Textes sanscrits découverts au Japon

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Csoma de Körös
Textes sanscrits découverts au Japon

Annales du musée Guimet
Traduction par Léon Feer.
Texte établi par Musée Guimet, Paris (Tome 2p. 1-37).


TEXTES SANSCRITS
DÉCOUVERTS AU JAPON

LECTURE FAITE DEVANT LA « ROYAL ASIATIC SOCIETY OF GREAT BRITAIN AND IRELAND »
PAR
M. F. MAX MÜLLER
MEMBRE ÉTRANGER DE L’INSTITUT

TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR M. DE MILLOUÉ
— REVU ET CORRIGÉ ET ANNOTÉ PAR L’AUTEUR —


Les plus anciens des membres de cette Société se rappelleront probablement quel immense intérêt suscita, en 1853, la publication de la vie et des voyages de Hiouen-Thsang, traduits par Stanislas Julien. Cette description par un témoin oculaire de la situation religieuse, sociale, politique et littéraire de l’Inde au commencement du septième siècle de notre ère, fut comme une fusée de sauvetage apportant le câble de salut à toute une foule de savants, qui se débattaient, prêts à se perdre, dans l’océan de la chronologie indienne ; tous, quel que fût leur objet spécial, histoire de la religion, de la littérature, de l’architecture ou de la politique de l’Inde, tous s’empressèrent de saisir ce bienheureux câble. Tandis que maints ouvrages sur la littérature indienne, publiés il y a vingt-cinq ans, sont maintenant délaissés et oubliés, les trois volumes du Hiouen-Thsang de Julien conservent un intérêt toujours nouveau et fournissent d’inépuisables sujets de discussion, ainsi qu’on peut le voir même dans le dernier numéro du journal de votre Société.

J’eus l’honneur et le plaisir de collaborer avec Stanislas Julien alors qu’il compilait ces volumineuses listes de mots sanscrits et chinois qui ont servi de base à sa traduction de Hiouen-Thsang et lui ont permis de résoudre, dans son ouvrage classique Méthode pour déchiffrer et transcrire les noms sanscrits, une énigme qui avait longtemps embarrassé les savants orientalistes, c’est-à-dire de trouver pourquoi les noms sanscrits ont été si complètement dénaturés et rendus presque méconnaissables dans les traductions chinoises des textes sanscrits, et comment on peut les ramener à leur forme première.

J’avais aussi l’honneur et le plaisir de travailler avec votre regretté président, le professeur H.-H. Wilson, lorsque après avoir lu les ouvrages de Julien, il conçut l’idée qu’on pourrait encore trouver dans les monastères de la Chine quelques-uns des textes sanscrits originaux dont on avait retrouvé les traductions chinoises. L’importance que lui donnait sa position de président de votre Société et ses relations personnelles avec sir John Bowring, alors résident anglais en Chine, lui permirent de mettre en mouvement une organisation puissante pour atteindre son but ; et si vous vous reportez à quelque vingt-cinq ans d’ici, vous retrouverez dans votre journal une exposition complète de la correspondance qui fut engagée entre le professeur Wilson, sir John Bowring et le docteur Edkins au sujet de la recherche des manuscrits sanscrits dans les temples et les monastères de la Chine.

Le 15 février 1854 le professeur Wilson écrit d’Oxford à sir John Bowring :

« Je vous envoie ci-joint une liste des livres sanscrits apportés en Chine par Hiouen-Thsang dans le milieu du septième siècle et dont une grande partie ont été traduits en chinois par lui-même ou sous sa surveillance. Si quelques-uns de ces livres et principalement les originaux existent encore, vous rendriez grand service à la littérature sanscrite et à l’histoire du buddhisme en nous en procurant les exemplaires. »

C’est un fait bien connu que bien longtemps avant l’époque de Hiouen-Thsang, c’est-à-dire longtemps avant le septième siècle de notre ère, un grand nombre de manuscrits sanscrits avaient été importés en Chine. Ces importations littéraires ont commencé dès le premier siècle après Jésus-Christ ; en effet nous lisons dans les relations de la première expédition des commissaires envoyés dans l’Inde par Ming-Ti, empereur de la Chine, second monarque de la dynastie orientale de Han, vers l’an 62, que ces envoyés revinrent en Chine avec un cheval blanc chargé de livres et d’images[1]. Il est constaté dans la suite du récit que « ces livres existent encore et sont l’objet du respect et de l’adoration. »

À partir de l’époque où le buddhisme fut officiellement reconnu en Chine[2], nous trouvons une succession presque ininterrompue d’importateurs et de traducteurs de textes buddhiques, et même quelquefois aussi brahmaniques, jusqu’aux deux fameuses expéditions entreprises, l’une par Fa-Hian (400-415 av. J.-C.), l’autre par Hiouen-Thsang (629-645). Les voyages de Fa-Hian ont été traduits en français par Abel Rémusat (1836), en anglais par Beal (1869) ; ceux de Hiouen-Thsang ont été vulgarisés par l’admirable traduction de Stanislas Julien. On raconte que Hiouen-Thsang rapporta de l’Inde plus de cinq cent vingt fascicules, ou six cent cinquante-sept ouvrages différents, qui faisaient la charge de trente-deux chevaux[3].

Les premiers traducteurs qui nous soient connus sont ceux qui ont écrit sous le règne de l’empereur Ming-Ti (62 av. J.-C.), c’est-à-dire Kâsyapa Mâtanga (appelé quelquefois Kâsyamatânga) ; et Tsu-fah-lan (Gobha­rana ?)[4] ; ils avaient rapporté quelques livres buddhiques de grande importance. Le plus connu de leurs livres est le « Sûtra en quarante-deux articles », sorte d’épitomé de la religion buddhique. Il est très douteux que ce livre ait jamais existé soit en sanscrit, soit en pâli, et beaucoup de difficultés seraient aplanies si nous admettions, avec M. Feer, que ce susdit Sûtra en quarante-deux articles était bien l’œuvre de Kâsyapa Mâtanga et de Gobharana[5], qui jugeaient cet épitomé des doctrines buddhiques, tiré de textes originaux, utile pour leurs nouveaux convertis chinois. Ils ont pourtant traduit le Dasabhûmi-Sûtra Sûtra et une vie légendaire de Buddha que M. Stanislas Julien supposait être le Lalita Vistara. Leurs traductions nous permettent d’assigner à ces livres sanscrits une date antérieure au commencement de notre ère[6].

En 150 avant Jésus-Christ, vivait un traducteur célèbre, An-Tsing, né en Perse orientale ou Parthie, dont les traductions existent encore aujourd’hui[7]. M. Wylie pense qu’An-Tsing représente un nom original d’Arsak, et comme on raconte que c’était un prince royal qui se fit moine mendiant et voyagea dans la Chine, M. Wylie suppose qu’il était le fils de l’un des rois arsacides de la Perse. M. Beal voit dans ce nom une corruption d’Asvaka ou Assaka, Ἱππασίοι.

Vers l’an 170 avant Jésus-Christ on cite Chi-Tsi ou Chi-Tchan comme traducteur du Nirvâna-Sûtra.

En 260, Dharma-Raksha, en chinois Fâ-Hu, réunit un grand nombre de livres buddhiques, et on dit qu’avec l’assistance de quelques autres Shamans, il ne traduisit pas moins de cent soixante-cinq textes entre les années 265 à 308. Parmi ces textes se trouvent une traduction du Lalita Vistara (Pu-yao-king) qui existe encore, une traduction corrigée du Nirvâna-Sûtra, le Saddharma pundarîka, et le Suvarnaprabhâsa-Sûtra.

En 300, il est fait mention d’une traduction du Vimala-kîrti-Sûtra (?) et du Saddharma-pundarîka (Fa-hwa), par Chih-Kung-Ming.

Nous arrivons au temps de l’empereur Yao-Hsing (397-415), qui, poussé par sa dévotion au buddhisme, s’assura les services du savant traducteur Kumaragîva et envoya Fa-Hian dans l’Inde pour chercher des manuscrits. Un autre Shaman voyageait dans l’Inde presque au même temps que Fa-Hian ; c’était Chi-Mang (419). Il traduisit le Nirvâna-Sûtra et le livre Sanghika de la discipline (Sang-ki-liuh, i. e. le Vinaya de l’école des mahâsanghikas), d’après des manuscrits qu’il avait obtenus à tâliputra (Patna). Il était le contemporain de Dharma-Raksha, que j’appelle le second, pour le distinguer de Dharma-Raksha Ier qui vivait au troisième siècle. M. Beal a confondu les deux Dharma-Raksha et en conséquence a placé Chi-Mang au troisième siècle.

En 460, cinq buddhistes de Ceylan arrivent en Chine par le Tibet[8] ; ils apportaient sans doute des manuscrits palis. En 526, Bodhidharma, le 28e patriarche buddhiste, vint aussi du Sud, mais pas de Ceylan.

En 518, la reine douairière du pays de Wéï envoya dans l’Inde le fameux voyageur Sung-Yun, pour chercher des livres buddhiques, et nous apprenons dans ses voyages, traduits par M. Beal, qu’après trois années passées dans l’Inde, il revint en Chine rapportant cent soixante-quinze volumes. On dit que, sous la dynastie Sui (589-619), mille neuf cent cinquante ouvrages buddhiques différents ont été traduits en chinois[9].

Plus tard ce nombre fut considérablement augmenté, principalement par le célèbre pèlerin buddhiste Hiouen-Thsang qui a, dit-on, traduit sept cent quarante ouvrages, comprenant mille trois cent trente-cinq volumes.

C’est la traduction des voyages de Hiouen-Thsang qui fit espérer au professeur Wilson que l’on pourrait encore découvrir en Chine quelques-uns des anciens manuscrits sanscrits.

Mais bien que sir John Bowring n’épargnât aucune peine pour remplir les désirs de M. Wilson, bien qu’on lui envoyât des catalogues des bibliothèques buddhiques et des villes où l’on pouvait penser qu’il existât des compositions buddhiques, les résultats furent décourageants, du moins en ce qui concernait les textes sanscrits. Un grand nombre de livres chinois intéressants, traduits du sanscrit par Hiouen-Thsang, et d’autres ouvrages écrits également par des buddhistes chinois indigènes, furent envoyés à la bibliothèque de l’East India House ; mais ceux que le professeur Wilson et avec lui tous les savants sanscritistes désiraient le plus, les manuscrits sanscrits, n’arrivèrent point. Le professeur Wilson me montra pourtant un exemplaire d’un manuscrit sanscrit qui lui avait été envoyé de Chine, et, autant que je m’en souviens, c’était le Kâla-Kakra[10], que nous savons être un des livres traduits du sanscrit en chinois. On ne trouve plus ce manuscrit à la bibliothèque de l’India Office, bien qu’il ait positivement existé dans l’ancienne East India House.

