Théorie mathématique de la lumière/1/Chap.07

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Georges Carré (1p. 319-378).

CHAPITRE VII


RÉFLEXION

198. Quand un rayon de lumière arrive à la surface de séparation de deux milieux, une partie de la lumière est réfléchie par cette surface et reste dans le premier milieu ; une autre partie est réfractée et pénètre dans le second milieu. On peut se demander quelle est la fraction de la lumière incidente qui est réfléchie et quelle est la fraction qui est réfractée. D’autre part si le rayon incident est polarisé, les rayons réfléchi et réfracté le seront également et il importe de savoir quels sont leurs plans de polarisation. En d’autres termes, le problème que nous nous proposons est le suivant :

Étant données la direction et l’amplitude de la vibration incidente, trouver la direction et l’amplitude de la vibration réfractée et de la vibration réfléchie.

Nous supposerons toujours que le premier milieu est transparent et isotrope, mais la solution sera différente suivant que le second milieu sera : 1o Transparent et isotrope ; 2o Transparent et cristallisé ; 3o Opaque.

Nous examinerons successivement ces trois cas qui sont ceux de la réflexion vitreuse, de la réflexion cristalline et de la réflexion métallique.

RÉFLEXION VITREUSE

La réflexion vitreuse a donné lieu à trois théories également confirmées par l’expérience, ce sont celle de Fresnel, celle de Neumann et Mac-Cullagh et celle de Cauchy.

THÉORIE DE FRESNEL[1]

199. Hypothèses fondamentales. — Fresnel suppose :

1o Que la vibration est perpendiculaire au plan de polarisation.

2o Que l’élasticité de l’éther est constante et est la même dans les deux milieux. La densité de l’éther est au contraire variable. Comme la vitesse de propagation est égale à nous devons admettre, si nous regardons comme constant, que est proportionnel au carré de l’indice de réfraction.

3o Fresnel envisage ensuite les vitesses de deux molécules infiniment voisines l’une de l’autre et de la surface de séparation, mais situées de part et d’autre de ces surfaces ; il décompose chacune de ces vitesses en deux autres, l’une parallèle au plan tangent à la surface de séparation, l’autre normale à ce plan. Il admet que les composantes tangentielles des vitesses des deux molécules doivent être les mêmes en grandeur et en direction, mais que les composantes normales peuvent être différentes.

Cette façon d’énoncer l’hypothèse de la continuité peut paraître arbitraire et elle a semblé telle à bien des esprits. Nous croyons que c’est à tort. Les vibrations de l’éther sont transversales ; nous avons montré (45) qu’on peut expliquer cette transversalité de bien des manières, mais nous avons surtout insisté sur deux de ces explications. On peut supposer que cette transversalité est le résultat d’une sorte de liaison, telle que la résistance de l’éther à la compression est infinie. C’est, ainsi que nous l’avons dit plus haut, l’hypothèse que Fresnel paraît avoir adoptée dans sa théorie de la double réfraction. Ici il adopte l’hypothèse contraire, celle où les équations du mouvement s’écrivent :

et où la résistance de l’éther à la compression est nulle. Mais s’il en est ainsi, rien n’empêche d’admettre que les composantes normales des vitesses de nos deux molécules infiniment voisines soient différentes. Imaginons en effet que la surface de séparation des deux milieux soit un plan et considérons deux plans infiniment voisins parallèles au plan de séparation, mais situés de part et d’autre de ce plan. Envisageons les molécules d’éther situées dans ces deux plans ; si les composantes normales de leurs vitesses ne sont pas les mêmes, la distance de ces deux plans va varier d’une façon périodique et il en résultera des compressions et dilatations alternatives de l’éther compris entre ces deux plans. Mais la résistance de l’éther à la compression étant nulle, ces alternatives pourront se produire sans apporter dans le mouvement aucune perturbation.

4o Enfin Fresnel s’appuie sur le principe des forces vives.

200. Application des principes précédents. — Nous supposerons que la surface de séparation des deux milieux est un plan ; que les ondes incidente, réfléchie et réfractée sont planes. Nous supposerons de plus que le rayon incident, et par conséquent les rayons réfléchi et réfracté sont entièrement polarisés. Les lois de la réflexion de la lumière naturelle se déduisent en effet aisément de celles de la lumière polarisée, si l’on regarde un rayon naturel comme la superposition de deux rayons d’égale intensité polarisés à angle droit.

Nous prendrons le plan de séparation des deux milieux pour plan des Soient les trois composantes du déplacement d’une molécule quelconque ; les composantes du déplacement dû à la lumière incidente ; celles du déplacement dû à la lumière réfléchie ; celles du déplacement dû à la lumière réfractée. On aura alors dans le premier milieu :

et dans le second milieu :

D’après la troisième hypothèse de Fresnel, et sont des fonctions continues, mais peut être discontinu. On a donc pour

(1)

Les ondes étant planes, on aura

Les les et les et les sont des constantes ; a la même valeur pour le rayon incident et pour le rayon réfléchi, car c’est la vitesse de propagation dans le premier milieu ; est la vitesse de propagation dans le second milieu et l’on a, en appelant l’indice de réfraction

Les vibrations devant être dans le plan de l’onde ; on aura

(2)

La première des équations (1) qui doivent être vérifiées pour nous donne

(3)

201. Fresnel introduit ici une hypothèse nouvelle ; c’est que cette hypothèse lui est suggérée non par des vues théoriques, mais par l’expérience qui lui prouve que tant qu’il n’y a pas réflexion totale, la lumière réfléchie reste polarisée rectilignement si la lumière incidente l’est elle-même.

