Aller au contenu

Théorie de la propriété/10

La bibliothèque libre.
A. Lacroix, Verboeckhover et Cie. (p. 248-308).


SOCIÉTÉ
DE
L’EXPOSITION PERPÉTUELLE



PROJET[1]


L’empereur Napoléon, ayant eu le dessin de faire servir le Palais de l’Industrie à quelque fondation d’utilité publique, qui témoignât de l’intérêt qu’il porte au bien-être des classes laborieuses, a chargé S. A. I. le prince Napoléon, président de la commission de l’Exposition universelle, de lui présenter une proposition pour cet objet.

De son côté, Son Altesse Impériale, désireuse de connaître l’avis des hommes qu’elle juge les plus capables par leurs études, leur expérience, leur connaissance des besoins et aspirations de la démocratie, de l’éclairer en cette circonstance, a bien voulu nous demander notre opinion.

Après nous être consultés, et avoir mûrement réfléchi, tant sur l’objet de la fondation demandée que sur l’initiative dont elle émane, nous avons cru qu’il ne pouvait en aucune façon convenir à des hommes qui, depuis plus de vingt ans, se sont dévoués à cette grande cause du travail et du prolétariat, qui, à cette heure encore, souffrent pour elle, de la part de tous les partis comme de celle du gouvernement, calomnie et refus de publicité, de se tenir à l’écart, dans une réserve qui serait regardée comme une marque d’impuissance et de mauvais vouloir, qui pourrait même un jour leur être imputée à crime.

S’abstenir sur une question qui peut devenir décisive pour le salut de la Révolution, alors que les ennemis de la Révolution, ceux qui se connaissent et ceux qui ne se connaissent pas, sont d’accord pour l’étouffer, ce n’est plus à nos yeux de la dignité ; ce serait plutôt de la désertion.

Quelque faible espérance que nous dussions avoir de faire agréer nos idées, nous avons donc résolu, sans préoccupation de doctrines ni de parti, et en nous renfermant dans les limites de la question posée, de faire connaître avec simplicité et franchise notre sentiment. Et de même que nous espérons démontrer les résultats immenses de notre projet pour l’avenir de la démocratie ouvrière, nous n’en dissimulerons pas non plus les précieux avantages pour le Pouvoir, quel qu’il soit, qui s’en fera l’initiateur. En sorte que si ce projet était jugé digne, par Son Altesse Impériale, d’être mis sous les yeux de l’Empereur, Sa Majesté n’aurait pour l’écarter qu’une excuse : celle de servir mieux les intérêts populaires, en servant mieux aussi les intérêts du gouvernement.


CHAPITRE PREMIER


OBJET DE L’INSTITUTION


Pour déterminer le caractère de l’institution que l’Empereur demande à réaliser, et que lui-même ignore, nous nous poserons la question suivante :

Quel est l’emploi le plus utile, pour le pays et pour l’État, qu’on puisse faire, après l’exposition qui a lieu en ce moment, du Palais de l’Industrie ?

À quoi, pour peu qu’on veuille y réfléchir, la réponse n’est pas douteuse. Allant du particulier au général, suivant la méthode qui régit toutes les choses d’utilité publique, nous dirons :

Le Palais de l’Industrie ayant été construit en vue de l’Exposition de 1885, il faut, cette cérémonie terminée, s’en emparer pour une exposition permanente.

En autres termes, et pour donner plus de développement à cette idée, il faut d’une exposition passagère, sorte de joute industrielle, entreprise au point de vue théâtral et stérile de la vanité des nations et de l’orgueil des fabricants, faire une Exposition permanente, au point de vue positif, réaliste et pratique de l’échange des produits, de leur circulation pleine et régulière, de leur consommation à juste prix, de la loyauté et de la facilité des transactions¹ de l’augmentation du travail et du salaire, de l’émancipation de l’ouvrier, de l’équilibre des valeurs, de la police des marchés, de la centralisation en même temps que de la liberté du commerce, du crédit industriel et agricole, du progrès de la richesse générale, etc., etc.

Toutes choses qui impliquent un organisme, une administration, une puissance motrice, c’est-à-dire la formation d’une Société, agent et représentant de l’institution nouvelle.

Tel est, en termes généraux, l’emploi rationnel et utilitaire, hautement démocratique, que cherche pour le Palais de l’Industrie l’empereur Napoléon ; — et tel sera l’objet de la Société à qui la concession en sera faite.

À cet égard, nous pouvons dire que nous avons trouvé toutes les opinions d’accord : fabricants, manufacturiers, en un mot producteurs ; commissionnaires et entrepreneurs de transports ; théoriciens et praticiens, utopistes et routiniers, toutes les professions, toutes les intelligences sont sur ce point unanimes, toutes les tendances y convergent : c’est pourquoi nous ne citerons point ici de noms ni d’autorités : le sens commun et l’évidence suffisent.

L’objet de la Société ainsi défini, une question non moins grave se pose, et d’une solution moins facile.

L’Empereur demande une institution d’utilité publique et populaire ; et voici que nous parlons de donner à cette institution, pour moteur, agent, organe, une Société de commerce, c’est-à-dire un être collectif sans doute, et anonyme, mais pourtant personnel. Comment concilier ces deux choses que l’on a vues toujours et partout antagoniques ? N’allons-nous pas tomber dans le défaut de toutes les fondations modernes, que l’intention de l’Empereur est précisément ici d’éviter ?


CHAPITRE II


FORMATION DE LA SOCIÉTÉ


Dans l’ordre économique, — en dehors de la relation de l’État et des services spéciaux qui lui appartiennent, — il y a deux manières de constituer une entreprise d’utilité générale, et il ne peut y en avoir que deux :

La première, la plus connue et la plus ordinairement suivie, celle qui, dans ces dernières années, comme à toutes les époques antérieures, a obtenu presque seule la faveur du pouvoir, consiste à faire don, concession ou amodiation de la partie du domaine public (terres, mines, cours d’eau, routes, industrie, commerce), qu’il s’agit de mettre en valeur, à une compagnie de capitalistes, entrepreneurs déterminés, lesquels se chargent de l’entreprise à leurs risques et périls propres, mais aussi à leur profit exclusif, et en dehors de tout contrôle, sauf quelques réserves de mince importance que le ministre fait, au nom de l’État, dans l’acte de concession.

Dans ce système, ce n’est plus ni l’État ni le Pays qui agissent : c’est un groupe d’intérêts spéciaux, substitués au droit de l’État et du Pays, qu’ils exploitent, comme une clientèle, l’un et l’autre.

C’est ainsi qu’ont eu lieu dans tous les temps, chez toutes les nations, les démembrements du domaine public : à Rome, les terres conquises ; au moyen âge, les fiefs ; sous l’ancienne monarchie, les privilèges d’industrie, embrassant toutes les professions, arts et métiers, maîtrises et jurandes, jusqu’aux charges judiciaires ; plus tard, la Compagnie des Indes occidentales, organisée par Law ; après la Révolution, le privilège de la Banque de France, la législation des mines ; de nos jours, enfin, les concessions de chemins de fer, etc.

Au fond, ce système n’est autre que celui de l’appropriation habituelle. On ne peut pas dire qu’il soit mauvais en soi et absolument répréhensible, puisqu’à moins de décréter la communauté universelle de biens et de gains, et l’exécution de toutes choses par l’État, il est clair que, dans une certaine limite, le domaine d’une nation, territoire, commerce, industrie, science, etc., requiert, pour sa bonne exploitation, le partage, la propriété.

Mais il s’agit de savoir où doit s’arrêter l’appropriation, et si, en dehors de la sphère politique et gouvernementale, dont personne ne songea jamais à approprier les fonctions, il n’est pas certaines parties du domaine national, de l’ordre économique, qu’il est à désirer pour le peuple de ne pas confier à une exploitation égoïste, ayant des intérêts distincts de ceux du pays même ?

À ne consulter d’abord que l’expérience des nations, il appert suffisamment que si les petites industries peuvent être sans danger appropriées, s’il n’y a nul danger pour la liberté du travail, du crédit et de l’échange, à ce que chaque famille de cultivateur possède autant de terre qu’elle en peut cultiver, il n’en est pas de même lorsqu’il est question d’agglomérer, en un petit nombre de mains, un vaste territoire, couvert d’une population nombreuse ; de concéder à un propriétaire unique cinq cents kilomètres carrés de mines ; de livrer à cinq ou six compagnies toute la circulation, financière et mercantile, d’un empire.

En créant de tels privilèges, sous prétexte que les fonctions de l’ordre économique ne sont pas de son ressort, le gouvernement ne fait autre chose que préparer la servitude du pays et la sienne même. Il aliène son initiative, il se dépouille de sa légitime influence, il se fait serf de ses propres créatures ; il s’ôte la liberté d’action, languit, s’abaisse, s’efface, jusqu’au jour où, ayant perdu tout son ressort, indifférent aux privilégiés qu’il a faits, et qui le dominent, à la masse qu’il a trahie et qui le hait, il tombe, comme le fruit attaqué du ver, sans avoir rempli son mandat, sans avoir atteint sa maturité.

C’est ainsi que jusqu’à la Révolution française, l’ancienne monarchie, douée par moment d’une force irrésistible, a été toujours tenue en laisse par les grands feudataires, par l’Église, les corporations, les parlements ; c’est ainsi que Louis-Philippe, esclave de la haute bourgeoisie, est devenu odieux aux masses, et s’est perdu un matin sous leur animadversion commune ; c’est ainsi que déjà, sous un Empire qui compte à’peine trois années d’existence, les puissances restaurées de l’Église, de la finance, de la commandite, ont le crédit et l’autorité de dicter à l’Empereur la politique qu’il doit suivre dans la question d’Orient, et qu’après lui avoir imposé la guerre lointaine, la guerre exclusivement politique et contre-révolutionnaire, l’amitié de l’Autriche et de la Papauté, elles le poussent à l’impopularité et à la ruine.

Certes, le système que nous combattons ici est facile à suivre : la voie est large, tracée de longue main, toute traditionnelle, comme l’on dit, et même providentielle… Il y faut peu de génie, peu de zèle du bien public, peu de souci de soi-même et de sa dynastie. Louis XV disait : Cela durera bien autant que nous ! Mais il arrive parfois que cela dure moins longtemps que Nous, témoin la Restauration et la monarchie de Juillet. Comme tous ceux qui l’ont précédé, le gouvernement du 2 décembre, soumis aux mêmes lois, périra ou se sauvera par les mêmes causes ; nous ajouterons que déjà sa situation est compromise, et que, pour lui, il y a urgence.

Posons donc ce principe de politique élémentaire et d’économie rationnelle : qu’une institution d’utilité publique peut bien faire l’objet d’une attribution ou d’un mandat, jamais d’une appropriation.

On raconte qu’à Rome, dans l’ignorance universelle où l’on était des révolutions célestes, on avait chargé un collège de prêtres de déterminer la fin et le commencement de chaque année. Fonction d’utilité publique, s’il en fut jamais, et qu’on n’eût pas soupçonnée de pouvoir devenir l’objet de spéculations particulières et de prévarications arbitraires, opposées à l’intérêt public. Qu’arriva-t-il cependant ? C’est que les pontifes allongeaient ou raccourcissaient l’année selon les pots-de-vin que leur payaient les fournisseurs de l’État dont les baux duraient un an, ou la faveur des consuls et autres magistrats dont les fonctions se réglaient aussi à l’année. Une chose qui dépendait du soleil était devenue l’objet d’un abominable trafic, jusqu’à ce que Jules César, aidé du mathématicien Sosigène, y eût mis ordre.

Une des plus belles créations de la Révolution française fut la réforme des poids et mesures. Nul doute que si on eût chargé de cette réforme une Compagnie en commandite, elle aurait trouvé le moyen de trafiquer et gagner, non-seulement sur la fabrication des monnaies, des pots, boisseaux et balances, mais sur la délimitation de l’unité primordiale, et jusque sur la mesure du méridien.

Il en sera ainsi du Palais de l’Industrie et de la fondation dont il doit être l’instrument monumental et central, si l’Empereur, suivant la voie battue du favoritisme et de l’appropriation, en fait l’objet d’une concession comme toutes celles qu’il a jusqu’ici décrétées, au lieu de se décider d’après une conception diamétralement opposée et nouvelle.

Ce sera d’abord, comme l’Exposition de 1855, une affaire de curiosité et de mode, moyen de spéculation et d’agiotage ; puis bientôt un organe du monopole contre lequel se roidit la conscience du pays ; un suçoir de plus pour la féodalité parasite et financière qui pèse sur le pays et sur l’État ; un pendant du Crédit mobilier, aujourd’hui condamné de tous les amis du peuple, de la Révolution et de la liberté ; à moins que ce ne soit un analogue du Crédit foncier, des Docks et autres établissements de même nature, que l’autorité impériale a bien pu décréter, mais auxquels elle n’a pu conférer la vitalité ni l’existence. Résumons-nous et concluons :

Puisque, d’un côté, dans une institution de l’ordre économique, l’État ne peut ni ne doit substituer son action à celle du pays ; — que, d’autre part, dans un établissement d’utilité publique, il ne saurait, sans trahir ses intérêts les plus précieux, procéder par voie d’appropriation, individuelle ou collective ; mais qu’au contraire il doit maintenir avec force la propriété universelle, c’est-à-dire la communauté de l’usage et l’égalité du bénéfice ; que néanmoins, pour rendre cet usage possible, la formation d’un organisme spécial, soit d’une Société, est nécessaire ; un seul parti reste à prendre. »

C’est d’appeler à faire partie de la Société nouvelle, sans limitation de nombre ni de délai, tous ceux qui, par leur travail, leurs échanges, leur consommation, les besoins de leur industrie, etc., sont intéressés à l’institution nouvelle ; en autres termes, c’est de prendre pour commanditaires de la Société ceux-là mêmes qui doivent en devenir les clients.

