Théâtre de campagne/Le Petit Dom Quichotte
LE PETIT
DOM QUICHOTTE,
COMÉDIE
En un Acte & en Prose.
PERSONNAGES.
LA COMTESSE DE GRISEVILLE. Grand’mère de Mademoiselle de Vïlledour.
Mlle. DE VILLEDOUR, âgée de dix ans.
LE VICOMTE DE GRANDCOUR, Grand-pere du Marquis de Saint-Arnoud.
LE MARQUIS DE SAINT-ARNOUD, âgé de treize ans.
L’ABBÉ RÉDA, Précepteur du Marquis de Saint-Arnoud.
JAQUOT, Fils du Jardinier du Vicomte de Grandcour, âgé de douze ans.
LA MERE GOURDON, vieille Paysanne.
GILLE GOURDON, Fils de la mère Gourdon.
Scène première.
Mais Monsieur le Marquis, est-ce que nous irons encore bien loin comme cela ?
Oui, Dom Jaquot.
Je n’aime pas ce Dom là, Dom Jaquot ! j’aime mieux que vous m’appelliez Jaquot, tout court.
N’es-tu pas mon Écuyer ?
Vous me l’avez dit ; mais je ne sai pas ce que c’est, Monsieur le Marquis.
Je ne veux pas que tu m’appelles, Monsieur le Marquis ; ne t’en souvient-il pas ?
Dame, c’est que je n’oublie pas votre nom de Marquis de Saint-Arnoud, que je ne me souviens jamais de celui de Dom, Dom…
Dom Brillant de l’Aurore.
C’est bien long, Monsieur le Marquis.
Eh bien, appelle-moi Seigneur.
Seigneur ? je m’en souviendrai bien. Mais, Monsieur le Marquis, j’ai bien peur que ma mere ne me cherche quand elle ne me verra pas revenir du Château. Dame, c’est qu’elle sera bien en colere contre moi, quand elle ne me trouvera pas.
Elle se consolera quand elle apprendra que tu seras devenu Gouverneur d’une Isle.
Gouverneur ! j’ai encore oublié ce que c’est. Je suis bien fâché que cette nuit, pendant que nous dormions dans la Forêt, vous ayez perdu votre cheval & moi mon âne ; car nous n’irons pas bien loin à pied.
Nous les retrouverons.
Oui ; mais si nous ne les trouvons pas, Monsieur le Vicomte de Grandcour, votre Grand-père, fera courir après nous, & M. l’Abbé Réda, votre Précepteur, me donnera le fouet pour m’être en allé avec vous.
Je ne souffrirai pas qu’il fouette mon Écuyer.
Il vous fouettera peut-être vous-même, Monsieur le Marquis.
Dis donc Seigneur Dom Brillant.
Seigneur Dom Bruyant… Je n’apprendrai jamais ce nom là. Et, où allons-nous aller à présent ?
Chercher des aventures.
Des aventures ? vous parlez toujours de noms que je ne connois pas. Est-ce que tous ces noms là sont dans ce livre que vous liftez tous les soirs ?
Est-ce que tu ne t’en souviens pas ?
Non, Monsieur le Marquis.
Veux-tu bien dire Seigneur ?
Oui, oui, Seigneur, pourvu que je ne dise pas Dom Bruyant de…
Eh bien dis Seigneur Chevalier.
Ah, je me souviendrai bien de Chevalier.
Tu ne te souviens pas de ce que je te lisois ?
Non ; parce que je m’endormois toujours. Où dînerons-nous aujourd’hui ?
Eh, tu manges actuellement.
Oui, je déjeune ; mais après, il faut dîner ; moi je mangerois toute la journée si je voulois. Pourquoi ne déjeunez-vous pas ?
Parce que Dont Quichotte n’a jamais déjeuné, ni tous les Chevaliers dont ce livre là parle.
Je crois que c’est un mauvais métier que celui que nous allons faire ; j’aimerois mieux être au Château de Grandcour, à travailler au Jardin, avec mon pere, ou à tourner la broche dans votre cuisine.
