheur pour le ramener à la joie, ils le prendraient avec eux, ne le laisseraient pas rentrer les bras vides d’affections, mais régalé, réconforté, et soûl peut-être, mais distrait.

Compagnons d’atelier, amis de régiment, camarades de groupe, syndicat, tous présents pour honorer les frères et la libre-pensée, ils venaient en bons soldats se serrer contre le malheur, fiers de présenter les armes à un bout d’illusion ; car ils lorgnaient avec orgueil la petite fleur rouge qui d’une bravade relevait la misère de leurs frusques, redingotes peu souples, haut-de-forme des grands jours, cols extraordinaires. Ils se rangèrent derrière la voiture des pauvres, fiers d’être nombreux, rigides sous l’uniforme, émus ? très peu ; corrects. Ils avaient leur gauche étiquette. Quand le cheval démarra, ils suivirent en bon ordre, allant où menait le devoir. Où ne les eût-il pas menés ?

Le père était resté là, ne bougeant, ne comprenant plus. On le prit par un bras, et il marcha, derrière la Mort.

Et il marcha, derrière le triomphateur, vaincu, poussé, forcé d’aller, et roulant des yeux vagues, parmi l’étranger désormais, chez ceux dont il ne sait plus la langue, les pensées, les visages…

On avait eu beau mettre de farouches fleurs rouges ; le ciel les voulut blanches pour le petit, et lentement fit tomber la neige. Pantalons troussés, parapluies ouverts, les pauvres poursuivirent sans s’en inquiéter.

Jean lentement précisait le vague de sa douleur, et dans l’étroit cercueil, dessinait le cadavre, ce petit gosse à lui, qui venait de disparaître. Vouloir la mort, cela se peut, on peut à un vivant ravir chaleur, mouvement. N’avait-il pas voulu assez fort que le petit vive ?

Le cortège avançait. Était-ce bientôt là ?

La neige foulée, écrasée et pilée dans la boue, claquait sous les gros souliers, crottait les beaux pantalons noirs. Un froid humide baignait la chair, et entrait dedans. Des femmes, qui grelottaient, restèrent en route. Les autres avaient un peu pressé le pas ; le cheval même, quoique l’écurie fût bien lointaine, accélérait. On finissait par aller très vite, pour conserver sa vie, tout en respectant le petit mort. Le froid aux os s’abattait sur la procession morne. Il neigeait. Le ciel était gris, la ville triste.

On la traversa toute. Tout Paris ! Que ce fut long !

Pilleux marchait en rêve ; il montait, et c’était une escalade sans fin. Il montait, et ne s’arrêterait que devant un trou immense, profond comme l’Océan, et qu’il remplirait de sa douleur. Il montait, en vertige. Il était le juif maudit qui doit marcher jusqu’à ce que Dieu dise : assez.

Et ce n’était pas encore là.

Des boulevards sans fin, comme des canaux, tout droits, conduisaient leur boue lente jusqu’au ciel veule ; le ciel se laissait tomber sur eux en buée jaune. Alors des rues, des places, entrepôts, bâtisses dont la neige et le Dimanche faisaient des ruines en un désert… Ce n’était plus Paris, mais une ville inconnue, morte, où s’avançait la troupe d’aventuriers sinistres, qui à la queue-leu-leu, derrière le cheval lugubre, traînant l’un après l’autre leurs chaussures délayées, entraient mornes, sans une parole, impuissants à soulever le silence épais de la neige et de la mort.

C’était en des parages où nul n’était venu. Taciturne, la caravane allait toujours, s’enfonçait plus avant dans le froid et la brume, jusqu’aux neiges, jusqu’aux glaces, jusqu’à la nuit… Le pôle fuyait sans cesse, — oh ! le rêve de la mer libre !

Les usines, docks, hangars, murailles, avaient cessé. Ce n’était plus que terrains vagues, plus vagues sous le duvet blanc, La terre se faisait blanche. Le ciel se faisait noir. Paris entier s’était enseveli.