Ainsi constituée sur le droit commun, supérieur à toute idée d’appropriation, ouverte à tout le monde et toujours, et n’excluant aucun, ne demandant pour elle-même ni monopole ni privilège ; ayant la science pour principe et l’égalité pour loi ; profitable à tous, et ne faisant mal à personne, en ce sens du moins que nul ne peut légitimement considérer comme mal fait à sa personne et atteinte à sa propriété, la suppression des abus dont il profite ? aussi favorable à la stabilité de l’État qu’à la paix sociale et à la sécurité des citoyens, la Société de l’Exposition perpétuelle réunit tous les caractères d’une institution véritable, et ne possède aucun des inconvénients des concessions ordinaires.

Ce que la Banque de France devrait être, et n’est pas, pour la circulation banquière ;

Ce que la Société du Crédit foncier devrait être, et n’a pu devenir, pour le crédit foncier et sur hypothèque ;

Ce que le Crédit mobilier, foyer d’accaparement et d’agiotage, devrait être, et n’est pas devenu, pour la commandite industrielle ;

La Société du Palais de l’Industrie le sera à la circulation des produits, à la police du commerce, à l’extension du débouché, à la garantie de la consommation, du travail, du salaire, et, par suite, au crédit agricole et industriel lui-même.

Le mode d’institution économique, ou, pour nous exprimer plus exactement, d’organisation sociétaire que nous préconisons ici, n’est point une conception qui nous soit particulière et personnelle : elle est indiquée par toutes les tendances de l’époque, et par ses manifestations les plus authentiques ; c’est elle qui inspire tous les projets d’association pour le crédit, l’échange, le débouché, que chaque jour et chaque ville voit éclore.

Nous nous bornerons à citer ici :

1. Les associations pour la consommation, telles que la Ménagère, boucheries sociétaires, boulangeries sociétaires, etc. ;

2. Les cités ouvrières, et toutes les Compagnies formées pour la construction de logements d’ouvriers, en Prusse, à Mulhouse, Marseille, Paris, etc., parmi lesquelles nous distinguerons la Société des palais de famille ;

3. Les Sociétés d’échange, dont une multitude existent en France, à Paris, Lyon, Marseille, Nantes, et parmi lesquelles il suffit de rappeler la Réforme monétaire, de M. Mazel, devenue l’Epargne et la Banque foncière, de Mazel et Cie ; — la Banque de compensation ; — le Comptoir d’échange et de commission ; — la Société générale de crédit privé ; — la Monnaie auxiliaire de Desclée et Ce ; — la Banque d’échange de Paris (La Châtre) ; — le Comptoir général d’échange de Lyon ; — l’Union régionale, de C. Dumont, Aug. Jourdan et Cie ; — la Réforme commerciale par l’association de la production et de la consommation, par le docteur de Bonnard ; — la Banque régulatrice des valeurs de Bruxelles ; — le Comptoir d’escompte de Nantes, par M. Oudet ; — la Banque Gallas de Rouen, par MM. Beslay, Hocmelle, Lejeune, etc. ;

4. Les Associations ouvrières, dont plusieurs sont parvenues à vivre et prospèrent, telles que celle des menuisiers en fauteuils et en voitures, des tourneurs, facteurs de pianos, ferblantiers-lampistes, ébénistes, fabricants de limes, boulangers, maçons, fermiers, etc.

Ces exemples suffisent pour démontrer aux esprits les moins clairvoyants, aux consciences les plus timorées et les plus prévenues, que l’Idée a mûri ; que le pouvoir, en prenant en main sa réalisation, ne fera autre chose que répondre à un besoin aussi généralement compris que profondément éprouvé, et qu’en faisant du Palais de l’Industrie le point central autour duquel rayonneront tous les essais particuliers, ceux du moins que leur spécialité empêcherait de venir s’y confondre, il ne fera autre chose que donner le mot d’ordre, l’impulsion et, la direction à tout un système de forces, maintenant éparses, et qui demain s’aggloméreront dans une irrésistible unité, pour peu qu’elles y trouvent la satisfaction du principe qui les a produites : la garantie et la liberté.


CHAPITRE III


FORMATION DU CAPITAL SOCIAL


Le principe de l’institution nouvelle, à savoir l’identité des commanditaires et des clients, une fois admis, avec la ferme volonté de le respecter, toute difficulté, relativement à la formation du capital social, aux opérations de la Société, à son administration, à son extension, etc., disparaît.

Comment, dira-t-on, à une entreprise d’intérêt public, agissant exclusivement pour le compte de cet intérêt et sans arrière-pensée d’égoïsme, intéresser le public, alors qu’il se compose d’individualités que le motif seul du lucre ou de l’intérêt privé détermine ?

Comment trouver à une pareille société des bailleurs de fonds, des actionnaires ?

D’abord le public, celui des producteurs, auquel on prétend surtout s’adresser, a peu ou point d’argent ; s’il en possède, c’est pour s’en servir, non pour le prêter ; il est avare de ses capitaux, il n’aime point à s’en dessaisir.

Puis, il n’est pas dans le cœur humain de placer de l’argent sur des spéculations de cette espèce. L’intérêt de tout le monde n’est celui de personne. On a de l’argent pour son ambition, pour ses passions, pour ses jouissances ; on n’en a pas pour une œuvre de philanthropie. On achète un billet de loterie, des actions de jouissance ; on joue sur les plus mauvaises valeurs, parce que si la chance du succès est petite, le bénéfice, en cas de réussite, est énorme. Mais on n’achète pas, en général, des garanties. Un fabricant, trouvant un beau coup à faire, mettra 100,000 francs à des matières premières ; il ne donnera pas un sou pour s’assurer le débouché. Peu de gens, par un sacrifice médiocre, s’assurent contre le chômage, la surproduction, la banqueroute, la mort !…

Comment donc, encore une fois, triompher ici de cette première difficulté, écueil ordinaire de toutes les commandites : la formation du capital ?

Au chapitre précédent, en traitant de la formation de la Société, nous avons pris comme principe de droit ou base juridique, l’appel des clients de la compagnie à titre de commanditaires.

Partons de là, et posons de nouveau, comme principe d’économie, ou base scientifique, cet aphorisme si connu : Les produits s’échangent contre les produits. Principe incontestable, mais jusqu’à ce jour demeuré stérile aux mains des économistes, qui se sont contentés de le constater, sans essayer d’en faire la moindre application.

Puisque la commandite se compose de producteurs, et que le but de la société est, avant tout, l’écoulement ou la vente des produits, il n’y a nul inconvénient, il y a tout avantage à recevoir les souscriptions, non plus seulement en espèces, mais en nature ; c’est-à-dire, pour une forte partie, soit les neuf dixièmes, en Produits.

Ces produits seront vendus par la compagnie qui, pour cette vente, aura déjà à percevoir une commission ; le produit des ventes, encaissé, sera porté au crédit du compte des actionnaires, qui se trouveront ainsi, presque sans bourse délier, avoir versé le montant de leurs actions.

Les litres d’actions seront de 100 francs et au porteur ;

L’intérêt fixé à 4 p. 100, garanti par l’État, qui, de plus, à titre d’initiateur et pour donner l’impulsion à la Société, fera, pour trois années, l’avance gratuite du Palais de l’Industrie.

Qui ne voit que, dans ces conditions, la prise d’actions devient, pour chaque souscripteur, une véritable vente de ses produits, à trois ou six mois au plus de terme ; puisque, l’intérêt de l’action étant garanti, l’action devient une véritable monnaie, égale aux bons du Trésor et aux billets de banque ?

Dans cette combinaison, en effet, l’action n’est plus une valeur aléatoire, susceptible de hausse et de baisse : c’est un titre de rente qui ne peut perdre que par la destruction du gage, c’est-à-dire par la banqueroute de la Compagnie ou l’incendie de ses magasins : deux hypothèses que la constitution de la Société saura sans doute conjurer.

Mais, bien loin que la valeur de l’action puisse perdre par la destruction du gage, il est évident au contraire que ce gage ne peut que s’accroître par le trafic et les opérations de la Compagnie ; puisque ces opérations, se résolvant toutes en ventes ou échanges, n’ont rien en elles-mêmes d’aléatoire, qu’elles sont aussi sûres, plus sûres même que le trafic des chemins de fer. Non-seulement donc la constitution du capital social, 25, 50, 100 millions, est assurée : mais on peut dire qu’alors même que la Société ne ferait pas d’autres opérations, et qu’elle se bornerait à recevoir des souscriptions d’actions, versables en produits, elle en aurait autant qu’elle en voudrait ; puisque, la perception des actions se réduisant à convertir, par la vente, des marchandises en numéraire, puis à convertir ce numéraire en titres de rentes portant intérêt à 4 p. 100 ; c’est comme si la Banque de France offrait aux industriels de la capitale de leur prendre toutes leurs marchandises à prix débattu, en échange de ses billets de banque, plus l’intérêt à 4 p. 100, que ne produisent pas aujourd’hui lesdits billets.

Ici, nous ne doutons pas que l’on ne se demande : Comment une idée si simple n’a-t-elle jamais été réalisée ?

Et nous répondrons : Par une raison encore plus simple : c’est que pour former une pareille commandite et déterminer le versement des actions, marchandises ou produits, il fallait un concours de volontés qui, dans l’état actuel de la Société, ne peut avoir lieu qu’à l’appel et sous la garantie de l’État, et que l’État, dans ses préoccupations aristocratiques et ses préjugés traditionnels, l’État, plus soucieux de la fortune des privilégiés que du bien du pays et de l’utilité publique, ne pouvait concevoir une pareille idée.

Or, bien que le système de formation du capital que nous proposons pour la Société du Palais de l’Industrie soit depuis plusieurs années entré dans le domaine public ; bien que nous le retrouvions dans presque toutes les Sociétés d’échange dont nous avons précédemment parlé ; bien qu’il ait reçu de la polémique des derniers temps un certain éclat, et qu’on le retrouve jusque dans la pratique des établissements qui semblent le moins l’admettre, tels que le Crédit mobilier, le Comptoir national et la Banque de France ; en fait, cependant, il n’a jamais été réalisé dans sa simplicité puissante, et nous doutons qu’en dehors de l’initiative de l’État, la force de l’opinion suffise, de longtemps encore, à lui donner cette réalisation.


CHAPITRE IV


OPÉRATIONS DE LA SOCIÉTÉ


Nous venons de montrer comment, indépendamment de l’objet de l’institution et des opérations de la Société, les producteurs auraient le plus grand intérêt à prendre des actions payables en nature ; comment, par conséquent, la formation du capital social était assurée.

Il s’agit de voir à présent si les opérations de la Compagnie seront de nature à détourner les souscripteurs ; si, au contraire, elles ne leur fourniront pas de nouveaux et énergiques motifs de souscrire.

Nous réduisons les opérations de la Société à neuf principales :

1o Vente des produits, soit qu’ils aient été versés en paiement des souscriptions d’actions, soit qu’ils aient été consignés pour la vente par les producteurs ;

2o Emission d’un papier social ;

3o Escompte des marchandises expertisées ;

4o Escompte des effets de commerce à deux signatures ;

5o Avances et prêts de produits sur produits ;

6o Avances et prêts de produits sur hypothèques ;

7o Tarif et réglementation du change ;

8o Création de succursales ;

9o Publication, au moins hebdomadaire, des opérations de la Société, et revue économique de l’agriculture, du commerce et de l’industrie.

Nous allons passer rapidement en revue ces diverses opérations, en déterminer les conditions et le caractère. § 1er. — Vente des marchandises.

La Société, n’étant qu’un établissement de commission, d’échange et de crédit, simple intermédiaire entre les producteurs et les consommateurs, s’interdit toute espèce de trafic et d’industrie pour son propre compte. À la différence des commerçants, qui, à l’aide de leurs capitaux, s’emparent de la marchandise, en deviennent acquéreurs et propriétaires pour la revendre ensuite ; jouant à la hausse quand ils achètent, à la baisse quand ils vendent ; la Société n’est ni ne peut jamais être, directement ou indirectement, propriétaire des produits. Elle agit toujours pour le compte d’autrui ; elle ne se permet aucune manipulation, mélange ou transformation de la marchandise ; elle la livre comme elle l’a reçue, sous la responsabilité du producteur, au prix indiqué par lui-même, et sous la garantie par lui exprimée de quantité, qualité et poids.

En conséquence, toutes marchandises, matières premières ou ouvrées, produits agricoles ou industriels, envoyés à la Société, devront porter :

Le nom du producteur ;

Le nom du lieu de production ;

La désignation de la quantité, dimension et poids ;

La désignation de la qualité ;

Enfin, le prix.