L’insuccès des efforts réunis du professeur Wilson et de sir John Bowring causa un désappointement d’autant plus vif que ni les savants sanscritistes ni les sinologues ne pouvaient s’empêcher d’être convaincus que des manuscrits indiens avaient existé en Chine jusqu’à une époque très rapprochée de nous. Ils avaient été vus par des Européens, entre autres par le docteur Gutzlaff, le zélé missionnaire en Chine, qui, dans une note écrite peu de temps avant sa mort et adressée au colonel Sykes (Journal R. As. Soc. 1856, p. 73), annonçait que lui-même il avait vu en Chine des manuscrits palis conservés par les prêtres buddhistes. Que ces manuscrits fussent écrits en pali ou en sanscrit, cela importait peu, même en supposant que le Dr  Gutzlaff n’eût pas su distinguer entre les deux langues. Il parle avec un grand mépris de la littérature buddhique en général. « Il n’y a pas un seul prêtre, dit-il, qui soit capable d’expliquer les textes palis bien que quelques-uns soient interlignés de chinois ». « Un petit nombre de livres, écrit-il, sont écrits dans le caractère primitivement employé pour écrire le pâli, et peuvent être considérés comme des transcriptions fidèles des premiers écrits du buddhisme. On les tient pour très sacrés, pleins de mystères et de sens profonds et par conséquent pour reliques des plus précieuses du fondateur de cette religion. Avec les lettres de cet alphabet les prêtres accomplissent des incantations[11] pour chasser les démons, délivrer les âmes de l’enfer, faire pleuvoir, prévenir les calamités, etc. ; ils les tournent et les retournent de toutes façons et assurent que les démons les plus terribles tremblent quand on les récite. »

Ceci peut se mettre sur le compte de la répugnance des prêtres à communiquer leurs vieux manuscrits sanscrits ou palis, mais prouve en même temps que ces manuscrits existent encore et naturellement confirme notre espoir de les posséder un jour ou l’autre.

On trouve une autre preuve évidente de l’existence en Chine de manuscrits sanscrits dans la relation du voyage du Dr  Edkins à Ning-po et à T’heen-thaé. Arrivé à Fang-kwang, il fait l’ascension de la colline de Hwa-ting ; il décrit un petit temple, situé au sommet de cette colline et habité par un prêtre. « Épars sur la colline, ajoute-t-il, se trouvent de petits temples habités par des prêtres, mais celui qui est au point culminant est le plus célèbre, car c’est là que Tche-K’haé passa une partie de sa vie à adorer le manuscrit sanscrit d’un classique buddhique ». En revenant il arrive à la pagode élevée à la mémoire de Tche-K’haé, fondateur du système buddhique de Thëeu-T’haé, sous la dynastie Chin (environ 580 av. J.-C.). Un peu plus loin, dans un vallon profond situé sur la gauche, se trouve le monastère de Kauming-sze, particulièrement célèbre par sa possession d’un manuscrit sanscrit, écrit sur feuilles de palmier, autrefois, lu et expliqué par Tche-K’haé, mais inintelligible pour tous les buddhistes de ces régions. Les prêtres paraissaient avoir un respect tout particulier pour ce manuscrit, le seul de ce genre que l’on puisse trouver dans l’est de la Chine, et par conséquent très important au point de vue littéraire. Il date de plus de treize cents ans, mais sa conservation est parfaite parce que les feuilles de palmier, écrites sur les deux faces, ont été soigneusement placées entre des planchettes de bois qui sont fixées par une même cheville centrale. Il comprend en tout 50 feuilles enfermées dans une boîte de palissandre. »

On pourrait évidemment nous objecter que si les manuscrits ne durent pas longtemps dans l’Inde, ils ne doivent pas non plus se conserver en Chine. Mais, même dans ce cas, nous pouvons au moins espérer qu’en Chine, comme dans l’Inde, on aura recopié les vieux manuscrits toutes les fois qu’ils auront présenté des signes de décadence. De plus, le climat de la Chine n’est pas aussi destructeur que la chaleur humide de l’Inde. Dans l’Inde il est rare qu’un manuscrit se conserve plus d’un millier d’années ; bien avant ce laps de temps le papier fait de substances végétales s’altère, les feuilles de palmier et les écorces de bouleau se brisent et souvent les vers blancs détruisent ce qui aurait pu échapper aux ravages du climat. C’est pourquoi les Rajahs indiens devaient avoir tout un état-major de bibliothécaires chargés de copier les manuscrits dès qu’ils paraissaient attaqués ; ainsi s’expliquent à la fois la date moderne de la plupart de nos manuscrits sanscrits et le grand nombre d’exemplaires du même texte qui se rencontrent souvent dans la même bibliothèque.

Les manuscrits importés en Chine n’étaient vraisemblablement pas écrits sur papier, ou sur la matière, quelque nom qu’on lui donne, que Néarque décrit comme du « coton bien battu »[12] ; mais bien sur des écorces de bouleau ou des feuilles de palmier. Curtius cite l’écorce d’arbre comme la matière employée à recevoir l’écriture dans l’Inde[13] ; et dans les sûtras buddhiques, tels que le Karanda-vyûha (p. 69), nous lisons les noms de bhûrga, bouleau, mâsi, encre et karama (kalam) comme les matériaux communément recherchés pour écrire. Les manuscrits écrits sur cette matière sont depuis longtemps connus en Europe, comme curiosités principalement (j’ai écrit quelques notices, il y a plusieurs années, sur un de ces manuscrits conservé dans la bibliothèque d’All Soul’s College). Depuis peu cependant[14] ils ont attiré une attention sérieuse, surtout depuis que le Dr Bühler a découvert à Kashmir de vieux manuscrits contenant des recensions indépendantes de textes védiques écrits sur des écorces de bouleau. On m’en a envoyé un renfermant tout le texte de la Rig-Véda Samhitâ avec accents[15], et bien qu’il ait beaucoup souffert, surtout sur les marges, il prouve qu’il n’était pas difficile de faire avec l’écorce du bouleau des milliers de pages du plus grand format in-4o et même in-folio, parfaitement unies et pures, à l’exception des petites lignes sombres particulières à l’écorce de cet arbre.

Au temps de Hiouen-Thsang, au septième siècle, les feuilles de palmier étaient, à ce qu’il semble, la principale matière employée pour l’écriture. Il cite une forêt de palmiers (Borassus flabelliformis) près de Konkannapura (côte occidentale du Dekhan) fort estimée parce qu’elle fournissait les matériaux de l’écriture (Vol. I, p. 502, et vol. III, p. 148). Plus tard également, en 965, les livres nous parlent de prêtres buddhistes rentrant en Chine avec des exemplaires sanscrits de livres buddhiques écrits sur des feuilles de palmier (peito)[16]. Si nous en croyons Hiouen-Thsang, l’usage de la feuille de palmier remonterait aussi loin que le premier concile buddhique[17], car il dit que Kasyapa écrivit à cette époque les Pitakas sur des feuilles de palmier (tâla) et les répandit dans l’Inde entière. Dans les Gâtakas palis, panna est employé dans le sens de lettre, mais dans le principe parna signifiait une aile, puis une feuille d’arbre, puis une feuille pour écrire. Patta également, qui s’emploie dans le sens de feuillet, était primitivement pattra, une aile, une feuille d’arbre. Suvannapatta, une feuille dorée pour écrire, indique encore que le matériel primitif de l’écriture avait été des feuilles d’arbres, très vraisemblablement de palmier[18]. Potthaka, c’est-à-dire pustaka, livre, se présente également dans les Gâtakas palis.

Ces manuscrits écrits sur feuilles de palmier, s’ils ont été conservés avec soin, s’ils ont été l’objet d’un culte, ainsi qu’il semble que cela eut lieu en Chine, doivent avoir pu durer jusqu’à ce jour, et si on les retrouvait, ils auraient assurément une immense valeur pour ceux qui étudient le buddhisme, que ces livres soient des originaux ou des copies récentes.

Il est sans doute vrai que, comme toutes les autres religions, le buddhisme a eu en Chine ses temps de difficulté et de persécution. Nous savons que pendant ces périodes, comme par exemple en 845 sous le règne de l’empereur Wu-Tsung, des monastères furent détruits, les images brisées et les livres brûlés. Mais cependant ces persécutions ne paraissent jamais avoir dure longtemps et quand elles furent terminées, monastères, temples et pagodes surgirent bientôt de nouveau, les images furent restaurées, les livres rassemblés en plus grande abondance que jamais. Le docteur Edkins nous dit que, dans une description du monastère de Ko-tsing dans l’histoire de Tiantaï-shan, on rapporte qu’un seul ouvrage fut sauvé du feu il y a plusieurs siècles, lequel était écrit sur le pei-to (pe-ta) ou feuille de palmier de l’Inde. Il constate aussi que de grandes pagodes furent construites pour servir de dépôts sûrs pour les manuscrits sanscrits ; à la requête de Hiouen-Thsang, une de ces pagodes fut élevée par l’empereur pour préserver les nouveaux livres sanscrits qui arrivaient, dans la crainte qu’ils ne fussent détériorés par manque de soins. Elle avait 180 pieds de haut, cinq étages avec des grains de sha-li (reliques) au contre de chacun, et contenait des monuments sur lesquels étaient gravées les préfaces écrites par l’empereur ou le prince royal pour les traductions de Hiouen-Thsang.

Convaincu moi-même de l’existence en Chine d’anciens manuscrits indiens, je n’ai jamais négligé, pendant ces vingt-cinq dernières années, de prier ceux de mes amis qui se rendaient en Chine de chercher ces trésors ; mais sans résultats !

Il y a quelques années pourtant, le docteur Edkins, qui avait pris une part active aux recherches organisées par le professeur Wilson et sir John Bowring, me montra un livre qu’il rapportait du Japon et qui contenait un vocabulaire chinois, avec les équivalents sanscrits et une translittération en japonais. Le sanscrit était écrit avec cet alphabet particulier que nous trouvons dans les vieux manuscrits du Népal, et qui a été plus tard modifié en Chine de façon à prendre un aspect presque chinois.

Ce manuscrit raviva mes espérances. De ce que ce livre était publié au Japon, je conclus qu’il avait dû être en usage dans ce pays à une époque donnée, c’est-à-dire au moment où les buddhistes étudiaient le sanscrit au Japon. Le docteur Edkins me laissa gracieusement ce livre et, bien que la partie sanscrite fût pleine de fautes, je pus cependant m’exercer à l’alphabet particulier d’après lequel les mots sanscrits étaient écrits.