Dans ce cas l’équation (3) ne peut être vérifiée identiquement que si l’on a

(4)

La seconde équation (1) nous donnerait de même

Les équations (4) nous donnent

Nous supposerons que le plan d’incidence ait été choisi comme plan des on aura alors et en appelant l’angle d’incidence :

Si est nul, il devra en être de même de et de en vertu des équations (4). Cela veut dire que l’onde réfléchie et l’onde réfractée sont perpendiculaires au plan de ou en d’autres termes que le rayon réfléchi et le rayon réfracté sont dans le plan d’incidence.

Puisque on aura aussi

et

Comme ne peut être égal à sans quoi le rayon incident et réfléchi se confondraient, on aura

Cela montre que l’angle de réflexion est égal à l’angle d’incidence.

De même si est l’angle de réfraction, on aura

et puisque on arrive à la loi connue de la réfraction

La théorie de Fresnel conduit donc très simplement aux lois élémentaires de la réflexion et de la réfraction.

D’autre part les équations (2) deviennent :

Ces équations ne peuvent être vérifiées identiquement que si l’on a

Si le rayon incident est polarisé rectilignement on aura de sorte que les neuf quantités seront égales ; nous pourrons supposer alors que l’origine des temps a été choisie de telle sorte que ces neuf quantités soient nulles.

Il nous restera donc entre les quantités et les relations :

(5)
(6)

202. Application du principe des forces vives. — Pour pouvoir appliquer le principe des forces vives, il faut supposer qu’une portion seulement de l’éther est ébranlée ; car si tout l’espace était éclairé, la force vive totale serait infinie et l’application du principe deviendrait illusoire.

Nous supposerons qu’à l’origine des temps l’éther ébranlé se trouve renfermé dans un parallélipipède rectangle (fig.26)
Fig. 26.
limité par deux plans parallèles au plan d’incidence, par deux plans parallèles au plan de l’onde incidente et par deux plans perpendiculaires aux quatre premiers. Nous supposerons de plus que les dimensions de ce parallélipipède soient très grandes par rapport à une longueur d’onde de façon à n’avoir pas à tenir compte des phénomènes de diffraction.

Que deviendra l’ébranlement de l’éther au bout d’un temps L’ébranlement parti d’un point du parallélipipède cheminera d’abord dans la direction du rayon incident jusqu’à sa rencontre en avec le plan de séparation ; là il se divisera en deux parties, l’une ira de en en suivant le rayon réfléchi, l’autre de en en suivant le rayon réfracté. Il marchera d’ailleurs avec une vitesse le long de et de et avec une vitesse le long de de sorte qu’on devra avoir :

ou
(7)

Ainsi au temps la lumière partie du parallélipipède occupera deux parallélipipèdes : le premier occupé par la lumière réfléchie aura deux faces parallèles au plan d’incidence et deux faces parallèles à l’onde réfléchie.

Le second occupé par la lumière réfractée aura deux faces parallèles au plan d’incidence et deux faces parallèles à l’onde réfractée. Sur la figure ces trois parallélipipèdes sont représentés en prenant pour plan du tableau le plan d’incidence.

Soient et les masses d’éther contenues dans ces trois parallélipipèdes. La valeur moyenne de l’énergie d’une masse d’éther ébranlée, par exemple par la lumière incidente, sera proportionnelle d’une part à cette masse, d’autre part à le théorème des forces vives s’écrira donc :

Il est clair que il faut chercher le rapport de à Les volumes de nos parallélipipèdes seront entre eux comme leurs sections faites par le plan d’incidence, c’est-à-dire comme les rectangles Comme d’autre part la densité dans le second milieu est fois plus grande que dans le premier, on aura

On a, en vertu de l’équation (7) :

d’où
D’autre part,
d’où

Le principe des forces vives peut donc s’écrire

Nous pouvons décomposer le rayon incident en deux autres, l’un polarisé dans le plan d’incidence, l’autre perpendiculairement à ce plan.

Pour le premier sont nuls.

Pour le second et sont nuls.

Le principe des forces vives doit être vrai pour chacun de ces rayons séparément de sorte que l’équation des forces vives se décompose en deux :

(8)
(9)

Les équations (5), (6), (8) et (9) suffisent pour déterminer et quand on connaît et

203. Premières conséquences. — Si nous divisons l’équation (8) par la seconde des équations (5) il vient :

(10)

Si dans l’équation (9) nous remplaçons et par leurs valeurs tirées de (6) il vient :

ou en divisant par la première équation (5),

ou
(11)

Les deux équations (8) et (9) peuvent donc être remplacées par les équations (10) et (11) qui ont l’avantage d’être linéaires.