À leur arrivée, les marchandises seront expertisées ; un procès-verbal constatera si elles sont ou non conformes à la déclaration.

Indépendamment du prix indiqué par le propriétaire, estimation approximative sera faite du produit ; elle aura pour but d’en reconnaître la valeur intrinsèque, c’est-à-dire le prix certain qu’on pourrait en obtenir dans les circonstances même les plus défavorables. — Nous verrons plus bas l’utilité de cette estimation. Des échantillons seront prélevés sur les produits, exposés, avec copie du procès-verbal, au Palais de l’Industrie, à l’examen des acquéreurs.

L’original du procès-verbal de reconnaissance et d’estimation sera remis au bureau de la Compagnie, qui en donnera aussitôt avis à l’expéditeur, en même temps qu’elle lui ouvrira un crédit pour une somme égale au montant de l’estimation.

Les marchandises ainsi reçues en bon état de conditionnement, expertisées et estimées par la Société, seront ensuite emmagasinées et classées par catégories, genres, espèces et variétés, de manière que le consommateur ait sous les yeux, pour chaque objet, l’ensemble de la production sociale ; qu’il puisse d’un coup d’œil juger des différences de qualité et de prix, et s’approvisionner, à son choix, aux meilleures conditions et avec toute la sécurité désirable.

De son côté, la Société, par les avis incessamment renouvelés de sa Feuille d’annonces, par les articles de sa Revue, par l’exposition de ses types et échantillons, par sa correspondance, en un mot, par tous les moyens à sa disposition, provoquera la vente et l’écoulement des produits, et travaillera incessamment à se créer de nouveaux débouchés.

Il sera publié un tarif indiquant, pour chaque espèce de marchandises et produits :

a) Le droit d’exposition des types et échantillons au Palais de l’Industrie ;

b) Les frais de magasinage ;

c) La commission à percevoir par la Société sur les ventes et échanges.

Les frais de garde, magasinage, exposition, seront cotés, autant que possible, au prix de revient des immeubles et services de la Société ; — quant à la commission, elle ne devra jamais, dans aucun cas, dépasser 2 1/2 p. 100.

La Société, ayant pour actionnaires ses propres clients, n’a pas de bénéfices à réaliser sur eux ; par contre, elle a un immense avantage à réduire sans cesse les frais et faux frais de toute nature, qui, dans le commerce ordinaire, grèvent la marchandise, et élèvent souvent hors de toute proportion le prix des produits.

On peut juger de la faveur qu’obtiendra, à l’intérieur et au dehors, l’entremise de la Société, quand on sait que les commissions perçues par les courtiers et commissionnaires de vente et d’achat s’élèvent fréquemment à 10, 12, 15, 20 et 25 p. 100, c’est-à-dire au cinquième et au quart du prix des ventes. Le sieur Bonnard, de Marseille, dont le comptoir, établi à Paris, a acquis en quelques mois une vogue extraordinaire, — si toutefois on doit s’en rapporter aux jactances d’un homme connu par ses hâbleries autant que par son ignorance et ses plagiats, — Bonnard, disons-nous, prend jusqu’à 33 et 50 p. 100 de commission. Sa maxime est que, même en faisant vendre le produit au prix de revient, il lui rend service, et que toute commission, si élevée qu’elle soit, est légitime.

§ 2. — Émission du papier de la Société.

La Société fait tout à la fois la commission et la banque.

En couverture des marchandises qui lui sont remises en consignation ou dont elle opère la vente, des effets de commerce qui lui sont présentés à l’escompte, la Société, outre le numéraire dont elle dispose, émet des Bons généraux d’échange, représentatifs de valeurs par elle emmagasinées, réalisées, en portefeuille ou en caisse, et donnant droit à une valeur égale en marchandises, à prendre dans ses magasins au choix du porteur.

Ces bons généraux, à la coupure de 10, 20, 50 et 100 fr., seront la monnaie courante de la Société et reçus par elle en tous paiements de marchandises et remboursements de billets. Tous les comptes de la Société seront balancés, et ses écritures tenues dans cette monnaie, qui deviendra pour elle insensiblement l’unité de valeur, et représentera le pair du change.

Comme ils auront cours entre les adhérents, correspondants, chalands, etc., de la Société, leur circulation s’étendra naturellement au dehors. Ils seront, en conséquence, remboursables à toute réquisition, en espèces comme en marchandises, aux conditions qui seront déterminées ci-après :

Ces Bons généraux étant, d’après le principe de leur émission, représentatifs de produits, non d’espèces, la Société a le droit de les émettre et de les faire circuler comme bon lui semble ; il ne saurait y avoir de difficulté au point de vue légal que pour le remboursement en espèces. — La Banque de France ayant seule le privilège d’émettre des billets payables à vue au porteur, peut-être y aura-t-il lieu pour la Société de l’Exposition de ne payer les siens qu’à un ou plusieurs jours de vue ; ce qui, une fois compris du public et passé dans les habitudes, ne causera aucun embarras.

Le papier circulable de la Société, maintenu par elle toujours au pair, grâce à la faculté de remboursement, à toute réquisition, en espèces ou marchandises de la Société, deviendra le grand levier de ses opérations et l’instrument irrésistible de sa puissance. Sans égal dans le monde pour la fixité comme pour la solidité, c’est par lui surtout que la Société commencera cette révolution pacifique dans les habitudes du commerce, les rapports du travail et du capital, l’équilibre de la production et de la consommation, la garantie du travail et du débouché, etc., qui est l’idéal des économistes, le gage du bien-être des masses, de la supériorité morale, politique et économique de la nation, et de la gloire de l’Empire. § 3. — Escompte des marchandises.

Sur la demande des déposants, et d’après l’estimation qui aura été faite des produits, la Société pourra en faire immédiatement l’escompte, soit en ses billets, soit en espèces, aux conditions ci-après :

Le consignataire souscrira envers la Société une promesse de rembourser à terme fixe les avances à lui faites, soit en produits de son industrie, soit en billets de la Société, soit enfin en espèces.

Plus simplement, l’escompte qui lui aura été accordé des marchandises par lui remises à la Société en dépôt et consignation, impliquera de sa part cette promesse de remboursement.

Si le déposant se contente de billets de la Société, il n’aura à supporter qu’une commission d’escompte, dont le maximum est fixé provisoirement à 1/2 p. 100.

S’il demande de l’argent, la Société en remettra : dans ce cas, le déposant aura à subir, en sus de la commission ci-dessus, un intérêt de 4 p. 100.

Si, ce qui est peu probable, la Société avait épuisé son encaisse, tant celui provenant de son fonds social que celui obtenu par la vente au comptant, elle se procurerait alors, au moyen de l’obligation souscrite par le déposant et revêtue de son endos, du numéraire à la Banque de France ; dans ce cas aussi, le déposant aurait à payer l’intérêt exigé par la Banque.

La raison de cette différence de prix de l’escompte, selon qu’il a lieu en espèces ou en billets de la Société, est facile à saisir.

La Société, intermédiaire entre le producteur et le consommateur, ne paye aucun intérêt pour les marchandises ; et produits qu’elle reçoit en consignation, puisque, au contraire, elle perçoit elle-même, pour cette consignation et pour la vente, une taxe de magasinage, commission, etc. Les produits, s’échangeant les uns contre les autres, ne se doivent pas non plus d’intérêt, puisque l’intérêt, devant être réciproque, s’annule.

Or, le papier de la Société est le signe et l’instrument de cet échange : il ne doit donc être l’objet d’aucun intérêt, mais tout au plus d’une commission.

Il n’en est pas de même du numéraire. La Société, soit qu’elle le prenne dans son fonds social, soit qu’elle se le procure à la Banque de France, doit en payer l’intérêt, dans le premier cas à ses actionnaires, dans le second à la Banque. L’escompté devra donc subir à son tour ce même intérêt.

C’est aux adhérents, déposants, chalands de la Société, à mesure que les opérations de celle-ci prendront du développement, et que ses bons généraux se répandront dans la circulation générale, à voir lequel leur est le plus avantageux, d’escompter leurs produits, d’opérer leurs achats, etc., sans intérêt de banque, ou de payer un intérêt. La Société leur offre l’option, et tout son effort sera de faire que cette option ne soit pas une vaine chimère.

5 4. — Escompte des effets de commerce.

La Société, ainsi qu’il a été dit, faisant la banque, escompte les lettres de change à deux signatures.

Pour cet escompte, comme pour celui des marchandises, elle offre, soit des produits à choisir dans ses magasins, c’est-à-dire des bons généraux, ou billets, soit des espèces.

Si le porteur des lettres de change prend des billets de la Société, il n’a, comme tout à l’heure, à payer qu’une commission.

S’il veut de l’argent, la Société, soit qu’elle en fournisse de sa propre caisse, soit qu’elle porte les lettres de change à la Banque de France, perçoit, en sus de sa commission, un intérêt. L’opération étant la même que tout à l’heure, les conditions sont aussi les mêmes.

De là une autre conséquence, qu’il importe de ne pas omettre.

Le papier de la Société, a-t-il été dit, est remboursable contre espèces à toute réquisition.

Rien de plus juste : en cela la Société remplit le devoir de toute véritable banque.

Mais, tandis que la Banque de France, par exemple, au moment où elle fait l’escompte des valeurs qui lui sont présentées, retient l’intérêt de la somme qu’elle remet en ses billets, et par conséquent doit faire à toute réquisition le remboursement de ses billets au pair, la Société de l’Exposition, qui, en faisant l’escompte en son propre papier, n’a perçu qu’une commission, ne peut plus faire le remboursement de ce papier aux mêmes conditions que la Banque de France ; elle doit retenir un intérêt.

L’intérêt à percevoir par la Société, dans ce cas, sera calculé d’après la moyenne des échéances des lettres de change qui lui sont offertes, et du magasinage des produits.

§ 5. — Avances et prêts de produits sur produits.

L’échange des produits les uns contre les autres, dans une nation, prend une variété infinie de formes. Nous venons de rendre compte des ventes et achats, escomptes de marchandises et de lettres de change, auxquelles pourvoit la Société.

Elle aura encore d’autres moyens d’écoulement.

Ainsi, elle fera des avances de produits sur consignation de produits ; elle livrera, par exemple, des matières premières à un producteur, en échange de produits manufacturés, dûment expertisés et estimés, et vice versa.

Par ce genre d’opérations, la Société nouvelle réalise un vœu, resté jusqu’ici à l’état de spéculation pure, mais qui n’a jamais pu se réaliser dans la pratique : elle met le crédit à la portée de tout le monde, même des simples ouvriers, qui, chaque jour, pourront apporter le fruit de leur travail, exposer leurs inventions et leurs chefs-d’œuvre, et emporter en échange la matière première nécessaire à leur travail du lendemain.

Pour bien se rendre compte de la nature de cette opération, dont l’importance égale la délicatesse, il faut se rappeler dans quelles limites agit la Société.

La Société de l’Exposition perpétuelle, avons-nous dit, est un établissement de commission ; à ce titre, elle s’interdit toute espèce de trafic et d’industrie pour son propre compte ; elle n’est qu’un intermédiaire.

D’après ce principe, elle s’interdit la commandite : puisque, en commanditant une industrie quelconque, elle prendrait, de fait, parti pour un de ses actionnaires adhérents contre tous les autres ; elle se créerait un intérêt particulier, en dehors de l’intérêt public qu’elle représente.

Sous ce rapport, elle ne peut donc ni ne doit se faire agent, instigatrice d’aucune entreprise, d’aucune société ouvrière ; prendre parti pour une classe de la société contre l’autre ; attiser la guerre sociale, que son but est d’éteindre. Elle ne peut s’arroger une initiative qui n’est point dans sa nature : elle sortirait de ses attributions et de son caractère, et mériterait l’animadversion du pays et du gouvernement. Une société comme celle qu’il s’agit de fonder, qui, dans l’état actuel des choses, se livrerait à de pareilles manœuvres, devrait être immédiatement dissoute : elle serait une peste pour le pays et pour l’État.

Mais autant la Société doit se tenir en dehors de l’action industrielle et de la lutte des producteurs, autant il lui appartient de soutenir cette lutte, de la régler, de l’organiser, si l’on peut ainsi dire, d’en assurer la loyauté et la fécondité. La Société est ici juge du camp : si elle n’entre pas dans l’arène, elle soutient, elle protège les combattants ; elle veille à ce que tout se passe selon les lois de la justice et de l’honneur chevaleresque.

Au Crédit mobilier, par exemple, la commandite industrielle ;

Au ministère de l’Instruction publique de préparer, par l’éducation et les écoles de toutes spécialité et degré, l’émancipation du prolétariat.

Ce qui appartient à la Société de l’Exposition, c’est de pourvoir, par les facilités plus grandes et de moins en moins onéreuses de la circulation et de l’échange, au bas prix des produits, à leur amélioration ; partant à l’excitation de la concurrence, au développement du génie industriel ; finalement à l’augmentation du travail, du salaire et du bien-être.