Et la gloire ?
La gloire ? je ne sai pas ce que c’est non plus.
Tu ne sais donc pas lire ?
Si fait, un peu dans le latin. Mais si nous cherchions nos bêtes au lieu de parler de tout cela.
Et qu’est-ce que nous faisons donc ?
Nous les cherchons ?
Sans doute.
Je n’en savois rien.
Tu ne penses qu’à manger, tiens, reste ici, si tu les vois passer, tu les arrêteras.
Allez, allez toujours, je m’en vais m’asseoir là.
Je viendrai t’y retrouver. Il s’en va.
C’est bon ; c’est bon. Je m’en vais boire un bon coup de vin & puis, si j’ai envie de dormir, je dormirai. Il boit.
Scène II.
Vela je crois une femme qui porte une bourée. Il faut que je lui demande si elle a vu nos bêtes.
Je suis bien lasse toujours, j’ai envie de me reposer ici. Elle jette sa bourée à terre, & elle s’assied dessus.
Ah, dites-donc la mere ?
Eh bien, quoi que veut ce petit garçon-là ?
Je voulions vous demander si vous n’avez pas vû un cheval & un âne, la mere.
Âne toi même. Qu’est-ce que c’est que ce petit coquin là, les enfans n’ont plus de respect pour la vieillesse.
Dites toujours si vous les avez vus.
Je te dis que non, petit garnement. Allons laisse-moi en repos.
Laissez-moi en repos vous-même ; car je vais me coucher, & je veux dormir. Il se couche. Bon soir la mere.
Oui bon soir, bon soir, va te coucher, tu souperas demain. Voyez ce petit vilain qui va dormir pendant que sa mere le cherche peut-être partout. Mon dieu ! on est bien bon d’aimer ces morveux là. Mais qu’est-ce que je vois venir par ici. Je crois que… oui, c’est une petite Demoiselle, elle paroît bien gentille.
Scène III.
Bonjour, ma bonne Dame.
Bonjour, ma belle Demoiselle.
J’ai bien envie de vous demander une chose ; mais il faut que vous me promettiez de me dire la vérité.
Je ne mentons jamais dans notre Village, ma belle Demoiselle.
C’est que je voudrois bien savoir si vous n’êtes pas une Fée.
Une Fée ?
Oui, & si vous en êtes une, il faut me dire si vous êtes bienfaisante, ou malfaisante.
Eh ? bon dieu, Mademoiselle, je ne sai pas ce que vous voulez dire tant seulement.
Quoi, vous ne savez pas ce que c’est qu’une Fée ?
Je n’ons jamais entendu parler de ce bétail là.
Vous n’avez donc jamais lu de Contes ?
Oh, des Contes, des Contes ! je ne savons que le compte de notre troupeau, voyez-vous ?
Vous avez un troupeau ?
Ah, dame, oui, & qui est bian gentil.
Des moutons ?
Oui, des moutons, des brebis, des agneaux.
Et auriez-vous besoin d’une Bergere ?
Oh, que non ; j’ons mon fils qui les garde.
Votre fils ; il est donc Berger ?
Eh, vraiment oui.
Ah, je voudrois bien le voir, j’aime beaucoup les Bergers.
Eh, pardi vous le varrez ; je m’en vais l’appeller. Eh, Gille Gourdon ?
Scène IV
Quoique vous voulez, ma mere ?
Eh, viens ici, fieux, vela une belle Demoiselle qui veut te voir.
Une Demoiselle ?
Oui, oui.
Eh bien, me vela.
Mais ce n’est pas là un Berger.
Je ne suis pas un Berger ?
Eh non, vraiment, vous n’êtes qu’un Paysan.
Et vous verrez qu’un Berger n’est pas un Paysan.
Je sai bien ce que je veux dire, j’en ai vu dans des tableaux, chez ma grand’mere.
Oh, des tableaux, c’est de la peinture cela, à ce qu’on dit.