Tandis que je cherchais à obtenir de nouveaux renseignements du Japon, le bonheur voulut qu’un jeune prêtre buddhiste japonais, M. Bunyiu Nanjio, vint chez moi pour apprendre le sanscrit et le pâli afin de pouvoir plus tard lire les écritures sacrées des buddhistes dans leur langue originale et les comparer aux traductions chinoises et japonaises répandues actuellement dans son pays. Quelque temps après, un autre prêtre buddhiste, M. Kasawara, vint me trouver dans la même intention, et tous deux maintenant travaillent avec ardeur à apprendre le sanscrit. Le Japon compte, à ce que l’on croit, 34,388,300 habitants, tous bouddhistes, à l’exception d’environ 100,000 sectateurs de la religion du Shintô ; ils se divisent en dix sectes principales. M. Bunyiu Nanjio appartient à la secte sïnsiou. Une des premières questions que je lui adressai quand il vint lire le sanscrit avec moi, portait sur les manuscrits sanscrits du Japon. Je lui montrai le vocabulaire chinois-sanscrit-japonais que m’avait laissé le docteur Edkins, et il tomba bientôt d’accord que l’on devait trouver au Japon, ou en tous cas en Chine des textes sanscrits écrits avec le même alphabet. Il écrivit chez lui à ses amis et après quelque temps d’attente m’apporta en décembre dernier un livre que lui avait envoyé un savant japonais, Shuntaï Ishikawa, en lui demandant de me le faire corriger, puis de le renvoyer au Japon. Je ne compris pas tout de suite toute l’importance de ce livre ; mais lorsque j’eus lu la formule d’introduction : Evam mayâ srutam, « ainsi a été entendu par moi », commencement typique des Sûtras buddhiques, je ressentis la joie la plus vive. C’était ce que j’avais si longtemps cherché, un texte sanscrit apporté de l’Inde en Chine et de Chine au Japon, écrit dans l’alphabet particulier du Népal, avec une traduction chinoise et une translittération en japonais. Il va sans dire que c’est une copie et non un manuscrit original ; mais les copies présupposent des originaux, et celle-ci, telle qu’elle est, nous est un premier acompte qui nous dit de ne pas désespérer ; car si on a découvert un de ces trésors littéraires apportés de l’Inde en Chine, puis au Japon, que nous cherchons depuis si longtemps, il est certain que d’autres encore seront rendus à la lumière.

Nous ne possédons jusqu’à présent aucune donnée très authentique sur l’histoire ancienne du Japon et l’introduction du buddhisme dans cette île. M. Léon de Rosny[19] et le marquis d’Hervey de Saint-Denys[20], nous ont fourni quelques renseignements sur ce sujet, et j’espère que M. Bunyin Nanjio nous présentera bientôt un récit digne de foi de l’histoire ancienne de son pays, puisé dans les auteurs indigènes. Ce qu’on nous raconte de la conversion du Japon au buddhisme a un aspect quelque peu légendaire, et je choisirai seulement un petit nombre des faits les plus importants qui m’ont été communiqués par mon élève. Le buddhisme est venu au Japon, non pas directement de la Chine, mais de la Corée qui avait été convertie au buddhisme dans le quatrième siècle avant Jésus-Christ. En l’année 200, la Corée avait été conquise par Zingu, impératrice du Japon et les relations ainsi établies entre ces deux pays amenèrent l’importation des doctrines buddhiques de la Corée au Japon. En l’année 552 avant Jésus-Christ, un roi de Corée envoya à la cour du Japon une statue du Buddha en bronze et beaucoup de livres sacrés et, après diverses vicissitudes, le buddhisme devint la religion établie de cette île, vers l’an 600 avant Jésus-Christ. Des Japonais furent envoyés en Chine pour y étudier le buddhisme et ils en rapportèrent un grand nombre de livres buddhiques, traduits du sanscrit pour la plupart. L’histoire nous apprend qu’en l’an 640, on lisait au Japon une traduction du Sukhavatîvyûha-mahâyâna-sûtra. C’est le titre du texte sanscrit que je viens de recevoir. Il a été traduit par Kô-Sô-Gaï, natif du Tibet, quoiqu’il vécût dans l’Inde, 252 avant Jésus-Christ, et on nous affirme qu’il y eut onze autres traductions de ce même texte[21].

Parmi les maîtres de ces étudiants japonais, nous trouvons notre vieil ami Hiouen-Thsang, que les Japonais appellent Gensiô. En 653, un prêtre japonais, du nom de Dosho, qui étudiait sous la direction de Gensiô, adopta les idées de la secte fondée par lui, secte hossô, et rapporta au Japon un recueil de commentaires sur les trente vers de Vasubandha, écrit par Dharma-Pâla et Gensiô. Deux autres prêtres, Chitsu et Chitatsu, devinrent également ses élèves et introduisirent au Japon le fameux Abhidharma-kosha-sûtra qui avait été composé par Vasubandha et traduit par Gensiô. Ils paraissent avoir penché vers le Hîna-Yâna ou opinions du petit véhicule (Kushdashin).

En 736, dit-on, on reçut au Japon une traduction du Buddhâvatam­sakavaipulya-sûtra, par Buddhabhadra et d’autres auteurs (317-419 av. J.-C.) ; ainsi qu’une traduction du Saddharma­pundarika, par Koumâragîva.

On nous dit, ce qui est plus important encore, qu’au ixe siècle Kukaï (mort en 835), fondateur de la secte sïngon au Japon, était non seulement un savant sinologue, mais aussi un bon sanscritiste. Bien plus, un de ses disciples, Shinnigo, afin de se perfectionner dans la science de la littérature buddhique, entreprit un voyage en Chine et même dans l’Inde ; il mourut avant d’avoir atteint ce pays.

Cette courte notice, que je dois surtout à M. Bunyiu Nanjio, montre surabondamment que nous avons tout lieu d’espérer trouver au Japon des manuscrits ou, tout au moins, des textes sanscrits, et le spécimen que j’ai reçu me donne l’espoir que quelques-uns de ces textes sanscrits seront peut-être plus anciens que tous ceux qui existent actuellement dans n’importe quelle partie de l’Inde.

Le texte qui m’a été envoyé porte le titre de Sukhâvatîvyûha-mahâyâna-sûtra[22].

C’est un titre que connaissent bien tous ceux qui étudient la littérature buddhique. Dans son Introduction à l’Histoire du bouddhisme (pp. 91-102)[23], Burnouf a donné de ce sûtra une courte analyse qui nous fait voir que la scène du dialogue se passait à gagriha et que les deux interlocuteurs étaient Bhagavat et Ânanda.

Nous avons vu tout à l’heure, dans l’exposition historique du buddhisme au Japon, qu’on ne citait pas moins de douze traductions chinoises du même ouvrage portant le même titre. Les Chinois nous parlent d’au moins cinq de ces traductions existant encore[24].

Celles des dynasties Han et Wu (166-190 av. J.-C.) sont trop diffuses, nous dit-on, et celles des époques postérieures, dynasties de Fang et de Sung, trop littérales. La meilleure, prétend-on, est celle de Kô-Sô-Gaï, prêtre d’origine tibétaine, qui fut faite sous l’antique dynastie Wéï, environ 250 avant Jésus-Christ. Ce doit être la même que celle qu’on lisait au Japon en 640.

Il existe aussi une traduction tibétaine de ce même sûtra ; car il n’y a guère à douter que le sûtra cité par Csoma de Körös (As. Res., vol. XX, p. 408) sous le nom d’Amitâbha-vyûha, ne soit le même ouvrage. Il remplit, à ce que m’apprend M. Léon Feer, quarante-quatre pages, place la scène du dialogue à gagriha, sur la montagne Gridhra-kûta et présente Bhagavat et Ânanda comme interlocuteurs principaux.

Il existe des manuscrits sanscrits du Sukhavatî-vyûha dans votre bibliothèque, à Paris, à Cambridge et à Oxford.

Voici la liste des manuscrits du Sukhavati-vyûha que l’on connaît jusqu’à présent :

1. Manuscrit de la Royal Asiatic Society, Londres (Hodgson collection), no 20. Sukhavatîvyûha-mahâyânasûtra, 65 feuilles. Datê Samvat 934=1814 av. J.-C. Il commence : Namo dasadiganantâparyantalokadhâtupratishthite­bhyah, etc. Evam maya srutam ekasmim samaye Bhagavân Râgagrihe viharati sma. Il finit ; Sukhâvativyûha-mahayânasutram samâptam. Samvat 934, kârttikasudi 4, sampûrnam abhût. Srisuvarna-panârimahânagare Maitrîpuri­mahâvihâre Srivâkvagradâsa vagkâryasya Gayânandasya kâ sarvâthasiddheh (Alphabet népalais).

2. Manuscrit de la Bibliothèque nationale, Paris (collection Burnouf), no 45 ; 64 feuilles. Il commence après un préambule de cinq lignes : Evam maya srutammekasmi samaya Bhagavân Râgagrihe viharati sma Gridhrakute kute parwate mahatâ Bhikshusanghena sârddham. Dvâtrimsratâ Bhikshu sahasraih. Il finit : Bhagavato mitâbhasya gunaparikîrttanam Bodhisattvâ­mavaivartyabhûmipravesah. Amitâbhavyuhaparivattah. Sukhâvatîvyuha sampur­nah. Iti Srî Amitâbhasya Sukhâvatîvyuha nâma mahâyânasûtrâm samâptam[25] (Alphabet devanâgari).

3. Manuscrit de la Société Asiatique de Paris (collection Hodgson), no 17 ; 82 feuilles (Alphabet népalais)[26].

4. Manuscrit de l’University Library at Cambridge, no 1,368 ; 35 pages. Il commence par quelques lignes de prose et de vers à la louange d’Amitâbha et de Sukhavatî, puis il continue :

Evam mayâ srutam ekasmim samaye Bhagavân Râgagrihe nagare viharati sma, Gridhrakûtaparvate mahata Bhikshusangheua sârddha, etc. Il finit : Iti srîmad amitâbhasya tathâgatasya Sukhâvatîvyûha-mahâyânasûtram samâptam (Alphabet népalais moderne).

5. Manuscrit donné par M. Hodgson à la Bodleian Library, Oxford (Hodgson 3). Il commence par : Om namo ratnatrayâya. Om namah sarva­buddhabodhisattvebhyah, etc. Puis : Evam mayâ srutam, etc. Il finit par : Sukhâvatîvyûhamahâyânasûtram samâptam (Alphabet népalais moderne).

Quand je comparai ces manuscrits sanscrits au texte reçu du Japon, je m’aperçus bientôt que leurs matières étaient différentes, bien que le titre fût le même. Tandis que le texte, tel que le donnent les manuscrits ordinaires devanâgari ou népalais, remplit environ 50 à 60 pages, le texte du Sûtra que je recevais du Japon eût à peine tenu 8 ou 10 feuilles.

Je me convainquis bientôt que ce manuscrit n’était pas un texte abbrégé au Japon, car ce texte plus court qui m’est envoyé de ce pays, correspond en tous points au Sûtra chinois traduit par M. Beal dans son Catena, p. 378-383, et publie dans votre journal, 1866, p. 136. Il n’y a pas à douter que la traduction chinoise, sur laquelle M. Beal a fait la sienne, soit non seulement une traduction libre, mais qu’elle présente aussi les méprises propres à beaucoup de versions chinoises de textes sanscrits, dues à une connaissance insuffisante du sanscrit ou du chinois de la part du traducteur, peut-être aussi au génie différent de ces deux langues.

