CHAPITRE XIV.
De la mesure des solidités et des surfaces des corps de figure donnée.
77. Nous avons donné, dans le Chapitre VI, la manière d’exprimer par les fonctions les solidités et les surfaces des conoïdes formés par la révolution d’une courbe donnée autour d’un axe ; il nous reste à étendre cette analyse à tous les corps dont la surface est exprimée par une équation entre ses trois coordonnées.
Considérons d’abord un solide dont la surface soit exprimée par l’équation
son volume ou sa solidité sera exprimée en général par une fonction de et que nous dénoterons par Désignons aussi par la fonction de qui exprime l’aire de la section de ce solide faite perpendiculairement à l’axe des et correspondante à l’abscisse donc, en regardant comme un paramètre constant, et ne faisant varier que on aura, par le no 27, l’équation
Or la section, dont est l’aire, est une courbe dont les abscisses sont et les ordonnées perpendiculaires sont et dont l’équation est
en regardant maintenant comme un paramètre constant qui ne varie que d’une section à l’autre. Donc, en prenant à la place de et à
la place de
on aura (numéro cité)
l’accent mis au bas de la caractéristique dénotant la fonction dérivée par rapport à comme nous l’avons pratiqué jusqu’à présent.
On a donc les deux équations
d’où, éliminant la fonction marquée par après avoir pris les fonctions dérivées par rapport à de la première équation, on aura
Ainsi, pour avoir la fonction qui exprime la valeur ou la solidité du corps dont la surface est exprimée par l’équation
il faudra prendre la double fonction primitive de relativement à et à
78. On peut aussi parvenir directement à ce résultat par la considération suivante. Puisque représente en général la partie du corps qui répond aux coordonnées il est clair que sera le segment compris entre les plans perpendiculaires à celui des qui répondent aux abscisses et et qui sont terminés par la même ordonnée Donc
sera l’excès du segment qui est terminé par l’ordonnée sur celui qui est terminé par l’ordonnée et il est visible que cette différence n’est autre chose qu’un prisme dont la base est le rectangle dont les arêtes sont les ordonnées de la surface qui répondent aux quatre angles de ce rectangle, c’est-à-dire les ordonnées et dont la base supérieure
est la partie de la surface interceptée entre ces quatre ordonnées. Or il est facile de voir que la solidité de ce pri\sine curviligne est nécessairement comprise entre celles des deux pri\sines rectangulaires dont la base est la même
et dont les hauteurs sont la plus petite et la plus grande des quatre ordonnées dont nous venons de parler. Donc il faudra que la fonction
soit telle que la valeur de la quantité
soit toujours comprise entre la plus grande et la plus petite valeur des quantités
quelque petites que soient les valeurs de et de
Développons les fonctions marquées par suivant les formules du no 78 de la première Partie. En poussant la précision jusqu’aux troisièmes dimensions de et de on aura la quantité
Développons de même les fonctions marquées par mais en s’arrêtant aux premières dimensions de et de à cause qu’elles sont déjà multipliées par on aura les quatre quantités
et il faudra que la première quantité soit renfermée entre la plus grande et la plus petite de ces quatre dernières, en prenant pour et des quantités aussi petites qu’on voudra. Le coefficient peut être dif-
férent dans les différentes fonctions, mais il doit être renfermé entre les limites
et
Or la différence de l’une à l’autre de celles-ci est, comme on voit, de l’ordre de ou de c’est-à-dire du troisième ordre, en regardant et comme très-petites du premier. Mais la différence entre la première quantité et l’une quelconque des quatre dernières est
avec des termes du troisième ordre ; donc, pour que cette différence soit toujours plus petite que la différence précédente, qui n’est que du troisième ordre, il est nécessaire que le premier terme, qui est du second ordre, soit nul ; autrement, il serait possible de prendre les accroissements et assez petits pour que ce premier terme surpassât tous les termes du troisième ordre et que par conséquent la première quantité tombât hors des limites formées par les quatre autres quantités. Il faudra donc que l’on ait
et, par conséquent,
comme nous l’avons trouvé plus haut.
79. Supposons maintenant que la fonction représente la mesure de la surface. Dans ce cas, il est clair que la quantité
représentera la portion de surface comprise entre les quatre faces du prisme droit qui a pour base.
Imaginons qu’aux extrémités des quatre ordonnées qui forment les arêtes de ce pri\sine on mène quatre plans tangents à la surface dans ces points ; on pourra prouver, par un raisonnement analogue à celui du no 29 relatif aux tangentes, que la portion de surface qui forme la base supérieure du pri\sine sera comprise entre la plus grande et la plus petite section du pri\sine, faites par les quatre plans tangents de la surface courbe.