Cela est vrai. Vous êtes bien habile pour un Paysan.
Ah dame, oui, je sis habile, & si j’avois tant seulement pû apprendre à lire, on disoit comme cela que je serois peut-être Procureux Fiscal à présent.
Cela peut bien être.
Ah ç’a, dites-moi donc, Mademoiselle, pourquoi allez-vous comme-ça toute seule ?
C’est que je veux me faire Bergere.
Vous ?
Sans doute.
Ah, ah, vela un bon tour ! Est-ce que vous êtes venue comme cela à pied du Village de Griseville ?
Oui, & qui vous a dit que je viens de ce Village là ?
Ah, je m’en doute ; parce qu’en voilà le chemin. Vous voulez donc être Bergere ?
Je voudrois bien avoir un troupeau à moi ; mais, comme je n’ai pas d’argent pour en acheter, si vous vouliez, je garderois le vôtre
Ah, bien, comme vous voudrez.
Pour aujourd’hui seulement ?
Non, pour toujours. Est-ce qu’il n’y a pas des Bergeres comme moi dans la campagne.
Ah que oui, oui. À sa mere. La drôle de petite fille.
Est-ce que tu la connois, fieux ?
Laissez, laissez-moi faire.
Et comment vous appellez-vous ma belle Demoiselle ?
Astrée, ma bonne Dame. Mais dites-donc si vous voulez me donner votre troupeau à garder, parce que, sans cela, j’irai chercher à en garder un autre.
Ah, que non, Mademoiselle, baillez-nous la préférence.
Je sais bien ce qu’il faut faire. Où est-il votre troupeau ?
Il est là, tout contre ; vous le voyez d’ici.
Ah, oui, je m’en y vais. Vous avez un chien ?
Oui, vous le trouverez aussi, asseyez-vous là. Voulez-vous que j’aille avec vous ?
Ce n’est pas la peine, ce n’est pas la peine. Adieu, ma bonne Dame.
Adieu, ma belle Demoiselle.
Scène V.
Eh, dis donc, fieux, est-ce que tu la connois c’te petite Demoiselle ?
Pardi oui, je n’en ons pas fait semblant comme vous voyez.
Alle a dit un nom que je n’ai jamais entendu dire.
Bon, sûrement, alle en a un autre ; c’est la petite fille de Madame la Comtesse de Griseville, qui est si folle, à ce qu’on dit.
Est-ce que tu l’as vûe cette Comtesse-là ?
Alle vient se promener comme-ça dans le bois souvent en lisant, alle s’est laissé tomber l’autre fois par terre, c’est moi qui l’a ramassée, & elle m’a baillé un écu.
Et c’te petite Demoiselle là, étoit avec elle ?
Oui, voirement, & j’ons bian vu qu’alle ne m’a pas reconnu.
Eh bian, fieux, qu’est-ce que j’allons en faire ?
Écoutez bian, ma mere.
J’écoute, fieux ; j’écoute.
Je disons puisqu’alle m’a baillé un écu pour l’avoir relevée de terre, cette Comtesse…
Oui, alle t’a baillé un écu, c’est vrai ça ?
Laissez-moi donc dire. Alle croit peut-être sa petite fille pardue…
Pardue ?
Oui ; puisqu’alle est venue toute seule.
Ah, oui, alle est venue toute seule.
Si j’allons donc l’y porter la nouvelle qu’alle est ici, vela qu’alle me baillera encore bian plus d’argent.
T’as raison, fieux.
Et par ainsi, c’est pourquoi je m’en vas aller à Griseville, pour le dire à Madame la Comtesse.
J’allons être tout d’un coup bian riches !
Acoutez, il faut en avoir bian soin de cet enfant là.
Oh, alle ne s’en ira pas. Et puis je m’en vas l’y chercher du pain & du beurre, pour qu’alle ne meure pas de faim.
Vous avez raison. Adieu, ma mere.
Adieu, fieux. Je m’en vas porter ma bourée. Et je songe que j’ai des poires, je l’y en porterons. Elle emporte sa bourée.