L’équation (10) peut s’écrire (si l’on se rappelle que

(12)

De même l’équation (11) peut s’écrire

ou en tenant compte des équations (6)

Cette équation et l’équation (12) s’écriront plus symétriquement (en se rappelant que les sont nuls)

(13)

auxquelles on peut ajouter la suivante :

que l’on déduit de la seconde équation (5) en observant que les sont nuls et que

Sous cette forme symétrique il est aisé de voir quelle est la signification des équations (13). Nous avons, en effet, en nous rappelant que les quantités que nous avions appelées sont supposées nulles,

d’où
de sorte que :

Ainsi, la seconde équation (13) peut s’écrire :

Elle signifie que est une fonction continue. De même les deux autres équations (13) signifient que et sont des fonctions continues. Ces conditions peuvent remplacer le principe des forces vives.

Je dis que est aussi une fonction continue. En effet et sont continues et il est aisé de voir qu’il en est de même de et Mais à cause de la transversalité des vibrations, on doit avoir dans les deux milieux

Donc est aussi continu.

Ainsi dans les hypothèses de Fresnel non seulement et mais encore et sont des fonctions continues.

204. Théorème de Mac-Cullagh. — Multiplions la seconde équation (5) par et ajoutons la à (10) de façon à éliminer il viendra

(14)

Éliminons de même entre la première équation (5) et l’équation (11), il viendra :

ou,
(15)

La comparaison des équations (14) et (15) donne :

ou plus symétriquement

Cette équation prouve que le rayon incident, la vibration incidente et la vibration réfractée sont dans un même plan.

En d’autres termes la vibration incidente est, en direction seulement, la projection de la vibration réfractée sur l’onde incidente.

On démontrerait de même que la vibration réfléchie est, en direction, la projection de la vibration réfractée sur l’onde réfléchie.

205. Loi de Brewster. — Supposons que le rayon réfléchi soit perpendiculaire au rayon réfracté, c’est-à-dire que l’onde réfléchie soit perpendiculaire à l’onde réfractée.

Toute droite située sur le plan de l’onde réfractée se projettera sur le plan de l’onde réfléchie suivant la droite d’intersection de ces deux plans, c’est-à-dire suivant l’axe des

Quelle que soit donc la direction de la vibration réfractée et par conséquent aussi la direction de la vibration incidente, la vibration réfléchie sera parallèle à l’axe des

En d’autres termes, quel que soit le plan de polarisation du rayon incident, le rayon réfléchi sera entièrement polarisé dans le plan d’incidence. Il en sera donc encore de même quand la lumière incidente sera naturelle.

206. Réflexion totale. — Si le second milieu est moins réfringent que le premier, est plus petit que il peut arriver alors que soit plus grand que et par conséquent que soit imaginaire.

L’angle de réfraction est alors imaginaire, la lumière ne pouvant se transmettre dans le second milieu se réfléchit toute entière et l’on dit alors qu’il y a réflexion totale. Dans ce cas les formules de Fresnel deviennent illusoires, car le rapport par exemple est imaginaire. Nous avons vu que dans le cas ordinaire Fresnel avait introduit l’hypothèse que les deux rayons incident et réfléchi avaient même phase et que

Dans le cas de la réflexion totale ses formules lui donnent pour une valeur imaginaire de la forme

Fresnel admet, par une sorte d’intuition heureuse que le module de cette expression imaginaire, c’est-à-dire représente la véritable valeur du rapport et que l’argument de cette même expression c’est-à-dire représente la différence de phase qu’il avait jusque là supposée nulle.

Il a été évidemment conduit à cette hypothèse hardie par deux expériences antérieures qui lui avaient prouvé que si le rayon incident est polarisé rectilignement, le rayon réfléchi, qui a d’ailleurs même intensité, est polarisé elliptiquement.

Quoi qu’il en soit, sa hardiesse a été pleinement justifiée par l’expérience.

207. Objections contre la théorie de Fresnel. — L’analyse qui précède a été entre les mains de Fresnel un admirable instrument de découverte ; c’est à ce point de vue qu’il faut la considérer sans y chercher une rigueur qui ne saurait s’y trouver. Les théoriciens y ont fait un certain nombre d’objections plus ou moins sérieuses que nous devons réfuter si nous voulons établir la parfaite concordance de la théorie des ondes avec l’expérience.

1o La restriction apportée au principe de la continuité en ce qui concerne les composantes normales paraît assez arbitraire ;

2o L’hypothèse de que nous avons introduite plus haut ne paraît justifiée au premier abord par aucune raison théorique ;

3o La formule de la réflexion totale, confirmée par l’expérience, paraît due plutôt à un heureux hasard qu’à un raisonnement rigoureux ;

4o Si l’élasticité de l’éther est constante, sa densité devra être proportionnelle au carré de l’indice de réfraction, mais comme cet indice dépend de la longueur d’onde, cette formule conduit pour la densité de l’éther à des valeurs différentes suivant la couleur de la lumière que l’on considère ;

5o Enfin la théorie précédente ne paraît pas, pour une raison analogue, susceptible d’être étendue aux milieux cristallisés puisque l’indice de réfraction n’est pas une constante. Si donc la densité est regardée comme une constante, elle ne saurait être proportionnelle au carré de cet indice.