Soit l’angle que le plan tangent à l’extrémité de l’ordonnée fait avec l’axe des on aura (no 39)
Or on sait, par la Géométrie, que la mesure de la projection d’un plan est égale à celle de ce plan multipliée par le cosinus de son inclinaison sur le plan de projection. Donc, puisque les sections du prisme dont il s’agit ont toutes pour projection le même rectangle la mesure de la section faite par le plan qui touche la surface à l’extrémité de l’ordonnée sera mais on a donc la mesure de cette section sera
savoir, en substituant à
Faisons, pour abréger, on aura
pour la mesure de la section dont il s’agit, et, mettant à la place de on aura celle des sections faites par les trois autres plans qui touchent la surface aux extrémités des ordonnées et Donc il faudra que la quantité
soit toujours comprise entre la plus grande et la plus petite des quatre quantités
et, par une analyse semblable à celle du numéro précédent, on en conclura la condition
80. On voit par là que l’ordonnée d’une surface est la double fonction prime prise par rapport à et de la fonction qui exprime le volume ou la solidité du corps, et que la quantité est la double fonction prime de la fonction qui exprime la surface elle-même.
Ainsi, l’ordonnée étant donnée en fonction de et il faudra prendre sa double fonction primitive pour avoir la solidité et la double fonction primitive de pour avoir la surface. On est libre de commencer par la fonction primitive relative à ou à mais la première fonction primitive admettra pour constante une fonction de l’autre variable qu’on aura regardée comme constante, et il faudra déterminer cette fonction conformémentaux limites données de la surface. On déterminera ensuite, d’après ces limites, la première variable en fonction de la seconde, par rapport à laquelle on prendra de nouveau la fonction primitive.
81. Si, pour faciliter la recherche des doubles fonctions primitives ou pour d’autres vues, on voulait changer les variables en d’autres variables et dont celles-là seraient des fonctions données, il faudrait, par les principes établis dans la première Partie (no 50), multiplier d’abord les fonctions regardées comme dérivées doubles par mais ensuite on ne pourrait pas substituer immédiatement les valeurs de en et parce qu’en prenant la fonction primitive par rapport à l’une des variables l’autre doit être regardée comme constante.
Soit la fonction dont il s’agit d’avoir la double fonction primitive pour changer les variables en d’autres variables et on la mettra d’abord sous la forme Supposons qu’à la place de la variable par rapport à laquelle on veut prendre d’abord la fonction primitive en regardant comme constante, on substitue une fonction donnée de et de étant une nouvelle variable qui remplacera
Soit on aura, en ne faisant varier que
et la fonction proposée deviendra
dont il faudra prendre la fonction primitive par rapport à étant regardée comme constante, et ensuite par rapport à étant regardée comme constante. Or on peut aussi substituer à la place de une autre variable et supposer, puisque est à son égard constante,
ce qui donnera, en ne faisant varier que
Ainsi la fonction proposée deviendra
laquelle ne renferme plus que et à cause de
et dont on pourra prendre la double fonction primitive par rapport à et à
Puisque et on aura, après la substitution de égale à une simple fonction de et que nous dénoterons par de manière que les transformations de et en et seront représentées par
Or l’équation identique
donne, en faisant varier séparément et
éliminant on aura
et cette valeur, étant substituée dans la dernière transformée de la fonction proposée, donnera
qu’on peut mettre sous cette forme plus simple,
dans laquelle et peuvent être des fonctions quelconques de et et où les traits supérieurs indiquent les fonctions dérivées par rapport à et les inférieurs indiquent les dérivées par rapport à
82. Ainsi, en regardant comme une fonction de et donnée par la nature de la surface du corps, et supposant qu’on substitue à la place de des fonctions quelconques de et la solidité ou le volume du corps et sa surface seront représentés par les doubles fonctions primitives relatives à et des formules
où il faut remarquer que les fonctions dérivées de doivent être prises par rapport à et mais, si l’on substitue tout de suite dans pour et leurs valeurs en et il est clair que deviendra une simple fonction de et et voici comment on pourra exprimer les dérivées de par rapport à et par ses dérivées par rapport à et
Pour distinguer ces dérivées les unes des autres, nous renfermerons les premières entre des parenthèses. Ainsi et désigneront les dérivées de prises par rapport à et et désigneront simplement les dérivées de prises par rapport à et après la substitution des valeurs de en et dans l’expression de En regardant donc comme fonction de et comme fonctions de et prenant les dérivées séparément par rapport à et à on aura, par les principes établis dans la première Partie,
d’où l’on tire
ce sont les valeurs qu’il faudra substituer dans le radical
et, la substitution faite, on aura la formule
dont la double fonction primitive, prise par rapport à et à donnera la surface du corps, les variables étant maintenant regardées comme de simples fonctions de et
83. Ces expressions pour le volume et pour la surface d’un corps quelconque, dont les coordonnées sont supposées fonctions de et étant traduites en langage différentiel, deviennent
et
et représentent les éléments infiniment petits du volume et de la surface, qu’il faut intégrer et compléter d’abord par rapport à l’une des deux variables et ensuite par rapport à l’autre.
