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Textes choisis (Léonard de Vinci, 1907)/Théodicée

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Traduction par Joséphin Péladan.
Société du Mercure de France (p. 35-43).

I

THÉODICÉE


Prières (4-8). — L’amour naît de la connaissance (11). — L’infini (12). — La vérité (13-16). — Qui faut-il honorer ? (19). — Hypocrisie et Simonie (20-23). — Facéties : « prophéties des animaux raisonnables » (24).

4. — Je te bénis, Seigneur, d’abord pour l’amour que, selon ma raison, je dois te porter, ensuite parce que tu sais abréger ou prolonger la vie aux hommes. (S. K. M. III. 64, l.)

5. — Toi, ô Dieu, tu vends tous les biens aux hommes au prix de l’effort. (W. An. IV. 172o.)

6. — Admirable justice que la tienne. Cause Première ! Tu n’as permis à aucune force de manquer à l’ordre et à la qualité de ses effets nécessaires. (W. An. 242, a.)

7. — Qu’il plaise à Notre Auteur que j’ai bien démontré la nature de l’homme et ses facultés, par ces figures descriptives. (R. 798.)

8. — Plaise au Seigneur, lumière de toute chose, de m’éclairer pour que je traite dignement de la lumière. (G. A. 200, r.)

9. — … ils veulent embrasser l’intelligence de Dieu en qui l’univers est inclus et la peser et la diviser à l’infini, comme pour l’anatomiser. (R. 1210.)

10. — Je laisse, sans y toucher, les lettres couronnées (sacrées), parce qu’elles sont la suprême vérité. (R. 837.)

11. — L’amour d’un objet, quel qu’il soit, est fils de sa connaissance.

L’amour est d’autant plus fervent que la connaissance est plus certaine : or la certitude naît de la connaissance intégrale de toutes les parties qui, réunies ensemble, forment le tout de la chose qui doit être aimée. Si tu ne connais pas Dieu, tu ne saurais l’aimer ; si tu l’aimes pour le bien que tu attends de lui et non pour sa souveraine vertu, tu imites le chien qui remue la queue et fait fête par ses bonds à celui qui va lui donner un os ; si l’animal connaissait la supériorité de l’homme, il l’aimerait bien mieux. (R. 837.)

12. — Quelle est l’indéfinissable chose qui cesserait d’être, si on pouvait la formuler ? L’infini, qui serait fini, s’il pouvait être défini !

Car définir c’est limiter et des limites appartiennent simultanément à plusieurs points au moins d’extrémités : ce qui contredit à la notion de l’illimité. (C. A. 113, v.)

13. — La vérité seule fut fille du temps. (M. 58, v.)

14. — Le mensonge est si méprisable, même s’il dit bien grande chose de Dieu, qu’il ôte toute grâce à la divinité.

La vérité est de telle excellence, qu’en louant de petites choses, elle les rend nobles. (C. A. 118, r.)

Les obstacles à la vérité se changent en contrition.

Sans doute, telle proportion est du mensonge à la vérité que de la ténèbre à la lumière ; et la vérité est d’essence tellement excellente, que même si elle s’applique à une humble et basse matière, encore, sans comparaison, elle surpasse les incertains et mensongers développements et s’élève au-dessus des grands et sublimes discours. Car, notre esprit, encore qu’il ait le mensonge pour cinquième élément, n’en tient pas moins la vérité des choses pour le souverain aliment, non des esprits vagabonds, mais des intellects véritables.

Mais toi qui vis de songes, tu te plais davantage aux raisons sophistiques et barbares et à parler de choses grandes et incertaines, que des matières de moindre envergure, mais de certitude naturelle. (Tr. 12, r.)

15. — Le feu détruit le mensonge, c’est-à-dire le sophisme, et fait sortir la vérité des ténèbres. Le feu a pour mission de consumer tout sophiste. Dévoileur et démonstrateur de vérité, car il est la lumière dispersatrice des ténèbres qui cachent l’essence des choses.

Le feu détruit le sophisme, la tromperie, et seul montre la vérité qui est l’or. (T. 38, r.)

La vérité à la fin éclate, malgré la simulation.

La simulation est déjouée devant un tel juge.

Le mensonge met un masque, mais il n’y a pas de chose cachée sous le soleil.

Le feu s’entend de la vérité, car il détruit sophisme et mensonge et le masque pris par la fausseté et l’imposture qui veulent cacher la vérité (R. 1358.)

16. — Ô contemplateur, je ne te loue pas de connaître les choses qu’ordinairement et par elle-même la nature conduit selon ses ordres naturels ; mais réjouis-toi de découvrir la fin de ces choses qui sont désignées dans ton esprit. (C. 47, v.)

17. — Une chose est digne en raison du sens auquel elle correspond et qu’elle satisfait. (LU. 30.)

18. — La proportion entre l’œuvre humaine et la nature est la même que de l’homme à Dieu. (Id.)

19. — Tel est mon cas, que je m’attirerai beaucoup d’ennemis. Il est convenu que personne ne croira ce que je peux dire de lui : parce que peu de gens s’indignent de ces vices, mais ceux-là seulement dont la nature répugne à de tels vices : et beaucoup détestent les purs et gâtent la bienveillance de ceux qui leur reprochent leurs vices et ne veulent pas d’exemples des vertus contraires, ni aucun conseil humain.