208. Réfutation de ces objections, — Nous allons chercher à faire une autre exposition de la théorie de Fresnel, sans nous écarter de la pensée de son auteur, mais en nous mettant à l’abri de ces objections.

Nous écrirons les équations du mouvement sous la forme

Nous regarderons comme constant et comme variable ; nous pourrons alors choisir les unités de façon que Nous imaginerons ensuite que l’espace est partagé en trois régions ; l’une occupée par le premier milieu, et où pourra être regardé comme constant ; l’autre occupée par le second milieu et où aura une valeur constante différente de la première ; enfin entre ces deux régions s’étendra une troisième région intermédiaire que nous appellerons couche de passage et où variera très rapidement depuis sa première valeur constante jusqu’à la seconde. L’épaisseur de cette couche de passage sera finie, mais très petite par rapport à une longueur d’onde.

Si la surface de séparation est le plan des la couche de passage sera limitée par deux plans extrêmement voisins parallèles au plan de séparation.

Alors la densité est une fonction de seulement, qui reste constante de à varie très rapidement de à et prend de nouveau une valeur constante différente de la première de à

L’existence d’une pareille couche de passage semblera plus naturelle que l’hypothèse d’un changement brusque dans la nature du milieu, elle nous débarrasse d’ailleurs de toutes les difficultés relatives au principe de continuité.

Ceci posé, cherchons à satisfaire aux équations du mouvement en faisant :

et étant des fonctions imaginaires de seulement. Alors seront aussi des fonctions imaginaires dont les parties réelles représenteront les véritables déplacements des molécules d’éther, conformément à la convention faite plus haut.

Les équations du mouvement deviennent alors

en représentant par des lettres accentuées les dérivées de par rapport à

Dans chacun des deux milieux la densité est constante et on trouve pour l’intégrale de ces équations

Appelons la valeur de dans le premier milieu et la valeur de ce même radical dans le second milieu.

Alors nous aurons en comparant nos notations à celles que nous avons employées plus haut :

L’expression de que nous venons de trouver se compose de deux termes ; dans le premier milieu, le terme en correspond au rayon incident et le terme en correspond au rayon réfléchi ; dans le second milieu le terme correspondra au rayon réfracté ; le terme en ne correspondra à rien et son coefficient devra être nul. Dans le premier milieu on aura donc

et dans le second milieu

Si nous comparons nos notations actuelles à celles que nous avons employées plus haut, nous trouverons :

Si nous posons

les équations du mouvement deviennent

ou :

Ces équations montrent que les dérivées et sont finies ; et comme la couche de passage est extrêmement mince, les valeurs de et des deux côtés de cette couche seront extrêmement peu différentes. Donc et sont des fonctions continues et par conséquent finies.

On a

Ainsi les dérivées de et de sont finies et par conséquent et sont continues. Comme on a d’autre part

on voit que est aussi continue.

Si l’on ajoute les trois équations du mouvement après les avoir différentiées respectivement par rapport à et il vient :

ce qui nous donne ici,

Cela prouve d’abord que est une fonction continue et comme est discontinu, ne pourra être continu à moins d’être nul.

De plus étant continu il en résulte que

est continu. Mais dans les deux milieux est constant de sorte que cette expression se réduit à

Ainsi, par le calcul rigoureux qui précède nous retrouvons les mêmes résultats auxquels une intuition heureuse avait conduit Fresnel : les fonctions et sont continues, tandis que est discontinu.

En écrivant ces conditions, il vient

(15)

auxquelles il faut joindre les conditions de transversalité :

Les conditions (15) suffisent pour la solution complète du problème. Nous n’avons donc pas fait intervenir le principe des forces vives ; ce principe est cependant certainement applicable dans le cas qui nous occupe ; en effet les équations du mouvement dont nous nous sommes servis sont celles que nous avons obtenues dans le chapitre premier en supposant l’existence d’une fonction des forces ; ce qui implique le principe des forces vives.

209. Réflexion totale. — La quantité qui se rapporte au rayon incident est toujours réelle ; la quantité est aussi toujours réelle si le premier milieu est moins réfringent que le second. Mais, si la quantité n’est réelle que si l’angle d’incidence est assez petit. Si l’angle d’incidence dépasse une certaine limite, devient imaginaire et il y a réflexion totale.

Tant que est réel, les équations (15) nous donnent pour les rapports des quantités etc. des valeurs réelles ; ce qui revient à dire qu’elles ont toutes même argument ou que toutes les quantités sont égales entre elles. Si l’on suppose que l’origine du temps ait été choisie de telle façon que soit nul, les neuf seront nuls. Ainsi se trouve justifiée l’hypothèse de Fresnel.

Il n’en est plus de même quand est imaginaire et qu’il y a réflexion totale ; les rapports des coefficients etc. deviendront imaginaires. On verrait que les rapports

ont pour module l’unité, ce qui prouve que l’intensité du rayon réfléchi est la même que celle du rayon incident. Les arguments de ces rapports représentent les différences de phase du rayon réfléchi et du rayon incident. Ainsi une analyse rigoureuse, que l’emploi des exponentielles imaginaires a rendue très simple, nous conduit au même résultat que l’induction hardie de Fresnel.