84. Pour donner une application de ces formules, nous supposerons que le corps, dont on cherche la solidité et la surface, soit un ellipsoïde quelconque dont les trois demi-axes soient l’équation de sa surface entre les trois coordonnées rectangles parallèles aux demi-axes sera représentée ainsi,
d’où l’on aura en fonction de et
Mais on évitera l’irrationnalité de en prenant deux angles indéterminés et et en faisant
et, pour avoir le volume et la surface de tout l’ellipsoïde, il suffira, après les substitutions, de prendre les fonctions primitives séparément par rapport à et depuis jusqu’à égal à deux angles droits et depuis jusqu’à égal à quatre angles droits car cette transformation des coordonnées de l’ellipsoïde, que M. Ivory paraît avoir employée le premier pour faciliter le calcul de l’attraction de ce solide (Transactions philosophiques de 1809, vol. XI), a l’avantage de rendre indépendantes les fonctions primitives relatives à et lorsque la double fonction primitive doit s’étendre à la surface entière.
En prenant les fonctions dérivées des par rapport à et à on aura
et de là on aura
de sorte que les formules pour le volume et pour la surface de l’ellipsoïde deviendront
dont il faudra prendre les fonctions primitives depuis jusqu’à et depuis jusqu’à étant la demi-périphérie.
85. Considérons d’abord la formule
pour le volume. En substituant à la place de et ensuite
au lieu de elle devient
dont la fonction primitive, prise de manière qu’elle commence où est
Faisant ce qui donne et elle se réduit abc à
Il faut prendre encore la fonction primitive de celle-ci par rapport à depuis jusqu’à et comme la variable dont la fonction prime est ne s’y trouve pas, il n’y aura qu’à multiplier simplement par ce qui donnera
pour la solidité ou le volume du sphéroïde entier dont sont les trois demi-axes.
86. Venons à la formule relative à la surface et supposons d’abord, pour la simplifier, ce qui donne un sphéroïde de révolution autour de l’axe elle deviendra
où l’on voit que l’angle a disparu ; je conserve la lettre sous le signe, pour plus de généralité.
Faisons on aura d’ailleurson a on aura ainsi la transformée
dont il faudra prendre la fonction primitive depuis jusqu’à
Soit
on aura la fonction primitive par rapport à
et, faisant elle deviense réduit à
et, faisant elle devient
Donc la fonction primitive complète, relativement à ou à sera
Il faut de nouveau en prendre la fonction primitive relative à et comme la variable ne s’y trouve pas, on se contentera de la multiplier par et, faisant maintenant on aura, pour la surface entière du sphéroïde formé par la révolution d’une ellipse dont les demi-axes sont et autour du petit axe la formule
où est l’excentricité
Pour que la valeur de soit réelle, il faut que et, par conséquent, que le sphéroïde soit aplati et formé par la révolution de l’ellipse autour de son petit axe
Si l’on voulait avoir la surface d’un sphéroïde allongé formé par la révolution d’une ellipse autour de son grand axe, il faudrait prendre pour son grand axe : alors la valeur de deviendrait imaginaire. Soit pour ce cas, on aura
et, passant des logarithmes imaginaires aux arcs réels par les formules
du
no 22 (I
re Partie), on aura, pour la surface cherchée, la formule
87. Si l’on n’avait pas fait et qu’on eût supposé, en général,
on eût eu, pour la fonction primitive relative à la formule
où
et il aurait été impossible, dans l’état actuel de l’Analyse, de trouver la fonction primitive de celle-ci relative à Mais on peut toujours avoir cette fonction par approximation lorsque la différence des demi-axes et est assez petite.
Soit cette quantité étant positive ou négative, la quantité deviendra et il n’y aura qu’à mettre, dans la formule précédente, à la place de ensuite développer par rapport à Donc, si l’on suppose
on aura, en développant par les fonctions dérivées relatives à la série
dont il faudra prendre les fonctions primitives relatives à depuis jusqu’à
Désignons par les fonctions primitives de prises entre ces limites ; on aura, pour la surface de l’ellipsoïde dont sont les trois demi-axes, l’expression
série qui sera d’autant plus convergente que la quantité sera plus petite.
À l’égard des coefficients il est facile de les déterminer en résolvant les puissances de en cosinus d’angles multiples de par le moyen de l’expression exponentielle imaginaire de (no 22, Ire Partie), et, comme les cosinus ont pour fonctions primitives les sinus correspondants, lesquels deviennent nuls aux deux extrémités où et il s’ensuit qu’il ne restera que les termes indépendants de multipliés par où il est facile de voir que ces termes ne sont que les coefficients du terme moyen du binôme, élevé à la deuxième, à la quatrième, à la sixième, etc. puissance, divisé par la même puissance de Ainsi l’on aura