Oh ! si quelqu’un est vertueux, ne le chassez pas, faites-lui honneur, afin qu’il n’ait pas à vous fuir et à se réfugier chez les ermites, dans les cavernes et autres lieux solitaires, pour échapper à vos embûches ; et si vous rencontrez quelqu’un de ceux-là, faites-lui honneur, parce que ce sont vos dieux terrestres et ils méritent les statues et les simulacres.

Mais qu’il vous souvienne que leurs simulacres ne doivent pas être mangés, comme encore, en certaine région de l’Inde, où, quand un simulacre opère un miracle, selon eux, les prêtres le taillent en morceaux (il est de bois) et en donnent à tous les habitants, non sans récompense. Chacun râpe son morceau finement et en saupoudre la première viande qu’il mange ; et ils sont persuadés d’avoir ainsi mangé leur saint et croient qu’il les gardera de tout péril.

Que te paraît-il homme de ton espèce, si tu te tiens avec sagesse ?

Sont-ce là des choses que doivent faire les hommes ? (R. 1358.)

20. — Dans le nombre des sots, il y a une certaine secte d’hypocrites, qui s’appliquent sans cesse à se tromper et à tromper autrui, mais plus autrui encore qu’eux-mêmes, quoique en réalité ils se trompent plus profondément qu’ils ne trompent les autres. Ceux-là réprimandent les peintres d’étudier, aux jours de fête, les choses appartenant à la connaissance de toutes les figures que prennent les œuvres de la nature, et avec application de s’y perfectionner, autant qu’il leur est possible.

Que ces réprimandeurs se taisent ; car c’est le moyen de connaître l’Opérateur de tant de choses merveilleuses et aussi la vraie façon d’aimer un tel inventeur. Le grand amour naît de la grande connaissance de la chose qu’on aime : et si tu ne la connais pas, tu ne pourras l’aimer ou sinon pauvrement. (LU. 77.)

21. — Quoique l’esprit humain fasse des inventions variées, avec divers instruments, à une même fin, il ne découvrira jamais d’invention ni plus belle, ni plus simple, ni plus brève que celles de la nature ; car dans ses inventions rien ne manque et rien n’est superflu, et ne va, sans contrepoids, quand elle fait le membre propre au mouvement dans le corps des animaux, mais elle met dedans l’âme compositrice de son corps. Ce discours ne va pas ici, mais se rattache à la composition des corps animés. (R. 837.)

22. — Les choses étant plus anciennes que les lettres, il n’est pas étonnant que, de nos jours, on ne retrouve pas d’écrits sur les primitives mers qui occupèrent tant de pays, et qu’aucune écriture ne mentionne les guerres, les incendies, les déluges d’eau, le changement des langues et des lois qui ont consumé toute l’antiquité ; mais il nous reste le témoignage des choses de l’eau salée et nous les retrouvons sur les hautes montagnes, bien loin des mers d’alors. (R. 955.)

23. — Beaucoup tiennent boutique, trompant la sotte multitude, et si quelqu’un dévoile leur imposture, on le punit. (E. 5, v.)

Pharisiens veut dire saints frères. (T. 68.)

24. — Les prophéties des cérémonies[1].

Une infinie multitude vendra, publiquement et sans être inquiétée, les choses du plus grand prix, sans la permission du maître d’icelles et qui ne furent jamais en leur pouvoir ; et à cela, la justice humaine ne pourra rien. (C. A. 362, v.)

Une monnaie invisible fera triompher ceux qui n’en dépensent pas d’autre. (Id.)

Un assez grand nombre de gens laisseront le travail, l’effort, la pauvreté de vie et de vêtement et iront habiter, dans les richesses, de triomphants édifices, prétendant que c’est le moyen de se faire ami de Dieu. (Id.)

Ceux qui seront morts depuis mille ans donneront l’embonpoint à beaucoup de vivants. (I. 66, v.)

Les hommes parleront à des hommes sans vie qui auront les yeux ouverts et ne verront pas ; ils leur parleront sans obtenir de réponse et crieront grâces à qui a l’oreille et non l’ouïe, et feront lumière à des aveugles (personnages des tableaux) (C. A. 362, v.)

Les aventureuses femmes, de leur propre volonté, iront raconter, à des hommes, toutes leurs luxures et actes honteux et très cachés. (Id.)

  1. Ces traits anticléricaux font partie des facéties. Il a paru caractéristique de les rapprocher des affirmations religieuses qui précèdent. La raillerie ou l’invective contre le clergé se retrouve dans la bouche et sous la plume des plus croyants, et surtout des mystiques. On comprend que le clergé ait tenté de s’identifier à la religion et d’imposer le respect de sa personne, mais un Savonarole, une sainte Catherine de Sienne dépassent en violence tout ce que les ennemis de l’Église ont proféré. Il ne faut pas oublier que Léonard, ingénieur militaire de César Borgia, a vécu sous le pontificat d’Alexandre VI ; et quand il dit : « les bons frères sont des Pharisiens », on doit se souvenir que saint François est mort depuis le samedi 3 octobre 1226, au crépuscule, et que le Verbe franciscain a été vaincu depuis deux siècles par l’action dominicaine. V. La Doctrine de Dante (Sansot).