Quels seront alors les mouvements de l’éther dans le second milieu. Nous trouverons par exemple :

partie réelle de

Comme est imaginaire nous pourrons poser

d’où, en supposant que l’origine du temps ait été choisie de façon que l’argument de soit nul,

Nous reconnaissons ainsi qu’une certaine quantité de lumière pénètre dans le second milieu et que, si elle n’est pas observable, c’est à cause de la présence du facteur qui est très rapidement décroissant quand croît. Il en résulte que l’intensité de la lumière réfractée n’est sensible qu’à une faible distance du plan de séparation, distance du même ordre de grandeur qu’une longueur d’onde.

On est parvenu à déceler la présence de cette lumière réfractée[2] par l’artifice suivant. Deux prismes de verre sont séparés par une lame d’air extrêmement mince ; cette lame est comprise entre deux faces parallèles et appartenant l’une au premier prisme, l’autre au second. Un rayon lumineux traverse le premier prisme et vient rencontrer la face sous un angle d’incidence supérieur à l’angle limite ; la lumière réfractée pénètre dans la lame d’air et si cette lame est assez mince pour que la lumière atteigne la face avant de s’être éteinte, elle pénètre dans le second prisme et se comporte ensuite régulièrement, de sorte que l’on peut observer la lumière transmise à travers les deux prismes et la lame d’air.

Cette expérience paraît avoir été faite par Fresnel[3] ; elle a été répétée plus récemment et complétée par M. Quincke. Le phénomène est tout à fait analogue à celui des anneaux colorés ; mais on n’observe pas alors les vives colorations que présentent d’ordinaire les lames minces. Il est aisé de se rendre compte pourquoi ; en effet dans la théorie ordinaire des anneaux colorés, on trouve que l’intensité des rayons dont la longueur d’onde est est proportionnelle à désignant l’épaisseur de la lame et un coefficient qui dépend de la direction du rayon lumineux. Pour certaines valeurs de ce sinus s’annule, ce qui fait disparaître les rayons de certaines couleurs et produit une vive coloration de la lumière. Ici est imaginaire et les sinus ordinaires sont remplacés par des sinus hyperboliques qui ne peuvent s’annuler que si Les vives colorations n’apparaîtront donc pas.

Nous n’insisterons pas sur cette expérience ; nous nous bornerons à ajouter que les résultats concordent avec la théorie d’une façon assez satisfaisante, mais qu’il subsiste néanmoins de légères différences qui paraissent s’expliquer, parce que l’épaisseur de la couche de passage ne serait pas tout à fait négligeable devant une longueur d’onde.

210. Objection relative à la dispersion. — Les considérations qui précèdent nous paraissent réfuter complètement les trois premières objections faites à la théorie de Fresnel. Nous reviendrons sur la cinquième à propos de la réflexion cristalline ; mais nous devons parler ici de la quatrième qui est relative à la dispersion. Pour la réfuter, il faut se reporter à ce que nous avons dit des théories de la dispersion.

Prenons par exemple la dernière des théories que nous avons exposées. Dans cette théorie, on considère l’action mutuelle des molécules d’éther et des molécules matérielles, et les équations du mouvement s’écrivent en appelant les composantes du déplacement d’une molécule d’éther, celles du déplacement d’une molécule matérielle, la densité de l’éther, celle de la matière, un coefficient assez grand :

et , doivent être regardés comme des fonctions de qui, constantes dans chacun des deux milieux, varient très rapidement dans la couche de passage.

Supposons qu’on cherche à satisfaire à ces équations, en faisant

on a alors
d’où
Posons

il viendra, en remplaçant par sa valeur dans la première des équations du mouvement

et de même

Tout se passe donc comme si chacun des deux milieux était homogène et avait pour densité Mais cette densité fictive dépend de c’est-à-dire de la longueur d’onde. Tout se passe donc comme si la densité de l’éther n’était pas la même pour les différentes couleurs, et la quatrième objection se trouve écartée.

La théorie de Briot, qui explique la dispersion en admettant que n’est pas une constante mais une fonction périodique permet aussi de réfuter sans peine cette objection. Cela ne serait pas aussi aisé si on admettait la théorie de Cauchy.

THÉORIE DE NEUMANN ET MAC CULLAGH.

211. Neumann et Mac-Cullagh ont fondé sur des hypothèses toutes contraires à celles de Fresnel, une théorie qui est cependant également confirmée par l’expérience. Dans l’étude de cette théorie, nous adopterons un mode d’exposition qui diffère beaucoup de celui des inventeurs, mais qui fait mieux ressortir la véritable raison de ce fait étrange.

Soient les projections sur les trois axes du déplacement dû à la propagation d’une onde plane quelconque, de sorte que soient les parties réelles de

Si l’on pose

et seront les parties réelles de

Si l’on regarde comme les projections sur les trois axes du déplacement dû à la propagation d’une seconde onde plane, il y aura entre les deux mouvements vibratoires représentés respectivement par et par les relations suivantes :

1o Les deux vibrations et seront toutes deux dans le plan de l’onde (qui sera le même pour les deux mouvements vibratoires) ; mais elles seront perpendiculaires l’une à l’autre.