Scène VI.
Cette bonne femme ne reviendra peut-être plus. Il éveille Jaquot. Allons Jaquot, Jaquot.
Eh bien, mon pere, me voilà.
Jaquot, c’est moi.
Ah ! c’est vous, Monsieur le Marquis, non, Seigneur Dom… Seigneur Chevalier. N’est-ce pas comme cela ?
Oui, oui, lève-toi.
Avez-vous retrouvé nos bêtes ?
Non, non, j’ai trouvé bien autre chose.
Ah bien ! j’en retiens part.
Et ce n’est pas ce que tu crois.
Qu’est-ce que c’est donc ?
C’est une aventure.
Une aventure ? Je vous dis que je ne sais pas ce que c’est.
C’est une Princesse enchantée, qui est métamorphosée en petite Bergere.
Une Princesse à chanter, elle chante donc ?
Je te dis enchantée.
Dame, je ne comprends pas cela.
Cela ne fait rien. Il faut que tu lui fasse un compliment de ma part.
Ah bien, où est-elle ? Je m’en vais lui dire que vous lui faites bien vos complimens.
Ce n’est pas cela, il faut que tu lui dise que le Chevalier Dom Brillant de l’Aurore…
Oh ? je ne retiendrai jamais cela.
Je me mettrai derrière toi & je te soufflerai.
Ah, comme à l’école quand on ne sait pas sa leçon ?
Oui. Mais comme tu es barbouillé ! tes moustaches sont effacées.
Vous m’avez fait doubler mon Bonnet de peau de lapin aussi.
C’est pour être comme Sancho.
Oui, mais le poil s’en va, & puis cela me démange, & je me frotte le visage. Mais vous n’avez qu’une moustache vous.
C’est en me mouchant apparemment que j’ai effacé l’autre, cela est bien désespérant pour un Chevalier de n’avoir pas encore de barbe ! Ah ! voici la Princesse.
Scène VII.
La Princesse ? Ce n’est pas-là une Bergere non plus.
Je te dis que si.
Elle ne ressemble point à ma Sœur, qui garde nos Vaches.
Je le crois bien, bélître.
Restez, restez ici, petits Moutons, vous y serez à l’ombre, & vous n’y aurez pas si chaud.
Allons, Jaquot.
Qu’est-ce qu’il faut que je dise ?
Mets un genou en terre & ôte ton Bonnet.
Après.
Adorable Princesse…
Ado… n’est-ce pas ado… ?
Oui.
Ado… J’ai oublié le reste.
Adorable Princesse.
Rable Princesse.
Vous voyez devant vous.
Vous voyez… c’est derriere moi qu’il faut dire.
Non, vous voyez devant vous…
Non, vous voyez devant vous.
Le Chevalier Dom Brillant de l’Aurore.
Le Chevalier… je ne dirai jamais le reste.
Ôte-toi delà, Bélître.
Ah bien ! tant mieux.
Adorable Princesse, vous voyez dans le Chevalier Dom Brillant de l’Aurore, le plus humble de vos serviteurs & le plus amoureux. À travers cet enchantement, mon cœur vous a reconnu, souffrez que je vous consacre à jamais & ma vie & mes armes.
Arrêtez, Monsieur le Chevalier.
Quoi, Madame, mon amour pourroit-il vous déplaire ?
Vous me parlez d’amour ! oubliez-vous qui je suis & ce que vous êtes ?
Ô ciel ! aurois-je pu vous offenser ?
Reconnoissez en moi la Bergere Astrée.
Non, Madame, vous n’êtes point une Bergere.
C’est vous qui n’êtes pas un Berger, & ce n’est qu’un Berger qui pourra m’aimer.
Je deviendrai Berger, si vous le voulez, Renaud n’avoit-il pas tout quitté pour Armide ?
Quand vous seriez Berger, vous n’auriez pas dû me parler de votre amour. Allez vous noyer à présent, & ne me voyez jamais. Adieu. Elle sort, & les Moutons disparoissent.