Qu’elle facilite donc, tant qu’elle pourra, par ses avances de produits contre produits, de matières premières contre produits, de produits contre matières premières, le travail à l’ouvrier ; qu’elle aiguise son génie ; qu’elle encourage ses efforts ; qu’elle fasse valoir ses essais ; qu’elle organise même chaque année des concours ; qu’elle rassemble des comices ; qu’il y ait des distributions de médailles, de petites primes, des mentions honorables, etc. : toutes ces choses peuvent entrer dans les attributions de Ja Société.

Elles lui conviennent d’autant mieux, qu’après tout la Société, jugeant, non d’après l’opinion de ses administrateurs et experts, mais d’après le suffrage public, constaté par ses écritures, par l’importance des demandes et le chiffre des ventes, est ici l’organe de l’opinion du pays, et, pour ainsi dire, la voix la plus authentiquement exprimée du suffrage universel.

§ 6. — Avances et prêts de produits sur hypothèque.

De même que la Société de l’Exposition perpétuelle ne fait nulle concurrence à la Société de Crédit mobilier, dont l’attribution propre est la commandite, elle ne se propose pas davantage de rivaliser avec la Société de Crédit foncier, qui d’ailleurs n’existe pas.

Qu’entendons-nous par avances et prêts de produits sur hypothèque ?

Tantôt la Société prêtera à un agriculteur des outils, des semences, des objets de consommation, des bestiaux au besoin, dont la valeur sera hypothéquée sur le sol, et de préférence sur les récoltes. — Elle fera de même pour le manufacturier : on comprend au surplus que l’avance ou prestation de produits à long terme sur hypothèques ne viendra qu’en dernier lieu, après qu’on aura épuisé les avances sur consignation de produits et à terme court.

L’importance de ces opérations, lorsqu’il sera permis à la Société de s’y livrer, est incalculable.

C’est un fait que le travail général a puissance de produire plus qu’il ne consomme, surtout dans l’industrie et les arts. Il y aura donc toujours dans les entrepôts des quantités considérables de produits en excédant, qui, ne pouvant s’échanger contre d’autres produits ou se placer à court terme, devront chercher leur écoulement au moyen du placement à long terme, et sur hypothèque.

Dans cette situation, il est évident que le preneur sur hypothèque rend au consignataire surchargé un service égal à celui qu’il en reçoit ; leurs positions respectives sont identiques à celle des échangistes au comptant. Le placement pourra donc se faire aussi, comme l’échange immédiat, sans intérêt, sous la garantie de la Société, et moyennant la simple commission qui lui appartient.

Ainsi la Société de l’Exposition perpétuelle, qui ne semble faite, au premier abord, que pour l’échange des produits manufacturés et des objets de consommation, touche aux intérêts les plus intimes de l’agriculture ; elle devient l’intermédiaire précieux, tout-puissant, entre la population rurale et la population industrielle. On s’est ingénié à cette institution du Crédit foncier ; on a fait les combinaisons les plus savantes pour l’intérêt, l’annuité, l’émission des obligations ; pour cette création avortée, on a réformé la loi des hypothèques ; on a multiplié les encouragements, les excitations, les privilèges, et le résultat de ce long et solennel effort a été néant.

Sans afficher des prétentions aussi hautes, sans y mettre tant de mystère, la Société de l’Exposition perpétuelle pourra subvenir un jour pour une part considérable aux besoins de l’agriculture, avec profit pour elle, profit pour ses commettants, et sans exiger du laboureur aucune rétribution !…

Cette conception nouvelle du prêt sur hypothèque implique naturellement que le montant des avances faites d’après ce mode sera proportionnel aux existences de produits en excédant. Si l’excédant est faible, les prestations sur hypothèques seront peu considérables ; si les excédants augmentent, les prestations augmenteront aussi : et qui sait si, après tout, ce mode de placement ne deviendra pas lui-même un objet de spéculation pour les cosignataires ?…

§ 7. — Tarif du change.

« Tous les objets mis à la disposition de la Société, l’or et l’argent y compris, et en général tous les articles de son bilan, seront gouvernés par un tarif du change toujours variable. La Société ne pourra bénéficier sur ce tarif, lequel a pour but unique d’assurer l’équilibre des valeurs.

« En conséquence, toute hausse du change d’un article sera balancée par une baisse équivalente du change d’un ou plusieurs autres articles, en ayant égard aux sommes totales existantes, sauf tolérance d’un dixième des variations en plus ou en moins. Les différences temporaires de la balance seront portées à un compte spécial de balance, qui devra finalement se solder d’une période à une autre.

« Les changements dans le tarif du change concernant les proportions fondamentales, seront approuvés par une commission du change, composée de trois membres annuellement élus par l’Assemblée générale. »

Quelques explications sont ici nécessaires.

Dans les commencements, et pendant un assez long temps encore, la Société se bornera à faire la vente et l’échange des produits, de la manière qui a été plus haut indiquée §§ 1, 3 et 5, c’est-à-dire aux prix fixés par les producteurs, et renouvelés par eux à des époques plus ou moins rapprochées.

Il est clair que, dans ces conditions, les variations des valeurs ne regardent aucunement la Société ; elles sont au risque comme à l’avantage des seuls déposants. S’il y a une hausse sur la marchandise, le producteur qui a fait la consignation en profite et gagne ; si la baisse se manifeste, au contraire, une perte, ou tout au moins une diminution de bénéfice, s’inscrit pour lui.

Tel est, nous le répétons, le point de départ des opérations de la Société.

Mais cet état de choses ne peut durer toujours. Par l’objet de son institution, par son esprit et sa nature, la Société est régulatrice du marché : elle pousse à la stabilité des prix, à la constance de la mercuriale. Par son action incessante, l’écart des prix en maximum et minimum tend à s’amoindrir toujours davantage et à devenir, sans pouvoir néanmoins jamais y arriver, zéro.

Toute institution, ayant pour loi de se conformer à la loi des choses, de suivre le mouvement naturel des phénomènes et des idées, a le devoir, ce mouvement une fois reconnu, de le régulariser et faciliter : la Société de l’Exposition devra donc, après un certain temps d’expérience, prendre en main la direction des valeurs et de leurs oscillations.

À cet effet, elle procède en général de la manière suivante :

Au lieu de recourir simplement, comme il a été dit plus haut, aux indications arbitraires des déposants, elle traite avec eux, sous forme de marchés à livrer à époques échelonnées, de produits portant indication précise du prix, des quantités et qualités, livrables à la Société ou aux porteurs de ses ordres, contre des sommes déterminées en billets de la Société ou en valeurs sociales.

Par ces traités, dont les conditions ont été arbitrées contradictoirement entre les producteurs déposants et le jury d’estimation, lesdits producteurs se trouvent assurés contre la hausse et la baisse, qui, dès ce moment, deviennent sans intérêt. C’est la Société seule que cette hausse et cette baisse désormais concernent.

Mais, ainsi qu’il a été dit § 1er, la Société ne se livre pour son compte à aucun trafic ; elle ne peut devenir acquéreur et propriétaire des produits ; conséquemment elle ne spécule point, à la manière des gens de bourse et courtiers de commerce, sur la hausse et sur la baisse ; l’agiotage, l’accaparement lui sont interdits. Son salaire à elle, la source de son revenu et de ses bénéfices, est dans sa commission son escompte, ses menus droits de magasinage et dépôt. Si donc elle s’empare du mouvement, si elle tend, par tous ses efforts, non pas à se rendre maîtresse absolue des cours, ce qui est impossible, mais à les diriger ; ce n’est point en vue d’un lucre : c’est uniquement afin de les modérer l’un par l’autre, d’en faire la compensation perpétuelle et quotidienne.

Si donc la demande se porte avec vivacité sur un produit, pendant qu’il y a délaissement d’un ou plusieurs autres, la Société élève de x p. 100 le prix du premier, et baisse en même temps d’une quantité x, égale à la précédente, le prix des autres, de façon que la compensation soit, autant que possible, exacte. C’est à cause de la difficulté d’obtenir cette exactitude mathématique qu’il est accordé une tolérance qui, se compensant elle-même d’une période à l’autre, ne peut jamais affecter l’avoir de la Société.

Supposons, par exemple, que l’or, ainsi qu’il arrive en ce moment, soit en baisse, c’est-à-dire plus offert, tandis que l’argent est en hausse ou plus demandé : la Société, ayant à faire l’escompte de ses valeurs en ses propres billets, donnera 100 francs de sa monnaie contre 105 francs d’or = 100 francs d’argent, ou, pour parler plus juste, contre un poids d’or supérieur d’un vingtième à celui de cinq pièces de 20 francs, et un poids d’argent inférieur d’un vingtième aussi à celui de vingt pièces de 5 francs, soit dix-neuf.

Par cette compensation, la Société n’a fait aucun bénéfice ; elle n’a fait autre chose qu’intervenir, avec la monnaie qui lui est propre, pour rétablir l’équilibre, et c’est juste le contraire de ce que pratique la Banque de France, qui, maîtresse de payer ses billets en or ou en argent, les deux métaux étant reçus comme monnaie légale, donne de l’or si l’or est en baisse, ou paie en argent si l’argent est plus offert et moins demandé : de sorte que, dans l’un et l’autre cas, elle réalise un bénéfice. Par où l’on voit la différence qu’il y a entre une institution de privilège et une institution d’utilité publique : la première exploite le public, la seconde le sert.

Ce que nous venons de dire pour l’or et l’argent a lieu pour tous les produits, matières premières, substances alimentaires : quelles que soient pour tous l’offre et la demande, deux puissances qu’il n’est donné à personne de prévenir ou d’empêcher, la Société, par son tarif du changé, en annule les oscillations en compensant à chaque instant la hausse par la baisse, et vice versa.

Ainsi, la Société suivant l’offre et la demande dans toutes leurs évolutions, sans les quitter d’un pas, s’attachant à elles comme l’ombre au corps, il en résulte que la hausse et la baisse du change déterminé par le tarif tend à remplacer la hausse et la baisse des produits.

Des conséquences inappréciables et d’une portée immense résultent de là. Il s’ensuit, par exemple :

1° Que tous les produits sont pour ainsi dire monétisés, doués au plus haut degré de la faculté circulatoire. Toute la différence entre eux étant indiquée par le tarif du change, comme nous venons de le dire pour l’or et pour l’argent ; en payant la différence ou recevant la bonification, le producteur peut payer tout ce qu’il doit, soit sur place, soit au dehors, avec son produit, ou, ce qui revient au même, avec un autre produit en échange du sien. Par exemple, le marchand de charbon de Paris qui doit à Mons ou Sarrebruck une somme de 1,000 francs, et qui ne peut pas naturellement envoyer à son fournisseur du charbon, se procurera du blé ou tout autre produit ayant cours sur la place où il doit payer, comme le négociant de Lyon ou de Paris se procure du Londresou du Hambourg, c’est-à-dire des lettres de change sur ces deux places, pour payer et pour effectuer les paiements qu’il doit y faire.

2° Il s’ensuit, en second lieu, que toute manœuvre d’accaparement, d’agiotage, de monopole, est rendue impossible, étranglée à sa naissance, étouffée dans son germe. Comment pourrait-elle avoir lieu ? Le producteur a plus d’avantage à traiter avec la Société d’une façon régulière qu’à s’abandonner aux hasards de l’offre et de la demande et à se livrer aux spéculateurs ; d’autre part, en face de la Société, qui spécule pour réaliser l’égalité des prix par la compensation des valeurs, sans bénéfice pour elle-même, comment ceux-ci oseraient-ils faire la moindre tentative ?

3° Une autre conséquence, non moins grave, et pour la science économique du plus haut intérêt, est la solution du problème de la monnaie, inutilement cherchée jusqu’à ce jour, et que M. Chevalier, après les plus persévérants et les plus inutiles efforts, a abandonnée, au désespoir des économistes.

Le prix de tout produit, a dit A. Smith, est déterminé en dernière analyse par la quantité et la qualité du travail qu’il coûte ou qu’il est censé coûter.

La journée de travail, non pas quelconque, mais moyenne entre tous les travaux et services possibles : telle est donc, en réalité, l’unité fondamentale de toutes les valeurs.

La même pensée a été exprimée en autres termes par cet aphorisme attribué aux Anglais : Le temps est argent ; et par cet adage d’un philosophe moderne : Le temps est l’étoffe dont la vie est faite.

Mais comment découvrir cette journée théorique, moyenne journée de tous les travailleurs du globe, dans l’ordre de la science, de l’art, de la politique, comme de l’agriculture et de l’industrie ?

Comment la constater, la reconnaître, si elle-même, ce qui est indubitable, est, d’un siècle à l’autre, d’une génération à l’autre, variable ?

L’impossibilité apparente d’une semblable détermination a fait abandonner, nier même le principe de A. Smith : chose aussi raisonnable que le serait la conduite d’un géomètre qui, ne pouvant résoudre un problème, prendrait le parti de nier ses axiomes. La pratique, malgré les constatations de la science et les perturbations du commerce, en est restée au point où l’a portée la Convention, dans son système de poids et mesures : après avoir déterminé, d’après les dimensions du globe, l’unité de poids, on s’est servi de cette unité, appliquée aux métaux précieux, pour déterminer l’unité de valeurs, comme si, entre le méridien et l’action industrielle de l’homme, il pouvait y avoir une commune mesure !