2o Il y a entre les deux vibrations une différence de phase égale à (à cause du facteur qui entre dans et ).

3o L’amplitude de la vibration sera à celle de la vibration dans le rapport

212. Revenons maintenant à la théorie de Fresnel que nous venons d’exposer ; nous avons vu que si l’on appelle les composantes du déplacement dû respectivement à la lumière incidente, à la lumière réfléchie, et à la lumière réfractée, des considérations théoriques ont conduit Fresnel à établir entre ces neuf quantités certaines relations que l’expérience a confirmées.

On peut former alors les quantités de la façon suivante :

Supposons avec Neumann et Mac-Cullagh que la vibration est parallèle au plan de polarisation, perpendiculaire par conséquent à la vibration de Fresnel.

Supposons en même temps que les trois composantes des vibrations incidente, réfléchie et réfractée sont respectivement ces quantités étant liées par les mêmes relations que dans la théorie de Fresnel.

Nous allons montrer d’abord que ces hypothèses ne sont pas contredites par l’expérience, c’est à-dire que les résultats vérifiables expérimentalement sont les mêmes que dans la théorie de Fresnel.

En effet, les vibrations et sont perpendiculaires entre elles, d’où il suit que la direction des vibrations incidente, réfléchie et réfractée est dans la théorie de Neumann perpendiculaire à ce qu’elle est dans la théorie de Fresnel ; mais, comme nous supposons en même temps que le plan de polarisation est parallèle à la vibration et non perpendiculaire comme l’imaginait Fresnel, le plan de polarisation qui est seul accessible à l’expérience, est le même dans les deux théories opposées.

Soient les intensités des lumières incidente, réfléchie et réfractée dans la théorie de Fresnel ; soient les intensités des mêmes lumières dans la théorie de Neumann. Soient et les longueurs d’onde correspondante. Comme les intensités sont proportionnelles aux carrés des amplitudes, on aura

Comme on aura

Ainsi le rapport de l’intensité de la lumière réfléchie à celle de la lumière incidente est la même dans les deux théories, de sorte que les expériences qui déterminent ce rapport ne permettent pas non plus de décider entre elles.

Le rapport est au contraire différent du rapport mais si nous supposons par exemple que le premier milieu soit l’air et le second le verre, on pourra observer l’intensité de la lumière incidente, mais on n’aura aucun moyen d’aller observer dans le verre celle de la lumière réfractée ; il faudra attendre, pour que cette observation devienne possible, que cette lumière soit sortie du verre par une nouvelle réfraction pour pénétrer de nouveau dans l’air. Son intensité sera devenue alors dans la théorie de Fresnel, dans celle de Neumann et puisque la longueur d’onde sera de nouveau égale à (longueur d’onde dans l’air) on aura :

de sorte qu’il viendra encore

De même les expériences d’interférence telles que celle des trois miroirs ne peuvent permettre de donner la préférence à l’une des deux théories. Si deux rayons interfèrent de façon à se détruire c’est que les valeurs de et relatives à ces deux rayons sont respectivement égales et de signe contraire. Il en sera alors évidemment de même des valeurs de :

En résumé les deux théories sont toutes deux également bien conformes à l’expérience.

213. Principe de continuité. — Nous avons vu, (203) que sont des fonctions continues. Comme ces fonctions représentent dans la nouvelle théorie les composantes du déplacement, nous voyons que ces trois composantes sont continues. Le principe de continuité n’est donc plus ici soumis à la même restriction que dans la théorie de Fresnel où les composantes parallèles au plan de séparation devaient être continues tandis que la composante normale pouvait être discontinue.

Cette condition de continuité s’exprime en écrivant que pour on a

(1)

214. Densité de l’éther. — Voyons quelle doit être dans la nouvelle théorie la densité de l’éther. Reportons-nous à ce que nous avons dit plus haut au sujet de l’application du principe des forces vives (202). Ce principe doit être applicable aussi bien dans l’hypothèse de Neumann que dans celle de Fresnel. Soient et les volumes de trois parallélipipèdes d’éther et Soient et les densités de l’éther admises par Fresnel dans le premier et le second milieu ; et ce que doivent être ces mêmes densités dans la nouvelle théorie ; on aura d’après l’une des hypothèses de Fresnel

Le principe des forces vives s’écrira dans la théorie de Fresnel

(2)

et dans celle de Neumann

(3)
L’équation (2) donne
d’où
ou enfin en comparant à (3) :

Ainsi dans la théorie de Neumann, la densité de l’éther doit être regardée comme constante et son élasticité comme seule variable.

En résumé les hypothèses que nous avons faites équivalent aux suivantes qui sont celles qui ont été énoncées par Neumann et Mac Cullagh :

1o La vibration est perpendiculaire au plan de polarisation ;

2o La densité de l’éther est constante ;

3o Les trois composantes du déplacement sont des fonctions continues.