Telle qu’elle est cependant, il n’y a pas à en douter, elle a la prétention de traduire le texte que j’ai actuellement en ma possession. M. Beal nous dit que la traduction dont il s’est servi est celle de Kumaragîva, contemporain de Fahian (400 av. J.-C.), et que ce traducteur avait supprimé des répétitions et des superfluités de texte[27]. M. Edkins connaît une traduction intitulée Wouliang-sheu-king, faite sous la dynastie Han[28]. Ce qui est important, c’est que dans la traduction chinoise du texte court la scène est placée, comme dans le texte sanscrit du Japon, à Srâvastî et que les principaux interlocuteurs sont Bhagavat et Sâriputra.

Il existe aussi une traduction tibétaine du texte court, signalée par Csoma de Körös (As. Res. vol. XX, p. 430). Ici le nom de la scène n’est pas indiqué, les orateurs sont Bhagavat et Sâriputra. L’ouvrage entier remplit sept feuillets seulement et les noms des seize principaux disciples concordent avec le texte du Japon. Les traducteurs étaient Pragnâvarman, Sûrendra et le Tibétain Lotsava Yashes sde.

M. Feer m’apprend qu’il y a à la Bibliothèque Nationale un texte chinois intitulé O-mi-to-king, c’est-à-dire Amitâbha-Sûtra. La scène est à Srâvastî, les interlocuteurs sont Bhagavat et Sâripoutra.

Un autre texte de la Bibliothèque nationale est appelé Ta-o-mi-to-king, c’est-à-dire Mahâ-Amitâbha-Sûtra, et là, la scène est placée à Râgagriha.

Il y a en outre un troisième ouvrage, intitulé Kwan-wouliang-sheu-king, par Kiang-Ling-Yé-Shé c’est-à-dire, Kâlayasas, étranger de l’Ouest, qui vivait en Chine vers 425 avant Jésus-Christ[29].

Nous possédons donc une preuve historique de l’existence de trois sûtras décrivant Sukhavati ou Paradis d’Amitâbha. Nous en connaissons deux en sanscrit, chinois et tibétain, un long, l’autre court. Le troisième n’est connu jusqu’à présent qu’en chinois seulement.

Des deux textes sanscrits, l’un du Népal, l’autre du Japon, c’est le second qui certainement paraît le plus ancien. Mais même le texte le plus complet doit avoir existé à une époque très ancienne, en supposant qu’il ait été traduit dans le courant du second siècle ou, en tout cas, avant 220 (av. J.-C.).

L’authenticité du texte le plus court est affirmée pour la première fois par la traduction de Kumaragîva, environ 400 av. J.-C. ; mais si les idées généralement adoptées au sujet de la situation respective des Sûtras les plus longs et les plus courts sont exactes, nous pouvons en toute sécurité attribuer comme date à notre Sûtra, le courant du iie siècle de notre ère.

Le Japon nous a donc envoyé un texte sanscrit dont nous n’avions aucune trace jusqu’à ce moment, qui a dû sortir de l’Inde avant l’an 400 (av. J.-C.), probablement avant 200 (av. J.-C.), et qui nous donne l’original de cette description du Paradis d’Amitâbha que nous ne connaissions primitivement que par une traduction chinoise incomplète et incorrecte.

Le livre que j’ai reçu a été publié, pour la première fois, au Japon en 1773, par Ziomô, prêtre buddhiste. Le texte sanscrit est intelligible, mais plein de fautes qui montrent clairement que l’éditeur ne connaissait pas le sanscrit et copiait simplement ce qu’il avait devant lui. Les mêmes mots se présentant dans la même ligne sont écrits de manières différentes et la translittération japonaise reproduit toutes les erreurs de la transcription sanscrite.

Deux autres éditions du même texte ont été publiées en 1794, par un autre prêtre japonais du nom de Hô-Gô. Elles sont entre les mains de M. Banyiu Nanjio et nous ont aidé à corriger le texte. Une de ces deux éditions renfermé le texte et trois traductions chinoises ; l’une qui n’est purement qu’une version littérale, tandis que les deux autres ont un caractère plus littéraire et sont attribuées à Kumaragîva (av. J.-C. 400) et à Hiouen-Thsang (av. J.-C. 648).

Enfin dans un autre livre en quatre volumes, le même Hô-Gô essaye de faire une analyse grammaticale du texte. Elle est très imparfaite, à ce que me dit M. Banjiu Nanjio.

J’ai apporté aujourd’hui le texte sanscrit du Japon, rétabli avec soin, et une traduction littérale en anglais, à laquelle j’ai ajouté quelques notes.

TRADUCTION


ADORATION À L’OMNISCIENT



Voici ce que j’ai entendu. Une fois le Béni (Bhagavat, c’est-à-dire Buddha), se trouvait à Srâvastî1, dans le bosquet Géta, dans le jardin d’Anâtha pindaka, entouré d’un grand nombre de Bhikshus (moines mendiants), soit avec2 1300 Bhikshus, tous instruits des cinq sortes de sciences3, anciens grands disciples4 et Arhats5, tels que Sâriputra, l’ancien, Mahâmaudgalyâyana, Mahâkâsyapa, Mahâkapphina, Mahâkâtyâyâna Mahâkaushthila, Revata, Sudipanthaka, Nanda, Ânanda, Râhula, Gavâmpati, Bharadvâga Kâlodayin, Vakkula et Aniruddha6. Il demeurait là avec ceux-là et beaucoup d’autres grands disciples, et aussi avec beaucoup de bodhisattvas au noble esprit, tels que Mangusrî, le prince, le bodhisattva Agita, le bodhisattva Gandhahastin, le bodhisattva Nityodyukta, le bodhisattva Anikshiptadhura. Il demeura là avec eux et beaucoup d’autres bodhisattvas au noble esprit, et avec Sakra, l’Indra ou roi7 des Dévas, et avec Brahman Sahâmpati. Avec ceux là et beaucoup d’autres cent mille Nayutas8 de fils des dieux, Bhagavat, demeurait à Srâvasti.

Alors Bhagavat s’adressa au vénéré Sâriputra et dit : Ô Sâriputra, lorsqu’après avoir quitté ce lieu, on a traversé une centaine de mille kotis de Pays de Buddha, il est dans la partie occidentale un Pays de Buddha, un monde nomme Sukhavatî (la contrée heureuse). Et là un Tathâgata, appelé Amitâyus, un Arhat, pleinement éclairé, habite actuellement, et demeure, vit et enseigne la loi9.

— Maintenant que pensez-vous, Sâriputra ? pour quelle raison ce monde est-il nommé Sukhavatî (heureux) ? Dans ce monde Sukhavati, ô Sâriputra, il n’y a pour les êtres vivants ni douleur corporelle ni douleur mentale. Là les sources du bonheur sont innombrables. C’est pourquoi ce monde est nommé Sukhavatî (heureux).

Et encore, ô Sâriputra, ce monde Sukhavatî est embelli de sept terrasses, avec sept rangs de palmiers et des guirlandes de cloches10. Il est fermé de tous côtés11, magnifique, brillant de l’éclat des quatre gemmes, c’est-à-dire l’or, l’argent, le béryl et le cristal12. Avec ces ornements de toute excellence propres à un Pays de Buddha est embelli ce Pays de Buddha.

Et encore, ô Sâriputra, dans ce monde Sukhavatî sont des lacs de lotus, ornés des sept gemmes, soit l’or, l’argent, le béryl, le cristal, les perles rouges, le diamant, le corail comme la septième. Ils sont pleins d’une eau qui possède les huit bonnes qualités13 ; ils sont si pleins que les eaux touchent les gués14 et que les corneilles peuvent y boire ; leurs bords sont couverts de sables d’or et leur étendue est immense. Et tout autour de ces lacs de lotus, des quatre côtés, sont quatre gradins magnifiques et brillants de l’éclat des quatre gemmes, soit l’or, l’argent, le béryl et le cristal. Et de chaque côté de ces lacs de lotus croissent des arbres précieux, magnifiques et brillants de l’éclat des sept gemmes, soit l’or, l’argent, le béryl, le cristal, les perles rouges, le diamant et le corail comme la septième. Et dans ces lacs de lotus croissent des fleurs de lotus bleues, colorées de bleu, de la splendeur du bleu, bleues à voir ; jaunes, colorées de jaune, de la splendeur du jaune, jaunes à contempler ; rouges, colorées de rouge, de la splendeur du rouge, rouges à contempler ; blanches, colorées de blanc, de la splendeur du blanc, blanches à contempler ; magnifiques, magnifiquement colorées, d’une splendeur magnifique, magnifiques à contempler et aussi larges en circonférence que la roue d’un chariot.

Et encore, ô Sâriputra, dans ce Pays de Buddha sont des instruments de musique céleste résonnant toujours, et la terre est belle et de couleur d’or. Et dans ce Pays de Buddha une pluie fleurie des fleurs célestes du Mândârava se répand sur le sol trois fois chaque jour, trois fois chaque nuit. Et les êtres nés dans cette contrée vont dans d’autres mondes, avant leur repas du matin15, adorer une centaine de mille kotis de Buddhas ; et ayant répandu une centaine de mille kotis de fleurs devant chaque Tathâgata, ils retournent dans leur monde au moment du repos de l’après-midi16. Avec ces ornements de toute excellence propres à un Pays de Buddha est embelli ce Pays de Buddha.

Et encore, ô Sâriputra, il y a dans ce Pays de Buddha des cygnes, des courlis17 et des paons. Trois fois chaque jour et trois fois chaque nuit il se réunissent et exécutent un concert, chantant chacun son chant particulier. Et de leur chant s’élève un son qui proclame les cinq vertus, les cinq puissances et les sept degrés qui conduisent à la science sublime18. Quand les hommes de cette contrée entendent ce son, le souvenir du Buddha, le souvenir de la loi, le souvenir de l’Assemblée, s’éveillent en leur esprit.

Maintenant pensez-vous, ô Sâriputra, que ce soient des êtres qui ont pris la nature des animaux (oiseaux, etc.) ? Il n’y faut pas songer. Le nom même des enfers est inconnu dans ce Pays de Buddha, et également celui de (descente dans) les natures animales et du royaume de Yama (les quatre apâyas)19. Non, ces tribus d’oiseaux ont été créées à dessein par le Tathâgata Amitayus, et ils font entendre le son de la loi. Avec ces ornements, etc.

Et encore, ô Sâriputra, quand ces rangées de palmiers et ces guirlandes de cloches sont agitées par le vent dans ce Pays de Buddha, un son doux et enchanteur en sort. Oui, ô Sâriputra, de même qu’un son doux et enchanteur sort d’un instrument de musique céleste composé d’une centaine de mille kotis de sons, quand il est joué par les Aryas, ainsi un son doux et enchanteur s’échappe de ces rangées de palmiers et de ces guirlandes de cloches agitées par le vent. Et quand les hommes de cette contrée entendent ce son, la réflexion sur le Buddha, la réflexion sur la loi, la réflexion sur l’Assemblée, s’éveille dans leur corps. Avec ces ornements, etc.