Scène VIII.
Est-il malheur pareil au mien ! ce cruel enchantement l’a empêché de me reconnoître, je veux la suivre & mourir à ses pieds.
Ah, mon Dieu, voilà un malheur bien plus grand ! je vois Monsieur l’Abbé Réda, votre Précepteur.
Non, ce n’est pas lui.
Regardez, il vient à nous.
C’est un Géant enchanteur, qui a pris sa figure pour m’épouvanter, mais je vais chercher mes armes que j’ai pendues à un arbre, & avec le consentement de la Princesse, je reviens ici pour le combattre.
Pour moi, je vais m’enfuir à quatre pattes dans les broussailles, de peur d’avoir le fouet. Il s’enfuit à quatre pattes.
Scène IX.
Ah, Monsieur le Vicomte, n’avancez pas, je crois qu’il faut nous en aller, j’ai vu marcher quelque chose.
Qu’est-ce que c’est, l’Abbé ?
Je n’en sais rien, je n’avois pas ma lorgnette, mais c’est peut-être un Sanglier ou un Loup.
Nous leur aurons fait peur. Je parierois tout au monde que mon fils a passé la nuit dans ce bois, sur ce que l’on nous a dit qu’on l’avoit vu de ce côté-ci, & sur ce que son cheval & l’âne du Jardinier qui sont revenus, paroissoient avoir mangé des feuilles.
Cela pourrait bien être, Monsieur ; mais rien ne nous montre leurs traces. Si je les retrouve ils se souviendront, tous les deux, des alarmes qu’ils m’ont données & qu’ils me donnent encore.
Monsieur l’Abbé, si nous étions en tems de guerre, & que mon petit-fils y fût allé, cela ne m’étonneroit pas, & j’en serois même charmé.
Il ne devroit pas y aller sans votre permission ni la mienne.
Si vous n’aviez pas été dîner avec tous vos Curés, vous ne l’auriez pas quitté, & cela ne seroit pas arrivé ; ceci a tout l’air d’un projet, & il a saisi l’occasion de l’exécuter ; cela est très-bien fait à lui.
Monsieur, je peux avoir tort, mais…
Je ne vous reproche rien ; d’ailleurs tous les gens que j’ai mis en campagne le ramèneront sûrement.
Je le crois comme vous, mais après la clef des champs qu’il a prise, comment le remettre à l’étude, c’est votre faute à vous, Monsieur le Vicomte, s’il a fait cette escapade.
Il a donc plus profité de mes leçons que des vôtres.
Cela pourroit bien être, vous ne lui parliez que de guerre, de combats ; toutes vos tapisseries représentent les Aventures de Dom Quichote, vous m’avez ordonné de lui acheter ce livre-là. Et depuis un an il ne lit pas autre chose.
Tant mieux, c’est un livre excellent pour la morale.
Oui, les enfans se soucient bien de la morale d’un livre, ils la passent toujours pour s’attacher au merveilleux, ou à ce qui les fait rire.
Dom Quichotte étoit brave, & j’en ai toujours fait grand cas.
C’étoit un fou.
Monsieur l’Abbé, halte-là, plus de respect pour la bravoure ; c’est la premiere de toutes les qualités.
Monsieur le Vicomte, Homère & Virgile cependant…
Ne la connoissoient pas, leurs Héros étoient toujours protégés par quelques Divinités, je vous défends de faire lire ces Auteurs à mon fils.
Oui, si nous le retrouvons ; mais s’il est rencontré par quelques bétes féroces.
Croyez qu’il se défendra. N’a-t-il pas son épée ?
Oui, Monsieur. Mais s’il rencontre des voleurs ?
Il les arrêtera & les amènera pieds & poings liés.
Un enfant ?
Un enfant, Monsieur Réda, un enfant ! il est mon petit-fils, il n’y a point d’enfance pour les Héros. Écoutez l’Abbé, j’ai combattu dès l’âge de dix ans.
Vous ?