Nappe toute unie. Un pieu, une palissade disaient parfois les choses du dessous.

Mer très lisse, où flottaient de maigres épaves, mer calme, que la caravane fendait, comme un navire ayant un cercueil à sa proue. Une ville émergea. Des rues bruyantes, tout un quartier grouillant de misère, mit une tache de fange vivante dans le désert blanc. Le ciel imprégnait le sol comme une pourriture, la boue de l’un mêlée à la brume de l’autre. Ce n’était pas encore là. Et s’en allait, derrière la voiture noire, la procession lente traînant ses rangs diffus, déroulant dans la neige et la boue ses informes anneaux, telle qu’une chenille blessée qui rampe, hisse d’ornière en ornière le tas flasque de sa chair mourante, dont à chaque caillou elle laisse une écorchure, et tâtant son chemin d’aveugle, le poursuit, patiente, tant qu’un pied ne l’écrasera.

Et ce n’était pas là, mais bien plus loin encore.

Où était-ce donc ! Où Paris allait-il mettre ses morts ?

Au grand air, dans les champs, là où il aurait dû mettre ses vivants, pour qu’ils vivent.

Sous la neige, qui est douce comme un ventre d’oiseau.


Silence profond. La grille des morts était franchie.

C’était nuit noire. Mais sur la terre c’était neige pure. Sol clair comme le ciel dans une nuit d’été, pleine d’étoiles ! Les morts qui y cherchaient leur trou, à la lanterne, semblaient les âmes qui brillent dans les nuits étoilées. Ciel profond de la neige, derrière qui sont les morts.

Mer d’écume blanche, striée de vagues immobiles. Pressés comme les flots, coude à coude, plus haut, plus bas, et comme éternisés dans le geste dernier qu’ils firent en s’allongeant, les trépassés soulevaient le drap glacé qui les recouvrait tous, et ils étaient des mille et des milliers encore, toute une armée campée pour quelle nuit sans fin ! avec les tentes hautes des chefs, et les abris, et le gros de la troupe, pêle-mêle, sur le sol, et tous, sous l’œil du fossoyeur errant en sentinelle, sans que plane nul rêve de gloire ou de retour, — attendaient… — oh, pour quand, pour quand donc ! — le réveil.

Neige blanche. Des alignements de croix, de petites croix fines, perçant la neige, comme des pattes frileuses d’oiseau.

C’était la mort. Ils y étaient enfin, c’était là ?

Pas encore.

Une nouvelle ville, le Paris des trépassés, s’étendait. La ville blanche et de silence, après le Paris de fange et de bruit. Mais dans quelle banlieue irait-on s’y loger pour que cela ne coûte pas ! Ce Paris était cher, comme l’autre. On irait loin, plus loin encore, tout là-bas… Hors du centre, des beaux quartiers. Une cité, au fond d’une cour, une mansarde. Pas même. L’asile de nuit, la cité commune, l’hôpital. Oh ! pour un trou commun, tant de chemin à faire !

Comme le petit serait perdu dans la ville silencieuse !

À pas de loups, pour ne réveiller personne, le cortège s’avance.

Quelle lueur a brillé ? Un autre cortège, une autre chenille noire rampe dans l’ombre, cherchant un trou pour y déposer un fardeau.

Arrêtez. Un riche passe. Rien que quelques voitures, au grand trot. Membres-de-la-famille, un prêtre. On fera vite, vu le froid.

Le riche était pressé. Il passa.

Mais on le retrouva là-bas, au quartier des enfants. Car c’étaient deux enfants.

Debout, tapant ses pieds, le prêtre disait les prières. Payé pour cela, il était seul, près de la tombe, les parents demeurés sur la route moins neigeuse, à quelques mètres. Quatre prières, de l’eau bénite, on fila. Ce n’était que temps pour ne pas geler sur place, ou se mettre à battre la semelle sur les tombeaux. Dieu rageait de se déranger par tel temps, à telle heure, et de mêler ses morts, à lui, aux morts de rien.