Maintenant que pensez-vous, ô Sâriputra, pour quelle raison ce Tathâgata est-il appelé Amitayus ? La durée de l’existence (âyus), ô Sâriputra, de ce Tathâgata et de ces hommes qui vivent là est incommensurable (amita). C’est pourquoi ce Tathâgata est appelé Amitayus. Et dix kalpas se sont écoulés, ô Sâriputra, depuis que ce Tathâgata s’est éveillé à la science parfaite.

Et que pensez-vous, ô Sâriputra, pour quelle raison ce Tathâgata est-il appelé Amitâbhâs ? La gloire (âbhâs) de ce Tathâgata, ô Sâriputra, s’étend sans obstacles sur tout ce Pays de Buddha. C’est pourquoi ce Tathâgata est appelé Amitâbhâs.

Et avec ce Tathâgata, ô Sâriputra, il y a une assemblée innombrable de disciples, personnages purs et vénérables, dont le nombre est difficile à compter. Avec ces ornements, etc.

Et encore, ô Sâriputra, de ces êtres nés dans ce Pays de Buddha du Tathâgata Amitâyus, comme bodhisattvas purs, ne devant jamais revenir et soumis à une seule naissance, de ces bodhisattvas aussi, ô Sâriputra, le nombre est difficile à compter, à moins qu’on ne les compte comme infinis en nombre20.

Puis encore tous les êtres, ô Sâriputra, doivent faire de ferventes prières pour atteindre à ce Pays de Buddha. Et pourquoi ? Parce qu’ils y rejoindront ces hommes si excellents. Les êtres ne naissent pas dans ce Pays de Buddha du Tathâgata Amitâyus en récompense et par suite des bonnes actions accomplies dans cette vie actuelle21. Non, tout fils ou fille d’une famille entendra le nom du saint Amitâyus, le Tathâgata, et l’ayant entendu le conservera dans son cœur et avec des pensées calmes, sans aucun trouble, le conservera dans son cœur pendant une, deux, trois, quatre, cinq, six ou sept nuits. Quand ce fils ou cette fille d’une famille viendront à mourir, alors le Tathâgata Amitâyus entouré d’une assemblée de disciples et suivi par une foule de bodhisattvas, se tiendra devant eux à l’heure de la mort, et ils quitteront cette vie avec l’esprit tranquille. Après leur mort ils renaîtront dans le monde Sukhavatî, dans le Pays de Buddha de ce même Amitâyus, le Tathâgata. C’est pourquoi donc, ô Sâriputra, ayant perçu cette cause et effet22, je dis ainsi avec respect : Chaque fils et chaque fille d’une famille doit avec tout son cœur faire de ferventes prières pour atteindre ce Pays de Buddha.

Et maintenant, ô Sâriputra, de même qu’ici je glorifie ce monde, ainsi dans l’Orient, ô Sâriputra, d’autres saints Buddhas, conduits par le Tathâgata Akshobhya, le Tathâgata Mérudhvaga, le Tathâgata Mahâmeru, le Tathâgata Méruprabhâsa et le Tathâgata Mangudhvaga, aussi nombreux que les sables de la rivière Gangâ, enveloppent dans leurs discours leurs propres Pays de Budhas et ainsi les révèlent23. Recevez cette répétition de la loi, nommée « Grâce de tous les Buddhas », qui exalte leurs excellences inconcevables.

De même aussi dans le sud, agissent d’autres saints Buddhas, conduits par le Tathâgata Kandrasûryapradîpa, le Tathâgata Yasahprabha, le Tathâgata Mahârkiskandha, le Tathâgata Mérupradîpa, le Tathâgata Anantavîrya, aussi nombreux que le sable de la rivière Gangâ, ils enveloppent dans leurs discours leurs propres Pays de Buddhas, et ainsi les révèlent. Recevez, etc.

De même aussi dans l’ouest, agissent d’autres saints Buddhas, conduits par le Tathâgata Amitâyus, le Tathâgata Amitaskandha, le Tathâgata Amitadhvaga, le Tathâgata Mahâprabha, le Tathâgata Mahâratnakétu, le Tathâgata Suddharasmiprabha, aussi nombreux que le sable de la rivière Gangâ, ils enveloppent, etc.

De même aussi dans le nord agissent d’autre saints Buddhas, conduits par le Tathâgata Maharkiskandha, le Tathâgata Vaisvânaranirghosha, le Tathâgata Dundubhisvaranirghosha, le Tathâgata Dushpradharsha, le Tathâgata Âdityasambhava, le Tathâgata Galeniprabha (Gvalanaprabha ?), aussi nom­breux, etc.

De même aussi au Nadir agissent d’autres saints Buddhas, dirigés par le Tathâgata Simha, le Tathâgata Yasas, le Tathâgata Yasahprabhâva, le Tathâgata Dharma, le Tathâgata Dharmadhara, le Tathâgata Dharmadhvaga, aussi nombreux, etc.

De même aussi dans le zénith agissent d’autres saints Buddhas, dirigés par le Tathâgata Brahmaghosha, le Tathâgata Nakshatrarâga, le Tathâgata Indra­kétudhvagarâga, le Tathâgata Gandhottama, le Tathâgata Gandhaprasabhâ, le Tathâgata Mahârkiskandha, le Tathâgata Ratnakusumasampushpitagâtra, le Tathâgata Sâlendrarâga, le Tathâgata Ratnotpalasrî, le Tathâgata Sarvâdarsa, le Tathâgata Sumérukalpa, aussi nombreux, etc.

Maintenant que pensez-vous, ô Sâriputra, pour quelle raison cette répétition de la loi est-elle appelée la grâce de tous les Buddhas ? Chaque fils ou fille d’une famille qui entendront le nom de cette répétition de la loi et garderont dans leur mémoire les noms de ces saints Buddhas, seront protégés par les Buddhas et ils ne reviendront plus jamais une fois qu’ils seront en possession de la vraie science transcendante. C’est pourquoi donc, ô Sâriputra, croyez24, recevez, et soupirez ardemment après moi et ces saints Buddhas !

Tous les fils ou filles d’une famille qui feront des prières mentales pour arriver à ce Pays de Buddha de ce saint Amitâyus, le Tathâgata, ou le font, ou l’ont fait précédemment, tous ceux-là ne reviendront jamais étant une fois en possession de la vraie science transcendante. Ils naîtront, sont nés ou naissent maintenant dans ce Pays de Buddha. C’est pourquoi donc, ô Sâriputra, les fils ou les filles fidèles d’une famille doivent faire une prière mentale pour arriver à ce Pays de Buddha.

Et de même qu’ici en ce moment j’exalte les excellences inconcevables de ces saints Buddhas, de même, ô Sâriputra, ces saints Buddhas exaltent mes propres excellences inconcevables.

Sâkyamuni, le monarque des Sâkyas, a accompli une œuvre très difficile. Ayant acquis la véritable science transcendante dans ce monde Saha, il enseigna la loi que tout l’univers refuse de recevoir, pendant cette corruption du Kalpa actuel, pendant cette corruption de l’humanité, pendant cette corruption de croyance, pendant cette corruption des passions.

C’est même pour moi, ô Sâriputra, une œuvre extrêmement difficile, ayant obtenu la véritable science transcendante, d’enseigner la loi que tout l’univers refuse de recevoir, pendant cette corruption de l’humanité, de la croyance, de la passion et du Kalpa actuel.

Ainsi parla Bhagavat, joyeux dans son cœur. Et le vénérable Sâriputra, et les Bhikshus et les Bodhisattvas, et le monde tout entier, les dieux, les hommes, les démons et les génies, applaudirent au discours du Bhagavat25.

Ceci est le Mahâyânasûtra appelé Sukhavatîvyûha.



NOTES DE LA TRADUCTION

1 Srâvastî, capitale des Kosalas septentrionales, demeure du roi Prasenagit. Elle était en ruines à l’époque de la visite de Fa-Hian (commencement du ve siècle) ; cette ville était proche de la moderne Fizabad. Burnouf, Introduction, p. 22.

2 Sârdha, avec, le saddhim pâli. La mention si fréquente de 1200 et un demi, c’est-à-dire 1250 ; 1300 et un demi, c’est-à-dire 1350 personnes accompagnant Buddha, ne provient-elle pas d’une erreur dans la signification de Sârdha, qui primitivement voulait dire « avec une moitié » ?

3 Abhigñânâbhigñâtaih. Le texte japonais porte Abhigñâtâbhigñâtaih, c’est-à-dire Abhigñâtâbhigñâtaih. S’il était sûr que ce soit la version correcte, il faudrait le traduire par « connu par des gens connus », notus a viris notis, c’est-à-dire, bien connu, fameux. Abhigñâta dans le sens de connu, célèbre, se rencontre dans le Lalita vistara, p. 25, et les traducteurs chinois ont adopté ici le même sens. Si nous préférons lire abhigñânâbhigñâtaih, cette version pourrait encore retraduire d’une façon intelligible, c’est à-dire, connu ou distingué par les signes ou caractéristiques, les bonnes qualités qui doivent être le propre d’un Bhikshu. Mais le sens technique est « possédant la science des cinq abhigñâs. » Il vaudrait mieux, dans ce sens, écrire abhigñâtâbhigñânaih ; mais aucun manuscrit ne paraît appuyer cette leçon. Les cinq abhigñâs ou abhigñânas que doit posséder l’Arhat sont la vue divine, l’entendement divin, la connaissance des pensées d’autrui, le souvenir des existences précédentes et le pouvoir magique. Voir Burnouf, Lotus, Appendice no XIV. Le texte le plus long du Sukhavatîvyûha porte abhigñâ­nâbhigñaih, et ensuite abhigñâtâbhigñâtaih. La présence du participe comme de l’uttarapada dans les composés du genre d’abhigñâtâbhigñaih, est fréquente dans le sanscrit buddhique. M. Bendall attire mon attention à un passage du Vinaya-pitaka (éd. Oldenberg) où nous trouvons abhiññata-abhiññata deux fois), p. 43.

4 Mahâsravaka, les grands disciples, plus exactement les quatre-vingts principaux disciples.

5 Arhadbhih, J’ai laissé subsister la forme sanscrite correcte, parce que le texte japonais donne clairement la terminaison adhbih. Le texte d’Hô-gô possède la forme plus usuelle arhantaih. Le changement de l’ancien arhat classique en le arahan pâli, puis de nouveau en le sanscrit Arhanta, arahanta et enfin arihanta, avec le sens de destructeur des ennemis, c’est-à-dire des passions, fait voir très clairement les différents degrés par lesquels passent les mots sanscrits dans les différentes phases de la littérature buddhique. Au Tibet, en Mongolie et en Chine, Arhan est traduit par « destructeur de l’ennemi ». Voir Burnouf, Lotus, p. 287, Introduction, p. 295. Arhat est le titre du Bhikshu quand il atteint le quatrième degré de perfection. Sûtra en quarante-deux articles, cap.  ii. Clément d’Alexandrie (d. 220) parle des Σεμνοί, qui adoraient une pyramide élevée sur les reliques d’un dieu. Est-ce une traduction de Arhat comme l’ont supposé Lassen (de nom. Ind. philosoph. in Rhein. Museum. Vol. I, p. 187) et Burnouf (Introduc. p. 295), ou une translittération de Samana ? Clément dit aussi Σεμναί (Stromat., p. 539, Potter).