Aujourd’hui l’erreur est devenue si considérable qu’elle frappe tous les yeux : les transactions en sont faussées ; le producteur en pâtit ; l’ouvrier surtout en est victime. Quant à la Banque et aux autres soi-disant institutions de crédit, elles profitent de l’anomalie pour réaliser de gros bénéfices par un agio énorme.

Pour dire toute la vérité, le franc de la Convention n’est pas le Franc véritable ; c’est une fausse mesure, une fausse monnaie.

Eh bien ! ce franc authentique, prétendu introuvable, nous l’avons trouvé sans effort et, pour ainsi dire, sans l’avoir cherché. Cette monnaie naturelle et légale, nous la possédons dans le bon général de la Société, et nous pouvvons dire d’elle comme le roi Inachus de sa fille Io : Tu non inventa, reposta es.

Par le tarif du change, à l’arbitrage duquel ni l’or, ni l’argent, ni le platine, ni aucun métal, produit, ou service déterminé de quantité, qualité, poids, durée, etc., ne peut se soustraire ; — tandis que le billet de la Société ou bon général d’échange est représentatif du Pair, c’est-à-dire de l’unité idéale dont on est forcé d’admettre que toute valeur échangeable se compose ; — par l’action de ce tarif, disons-nous, il est évident que ce papier social, gagé sur l’or, l’argent, les produits, les lettres de change, le travail des producteurs, le sol cultivable, les instruments de travail et les maisons, ce papier qui, dans le principe, semblait n’être, comme le billet de la Banque de France, qu’une représentation du numéraire, est devenu la représentation de toutes les valeurs possibles ; et puisqu’il s’énonce en francs, il est évident encore que ce franc, exprimé par le billet de la Société, n’est plus le franc de la Convention, soit 5 grammes d’argent à 9/10es de fin, ou une quantité proportionnelle d’or : c’est le franc de la nature et de l’humanité, le franc de la science que Adam Smith avait entrevu dans la journée de travail.

En effet, puisque le bon général d’échange est représentatif de toutes les valeurs produites ; que ces valeurs ont toutes pour origine et détermination primordiale la quantité de travail qu’elles ont coûté ; que, comparées entre elles, elles supposent une moyenne autour de laquelle chacune oscille et pivote dans une ellipse plus ou moins allongée, comme les planètes et les comètes autour du soleil : il s’ensuit que le bon d’échange, valeur type ou étalon de la Société, n’est autre chose que l’expression de cette unité, ou d’un multiple de cette unité, ou d’une fraction de cette unité, que nous avons appelé la journée moyenne de travail.

Supposons, pour un moment, que cette journée moyenne réponde à une quantité de 25 grammes d’argent à 9/10e de fin, soit une pièce de cent sous : nous dirons que l’ouvrier qui gagne 5 francs par jour gagne une journée ; que celui qui gagne 2 fr. 50 c, 3 francs, 4 francs, gagne 1/2, 3/5, 4/5 de journée ; que celui dont le salaire s’élève à 10 ou 15 francs, gagne une journée double ou triple de la moyenne.

Et voyez maintenant les conséquences : si le salaire des ouvriers s’exprime en francs de la Société, non plus en francs métalliques de la Convention ou de la routine, le prix des objets de consommation peut osciller et danser tant qu’il voudra : l’ouvrier ne supportera jamais que sa juste part de la baisse comme de renchérissement. Est-ce que la journée moyenne de travail ne reste pas la base de toutes les évaluations ? Est-ce que le billet de la Société n’exprime pas cette journée moyenne, quelle qu’elle soit ? Que cette moyenne varie donc tant qu’elle voudra, comparativement à elle-même, elle n’en reste pas moins, relativement aux valeurs produites dont elle est la base, l’unité fixe, idéale, absolue. Tandis que nous voyons l’ouvrier qui, depuis un demi-siècle, reçoit un salaire moyen de 4 francs, appauvri de 25 p. 100 par l’effet de la hausse des autres produits et du stationnement, voire même de la baisse des métaux ; ce même ouvrier, si son salaire eût été exprimé en francs théoriques de la Société, aurait bénéficié de toutes les améliorations industrielles ; avec le même salaire, son bien-être se serait accru de toute la quantité dont il a été diminué, 25 p. 100.

Nous terminons ici ces éclaircissements, qui demanderaient un traité spécial. Bornons-nous à dire que c’est par cette monétisation générale des produits, par cette haute police exercée sur toutes les valeurs, conséquence nécessaire de l’organisation de l’échange telle que nous l’avons précédemment exposée, que la France prendra le pas sur toutes les nations et deviendra pour jamais le porte-drapeau de l’humanité civilisée. § 8. — Création de succursales.

La Société de l’Exposition perpétuelle est destinée à centraliser toute la circulation commerciale. Elle n’existerait qu’à demi ; elle, manquerait à sa mission, elle péricliterait et tomberait à la fin, si, par une inconséquence sans excuse, elle agissait autrement.

Que serait son papier fiduciaire, si l’usage devait s’en renfermer dans le rayon kilométrique de la capitale, tout au plus dans les limites du département de la Seine ? À quoi bon ce levier, d’un bras si long, capable à lui seul de déplacer le monde, s’il devait se borner à des économies de transport et d’usure du numéraire, d’un quartier de Paris à l’autre ; tout au plus à des balances de comptes et des virements ?

Comment ensuite, sans cette plénitude d’action que donne seule la généralité, mettre en rapport, en communication permanente, les producteurs des diverses régions du territoire ? Comment provoquer, effectuer leurs échanges ? Comment opérer le placement des produits et matières premières en excédant, soit sur autres produits et matières premières, soit sur hypothèque ?

Comment enfin arriver à l’équilibre des valeurs, ce but suprême, idéal de l’économie publique ?

Être ou n’être pas, c’est-à-dire embrasser la surface entière du pays ou rester dans le néant, telle est pour la nouvelle institution l’alternative.

Et il faut ajouter qu’il lui sera incomparablement plus aisé d’être le tout que de rester la partie : il suffit d’avoir la moindre idée de la circulation et de l’échange, d’en connaître les conditions et les exigences, pour s’en convaincre. Eh quoi ! le moindre fabricant parisien, le plus petit banquier de province a des relations dans chaque chef-lieu, dans chaque capitale ; il est, en puissance, la banque centrale du globe ; il perdrait si on lui interdisait la moindre partie de la terre habitable. Et une Société dont la nature, est d’être unique, qui a pour but de changer la routine mercantile et de régénérer la constitution économique de la société, hésiterait à suivre son développement légitime, naturel, nécessaire !

Non, non, il n’en saurait être ainsi. Le voulut-elle, la Société de l’Exposition ne le pourrait pas. Il en sera d’elle comme des chemins de fer : une fois installée et connue, elle sera appelée de tous côtés par les départements et les communes, comme la sauvegarde de tous les intérêts et de tous les droits.

Ne perdons pas de temps à répondre aux objections tirées de la grandeur de l’entreprise, de la multitude du personnel qu’elle suppose, de l’immensité des détails, de la surveillance infinie, etc. Après la Banque de France et les chemins de fer, de telles objections sont sans portée. Pourquoi donc la nouvelle Société, fondée sur l’utilité publique et dans le but d’assurer à tous la jouissance égale de leurs produits et de leur industrie, par l’échange, l’escompte, etc., serait-elle administrée, servie avec moins d’intelligence et de zèle que les entreprises qui reposent sur le privilège ?…

Mais nous voulons donner une idée générale de cet organisme, jusqu’ici sans modèle.

On conçoit sans peine que la Société mère, créée à Paris, ayant son siège au Palais de l’Industrie, s’entoure, en chaque province et département, de succursales constituées à son image, recevant d’elle l’impulsion et la loi, comme a fait la Banque de France pour les comptoirs de départements.

Si la Société centrale nomme les directeurs, contrôle et surveille les opérations, fixe le tarif du change, émet le papier de la Société, recueille les renseignements et compose les statistiques, elle est le pivot auquel tout aboutit, le foyer d’action d’où rayonnent en tous sens la vie et la lumière.

Tout cela est de compréhension facile.

Mais qui ne voit qu’outre ces succursales, bureaux et bazars, établis sur le plan de la métropole, la Société, par la masse de ses placements, se met en relation avec les Docks, entrepôts, halles, magasins généraux et spéciaux, où se trouvent accumulés les produits et marchandises que sa tâche est d’écouler ; que, tout en se distinguant de ces établissements et sans empiéter sur leurs attributions, c’est elle qui les utilise, qui les discipline, qui leur donne l’impulsion et l’unité, qui en détermine l’importance ?

Ainsi, par la constitution de la Société, les Docks, dont la création est demeurée jusqu’à ce moment, comme celle du Crédit foncier, une lettre morte, parce qu’ils manquaient de signification, de ressort, tranchons le mot, de raison suffisante d’être, les Docks trouvent immédiatement leur nécessité et leur emploi ; avec le temps, la Société se les assimile, les moule à son calibre, les frappe de son estampille ; elle en fait ce qu’il impliquerait contradiction qu’ils ne fussent pas, ce sans quoi ils ne sauraient, dans la France centralisée, démocratique et unitaire, subsister : des établissements comme elle-même, non plus d’exploitation privée, mais d’utilité publique.

Une influence analogue sera exercée par la Société sur le commerce de détail. La Société de l’Exposition donnant le ton au commerce de gros, les détaillants seraient bientôt entraînés, par la clameur publique et la force des choses, à ne mettre en vente que des produits ayant passé par les mains de la Société nouvelle, c’est-à-dire expertisés et estimés, et qu’ils exposeraient à leur tour, avec les procès-verbaux d’expertise, aux regards des amateurs et chalands. Par ce moyen, le détaillant, obligé de faire connaître à l’acheteur le prix du gros, devra se contenter d’un bénéfice modéré, avouable, le sou pour franc, par exemple. Et tandis que sous l’ancien régime commercial, la sagesse du législateur n’a pu aboutir, à l’égard des brevets d’invention, qu’à cette formule inepte : sans garantie du gouvernement, le consommateur petit et grand aura son vin, son huile, son linge et tous les objets de sa consommation avec garantie de la Société. § 9. — Office de publicité.

Le commerce actuel a pour règle d’établir le secret le plus absolu sur ses opérations. Le secret est l’âme du commerce, dit le proverbe. Empêcher tous rapports directs entre les producteurs et les consommateurs, appauvrir les uns et les autres par l’ignorance, les difficultés de rapprochement, les risques de transport, les hasards du marché, l’incertitude des besoins ; en un mot, pêcher en eau trouble, tel est l’art et tel est l’objet du commerce. La Société de l’Exposition remplace ce secret abusif, qui ne profite qu’aux intermédiaires, par la plus complète publicité. Déjà nous avons dit, paragraphe 1er, à quelles conditions de déclaration de prix, de provenance, de quantité, qualité, poids, les produits et marchandises seraient admis à l’exposition ; mais la publicité dont nous entendons ici faire une loi à la Société ne se borne pas là : elle s’étend sur tous les actes de la Société elle-même, autant du moins que ces actes ne compromettent pas des tiers déposants ou adhérents, ayant droit pour les procédés de leur propre industrie, le succès de leur entreprise, au secret.

En deux mots, la Société, si elle est tenue de garder le secret d’autrui, n’en a elle-même aucun pour le public, qui est et doit rester en tout et pour tout son souverain.

De même que la Banque de France, la Société de l’Exposition publiera un état de situation chaque semaine ; — de même aussi que les compagnies des Docks, de navigation, de mines et de chemins de fer, elle aura un organe accrédité, paraissant une, deux ou un plus grand nombre de fois la semaine, et destiné à recevoir toutes les communications officielles et officieuses de la Société : statistiques, mercuriales, existences en magasins, dans les Docks, les entrepôts et les halles, mouvements des transactions, oscillations du change, etc. Fidèle à son principe d’abstention, la Société ne publie ni ne subventionne un journal, dont la rédaction et la critique, même en ce qui concerne la Société, doivent rester complètement libres et indépendantes. Elle se borne à traiter avec lui pour toutes insertions et publications aux prix et ; conditions ordinaires des journaux.

Chaque année, ou deux fois l’an, la Société publiera un bilan général, détaillé par chapitres et articles, tel enfin qu’on peut l’exiger d’un établissement public destiné à servir de type et de modèle, aussi bien pour l’organisation, le service et la comptabilité, que pour la loyauté et la justice.

Tout ce qui peut intéresser la curiosité publique dans la constitution, la gestion, les tendances et projets de la Société : personnel et matériel, appointements, salaires, loyers, contributions, frais de bureaux, encouragements, récompenses, primes, médailles, secours et pensions, recettes de toute nature et par catégories, dépôt, magasinage, commission, escompte, intérêt, détails statistiques, opérations, transactions, ventes, échanges, placements, quantités, qualités, poids, prix, maxima, minima et moyenne, le compte rendu de la Société annuel et semestriel doit tout dire, tout soumettre au contrôle de l’opinion, tout exposer aux regards du maître, qui n’est autre ici que le public même.

La Société fera plus encore.