215. Théorème de Mac-Cullagh. — Soit [fig. 27) un
Fig. 27.
point du plan de séparation ; menons par ce point trois droites et dont les projections sur les trois axes soient respectivement, Ces trois droites représenteront en grandeur et direction, dans la théorie de Neumann, les vibrations incidente, réfléchie et réfractée. D’après les équations (1), est la somme géométrique de et de c’est-à-dire la diagonale du parallélogramme construit sur et Les trois droites et sont donc dans un même plan.

Cherchons à déterminer ce plan. Soient et les directions des vibrations incidente et réfractée dans la théorie de Fresnel. Le plan est celui de l’onde incidente, le plan celui de l’onde réfractée. D’après un théorème démontré plus haut (204), est la projection de sur l’onde incidente. Les deux plans, et sont donc rectangulaires ; de plus l’angle est droit ; donc est perpendiculaire au plan et par conséquent à perpendiculaire à la fois à et à est perpendiculaire au plan Donc le plan et le plan de l’onde réfractée sont rectangulaires. Donc le plan des trois vibrations et passe par le rayon réfracté.

Ceci permet de résoudre le problème suivant : connaissant en grandeur et direction la vibration incidente (dans la théorie de Neumann) construire les vibrations réfléchie et réfractée.

Par et le rayon réfracté faisons passer un plan qui coupe l’onde réfléchie suivant une certaine droite et l’onde réfractée suivant une droite Par le point menons une parallèle à jusqu’à sa rencontre en avec puis par le point une parallèle à jusqu’à sa rencontre en avec Nous avons ainsi construit en grandeur et direction les droites et

Si l’on veut énoncer le théorème sans faire intervenir la direction de la vibration, il faut dire :

Le plan de polarisation du rayon réfracté coupe le plan de polarisation du rayon incident suivant une droite perpendiculaire au rayon incident et le plan de polarisation du rayon réfléchi suivant une droite perpendiculaire au rayon réfléchi.

THÉORIE DE CAUCHY[4]

216. Cauchy prend pour point de départ le principe de continuité auquel il n’apporte aucune restriction ; non seulement et doivent être des fonctions continues, mais il en est de même des dérivées et (si l’on prend pour plan des le plan de séparation).

Il serait impossible de satisfaire à ces conditions si l’on n’admettait qu’à côté des vibrations transversales susceptibles d’être observées, il se propage également des vibrations longitudinales inaccessibles à l’expérience. Nous ne devons donc pas admettre que la vitesse de propagation des rayons longitudinaux soit nulle ; elle ne peut non plus être réelle, sans quoi une portion de la force vive due à la lumière incidente serait absorbée par ces ondes longitudinales et l’expérience n’indique aucune trace d’une semblable perte de force vive.

Nous sommes donc conduits à supposer que cette vitesse de propagation est imaginaire ; elle sera par exemple dans le premier milieu et dans le second. D’ailleurs et seront très petits. De cette façon les rayons longitudinaux seront évanescents (53) et n’absorberont pas de force vive.

Soient les composantes du déplacement dû aux vibrations transversales, les composantes du déplacement dû aux vibrations longitudinales, on aura :

Cherchons à satisfaire aux conditions en posant comme plus haut (210)

les les et les étant des fonctions de seulement.

Nous aurons, dans le premier milieu, c’est-à-dire pour

et dans le second milieu, c’est-à-dire pour

Écrivons que la vitesse de propagation dans le premier milieu est il viendra

On trouve de même

Nous voyons d’abord que et étant très petits, et seront très grands. Par conséquent les facteurs (dans le premier milieu où ) et (dans le second milieu où ) seront très petits à moins que la valeur absolue de ne soit très petite. Il n’y aura donc de lumière longitudinale sensible que dans le voisinage immédiat du plan de séparation ce qui explique pourquoi elle est inobservable et n’absorbe pas de force vive.

Écrivons que la vibration est longitudinale ; nous aurons :

(2)

Cela montre que est continu ; il en est de même de puisque d’après le principe de Cauchy, sont continus ainsi que leurs dérivées du premier ordre. Donc est continu, de même que Ainsi si l’on ne considère que la lumière transversale observable les quantités que nous avons appelées plus haut sont continues comme dans la théorie de Fresnel.

Les conditions (2) peuvent aussi s’écrire,

Donc et comme est continu, devra l’être aussi comme dans la théorie de Fresnel.

Il vient ensuite dans le premier milieu

et dans le second milieu

ou, ce qui revient au même, dans le premier milieu

(3)
et dans le second
(4)

La vibration étant transversale on aura dans les deux milieux

( est indépendant de ) ;

et comme est continu, cela signifie que est également continu.

Si donc nous appelons et les valeurs de et de dans le premier milieu, mais infiniment près du plan de séparation, et de même et les valeurs de et de dans le second milieu et infiniment près du plan de séparation, nous aurons

et les équations (3) et (4) donneront

(5)

Si la vitesse de propagation des vibrations longitudinales était la même dans tous les milieux, on aurait le second membre de l’égalité (5) serait nul et serait continu. Il en en résulterait que et par conséquent seraient des fonctions continues et il y aurait concordance complète avec la théorie de Fresnel.