6 Noms de disciples dans des manuscrits sanscrits, palis, japonais, chinois et tibétains. (Beal, Journ. R. As. Soc. 1866, p. 140) :


   JAPONAIS SANSCRIT
Burnouf (Lotus)
(p. 17)
CHINOIS
Beal (Catena)
(p. 378)
TIBÉTAIN PALI
1 Sâriputra. Sâriputra. Sâriputra. Sharihi-bu. Sariputta.
2 Mahâmaudgalyâyana. Maudgalyâyana. Maudgalyâyana. Mougal-gyi-bu. Moggalâna.
3 Mahâkâsyapa. Kâsyapa. Kâsyapa. Hodrungs-ch’henpo. Kassapa.
4 Mahâkapphina. Kapphina. Kapphina ? Kâtyâhi-bu. Kappina.
5 Mahâkâtyâyana. Kâtyâyana. Kâtyâyana. Kapina. Kakkâyana.
6 Mahâkaushthila. Kaushthila. Gokira. Gsus-poch’he.
7 Revata. Revata. Revata. Nam-gru. Revata.
8 Suddhipanthaka
(Sudi).
(Mahâpanthaka ?) Srutavimsatikoti. Lam-p’hran bstan.
9 Nanda. Nanda. Dgah-vo. Nanda.
10 Ânanda. Ânanda. Kundgah-vo. Ânanda.
11 Râhula. Râhula. Râhula. Sgra-gchan-hdsin. Râhula (kumâra).
12 Gavâmpati. Gavâmpati. Gavâmpati.
Piṇdoda.
Piṇdola ?
Balang-bdag.
13 Bharadvâga. Bharadvâga. Bharadvâga. Bhardhwaja.
14 Kâlodayin. Kâlâditya. Hch’har-byed-
nagpo.
Kâla (tthera).
15 Vakkula. Vakula. Vakula.
16 Aniruddha. Aniruddha. Aniruddha. Mahgags-pa. Anuruddha
(tthera).

7 Indra, l’ancien dieu védique, est arrivé à signifier simplement seigneur et, en effet, nous trouvons dans le Kanda Paritta (Journal Asiatique, 1871, p. 220) Asurindra, l’Indra ou seigneur des Asuras.

8 Dans la littérature buddhique les nombres deviennent très vagues, quand ils dépassent un kot ou koti, soit 10 millions ; il arrive aussi que leur valeur varie. Ayuta, c’est-à-dire, cent kotis ; niyuta cent ayutas ; et nayuta, 1 avec 22 zéros, se confondent souvent, et cela a d’autant moins d’importance qu’aucune idée définie ne se rapporte à ce que ces nombres représentent à notre esprit.

9 Tishthati dhriyate yâpayati dharmam ka desayati. C’est évidemment une phrase idiomatique, car elle se représente à tout instant dans le texte népalais du Sukhavatîvyûha (manuscrit 22 b, l. 1. 2, 55 a, l. 2, etc.). Si elle est exacte, elle paraît vouloir dire, il est là, se tient, vit et enseigne la loi. Burnouf traduit la même phrase par : « ils se trouvent, vivent, existent » (Lotus, p. 354). Sur yâpeti en pâli, voir Fausböll, Dasaratha-jâtaka, pp. 20-28 ; et Yâpana en sanscrit.

10 Kinkinîgâla. Les textes donnent Kaṅkanagalais ka et Kankanîgalais ka, et encore plus loin Kankanîgalunâm (lû) et Kankanîgalânâm. M. Beal traduit, d’après le chinois, « sept rangées de rideaux exquis », et encore : « rideaux précieux (couverts de gemmes) ». D’abord il semble clair que nous devons lire gâla, réseau, toile, au lieu de gala. Secondement, kankana, bracelet, ne donne aucun sens, car quel pourrait être le sens de réseaux ou cordons de bracelets ? Je préfère lire kinkinîgâla, réseaux ou cordons ou rangées de cloches. Ces rangées de cloches servaient à décorer les jardins, et on peut dire d’elles que, mues par le vent, elles rendent certains sons. Dans le commentaire sur le Dhammapada, 30, p. 181, nous trouvons Kinkinikagâla, qui produit aussi une musique ; voir Childers s. v. gâla. Dans le manuscrit du Sukhavatîvyûha népalais (Roy. As. soc.), p. 39 a, l. 4, se trouve également svarnaratnakinkinigâlâni, qui décide la question et montre le peu de confiance qu’on peut accorder aux textes japonais.

11 Anuparikshipta, clos ; voir parikkhepo, dans le Dictionnaire de Childers.

12 Les quatre et sept choses précieuses sont :

En pali (suivant Childers).

1 Suvannam 
or.
2 Ragatam 
argent.
3 Muttâ 
perles.
4 Man
gemmes (telles que saphirs, rubis).
5 Veluriyam 
œil-de-chat.
6 Vagiram 
diamant.
7 Pavâlam 
corail.

Ici Childers traduit œil de chat ; mais S. V. Veluriyam, il dit, une pierre précieuse, peut-être lapis lazuli.

En sanscrit, Burnouf (Lotus, p. 329).

1 Suvarn
or.
2 Rûpya 
argent.
3 Vaidurya 
lapis lazuli.
4 Sphatika 
cristal.
5 Loh tamukti 
perles rouges.
6 Asmgarbha 
diamant.
7 Musâragalva 
corail.

Julien (Pèlerins Bouddhistes. Vol. II. p. 482) donne la liste suivante :

1 Sphat ka 
cristal de roche.
2 Vaidurya 
lapis lazuli.
3 Asmagarbha 
cornaline.
4 Mousâragalva 
ambre.
5 Padmarâga 
rubis.

Vaidûrya (ou Vaidûrya) est cité dans le Tathâgatagungnâkintyavishayâvatâra­nirdesa (Wassiliew p. 171) comme une pierre précieuse qui, placée sur une étoffe verte, paraît verte, et paraît rouge, sur une étoffe rouge. Le fait que vaidûrya est souvent comparé à la couleur de l’œil d’un chat, semblerait indiquer l’œil de-chat (voir Baroah’s Engl. Sanskrit Dictionary, vol. II, préface, p. 9) et sûrement pas le lapis lazuli. L’œil-de-chat est une sorte de calcédoine. Je vois pourtant que vaidûrya a été reconnu comme l’origine du grec βῆρυλλος, conjecture très ingénieuse de Weber ou de Pott, si l’on considère que la linguale d avait un son équivalent à r, et que ry peut se changer en ly et ll (Weber Omnina, p. 326). Le Persan billaur ou ballur, que Skeat donne comme racine étymologique de βῆρυλλος est d’origine arabe, signifie cristal et eût pu difficilement se glisser dans le grec à une époque si ancienne.

13 Les huit bonnes qualités de l’eau sont limipidité, pureté, fraîcheur rafraîchissante, douceur au goût, douceur au toucher, qualités fertilisantes, tranquillité, pouvoir d’empêcher la famine, fertilité. Voir Beal, Catena, p. 379.

14 Purobhaktena. Le texte est difficile à lire, mais on ne peut guère douter que purobhaktena corresponde au pali purebhattam, c’est à-dire avant le repas du matin, opposé à pakkhâbhattam, après le repas de midi, c’est-à-dire dans l’après-midi. Voir Childers s. v. Pûrvabhaktikâ est le premier repas, ainsi que me l’apprend le professeur Cowell.

15 Kâkâpeya. Dans un texte on lit Kâkapeya, dans un autre Kâkâpeya. Il est difficile de choisir. Le mot le plus usité est Kakapeya, que Panini explique, II l. 33. On ne sait cependant si Kâkapeya s’emploie dans un sens laudatif ou de dépréciation. Boehtlingk le prend dans le second sens et traduit nadî Kâkapeyâ par rivière peu profonde qu’une corneille pourrait boire jusqu’à la dernière goutte. Târânâtha le prend dans le premier sens et traduit nadî Kâkapeyâ, rivière si pleine d’eau qu’une corneille peut y boire sans courber le cou (Kâkair anatakandharaih pîyate ; pûrnodakatvena prasasye kâkaih peye nadyâdau). Dans le passage de notre texte Kâkapeya doit être un terme de louange, et nous devons donc le traduire « étangs si pleins d’eau que les corneilles peuvent y boire ». Mais pourquoi un mot aussi bien connu que Kâkapeya serait-il orthographié Kâkâpeya, si ce n’était avec intention ? Et cette intention, quelle est-elle ? Nous devons nous souvenir que Pânini II, 1, 42, nous apprend la formation du mot tîrthakâka, une corneille à un tîrtha, qui signifie une personne qui n’est pas à sa place. Il semblerait donc que les corneilles étaient considérées comme déplacées à un tîrtha, ou lieu pour se baigner, soit parce que ce sont des oiseaux de mauvais présage, soit parce qu’elles souillent l’eau.

D’après ce point de vue Kâkapeya signifierait un étang que les corneilles ne visitent pas, exempt de corneilles.

M. le professeur Pirchel remarque que la même expression se trouve en pali, p. c. Mahâparinibbânasutta (Journal de la Société Royale Asiatique, 1875, p. 64, l. 21), Kâkapeyâ samatitthikâ, et M. Rhys Davids m’informe que Buddhaghosa explique Kâkapeya par tîre thitena kâkena sakkâ pâtum.

16 Divâ vihârâya, repos de l’après-midi, sieste. Voir Childers s. v. vihâra.

17 Krunkâh. Bécasse, courlis. Est-il pris dans le sens de Kuravîka ou Karavika, d’après Kern, le sanscrit Kârâyikâ, un oiseau doué d’une belle voix ? ou de Kalaviuka, en pali Kalavîka ? Voir Burnouf, Lotus, p. 566. Je retrouve cependant ailleurs les mêmes oiseaux cités ensemble, soit hamsakraunkamayûnasukasâlikakokila, etc. Au sujet de mayûra, voir Mahâv. Introd., p. 39 ; Rig Véda, I, 191, 14.

18 Indriyabalabodhyangasabda. Ce sont des expressions techniques, mais leur sens n’est pas complètement clair. Spence Hardy dans son Manual, p. 498, énumère les cinq indrayas, soit ; 1, sardhâwa, pureté (probablement sraddhâ, foi) ; — 2, wiraya, effort persévérant (virya) ; — 3, sati, ou smirti, certitude de vérité (smriti) ; — 4, samâdhi, tranquillité ; — 5, pragnâwa, sagesse (pragnâ).