Expression de la science autant que de l’utilité publique, elle publiera de temps en temps dans la feuille qui lui servira spécialement d’organe, et avec l’assistance bénévole de la rédaction, une Revue des faits économiques les plus intéressants du pays et du globe ; elle en fera ressortir les principes et les lois ; elle en montrera les aberrations et anomalies ; en un mot, elle ne négligera rien de tout ce qui peut contribuer à l’éducation économique de ses actionnaires, adhérents, commettants, clients, ainsi qu’à la réforme industrielle et mercantile de la nation. C’est en faisant la lumière que la Société étendra sa puissance au dedans et au dehors ; c’est par la justice et la science qu’elle saisira le gouvernement des intérêts et le sceptre du monde.

Les articles qui précèdent, formant l’ensemble du chapitre IV et la série des opérations principales de la Société, ne sont pas le résultat de nos seules inspirations personnelles.

Désireux de donner à notre projet le caractère de la plus grande généralité d’opinion, et d’en faire, autant que possible, l’expression de la démocratie industrielle la plus avancée, aussi bien en pratique qu’en spéculation, nous avons consulté et comparé le plus grand nombre de publications faites depuis six ans sur la matière ; nous en avons dégagé la substance ; nous avons interrogé les hommes les plus remarquables par leur intelligence et leur expérience, ceux dont la probité et le dévouement pouvaient nous être une garantie de certitude. Nous n’avons pas négligé non plus l’opinion des gens d’affaires qui, étrangers à toute considération de parti, même de philanthropie, pouvaient nous éclairer sur une fondation d’une importance aussi décisive.

Nous croyons pouvoir affirmer que si les idées que nous venons de développer, par le fond et même par la forme, sont essentiellement nôtres, en ce sens qu’elles découlent toutes de principes supérieurs que nous avons émis et soutenus plus d’une fois, et qu’elles sont toutes autant de cas particuliers d’une synthèse générale des sciences morales, politiques et économiques, à la construction de laquelle nous travaillons chaque jour ; en fait, la priorité d’émission, voire même d’application de plusieurs de ces idées, appartient à d’autres, dont il nous est d’autant plus agréable de reconnaître le droit, que nous y trouvons pour nous-mêmes une garantie de plus de certitude.

Nous citerons nommément, pour les §§ 3e, 4e, 5e et 6e, M. François Coignet, manufacturier à Saint-Denis, l’un des industriels les plus recommandables du département de la Seine et de nos économistes les plus éclairés, et dont nous nous sommes fait un devoir de suivre pas à pas le travail qu’il a bien voulu, à notre prière, faire sur l’institution en projet ; pour l’application du Tarif du change, § 7, M. d’Esclée, auteur de plusieurs publications sur la matière, homme d’intelligence et de dévouement, que de longues et dures épreuves ont instruit, et dont nous aimons d’autant plus à relever le mérite que d’autres semblent davantage le méconnaître.


CHAPITRE V


ADMINISTRATION DE LA SOCIÉTÉ


Nous n’en ferons ici qu’une mention sommaire, pour dire qu’elle doit être organisée sur les bases de la plus large démocratie.

Elle se composera :

1o D’un conseil d’administration de vingt-cinq membres ;

2o D’un comité de direction de trois membres, avec sa hiérarchie d’employés par divisions, bureaux, etc. ;

3o D’une commission de surveillance de cinq membres ;

4o D’un jury d’expertise ;

5o D’une commission du change de trois membres.

En principe, le conseil d’administration est élu par l’assemblée générale, et renouvelable d’année en année par cinquième.

L’intérêt de la mise en train de la Société, le droit qui appartient à toute initiative, nous semble exiger que sur vingt-cinq membres, quinze au moins soient pris parmi les fondateurs de l’institution, au nombre desquels il conviendra peut-être d’appeler les noms les plus connus et les plus honorables de la démocratie industrielle. Nous en avons cité un grand nombre ; il sera facile d’en trouver d’autres. La Société a le plus grand intérêt à s’adjoindre, soit comme administrateurs, soit comme chefs de service, soit comme correspondants ou succursalistes, les hommes qui, depuis des années, à travers tous les sacrifices, toutes les difficultés et les dégoûts, ont préparé le sol économique, et pour ainsi dire conduit l’institution à maturité. Ces hommes, par leurs relations, leur entregent, leur entourage, leur dévouement à toute épreuve, nous paraissent être les plus capables de mener l’institution à bien, et avec toute la rapidité dont elle est susceptible.

À ces quinze fondateurs on adjoindra dix hommes, choisis autant que possible parmi les notabilités industrielles, et dont le nom impose tout d’abord, à la classe immense des producteurs, la considération et la confiance.

Aucun changement ne sera fait dans le conseil d’administration pendant les cinq premières années, sauf les cas de mort ou de démission.

Après cinq ans, le renouvellement commencera à s’opérer, par la voie du sort, et les remplacements seront effectués par l’assemblée générale.

Le comité directeur sera choisi par le conseil d’administration, soit parmi ses propres membres, soit en dehors.

Les deux commissions, de surveillance et de change, seront élues par l’assemblée générale ; le jury d’expertise, nommé par le conseil d’administration.

Les chefs de caisse et de comptabilité seront choisis par le conseil de surveillance ; tous les autres employés sont à la nomination du comité directeur.

Du reste, la Société, quoique d’institution essentiellement publique et dépouillée de tout caractère privé, est indépendante de l’État, qui n’exerce vis-à-vis d’elle d’autre action que celle qui appartient, de par la loi, au ministère public et au conseil d’État, à l’égard de toutes les sociétés de commerce.

La Société ne crée ni actions industrielles, ni actions de jouissance.

Par la nature et l’objet de sa constitution, ses actions de capital, quoique portant intérêt à 4 p. 100, garanti par l’État et pouvant obtenir un dividende, ne peuvent guère plus s’élever au-dessus du pair qu’elles ne sauraient descendre au-dessous. De ce côté, comme de l’autre, toute spéculation agioteuse, toute réalisation de primes est impossible aux fondateurs, administrateurs, directeurs, etc., comme aux actionnaires.

Afin de donner à son administration l’énergie qui caractérise les entreprises d’intérêt privé, il sera fait chaque année, sur le produit net de la Société, un prélèvement de , jc p. 100, destiné, en sus des appointements fixes, à la rémunération du personnel.

Tous les employés de la Société sans exception, depuis le conseil d’administration jusqu’au dernier homme de peine, auront droit à ce prélèvement, en proportion de leur salaire et du produit net obtenu par la Société dans la division du service dont ils font partie.

Eu égard aux réductions possibles du taux des commissions et escomptes, le montant du prélèvement destiné à la rémunération du personnel sera calculé chaque année de manière à ajouter aux appointements et salaires une fraction croissante, depuis le dixième jusqu’à la moitié du chiffre des salaires et appointements, de telle façon que, les affaires de la Société devenant de plus en plus prospères, le revenu de chaque employé puisse, s’il y a lieu, s’accroître progressivement, en cinq ou dix années, de 50 p. 100.

Sur le montant des prélèvements, une retenue proportionnelle sera faite, servant de fonds de secours et de caisse de retraite.

Hormis les fonctions d’administrateurs ou de membres des commissions de surveillance et du change, qui dépendent de l’assemblée générale, tout employé de la Société peut aspirer aux grades les plus élevés de la hiérarchie. Les promotions ont pour conditions la capacité et l’ancienneté.

Toutefois, le service de la Société étant la loi suprême, et la capacité de l’employé ne croissant pas avec le nombre des années, il est établi en principe, dans l’administration de la Société, d’une part, que tout employé pourra être admis, sur sa demande, à passer d’un service à l’autre, de manière à développer sa capacité, et conséquemment à se maintenir dans son grade ; de l’autre, que la direction aura le droit de rattacher à un service inférieur l’employé que ses moyens ou son inconduite ne permettraient plus de maintenir au rang qu’il occupait.

Après trente années de service, tout employé de la Société aura droit à une retraite qui ne pourra, dans aucun cas, excéder la moitié des appointements moyens dont il aura joui pendant sa carrière.

Les administrateurs sortants seront l’objet d’une rémunération particulière, proposée par le conseil de surveillance et votée en assemblée générale.


BÉNÉFICES.


Chaque année, après l’apurement des comptes, le produit net de la Société sera divisé en deux parts, dont l’une sera ajoutée à l’avoir social et appliquée au développement de la Société, et l’autre sera distribuée, à titre de dividende, aux actionnaires, qui auront à décider ensuite, en assemblée générale, d’après l’importance de ce dividende, s’il y a lieu ou non de réduire d’une fraction, x p. 100, le taux des commissions, escomptes et intérêts de la Société.


APERÇU GÉNÉRAL DES RÉSULTATS DE L’INSTITUTION.


Le projet que nous venons de développer et que nous proposons de réaliser par décret impérial, au moyen d’une concession conditionnelle du Palais de l’Industrie et d’une garantie également conditionnelle d’intérêt à 4 p. 100 aux actionnaires, peut se résumer et se définir dans les termes suivants, que nous recommandons à la méditation de Son Altesse Impériale :

Organisation et centralisation de l’échange des produits contre les produits, d’après la formule de J. B. Say, avec le moins de numéraire, le moins d’intermédiaires, le moins de frais possible, et au profit exclusif des producteurs et consommateurs.

Tel est le principe fondamental, scientifique et juridique qui domine tout notre projet, et dont tous les chapitres et articles, aussi nombreux que nous eussions pu les faire, aussi loin qu’ils puissent s’étendre, ne sont toujours que de rigoureux corollaires.

Examinons maintenant, d’un coup d’œil rapide, les conséquences, pour le commerce d’abord, puis pour la consommation, puis pour la production et le travail, pour le crédit, pour l’ordre public, pour les classes laborieuses et pour la société tout entière, de l’application de ce principe.

Personne n’ignore que la circulation de la richesse, en autres termes, l’échange des produits les uns contre les autres, fut de bonne heure l’objet d’une fonction ou industrie particulière de la société, abandonnée à l’initiative, aux risques et périls, et par suite aux manœuvres plus ou moins abusives, d’un certain nombre d’individus désignés, pour cette raison, sous le titre de commerçants.

On sait aussi quelle fut de tout temps l’influence de cette classe de la société sur les consommations générales, sur la classe laborieuse, sur la fortune publique et les mœurs des nations, et sur les gouvernements.

L’enchérissement constant des subsistances, matières premières et produits, quelquefois la disette ;

L’exploitation des travailleurs, le paupérisme systématique, la misère constitutionnelle, effets d’une circulation subversive, de la prélibation capitaliste, et de l’accumulation des valeurs les plus positives en un petit nombre de mains ;

La corruption des mœurs et leur hypocrisie ; La domination de l’État par une caste égoïste et sans principes ;

Finalement des révolutions sans terme, sans efficacité, et par conséquent sans but :

Tels sont les fruits qu’a produits à toutes les époques, dans tous les pays, l’anarchie mercantile, et qu’elle est en train parmi nous de produire encore.

En ce moment, le prix de toutes les valeurs est arrivé à un taux si exorbitant, que la consommation devient impossible, et que la classe productrice, qui devrait, précisément parce qu’elle produit, être la plus riche, classe ouvrière et classe moyenne, s’enfonce de plus en plus dans la misère.

Le producteur ne consomme pas : telle est la formule qu’on peut donner au mal inconnu qui ruine et dévore la société.

Pour que le producteur consomme davantage, il n’y a que deux moyens :

1° Diminuer le prix des produits ;

2° Augmenter le salaire ou revenu.

Occupons-nous d’abord du premier.

Jusqu’à ce jour on n’a demandé la diminution du prix des produits qu’aux salaires des travailleurs, soit en inventant des machines qui les remplacent, soit en diminuant, par la division du travail et autres combinaisons plus ou moins économiques, le prix de la façon, le taux de la main d’oeuvre. Ces moyens sont à peu près épuisés ; et en admettant qu’il reste beaucoup à faire de ce côté, l’expérience acquise depuis un siècle chez toutes les nations les plus industrieuses et les plus commerçantes du globe, prouve que, loin de se ralentir, le paupérisme n’a fait que s’accroître par la catégorie de procédés que nous venons d’indiquer.

Et puis, voyez la contradiction ! Le producteur ne consomme pas : pourquoi ? C’est que le produit est trop cher. Pourquoi le produit est-il trop cher ? C’est, dit-on, que le salaire est trop élevé. Doue on réduit le salaire afin de diminuer le prix ; mais comme, cette diminution de prix obtenue, on a réduit d’autant les moyens d’acquérir du producteur, il se trouve qu’on n’a rien obtenu ; on n’a fait que parcourir un cercle vicieux.

Cependant, il reste à faire une chose.

Au lieu de demander la diminution du prix des produits au salaire, ne pourrait-on la demander aux frais de la circulation elle-même ?

Si l’on examine la constitution actuelle du commerce, on trouve, en effet, que de ce côté le prix des produits est augmenté, en sus du prix de fabrique : de l’intérêt des capitaux employés dans le commerce, et dont la masse pourrait notablement être réduite ; des appointements du personnel, dont la multitude est aussi hors de proportion avec le service qu’il rend ; de l’exagération des loyers et fermages ; de l’énormité des frais généraux et faux frais ; de tout ce que prélèvent enfin le monopole, la spéculation agioteuse et le parasitisme sous toutes ses formes.