Oui, moi, & l’amour & la gloire ont occupé tous les instans de ma vie. Depuis la paix un malheureux amour m’a fait retirer dans mon Château de Grandcour.
Vous êtes amoureux, Monsieur le Vicomte. Vous plaisantez.
On ne plaisante point avec l’amour, & si l’amour avoit causé la fuite de mon petit-fils, je la lui pardonnerois encore.
Quoi ! vous voudriez qu’à son âge une funeste passion…
Funeste, il est vrai, je l’éprouve depuis vingt ans.
Je ne saurois le croire.
Vous n’avez donc jamais vu la Comtesse de Griseville ?
Qui demeure ici près ?
Elle même ; oui, ses rigueurs me tournent toujours la tête, voilà tout le défaut que je lui connois, & il n’en est pas un ; c’est une preuve de sa vertu.
Elle passe pour une folle.
Qu’osez-vous dire, malheureux ?
Moi ? Rien, Monsieur le Vicomte.
Sa grace, ses charmes…
Monsieur, voilà une bonne femme, il faudroit lui demander des nouvelles de Monsieur le Marquis ?
Faites, Monsieur Réda.
Scène X.
Ah, Messieurs, je suis bien-aise de vous rencontrer : ne cherchez-vous pas une petite Demoiselle ?
Non, ma bonne femme, nous cherchons le Petit-fils de Monsieur le Vicomte, qui est perdu depuis hier, & qui a avec lui un petit garçon.
Un petit garçon, n’a-t-il pas un bonnet rouge ?
Je crois que oui.
Il a dormi ici une heure tantôt, & je crois que je viens de les voir tous les deux par là-bas, qui cherchoient quelque chose à terre.
Je serai bien aise de les retrouver, je leur apprendrai à nous donner comme cela de l’inquiétude.
Oh, mais si vous vous fâchez & si vous leur faites du mal, je ne vous enseignerai pas où ils sont.
Cette bonne femme a raison, Monsieur l’Abbé. Allez voir si ce sont eux ; quand vous les aurez reconnus, vous viendrez me le dire, & je vous défends d’en approcher & de vous en faire reconnoître avant de m’avoir rendu compte.
Je ferai, Monsieur, ce que vous m’ordonnez.
Allez donc.
En ce cas-là, venez, ne faites pas de bruit, je vais vous les montrer.
Scène XI.
Mon ami, je suis enchantée de tout ce que vous me dites-là.
C’est bien vrai, Madame la Comtesse.
Je serai charmée de la voir avec son troupeau. Ah ! qu’elle tient bien de moi !
Que vois-je ! Quoi, c’est vous, Madame ? Après m’avoir si longtems refusé le bonheur de vous voir, je vous retrouve & vous ne me regardez plus avec cet air sévere…
Non, Monsieur le Vicomte…
Mon bonheur me confond !
Apprenez…
Que de graces, que de charmes !
Quoi, vous trouvez encore…
Ah, jamais vous n’avez été si belle.
Vous me flattez.
Non, mon cœur me dit que je ne puis vous tromper, l’amour le plus pur & le plus violent en meme-tems y régnera toujours, sans cesse occupé de vous… Mais votre sévérité auroit-elle un terme enfin, vous lasseriez-vous de cet excès de rigueurs ? Ah, Madame ! Il tombe à genoux.
Levez-vous, Vicomte, vous avez vous-même causé tous vos malheurs.
Moi, Madame, que dites-vous !
Oui, ingrat, au moment où j’allois enfin me rendre, vous me fuyez, vous me quittez.
Eh, Madame, c’étoit pour devenir plus digne de vous ; depuis six ans je vous adorois sans pouvoir espérer de vous toucher, Mars m’ouvre le champ de gloire, je vole à Mahon, espérant joindre les lauriers de la victoire aux myrthes de l’amour, & vous refusez à mon retour de me voir…
Je vous ai cru infidèle.
Moi, j’aurois pu l’être ! grands Dieux ! mais pourquoi n’avoir pas voulu m’entendre ? Pourquoi me renvoyer mes lettres sans les lire ?