Les cinq balayas (bala) sont, ajoute-t-il, les mêmes que les cinq indrayas.

Les sept bowdyânga (bodhyanga) sont, d’après lui : 1, sihi ou smriti, la certitude de la vérité par l’application mentale ; — 2, dharmmawicha, la recherche des causes ; — 3, wiraya, effort, persévérant ; — 4, prîti, joie ; — 5. passadhi, ou prasrabdhi, tranquillité ; — 6. samâdhi, tranquillité à un degré plus élevé comprenant l’exemption de tout ce qui trouble le corps ou l’âme ; — 7, upekshâ, sérénité.

On voit par là que quelques-unes de ces qualités excellentes se trouvent à la fois dans les indriyas et les bodayangas, et que les balas sont absolument identiques aux indriyas.

Cependant Burnouf donne, dans son Lotus, une liste des cinq balas (d’après le vocabulaire pentaglotte) qui correspond aux cinq indriyas de Spence Hardy, soit : sraddhâ-bala, pouvoir de foi ; vîrya-bala, pouvoir de force, smriti-bala, pouvoir de mémoire, samâdhi-bala, pouvoir de méditation, pragnâ-bala, pouvoir de science. Elles précèdent les sept bodhyangas dans le Lotus, dans le vocabulaire pentaglotte et le Lalita-Vistara.

Burnouf a consacré à ces sept bodhyangas un traité spécial, appendice xii, p. 796. On les trouve en pali et en sanscrit.

19 Niraya, les enfers, appelés aussi Naraka. Yamaloka, le royaume de Yama, le juge des morts, est décrit comme les quatre Apâyas, soit Naraka, enfer, Tiryagyoni, naissance dans le corps des animaux, Pretaloka, royaume des morts, Asuraloka, royaume des démons. Les trois termes employés ici ensemble se présentent également dans un passage traduit par Burnouf, Introduction, p. 544.

20 Iti sankhyâm gakkhanti, ils sont appelés. Childers s. v. sankhyâ. Asankhyeya plutôt encore que aprameya est le terme consacré pour infinité. Burnouf, Lotus, p. 852.

21 Avaramâtraka. C’est le oramattako pali « appartenant seulement à la vie actuelle », et l’auteur semble vouloir inculquer la doctrine du Mahâyâna, que le salut peut être obtenu par de simples répétitions du nom d’Amitâbha, en contradiction formelle avec la doctrine originale du Buddha que l’homme récolte ce qu’il a semé, Buddha aurait enseigné que le Kusalamûla, la racine ou le faisceau des bonnes actions accomplies dans ce monde (Avaramâtraka), portera ses fruits dans l’autre monde, tandis qu’ici de « vaines répétitions » paraissent être seules ordonnées. Les traducteurs chinois comprenaient autrement ce passage, et je ne suis pas absolument sûr de l’avoir bien compris. Mais de la fin de cette partie, où nous lisons Kulaputrena va Kuladuhitrâ vâ tatra buddhakshetre kittaprânidhânam kartavyam, il paraît évident que le locatif (Buddhakshetre) forme l’objet du pranidhâna, prière fervente ou aspiration. Les Satpurusha déjà dans le Buddhakshetra seraient les hommes en nombre innombrable (Manushyas) et les Bodhisattvas déjà cités.

22 Arthavasa, littéralement, le pouvoir de la chose ; Dhammapada, p. 388, vers 289.

23 Je ne suis pas complètement sûr du sens de ce passage, mais si nous entrons dans la métaphore hardie du texte, c’est-à-dire que les Buddhas couvrent les pays buddhas de l’organe de leur langue, puis la déplient, cela ne peut guère signifier autre chose que, d’abord ils s’efforcent de trouver des mots pour les excellences de ces pays et ensuite les révèlent ou les proclament. Cependant Burnouf (Lotus, p. 417) prend l’expression dans son sens littéral, bien qu’il soit choqué de son grotesque. Sur ces buddhas et leurs pays, voir Burnouf, Lotus, p. 113.

24 Pratîyatha. Les textes donnent à tout instant pattîyatha, évidemment la forme palie pour pratîyata. J’ai conservé tha, terminaison palie de la 2e  personne du pluriel de l’impératif au lieu de ta, parce que cette forme était évidemment intentionnelle, tandis que pa pour pra peut être un accident. Cependant je ne doute guère que patiyatha se trouvât dans le texte original. Nous voyons plus loin par sraddadhâdhvam, etc., qu’il a un sens impératif. D’autres traces de l’influence du pali ou du pracrit sur le sanscrit de notre Sûtra se révèlent dans arhautaih, variantes d’interprétation pour arhadbih que j’ai choisi de préférence ; sambahula pour bahula ; dhriyate yâpayati ; purobhaktena ; anyatra ; sankhyâm gakkhanti ; avaramâtraka ; vethana, au lieu de veshtana, dans nirvethana ; dharmaparyâya (Corp. Inscript., pl. XV), etc.

25 Le Sukhavatîvyûha, même dans son texte le plus court, est appelé un Mahâyâna-sûtra, et il n’y a pas de raison pour qu’un Mahâyâna-sûtra ne soit pas court. Le sens de Mahâyâna-Sûtra est simplement Sûtra appartenant à l’école Mahâyâna ou du Grand Véhicule. C’est Burnouf, dans son « Introduction à l’Histoire du Buddhisme » qui s’efforça à grand’peine d’établir une distinction entre les Vaipulya ou Sûtras développés et ce qu’il appelle les Sûtras simples. Les Vaipulya Sûtras peuvent appartenir tous à l’école Mahâyâna, mais cela ne prouverait pas que tous les Sûtras de l’école Mahâyâna soient vaipulya ou Sûtras développés. Les buddhistes n’admettent pas le terme de Sûtra simple en opposition aux Vaipulyas ou Sûtras développés ; cette opposition est en réalité une invention de Burnouf. Il y a sans doute une grande différence entre un Vaipulya Sûtra, tels que le Lotus de la bonne Loi, traduit par Burnouf et ceux qu’il a traduits du Divyâvadâna. Mais ce que Burnouf considère comme le signe distinctif d’un Vaipulya Sûtra, c’est-à-dire la présence des Bodhisattvas comme disciples du Buddha Sâkyamuni, ne peut plus être soutenable[30], à moins que l’on ne classe notre court Sukhavatîvyûha comme Vaipulya ou Sûtra développé. Rien ne nous y autorise. Notre Sûtra est appelé un Mahâyâna Sûtra et jamais Vaipulya Sûtra, et cependant parmi les disciples du Buddha les Bodhisattvas se montrent en nombre considérable. Bien plus, Amitâbha, le Buddha de Sukhavatî, autre personnage que Burnouf considère comme spécial aux Vaipulya-Sûtras, en réalité un des Dhyâni-Buddhas, quoiqu’il ne porte pas ce nom dans notre Sûtra, en est le sujet principal et y est représenté comme contemporain du Buddha Sâkyamuni[31].

Le texte le plus long du Sukhavatîvyûha semblerait parfaitement tomber dans la catégorie des Vaipulya sûtras, d’après la définition de Burnouf, mais il ne porte pas ce nom dans les manuscrits que j’ai vus, et Burnouf lui-même donne une analyse de ce Sûtra (Introduction, p. 99) comme un exemple d’un Mahâyâna Sûtra et non d’un Vaipulya Sûtra.



Ce Sûtra nous paraît sans doute bien différent de l’enseignement primitif du Buddha. Et il l’est en effet. Néanmoins c’est le Sûtra le plus populaire et le plus répandu au Japon et on peut dire que toute la religion de la grande masse du peuple repose sur lui. « Répétez le nom d’Amitâbha aussi souvent que possible, particulièrement à l’heure de la mort, et vous irez tout droit à Sukhavatî où vous serez éternellement heureux », voilà ce que l’on demande aux buddhistes japonais de croire, ce qu’on leur dit être la doctrine du Buddha. Il y a même dans notre Sûtra un passage qui semble dirigé positivement contre l’enseignement primitif du Buddha. Il enseignait que l’homme moissonne ce qu’il a semé et que les bonnes actions accomplies sur la terre ouvrent l’accès à une science plus élevée, à un bonheur supérieur. Notre Sûtra prétend que non ; ce n’est pas par les bonnes actions accomplies sur la terre, c’est par la simple répétition du nom d’Amitâbha que l’on obtient d’entrer dans le pays du bonheur. Cette doctrine n’est pas meilleure que celle du brahmanisme moderne, c’est-à-dire, « répétez le nom de Hari ou de Krishna, et vous serez sauvé. « Elle n’est pas meilleure que celle que l’on attribue même à certains docteurs chrétiens. Il se peut que dans un état inférieur de civilisation un enseignement, même de ce genre, ait produit quelque bien[32]. Nous apprenons à quoi peut mener un culte de ce genre par la description que nous donne le docteur Edkins de ce qu’il a vu au monastère de Kwoh-tsing-sze : « On nous fit voir ensuite la prison, dans laquelle une douzaine de prêtres environ s’étaient fait enfermer volontairement, pour un certain nombre de mois ou d’années, pendant lesquels ils devaient répéter nuit et jour sans interruption le nom d’Amida Buddha. Le jour ils doivent tous remplir ce devoir ; pendant la nuit ils se reposent chacun leur tour, se divisant en groupes de veilleurs de telle sorte que l’invocation ne cesse pas un instant jusqu’au matin. Nous demandons quand il leur sera permis de sortir. On nous répond qu’ils peuvent être délivrés sur leur demande, mais seulement quand ils ont passé plusieurs mois dans cette réclusion. Nous nous informons quel peut être l’utilité de cette répétition incessante du nom du Buddha. Les prêtres nous répondent que la répétition constante du nom sacré tend à purifier les cœurs, à diminuer leur attachement au monde actuel et à les préparer à l’état de Nirvâna. La plupart des reclus semblent être jeunes ; quelques-uns viennent contre les barreaux de leur cage pour regarder les étrangers ; mais pendant ce temps ils ne cessent de répéter le nom du Buddha. L’air stupide de beaucoup des prêtres que nous avons vus semble provenir de pratiques de ce genre. »

Mais sûrement le Japon est mûr pour mieux que cela. N’est-il pas grandement temps d’apprendre aux millions de Japonais qui professent la religion buddhique que cette doctrine d’Amitâbha et toute celle du Mahâyâna ne sont que des formes secondaires du buddhisme, une corruption de la pure doctrine du royal prince, et que, s’ils veulent être vraiment buddhistes, ils doivent revenir aux paroles du Buddha telles que nous les ont conservées les anciens Sûtras ? Au lieu de s’en rapporter, comme ils le font maintenant, à des traductions chinoises, souvent infidèles, de traités mahâyânas altérés et démoralisants, pourquoi n’auraient-ils pas des traductions japonaises des meilleures parties de la vraie doctrine du Buddha, qui élèveraient leur esprit et leur donneraient une religion dont ils n’auraient pas à rougir ? Il existe des traductions chinoises de quelques-unes des meilleures parties des écritures sacrées du buddhisme. Elles se trouvent aussi au Japon, comme on peut s’en assurer par la magnifique collection du Tripitaka buddhique qui a été envoyée du Japon en présent au gouvernement anglais et dont M. Beal nous a donné un catalogue très utile ; mais il est évident qu’elles sont moins estimées au Japon que les folles et dangereuses fables d’Amitâbha et de son paradis.