Or les pauvres s’étaient rangés près de la fosse. Chacun s’était enfoui une place dans la neige. Le chapeau à la main, ils paraissaient attendre… Qui ? Il n’y avait pas de prêtre. Rien que des couronnes rouges. Le fossoyeur écartant la neige les posa autour du trou où il avait mis le cercueil. Sinistre, la lanterne veillait, posée à terre. Qu’attendait-on ? Le prêtre de l’autre mort un instant s’arrêta, et sur cette assemblée athée jeta son regard, regard haineux de femme à femme. Car la vieille barbe, celui qui apportait des oranges, le communeux de jadis, s’était détaché du petit groupe. Et dans le froid, la neige, la nuit, la mort, il avait cru convenable de prendre la parole.

Respectueux, tous écoutèrent.

Regarde, ne t’en va pas, prêtre, homme de Dieu : écoute ! Envoyé sur la terre pour répandre la foi, faire la charité, et verser l’espérance — homme sans religion ! regarde ce que peut-être tu ne vis jamais : un prêtre.

Il venait des séminaires de la Souffrance, où se garde la tradition des saints de la Révolte, suivant la règle farouche des Ordres républicains. Dès l’enfance, exilée dans une royauté, sa ferveur avait eu des apparitions. La République lui avait dit, en quel beau rêve : Va et parle pour moi ! Je suis le bonheur des hommes. — Toute sa vie il avait parlé d’elle, et pour elle. Plaidé sa cause, chanté son nom, servi son culte ! Et pour son Dieu, le prêtre avait pris le fusil.

Martyr ! Devant la mort il parla encore d’elle. Il eût dit à la tombe : la République est belle. Il le dit aux soldats, il le dit à ses juges. Vaincu, à ses vainqueurs. À ses geôliers, sur les pontons. Et il le dit encore à cette République-ci.

Saint missionnaire, vaillant, croyant, patient, pauvre, — peut-être parlait-il aux païens et aux sauvages de ce temps-ci d’un Dieu que leur âme obtuse ne pouvait pas comprendre. On riait de lui. On en trembla…

Aussi on se vengea ! Exil, prisons, tortures…

Fidèle il continuait à promener aux ténèbres immenses un maigre luminaire, certain qu’il demeurait, où il avait passé, — fût-ce dans la fumée, — une faible lueur.

Et maintenant, très vieux, de quoi eût-il parlé, sinon d’Elle ?

Et tout lui était bon pour parler encore d’Elle, même une fête, même une tombe. À qui le voulait entendre !

Il parla comme un arbre secoué qui gémit, — le dernier, qu’ont respecté la bise et la gelée ; et ses larmes tombaient comme des fruits qui se détachent.

Il s’adressa aux champs, qui nourrissent les vivants et qui gardent les morts, à la vaste nappe blanche que le cercueil vient troubler, il s’adressa au père, bon et brave compagnon qui ne devait pas se laisser abattre par le malheur, il s’adressa au petit Jacques, un gamin intelligent, que c’était vraiment dommage, qu’on l’aimait bien, qu’il aurait travaillé, serait devenu quelqu’un, un soutien de la bonne cause ! Il dit… il ne dit rien, il dit ce qu’on peut dire, n’importe quoi, qui pût faire bon sur la douleur, mots sans suite, comme pour caresser les enfants…

Un instant sa voix s’enfla, l’on crut voir revenir la jadis chaude et mordante éloquence du vieux révolutionnaire, mais le froid, l’âge et la douleur cassèrent tout ça

La voix tremble, s’étrangle et la neige fait étoupe… Plus rien qu’on puisse entendre…

— Jean !… Mon pauvre Pilleux… Malheur… épouvantable…

Et il resta, devant le trou, sans rien dire.

Tous écoutèrent respectueusement…

Car le bras du vieillard s’était levé, montrant tout ce qu’il n’avait ni mots ni force pour dire !