La vertu me l’ordonnoit, & peut-être…
Achevez… Mais qui change en ce moment cet air sévere ? qui me procure cet instant fortuné ?
Une chose singuliere, qui ravit mon ame, qui doit vous toucher, si la vôtre est encore sensible. Ma Petite-Fille, l’objet de tous mes soins, que je me plaisois à élever, vient de me donner la preuve la plus convaincante que tous ses goûts, ses sentimens, se rapporteront aux miens, ma joie est sans égale !
Ah, que je la partage ! expliquez moi quel en est l’objet.
Vous connoissez le Roman de l’Astrée.
Ah, sûrement.
Il me charme toujours de plus en plus, je ne me lasse point de le lire, ma Petite-fille l’aime aussi, mais au point qu’elle est sortie ce matin avec un petit chapeau de paille, & qu’elle est venue trouver ici la mere de ce garçon, pour lui demander de garder son troupeau ; elle est Bergere, Vicomte, cela n’est-il pas charmant ! j’en mourrai de joie.
Scène XII.
Ah, Monsieur, je vous le disois bien, Monsieur votre Petit-fils s’est fait Chevalier Errant.
Je le voudrois de tout mon cœur.
Chevalier Errant ?
Oui, Madame, il est arme de pied en cap comme on nous représente Dom Quichotte.
Chevalier Errant ! mais, Vicomte, est-ce que vous n’êtes point transporté de cet héroïsme ?
L’Abbé croyoit que j’avois tort de ne lui parler que de siéges, de combats & de galanterie.
Il ne s’y connoît pas.
Les hommes ne sont que ce qu’on les fait, l’Abbé.
Mais, Monsieur le Vicomte, permettez-moi de vous dire…
Allons, Monsieur l’Abbé, vous me feriez croire que vous n’avez point de part à ce succès. Chevalier Errant ! & ma petite fille Bergere ! Vicomte nous sommes trop heureux !
Ma joie est égale à la vôtre.
Ils sont aussi foux l’un que l’autre.
Voilà des enfans comme on n’en voit point.
Scène XIII.
Monsieur le Vicomte, voilà votre petit Monsieur, qui vient par ici avec la petite Demoiselle de Madame, voulez-vous…
Avec ma Petite-fille ?
Oui vraiment.
Je voudrois qu’il en fût amoureux. Vicomte, cachons-nous pour les entendre. Vous autres, mettez-vous aussi derrière ces arbres.
Allons, Madame. Ils se cachent tous.
Scène XIV.
Non, Monsieur, je n’écoute rien.
Mais Madame, permettez…
Songez que je vous ai ordonné de ne me plus revoir.
Je ne vous demande qu’une grace.
Et quelle est-elle ?
C’est la permission de combattre l’Enchanteur qui vous persécute, de vous remettre en possession de vos États, après vous me bannirez pour toujours de votre présence, si je continue à avoir le malheur de vous déplaire.
Je ne connois point d’Enchanteur…
Scène dernière.
Je n’y puis plus tenir, votre Petit-fils est charmant, il faut que je l’embrasse. Elle embrasse le Marquis de Saint-Arnoud.
Il est trop heureux, Madame.
Ah, ma belle Maman, vous étiez-là ?
Mon bon Papa, je crains bien…
Non, mon fils, ne craignez rien, vous avez voulu prendre la cause du beau sexe, c’est très-bien fait.
Ah, Monsieur le Marquis, voilà Monsieur l’Abbé défendez-moi.
Jaquot, vous avez suivi votre Maître & vous avez très-bien fait, l’Abbé ne vous grondera seulement pas.
Ils sont tous délicieux ! divins ! jusqu’au petit Jaquot. Ma Fille embrasse-moi aussi. Elle embrasse sa Fille.
Quoi, mon Grand-papa, il est bien vrai que c’est-là Monsieur l’Abbé Réda ?
Pourquoi donc pas ?