La somme de ces augmentations, que nous désignerons d’un seul mot sous le nom de frais de la circulation, considérée comme fonctions intermédiaires entre la production et la consommation, a été évaluée pour la France, par un économiste conservateur faisant autorité en cette matière, M. Michel Clievalier, à quatre milliards, soit le Tiers de la production totale.

Tout le monde sait que le taux légal des capitaux engagés dans le commerce est de 6 p. 100, tandis que l’intérêt des fonds placés sur hypothèque, ou sur l’État, ou engagés dans l’industrie et l’agriculture, n’est légalement que de 5 p. 100, 4 1/2, 4 et même 3 p. 100. Comme si l’État s’était fait précisément une loi d’augmenter les charges et surcharges, taxes et surtaxes de la circulation, de ce monde d’intermédiaires parasites, qui grèvent la marchandise et l’empêchent d’arriver au consommateur, au producteur. La société est pleine de ces contradictions.

Tout le monde sait également que les commissionnaires et courtiers de commerce, que les boutiquiers et marchands ne prennent pas moins de 10, 12, 15, 20, 25 p. 100 et au delà de commission ou de bénéfice en sus des autres frais ; et comme si cette pompe d’épuisement était à ses yeux une fonction sacrée, l’État a eu soin d’entourer cet état-major du mercantilisme de toutes les garanties et privilèges ; il en a limité le nombre, il les constitue en monopole, il leur donne des juges spéciaux, qu’il refuse aux écrivains politiques ; il leur rend pour leurs exécutions la loi sommaire et expéditive.

Tout le monde sait enfin que pour opérer la distribution des produits, ce commerce anarchique est forcé d’user d’une multitude innombrable d’employés, voyageurs et stationnaires ; d’entretenir une infinité de relations qui se croisent, se contrebutenl, se contredisent, se neutralisent, se créent des embarras inextricables : la foriune de chaque commerçant étant attachée à la ruine de son confrère, qui est son compétiteur et son rival.

Or, ce que les chemins de fer ont fait pour l’industrie voiturière et messagiste, ne saurait-on le faire pour le commerce proprement dit, en un mot pour l’échange ? Seulement, tandis qu’en créant les Compagnies de chemins de fer, l’État n’a fait que remplacer un chaos de petits mono’pôles par une demi-douzaine de grands monopoles, plus redoutables pour le pays et pour l’État que n’était la fourmilière des entrepreneurs de transports et voituriers, et qui se réservent la plus grosse part du bénéfice de l’invention qu’ils exploitent, nous proposons à l’État d’organiser, non pas un monopole, — que le commerce anarchique continue son agitation dispendieuse tant qu’il voudra, qu’il continue de faire des victimes s’il en trouve, — mais une Société centrale d’échange direct, garantissant le produit en quantité, qualité et prix, faisant l’escompte à 1/2 p. 100, et se contentant pour sa commission de 2 1/2 p. 100 en maximum : les bénéfices de l’exploitation devant en outre être partagés entre les producteurs consommateurs, appelés par préférence à souscrire.

Tel est le point de départ de la nouvelle institution dont nous allons maintenant parcourir les conséquences :

1. Si donc, par le système que nous proposons d’établir, les frais de circulation et d’échange, soit des intermédiaires entre la production et la consommation, frais qui s’élèvent aujourd’hui à 35 p. 100, d’après le témoignage de M. Chevalier, se réduisaient du premier coup à 5, le septième de la dépense actuelle ; il est clair que le prix des produits diminuerait sur la totalité de 30 p. 100, c’est-à-dire qu’il ne se composerait plus en général que des frais de production, augmentés de 5 p. 100 pour l’échange.

Le premier effet de l’institution est donc de créer la vie à bon marché, ce rêve d’Henri IV, poursuivi par quelques esprits généreux de notre époque.

2. Si le prix des produits diminue, la consommation croît d’autant, et par conséquent le bien-être. La circulation, de pauvre et fiévreuse qu’elle était, devient pleine, active et régulière. Nous touchons à la santé du corps social, à la vie normale.

3. La consommation rétablie, la production ordinaire devient insuffisante ; le débouché appelle le produit, comme l’estomac du convalescent appelle la nourriture. De là une demande plus considérable de travail et de bras. Quel service à rendre à la ville de Paris, aux départements, au commerce, à l’empire, écrasés sous les dépenses énormes de travaux, de bâtisses, qui ne peuvent durer longtemps, et dont l’utilité douteuse rappelle involontairement aux esprits les trop célèbres ateliers nationaux !

4. Avec la demande plus considérable de travail, nonseulement la multitude des ouvriers déclassés ou chômant retrouve de l’occupation ; le taux des salaires recommence à monter : double avantage, d’un côté pour l’ouvrier, qui peut profiter de la hausse par le meilleur marché des produits et par l’augmentation de son revenu ; de l’autre, pour l’État, qui se trouve débarrassé d’une clientèle onéreuse, et qui voit s’éloigner de plus en plus le temps des chômages et des grèves. Sans intervention de la police et des tribunaux, la Société de l’Exposition, par son action économique, rétablit l’ordre dans l’atelier comme elle le fait sur le marché. Elle n’a pas besoin de regarder derrière elle ; il lui suffit de marcher.

5. Le Palais de l’Industrie a reçu, dit-on, cette année, les échantillons de vingt mille producteurs ! Prenons ce chiffre pour base hypothétique du nombre de producteurs de tout genre, auxquels ce magnifique bazar servira de montre et d’étalage ; la supposition est modeste, puisque avec l’adjonction des docks, halles et autres entrepôts, qui lui serviront d’auxiliaires, l’Exposition perpétuelle doit prendre une extension beaucoup plus considérable.

Voici donc vingt mille fabricants qui n’ont plus besoin de boutiques, et dont le commerce, parfaitement organisé, fait une concurrence sérieuse aux partisans de l’ancien système. Croit-on qu’il n’y ait pas là une force énergique pour contraindre, par les voies les plus légitimes, les propriétaires de Paris et des villes à réduire notablement le taux, vraiment tyrannique, de leurs loyers ? Croit-on que les petits magasins de détail, affiliés à la Société, ainsi que nous l’avons dit chap. IV, § 8, ne seront pas ici les agents irrésistibles de cette révolution de la boutique, aussi bien au point de vue du commerce de détail qu’à celui de la propriété ?

6. Le mouvement ne s’arrêtera pas là. Dès lors que la boutique devient inutile an producteur, le domicile sur la rue, dans les grandes rues, sur les quais et les boulevards, au centre des cités, n’est plus nécessaire. Ils peuvent s’éparpillerdans les faubourgs, la banlieue, les moindres hameaux. Avec la vie à bon marché, réclamée par M. Delamarre, nous avons le logement à bon marché, réclamé par tout le monde, et qu’il n’est au pouvoir de personne, hormis la Société de l’Exposition, de procurer.

7. Nous avons dit, d’après l’autorité de M. Chevalier, que le prélèvement des intermédiaires, commerçants, monopoleurs et parasites, sur la production générale, était d’environ 35 p. 100, représentant une somme totale de 4 milliards. Supposons que, par le développement de l’institution nouvelle et son établissement dans toute la France, cette somme de frais se réduise seulement à 1 milliard. Les 3 milliards supprimés, ou pour mieux dire sauvés, et représentant partie du travail maintenant disponible, partie des intérêts de capitaux également rendus disponibles, il est indubitable que ce travail et ces capitaux se reportent sur la production proprement dite, c’est-à-dire l’industrie, l’agriculture, la navigation, etc.

Ainsi, l’industrie qui languit faute de capitaux ;

L’agriculture qui se désespère faute du crédit promis, et que la défection du capital lui dérobe ;

L’esprit d’entreprise refoulé de partout, à moins qu’il n’obtienne, Dieu sait à quel prix, Yexequatur des Pereire, des Mirés et consorts ;

Tout ce qui constitue le travail national, en un mot, va. ïecevoir une nouvelle vie, une nouvelle vigueur ! Pas n’est ici besoin des trésors de la Californie et de l’Australie : un simple déplacement suffit. Le service de la circulation coûte trop cher ; il absorbe trop de capitaux : il faut, en organisant la circulation, reporter ces capitaux du système veineux ou lymphatique au système musculaire : et la nation sera rendue à la santé ; le malade pourra se moquer des médecins, 8. Produire davantage, augmenter les réserves, diminuer la somme du capital engagé, tout cela revient à dire augmentation des capitaux.

Mais plus une marchandise augmente, plus elle est offerte : plus elle est offerte, plus son prix baisse. Nous avons donc le capital à bon marché, comme la subsistance et le domi. cile, la commandite au rabais. C’est alors, et alors seulement, que l’Empereur pourra reprendre la réalisation de sa pensée d’une institution de Crédit foncier et agricole. La Société de l’Exposition, par ses avances et prestations de produits sur hypothèques à zéro d’intérêt, révolutionnant le bail à cheptel, ouvrira le sillon et tracera la méthode.

9. Une fois engagée dans ce courant, il n’est plus possible que la Société s’arrête. Ne voyons-nous pas en ce moment le paysan de la Picardie, de la Beauce, des meilleures régions de la France, restreindre son exploitation, borner ses dépenses d’entretien et d’amélioration au strict nécessaire, et réserver ses économies pour l’emprunt, parce qu’il considère que l’intérêt de 4 1/2 que lui offre l’État est plus lucratif que le revenu de la terre ?... Les mêmes motifs existant dans le travail industriel, force sera aux propriétaires fonciers de réduire le prix de leurs fermages, bien plus, de vendre leurs terres. Alors, avec la réduction inévitable du prix des baux se réalise cet autre vœu de l’économie politique : la terre à celui qui la cultive, la rente foncière à l’État et au paysan.

Sans doute ce n’est pas dès le premier jour que l’on peut voir se réaliser dans leur plénitude ces magnifiques espérances ; mais peut-on nier que dans la société le bien et le mal ne se tiennent, et que, comme l’altération du sang produit ; à la longue la dissolution des organes, de même sa pureté et sa richesse amènent leur beauté et leur énergie ?

10. Alors la nation pourra procéder d’ensemble aux grands travaux d’amélioration du sol et de colonisation, que, depuis vingt ans, tous les économistes, ceux de la tradition et ceux du progrès, novateurs et station naires, réclament pour elle : dessèchement des marais ; la Sologne, la Camargue, les côtes de l’Océan à conquérir ; le reboisement, l’irrigation, le drainage ; — avec les moyens que fournit la navigation à vapeur, la prolongation du territoire français jusqu’à l’Atlas, et, si nous osons ainsi dire, l’absorption dans la vieille Gaule de l’Afrique septentrionale... Tous les obstacles attachés à la colonisation seraient levés : la Société de l’Exposition assure les moyens matériels ; c’est à l’État, en poursuivant dans la voie qu’elle aura ouverte, que lui-même s’est ouverte déjà par son système d’emprunts, à substituer ensuite la colonisation par tout le monde à la colonisation par compagnies de monopoleurs et création de fiefs.

11. Mais nous ne répondrions pas à l’fltente de l’Empereur et au désir par lui formellemént exprimé, si, après avoir montré les effets de la nouvelle institution en ce qui touche l’amélioration du sort des ouvriers, la vie à bon marché, le travail plus abondant et mieux rétribué, nous ne faisions ressortir les conséquences que la Société est destinée, très-prochainement, à produire, relativement à leur indépendance et à leur émancipation.

En éliminant, comme nous l’avons fait, l’armée des intermédiaires parasites, et en organisant la circulation des produits par la commandite des producteurs eux-mêmes, nous avons interverti le rapport qui unit, dans l’économie sociale, les deux grandes puissances industrielles, à savoir : le travail et le capital.

Le travail était dominé et serf, — maintenant il est affranchi et libre.

Il recevait les ordres du capital ; — c’est lui qui commande et qui intime au capital ses propres volontés.

De subalterne, le travail est devenu maître ; par contre, de tyran et spoliateur, le capital est devenu un serviteur obéissant et utile.

Qu’avons-nous fait pour obtenir ce résultat ? Rien que d’ouvrir un asile aux producteurs dans le Palais de l’in dustrie, de les mettre tous en présence les uns des autres, de leur apprendre à se connaître, et de leur proposer, sans qu’il leur en coûtât ni peine ni sacrifice, de faire euxmêmes leurs affaires.

C’est sur cette Interversion générale des rapports économiques que nous avons basé le nouveau système d’ordre public auquel, selon nous, toute la France, mais surtout la démocratie travailleuse, aspire ; c’est à l’aide de cette permutation de l’autorité que nous avons procédé au rétablissement de l’équilibre des forces sociales.

Considérons maintenant quelle est, dans ce nouveau régime, la situation de classes ouvrières :

12. On compte de vingt-cinq à trente mille ouvriers en soie dans la seule ville de Lyon. Cette corporation célèbre s’étend fort au loin dans les campagnes des départements du Rhône et de l’Ain ; la cherté des loyers et des subsistances les chassent de plus en plus de la ville dans les communes rurales, où la misère ne cesse de les poursuivre.

Ces ouvriers, sans relations entre eux ni avec le consommateur, indigène ou étranger ; sans nulles connaissances des choses du commerce, sont depuis un temps immémorial la mine féconde qui enrichit tout un peuple de commissionnaires et de négociants, race égoïste, rapace, étrangère à tout sentiment humain, autant qu’au travail même.