Oui, un malheur épouvantable qu’il meure des petits enfants, que la société laisse éteindre ces jeunes yeux qui brillent, bleuisse ces bouches roses, taise ces babils d’oiseau, couche en long dans ce champ de mort ces petits bons à vivre !

Voilà ce que dit le vieillard, debout dans ce champ du carnage d’avant toute bataille, défaite d’avant la guerre, le cimetière des enfants, plaine lugubre que Paris ensemence de morts ; et le vieillard semblait la triste sentinelle qui garde la retraite où sous la pierre, la nuit, la neige, — dedans la mort, refuge où la faim n’atteint plus, — avant de voir le feu, se sont sauvées les recrues.

Mais le vieillard dit aussi que cela changerait.

Alors ses bras tendus montrèrent les petites croix, pattes frileuses d’oiseau marquées dessus la neige, mesurèrent tout l’espace, gigantesque dortoir des bambins de Paris, tant, tant de milliers d’enfants, partis coucher trop tôt, quand le marchand de sable n’était pas encore passé, et qui n’avaient rien fait pour qu’on les mit au lit, dans leurs petits lits de fer, ou de pierre, ou de fleurs, ou de simples grabats, par terre, ou la terre nue ! Et voici que le silence du vieux fut entendu de ceux qui ne peuvent parler, et qu’il sembla à tous que la neige tressaillait, des milliers de petits bras roses secouant leurs langes, et que tous ces berceaux de neige appelaient après leur mère !

— O France ! Je voulais vivre ! pourquoi donc m’as-tu tué !

O France ! est-ce vrai que ces petits si tristes de mourir pouvaient vivre ! Du pain, du lait, n’est-ce pas, ce qu’il faut, un logis, des vêtements… ils ont eu tout cela ! Puisque tu pouvais le faire, et tout ce que tu pouvais faire, tu l’as fait ! C’est accident, c’est maladie qu’ils sont morts. Car tu as besoin d’hommes ; riche, tu es généreuse. Tu es la terre des libertés, et des progrès, et de la fraternité, égalité, ô France ! et n’est-ce pas, chacune de ces petites âmes, qui s’en vont avant l’heure d’un corps trop misérable… — justifierait un crime au jour de la Sociale !

— Courage ! dit le vieux.

N’ayant qu’un mot : courage, il résuma son âme. Il dit au père qu’il prit dans ses bras : courage !

Et l’étreignant à force, le vieux lui en donna.


Tomba la première pelletée de terre sur la tombe.

De terre et de neige.

Beau petit lit blanc, pour bébé ! Regarde, mère ! Tout ce blanc ! Il manquait au berceau, mais il vient au cercueil. La chambre ouatée, tapissée, blanche, et silencieuse, comme elle invite au sommeil !

La lanterne du fossoyeur, c’est la veilleuse.

De la terre, encore un peu de terre.

Mais à chaque pelletée, quelque bonne parole…

Courage ! Encore un peu de terre ainsi, et la Sociale sera proche.

Courage ! courage…

Et ceux qui furent cette nuit de neige, près de ce cadavre d’enfant, crurent bien la voir passer, lumineuse, se hâtant…

Viens ! Viens, Révolution, s’il est vrai que tu viens éteindre la misère ! Viens ! vois ces files d’enfants alignés au cimetière, comme des sillons,..

Sème, sème, Misère ! sème la Révolte future.

Allons ! une pelletée de terre ! Sur celui que la misère tua, une pelletée de terre. Et aussi une bonne parole aux pauvres parents. Vaines, les phrases ! Mort de misère, parbleu ! on le sait… Consolations froides, mais qui réchauffent ; elles sont comme la glace quand on s’en frotte… Courage ! Un jour viendra… Courage !

Un jour où les enfants ne mourront plus de ça.

La quatrième partie au prochain numéro.

Eugène Morel
  1. Voir La revue blanche des 15 août, 1er  et 15 septembre et 1er  novembre 1897.