Et que ce n’est pas l’Enchanteur qui persécute la Princesse ?
Mon Petit-fils, la Princesse est Mademoiselle de Villedour, la Petite-fille de Madame la Comtesse de Griseville ; dans tout ceci il n’y a point d’enchantement, les enchantemens sont fabuleux ; mais la valeur & la vertu sont un don du Ciel, & l’amour est l’effet des charmes de ces Dames.
Vicomte, il semble que cette aventure soit faite pour nous prouver que nos enfans sont faits l’un pour l’autre, & si vous y consentez…
Je vous entends, Madame, ils se conviennent parfaitement, leur fortune est à peu près égale, & leur bonheur est sûr, mais moi serai-je toujours malheureux ?
Si vous me promettez de n’être plus volage ; Vicomte…
L’ai-je jamais été ? Et qui pourroit me le rendre ayant le bonheur de vous posséder.
Allons, je ne peux plus vous résister, dès ce moment, venez chez moi, un doux hymen couronnera notre amour & apprendra à nos enfans que c’est de lui que dépend le vrai bonheur de ma vie.
Mon exemple sera aussi pour mon fils un modèle de la reconnoissance que je vous prouverai toujours.
Embrassez-vous mes enfans, en attendant le jour qui doit vous unir, vous vous verrez sans cesse.
Pour moi, j’en suis bien aise, parce que je ne m’ennuierai plus.
Je vous promets de ne plus chercher d’aventures.
S’ils pouvoient ne plus voir leurs parens, peut-être deviendroient-ils sages.
Que dites-vous, Monsieur l’Abbé ?
Je dis qu’ils sont bienheureux à leur âge.
Et vous avez raison. L’Abbé, vous ne nous quitterez pas, je veux aussi avoir le petit Jaquot.
Allons, Jaquot, remerciez donc Madame.
Madame, je vous suis bien obligé.
J’aurai soin aussi de cette bonne femme & de son fils, ce jour est fait pour rendre tout heureux.
VAUDEVILLE.
À des Enfans, dans leur jeune âge,
On dit, lorsqu’ils seront époux,
Qu’ils goûteront un sort bien doux,
Ma foi la vieillesse est peu sage.
Ce qu’on apprend avec des foux ;
C’est à heurler avec les Loups.
C’est à heurler avec les Loups.
Je croyois toujours rester veuve ;
Mais résiste-t-on à l’Amour ?
Tôt ou tard on se rend un jour,
Tous les Romans en sont la preuve ;
Si l’Amour ne fait que des foux,
Il faut heurler avec les Loups.
Il faut heurler avec les Loups.
L’on se moque de la Vieillesse
Lorsqu’elle cherche les plaisirs,
Heureuse d’avoir des desirs,
Elle vaut souvent la jeunesse :
Si ceux qui s’amusent sont foux,
Il faut heurler avec les Loups.
Il faut heurler avec les Loups.
Sans objet nous cherchons à plaire,
On nous dit qu’il faut tout charmer ;
Je sais de plus qu’il faut aimer,
Que c’est tout l’art d’une Bergere,
Les Bergers seroient-ils des foux,
Il faut heurler avec les Loups.
Il faut heurler avec les Loups.
Je ne trouvois pas que l’étude
Eût des attraits assez puissans ;
Mais pour vous mériter, je sens
Qu’elle n’aura plus rien de rude ;
Les Grecs, les Latins, sont-ils foux ?
Il faut heurler avec les Loups.
Il faut heurler avec les Loups.
En amour, la douce espérance
Entretient les tendres desirs :
On voit toujours par les plaisirs
Couronner la persévérance :
Si les Amans sont toujours foux,
Il faut heurler avec les Loups.
Il faut heurler avec les Loups.
J’étois Jardinier, Tournebroche,
Ensuite on m’a fait Écuyer ;
Pour vous amuser le métier
De Comédien est sans reproche,
Si vous dites, nous trouvant foux,
Il faut heurler avec les Loups.
Il faut heurler avec les Loups.