J’espère que M. Bunyu Nanjio et M. Kasawara, s’ils continuent avec le même zèle leurs études de sanscrit et de pali, pourront, à leur retour au Japon, accomplir une œuvre vraiment grande et bonne. Et si d’autres jeunes prêtres buddhistes arrivent encore, je serai toujours heureux, autant que mes occupations me le permettront, de les instruire et de les aider dans leur œuvre désintéressée. Un grand avenir est réservé, je crois, à ces îles orientales qui ont été prophétiquement appelées « l’Angleterre de l’Orient « : purifier et réformer leur religion, c’est-à-dire la ramener à sa forme primitive, est une œuvre qui doit être accomplie avant de tenter aucune autre réforme.

En échange j’espère qu’eux et leurs amis, au Japon, en Corée et en Chine aussi, feront tous leurs efforts pour découvrir, s’il est possible, d’autres vieux textes sanscrits et nous les envoyer. En tous cas le premier pas est fait, et si les membres de cette Société qui ont des amis en Chine et au Japon veulent bien nous aider, si S. Exc. le ministre du Japon, Mori-Arinori, qui nous honore aujourd’hui de sa présence, veut bien nous prêter son appui tout-puissant, je ne doute pas que le rêve de notre regretté président devienne une réalité, et que quelques-uns des manuscrits qui, au commencement de notre ère, furent transportés de l’Inde en Chine, en Corée et au Japon, nous reviennent soit dans les originaux soit en copies, comme celui que m’a envoyé M. Shuntaï Ishikawa.

Aidés par ces manuscrits nous pourront d’autant mieux faire comprendre à ces travailleurs dévoués, qui viennent du fond de l’extrême Orient dans l’Occident pour apprendre à lire leurs livres sacrés dans leur sanscrit ou pali original, quelle différence il y a entre l’enseignement même de Buddha et les développements postérieurs et les altérations du buddhisme. Buddha lui-même, j’en suis convaincu, ne connaissait pas même de nom Amitâbha, Avalokitesvara ou Sukhavatî. Alors comment peut donc se dire buddhiste une nation dont la religion consiste principalement à croire en un Amitâbha divin et en son fils Avalokitesvara, et à espérer la vie éternelle dans le paradis de Sukhavatî ?

POST-SCRIPTUM

10 mars 1880.

L’espoir que j’exprimais dans ma brochure sur « des textes sanscrits découverts au Japon », c’est-à-dire que d’autres textes soient encore rendus à la lumière au Japon ou en Chine, a été réalisé plus tôt que je ne m’y attendais. M. A. Wylie m’écrivit le 3 mars qu’il avait rapporté du Japon une quantité de livres sanscrits-chinois, et ensuite il eut l’obligeance de me les envoyer pour les examiner. Ils sont de même aspect et du même caractère d’écriture que le dictionnaire que M. Edkins m’a prêté et que le Sukhavatî-vyûha que j’ai reçu du Japon. Mais, à l’exception d’un recueil d’invocations, intitulé Vagra-Sûtra et du court Pragnâ-Sûtra, ils ne contiennent pas de textes suivis. Ces livres sont destinés à apprendre l’alphabet sanscrit et toutes les combinaisons possibles ou impossibles des caractères devanâgari, et c’est tout. Pourtant ce grand nombre de livres écrits pour enseigner l’alphabet sanscrit est de bon augure pour l’existence de textes sanscrits. Parmi les livres de M. Wylie il se trouve un second vocabulaire chinois-sanscrit-japonais, sur lequel M. Kasawara me donne la notice suivante : « Ce vocabulaire est intitulé Mille Mots sanscrits et chinois ; on dit qu’il a été composé par I-sing, qui quitta la Chine pour aller dans l’Inde en 671, environ vingt-sept ans après le retour d’Hiouen-Thsang, et que l’on connaît mieux comme auteur d’un livre nommé Nanhae-ki-kwei-chou’en sur les mœurs et les coutumes des buddhistes indiens de ce temps.

« Ce vocabulaire a été apporté de la Chine au Japon par Zikaku, prêtre japonais, qui alla en Chine en 888 et revint en 847. À la fin du livre il est dit qu’en l’an 884 un prêtre japonais du nom de Rioyu copia ce vocabulaire sur un texte appartenant à un autre prêtre, Yûîkaï. L’édition que M. Wylie a rapportée du Japon a été publiée dans ce pays en 1727 par un prêtre nommé Jia-kumyo. »

Le curieux passage qui suit se présente dans la préface de l’édition de Jia kumyo : « Ce vocabulaire est communément appelé Mille mots sanscrits et chinois. Il est constaté dans le livre d’Annen, qu’il a été apporté (de Chine) pour la première fois par Zikaku. J’ai corrigé plusieurs erreurs dans ce vocabulaire en comparant beaucoup de copies ; pourtant cette édition n’est pas encore exempte de fautes ; j’espère que les lecteurs les corrigeront s’ils ont de meilleurs exemplaires.

Dans le temple de Horiuji à Yamato, sont conservés comme des trésors le Praâpâramitâhridayasûtram et la Sonsho’-dharanî, écrits sur deux feuilles de palmier, venus de l’Inde centrale ; et à la fin de ces ouvrages sont écrites quatorze lettres du « Siddha » (l’alphabet). Dans la présente édition du vocabulaire l’alphabet est une imitation de ces feuilles de palmier, excepté les lettres dont les formes se confondent avec celles qu’emploient généralement les scribes d’aujourd’hui.

« Horiuji est un des onze temples fondés par le prince Umayado (mort en 621). Ce temple se trouve dans une ville nommée Tatsuta, dans la province de Yamato, près de Kioto, la capitale occidentale. »

Donc nous avons ici la preuve évidente qu’en l’an 1727 des feuilles de palmier contenant des textes de sûtras sanscrits existaient encore dans le temple de Horiuji. Si ce temple est encore debout, ne pourrait-on pas décider quelque prêtre buddhiste de Kyoto, capitale occidentale du Japon, à aller voir si ces feuilles de palmier existent encore et, dans ce cas, en faire une copie qu’il enverrait à Oxford ?

F. M. M.

  1. Beal, Travels of Buddhist Pilgrims. Introduction, p. 21 ; Chinese Repository, vol. X, no 3, mars 1841.
  2. Voir un récit de l’Introduction du buddhisme en Chine, dans le Journal asiatique, août 1850, p. 105. Recherches sur l’origine des ordres religieux dans l’empire chinois, par Bazin.
  3. Stan. Julien, Pèlerins bouddhistes. Vol. X, p. 296.
  4. L. Feer, le Sutra en quarante-deux articles, p. 27.
  5. Le Dhammapada, par F. Hû, suivi du Sutra en quarante-deux articles, par Léon Feer, 1878, p. 24.
  6. Malheureusement cette première traduction d’une vie de Buddha paraît être perdue. Elle nous eût révélé ce qu’était la vie du Buddha dans le premier siècle de l’ère chrétienne.
  7. Voir Journal of R. As. Soc., 1856, pp. 327-332.
  8. Beal, l. c., p. 33.
  9. On trouvera dans le Journal Asiatique, 1849, pp. 353 et suiv., une longue liste de textes sanscrits traduits en chinois. Concordance sinico-sanscrite d’un nombre considérable de titres d’ouvrages bouddhiques recueillie dans un catalogue chinois de l’an. 1306, par M. Stan. Julien.
  10. Csoma de Körös, As. Res., vol. X, p. 488. Journal Asiatique, 1849, p. 356.
  11. Beal, catalogue, p. 66.
  12. On dit que dans le Népal le papier moderne date d’il y a cinq cents ans. Hodgson, Essays.
  13. M. Max Müller, History of ancient sanskrit literature, p. 516.
  14. Burnell, South Indian Palæography, 2e édition, p. 84 et suiv.
  15. Voir Sacred Books of the East, vol. I., Upanishads, Introduction, p. 78.
  16. Beal’s Travels of buddhist Pilgrims, Introduc., p. 46.
  17. Pèlerins bouddhistes, vol. I., p. 158.
  18. Fausböll, Dasarathajataka, p. 25.
  19. Le Bouddhisme dans l’extrême Orient, Revue scientifique, décembre 1879.
  20. Journal Asiatique, 1871, p. 336 et suiv.
  21. Cinq de ces traductions ont été introduites au Japon, les autres paraissent s’être perdues en Chine. C’est pourquoi on dit en parlant de ces traductions « les cinq existantes et les sept manquantes. »
  22. Le manuscrit dit tantôt {{lang|sa-Latn|Sukhavati et tantôt Sukhâvati.
  23. Voir aussi Lotus de la bonne Loi, p. 267.
  24. Journal of the R. As. Soc., 1856, p. 319.
  25. Je dois ce renseignement à l’obligeance de M. Léon Feer, de Paris.
  26. Voir Journal Asiatique, 3e série. III vol., p. 316 ; IV vol., p. 296-98.
  27. Journ. Roy. As. Soc., 1866, p. 136.
  28. Journ. Roy. As. Soc., 1866, p. 136.
  29. Beal, Catalogue, p. 23. Journ. R. As. Soc., 1806, p. 319. Beal, Catalogue, p. 77, cite aussi un Amitâbha-sûtra-upadesa-sâstra, par Vasubandha, traduit par Bodhiruki (Wou-liang-sheu-king-yeou po-ti-she). Un Amitâbha-sûtra, traduit par Chi-Hien de l’époque Wu, c’est-à-dire, 168-190 av. J.-C. est cité dans le Catalogue du Tripiṭaka buddhique de Beal. Le Sûtra suivant, qu’il appelle Sutra of measureless years, est sans doute l’Amitâyus-Sûtra ; Amitâyus est un autre nom d’Amitâbha (Fushwo-wou-liang-sheu-king, p. 6). Voir aussi Catalogue, pp. 99-102.
  30. La présence des Bodhisattvas ou leur absence intéresse donc le fond même des livres où on la remarque, et il est bien évident que ce seul point trace une ligne de démarcation profonde entre les Sûtras ordinaires et les Sûtras développés. Burnouf, Introduction, p. 112.
  31. L’idée d’un ou de plusieurs Buddhas surhumains et celle des Bodhisattvas créés par eux, sont des conceptions aussi étrangères à ces livres (les Sûtras simples) que celle d’un Adi-Buddha ou d’un dieu. — Burnouf, Introduction, p. 120.
  32. Voir II. Sede, Marco Polo, 2e édition. V. I, pp. 411-413.