L’ouvrier travaille ; le marchand et le commissionnaire récoltent et jouissent.

L’ouvrier produit ; le marchand et le commissionnaire exposent. Combien de noms d’ouvriers en soieries sont arrivés à l’exposition ?

Le marchand, par ses capitaux, accapare la matière pre-, : mière ; le commissionnaire accapare la commande : tous les deux, unis pour exploiter cette branche d’industrie, ne laissent qu’un maigre salaire à l’ouvrier, au producteur. Ca qui est vendu au consommateur 10 francs par les intermédiaires, spéculateurs et parasites, a coûté 3 francs à la fabrication !.... Avec la Société de l’Exposition, le parasitisme boutiquier, agioteur, est éliminé ; l’ouvrier obtenant avances de matières premières contre produits, devient, sans qu’il lui en coûte ni une minute de son temps ni un centime de-dépense, son propre marchand, son propre commissionnaire. Une part de l’énorme surcharge qui pesait sur son produit tombe dans son escarcelle ; l’autre part est bonifiée au consommateur.

Ce que nous disons de l’ouvrier en soie, il faut le dire de l’ouvrier rubanier, qui peuple les montagnes du Forez, de l’ouvrier passementier, qui jadis remplissait certains quartiers de la capitale, et que la misère, effet de l’exploitation, commence à faire défiler vers les plaines de la Picardie, où, loin des relations commerciales, se consomme son asservissement.

Il faut le dire enfin de toutes les professions où le travailleur travaille chez lui, pendant que son produit est groupé, aggloméré, agioté par les entrepreneurs spéculateurs.

13. Or, ce que le travailleur à domicile obtiendra d’emblée de la Société d’Exposition, le travailleur en atelier e manufacture l’obtiendra également, mais à une condition préalable, l’association.

Après la révolution de 1848, le gouvernement, sentant la nécessité de faire quelque chose pour la classe ouvrière, essaya de commanditer, aux frais du Trésor, quelques associations. Le succès obtenu par ce genre de secours a été plus que médiocre ; si l’État se met à commanditer le travail, l’État est perdu, et, ce qui est pis, la désorganisation se met dans la société.

En principe, l’État ne doit pas plus commanditer le travail que se faire industriel ou commerçant : son rôle est d’avertir, d’exciter, et puis de s’abstenir.

Mais que des sociétés ouvrières se forment pour l’exploitation des industries qui requièrent le travail combiné, divisé et groupé, comme celles qui, déjà en petit nombre, existent dans la capitale, alors la Société de l’Exposition peut leur venir en aide et assurer leur existence ; — que n’ont pas à gagner, par exemple, les sociétés des ébénistes, des pianistes, des tourneurs, des limeurs, avec l’institution nouvelle ?... Et ce mouvement commencé, qui ne voit que le courant emportera tout avec le temps : manufactures, métallurgie, houilles, gaz, navigation, chemins de fer ? Bientôt, sous la pression de l’idée populaire et de la conscience- publique, tous ces établissements du monopole, toutes ces forteresses du privilège devront liquider, et la féodalité financière fera sa nuit du 4 août. Alors, évidemment, la démocratie appartient au pouvoir qui lui aura ouvert cette large écluse, et, avec la démocratie, la société.

14. Élevons-nous à des considérations de plus en plus générales.

L’ouvrier émancipé, non plus par une vaine déclaration de droits civils, politiques et humanitaires, par un exercice impuissant du suffrage universel, par une promesse fallacieuse de commandite, par les secours d’une philanthropie injurieuse, arrachés aux classes riches au moyen de taxes arbitraires, vexatoires et toujours insuffisantes ; mais parla seule organisation de la faculté d’échange, l’ouvrier émancipé, disons-nous, le prolétariat s’évanouit, puisqu’il n’y a de prolétaire que celui dont le travail est sans garantie ni indépendance, ou qui même n’a point de travail.— Le rêve doctrinaire du gouvernement de la classe moyenne devient une vérité ; car toute la nation entre dans la classe moyenne, et ne peut plus en sortir.

Un autre rêve, regardé dans ces derniers temps comme la plus dangereuse des utopies, trouve sa réalisation : c’est le Droit au travail....

Une troisième chimère, déclarée telle depuis cinquante ans par tous les économistes, et mise de pair avec la quadrature du cercle et le mouvement perpétuel, — l’extinction du paupérisme, l’abolition de la mendicité, — apparaît comme une vérité de sens commun. Et qu’en aura-t-il coûté à l’État pour produire toutes ces choses ? — Rien.

Quel effort de génie pour résoudre ces insolubles problèmes ? — Aucun.

Quel coup de la puissance souveraine pour terrasser ces monstres ? — Pas une chiquenaude.

« Les maladies ne se guérissent point, comme l’on croit, par une action directe, curative ou créatrice des remèdes, — nous disait un médecin de nos amis ; —les médicaments, quels qu’ils soient, comme les opérations de la chirurgie, ne servent qu’à mettre les forces organiques En Présence d’elles-mêmes, et, cette mise en présence effectuée, la nature se guérit toute seule. »

Nous avons mis en présence les forces productives, et la société se guérit d’elle-même. L’Empereur peut régner : ni lui ni personne ne gouverne plus.

15. Une plaie de la société moderne, fondée tout entière, comme nous l’avons dit au début de ce projet, sur la division et l’aliénation inintelligente du domaine public et l’antagonisme universel, est la concurrence subversive, déloyale, destructive du travail et des capitaux. Nous manquerions à notre devoir si nous ne rappelions pas ici l’ouvrage, plein d’éloquence, et qui produisit, il y a une douzaine d’années, une sensation si vive, de M. Louis Blanc.

Une autre plaie est celle de la contrefaçon, à laquelle viennent se joindre la falsification, l’intoxication, la fraude, le vol.

Un troisième fléau, plus hideux encore, parce qu’il vient de plus haut, est le chancre de l’agiotage qui, des sommités de la finance se propageant jusqu’aux paysans et aux portiers, fait déserter pour la Bourse le travail et la culture, et défie toutes les habiletés de la police judiciaire, toutes les rigueurs du parquet.

La nouvelle institution met fin à toutes ces pratiques détestables.

La concurrence reprend ce caractère d’honneur, d’émulation libérale et féconde qui fit d’elle une des forces de la Révolution de 89, quand il fallut combattre et renverser, avec les derniers vestiges de la féodalité nobiliaire, le système de monopole créé dans le Tiers-État par la politique routinière, imprudente, des anciens rois.

La contrefaçon 1 Comment serait-elle possible avec le régime de haute et universelle garantie créé par la Société de l’Exposition perpétuelle ?

Quant à l’agiotage financier, au jeu démoralisateur et stérile sur les valeurs industrielles, il doit progressivement décroître, à mesure que la Société s’emparera de la circulation des produits ; que, par l’émancipation du travailleur et l’organisation ouvrière, elle soustraira ces produits à la spéculation agioteuse ; que, sous sa puissante influence, commencera la conversion des grandes compagnies actuelles de capitalistes en compagnies de producteurs et d’ouvriers.

Bientôt à l’agiotage il ne restera, comme il y a peu d’années, que les fonds publics, le 3, le 4 et le 4 1/2 p. 400. Mais est-ce que devant l’abaissement du taux de l’intérêt, produit par la circulation nouvelle, il n’est pas permis d’espérer que l’État, de conversion en conversion, arrive au remboursement de sa dette ?

16. Nous avons expliqué ch. IV, § 7, en traitant de la tarification du change, comment, dans les prévisions de la Société, devrait s’opérer, d’une manière insensible et sûre, la réforme des monnaies. Nous ne reviendrons pas sur ce sujet, l’un des plus ardus de la science et des plus féconds en résultats.

Mais, après avoir réglé le change à l’intérieur, est-ce donc que la Société n’aura pas puissance de le régler aussi au dehors ?

Qui ne voit ici qu’autant les producteurs et échangistes du pays montreront d’empressement à faire usage d’un papier qui, toujours remboursable, leur épargne 4 p. 100 d’intérêt dans toutes leurs transactions, autant les étrangers, Belges, Allemands, Suisses, Américains, Anglais, rechercheront ce même papier dont l’emploi leur procure, ipso facto, sur tous leurs achats, une économie de 4.p.100.

Or, une fois le papier de change de la Société introduit dans le commerce des nations, la Société de l’Exposition universelle gouverne le commerce du monde ; le métal détrôné ne remplit plus qu’un rôle secondaire ; la douane perd en lui sa première et principale raison d’existence ; et tandis que les protectionnistes et les libre-échangistes disputent de leurs systèmes, également faux dans leur absolu, le gouvernement, appuyé sur la nouvelle Société, suivant le mouvement qu’elle lui indique, abaisse progressivement son tarif douanier, élimine au fur et à mesure les articles que le bon marché créé par la Société protège mieux que son administration, et s’apprête à saisir la prépondérance sur l’Europe par la suppression définitive des barrières.

Nous ne pouvons, dans ce court exposé, approfondir ni même énumérer toutes les conséquences heureuses que doit développer la Société de l’Exposition, soit dans l’ordre économique, soit dans l’ordre politique et moral.

Nous aurions voulu pouvoir dire, par exemple, comment elle crée la liberté la plus complète de l’homme et du citoyen, sans aucun risque pour l’État, et au contraire avec un avantage croissant pour le pouvoir ; comment, en un mot, dans ce système de garanties réciproques, plus la liberté se manifeste par la littérature, les journaux, les discussions politiques et économiques, l’association, les réunions, etc., etc., plus le gouvernement se sent fort et à ’abri de toute atteinte.

Qu’il nous suffise, quant à présent, de rappeler ce seul fait rendu, par cet exposé, indubitable, palpable : à savoir que l’institution projetée a pour effet immédiat de convertir l’anarchie actuelle et la démagogie jacobinique en une démocratie organisée, solidaire, compacte, aussi amie de l’ordre qu’ardente au progrès, et de mettre cette démocratie travailleuse dans l’alliance du gouvernement, en opposition à la féodalité financière et mercantile, agioteuse, corruptrice et absorbante qui, avec l’Église et les vieux partis, menace d’anéantir, sous les ruines du nouvel empire, notre vieille Révolution.

Nous terminerons en donnant ici le profil de la Société :

La Société de l’Exposition perpétuelle a pour objet :

1° L’échange direct et aux moindres frais possibles des produits contre les produits, au moyen d’un bon général d’échange, remboursable à toute réquisition, soit en marchandises, soit en numéraire, aux bureaux ou magasins de la Société ;

2° L’escompte des marchandises, matières premières et produits, soit contre bons généraux d’échange, soit contre espèces ;

3° L’escompte des effets de commerce à deux signatures ; 4° Les avances et prêts de produits sur produits et sur hypothèque ;

5° La régularisation du change et l’équilibre des valeurs ; 6° La publicité, la bonne foi et la garantie dans les transactions.

Cette Société est fondée au capital de 100 millions de francs, divisé par actions de 100 francs, payables un dixième en espèces, et neuf dixièmes en produits ou marchandises. Ces actions au porteur portent intérêt à 4 p. 100, garanti par l’État.

La préférence de souscriptions est accordée aux producteurs et industriels sur tous les autres capitalistes : l’institution ayant pour objet le rétablissement des rapports naturels entre la production et la consommation, altérés par l’intervention exagérée et abusive du capital.

La Société s’interdit de la manière la plus formelle :

La fabrication (production industrielle, agricole, etc.), de quelque genre que ce soit ;

Le commerce pour son propre compte ;

Les opérations de bourse sur effets publics et titres d’actions ;

La commandite.

Le taux des escomptes en bons généraux d’échange est fixé provisoirement à 1/4 p. 100 ; en espèces, à 4 1/4.

Le taux de sa commission en maximum à 2 1/2 p. 100.

Elle perçoit en outre, sur les marchandises qui lui sont confiées, un droit de magasinage, dépôt et annonces, le tout calculé sur le prix de revient.

Les conditions d’admission à la Société sont :

1° Souscription d’un nombre d’actions proportionnel à l’importance de l’industrie et des affaires du client ;

2° Dépôt d’échantillons de marchandises avec indication de prix, valable pour trois mois au moins, marque de fabrique, désignation de qualité, quantité et poids ;

3° Promesse de fournir à la Société, à prix convenu et dans la quantité désignée, les produits de la fabrication du souscripteur.

La durée de la Société est de 99 ans.

Les opérations de la Société commenceront aussitôt qu’il aura été souscrit pour un million d’actions.


En conséquence, et vu les motifs du projet et les conditions annoncées :

Le gouvernement impérial fait concession, à MM. X, Z, Y et Compagnie, du Palais de l’Industrie, avec ses annexes et dépendances, à perpétuité, c’est-à-dire pour autant de temps que durera l’institution.

Pendant les trois premières années de la Société, à partir du jour de sa constitution, la concession sera faite à titre gratuit. — À partir de là quatrième année, la Société payera à l’État, à titre de loyer, une somme annuelle, calculée à raison de 3 p. 100 sur le montant des dépenses de la Compagnie du Palais.

Le gouvernement garantit en outre l’intérêt à 4 p. 100 des actions souscrites.


FIN
  1. Écrit en 1835, pendant l’Exposition universelle de Paris. — Voir le renvoi à ce document, page 239.