Mais il est plus naturel de supposer dans ce cas, comme et sont tous deux très petits, le second membre de (5) n’est plus nul mais seulement très petit et la concordance avec la théorie de Fresnel n’est plus qu’approximative. En particulier le rayon réfléchi devrait présenter des traces de polarisation elliptique.

La théorie de Cauchy a paru un instant recevoir une confirmation éclatante quand les expériences de Jamin ont décelé l’existence de ces traces de polarisation elliptique que le géomètre français avait prévues. Mais de nouvelles expériences du même physicien ont cessé de concorder avec les prévisions de Cauchy.

Soient les vitesses de la lumière longitudinale dans l’air, dans l’eau et dans le verre ; les observations de Jamin sur la réfraction de l’air dans le verre devraient fournir le rapport de même en observant la réfraction de l’air dans l’eau, puis de l’eau dans le verre, on devrait trouver les rapports et

Le premier rapport devrait être égal au produit des deux autres ; il n’en est rien.

Aussi la théorie de Cauchy est-elle aujourd’hui abandonnée et préfère-t-on expliquer les phénomènes observés par Jamin en admettant que l’épaisseur de la couche de passage (208) n’est pas négligeable devant une longueur d’onde.


RÉFLEXION CRISTALLINE

Il y a deux théories principales de la réflexion cristalline : la première est une extension de la théorie de Neumann et Mac-Cullagh ; la seconde est celle de M. Sarrau qui peut être regardée comme une généralisation des théories de Cauchy et de Fresnel.

THÉORIE DE MAC-CULLAGH[5]

217. Hypothèses fondamentales. — Mac-Cullagh et Neumann admettent les mêmes hypothèses que dans le cas de la réflexion vitreuse :

1o La vibration est parallèle au plan de polarisation ;

2o L’élasticité de l’éther est variable et sa densité constante ;

3o Le principe des forces vives est applicable ;

4o Les trois composantes du déplacement et sont des fonctions continues.

218. Équations du mouvement lumineux. — Rappelons d’abord quelles sont les équations de la double réfraction rapportées à des axes quelconques (179).

Soient les trois composantes de la vibration de M. Sarrau ; celles de la vibration de Neumann, celles de la vibration de Fresnel, il viendra :

Si l’on observe qu’en tenant compte des expressions de et de , on a

il viendra
ou
(1)

On en déduirait par symétrie deux équations analogues pour et

Cela posé, nous allons reprendre l’hypothèse de la couche de passage que nous avons exposée plus haut (208) et montrer que cette hypothèse est équivalente à celle de Neumann.

Dans la théorie de la double réfraction on regarde les coefficients de comme des constantes. Mais ici nous n’avons plus affaire à un milieu homogène. Nous devons donc regarder ces coefficients comme variables.

Nous considérerons toujours deux milieux séparés par une couche de passage extrêmement mince ; cette couche de passage sera limitée par deux plans parallèles, à savoir par le plan des et par un plan infiniment voisin. Dans chacun des deux milieux les coefficients de conserveront des valeurs constantes ; dans la couche de passage au contraire ils varieront très rapidement. Remarquons de plus que, si l’un des plans qui limitent la couche de passage est pris pour plan des ces coefficients seront fonctions de seulement.

On aura alors par exemple :

et

Je dis maintenant que les équations que je viens d’écrire équivalent aux hypothèses de Neumann et Mac-Cullagh.

219. Densité de l’éther. — En premier lieu elles entraînent le principe des forces vives et la constance de la densité de l’éther. En effet nous avons vu dans le chapitre Ier que si est la densité de l’éther et que représente la fonction des forces, l’équation du mouvement s’écrira

(2)

Cette équation devient identique à l’équation (1) si l’on y fait

L’existence d’une fonction des forces entraîne le principe des forces vives. On est obligé d’ailleurs, pour identifier les équations (1) et (2), de supposer c’est-à-dire de regarder la densité de l’éther comme constante, ce qui est précisément l’hypothèse de Neumann.

220. Principe de continuité. — En second lieu les équations du mouvement telles que nous venons de les écrire entraînent la continuité de qui constitue la seconde hypothèse de Neumann.

En effet, supposons qu’on cherche à satisfaire aux équations du mouvement en faisant comme nous l’avons fait plusieurs fois dans la théorie de la réflexion vitreuse,

étant des fonctions de seulement.

Les équations du mouvement donneront :

Ces équations montrent :

1o Que les dérivées de sont finies et que ces quatre quantités sont par conséquent continues ;

2o Que et sont égaux à et à au facteur constant près Donc et sont continues comme et le sont elles-mêmes.

Ainsi :

1o Les trois composantes de la vibration de Neumann sont continues ;

2o Les deux composantes de la vibration de M. Sarrau parallèles au plan de séparation, c’est-à-dire et sont aussi continues.

221. Vérifications expérimentales. — En écrivant que et sont des fonctions continues, on a un nombre suffisant d’équations pour déterminer en grandeur et direction les vibrations réfléchie et réfractée, quand on connaît la vibration incidente. Nous ne croyons pas utile toutefois de former ici ces équations linéaires et de les résoudre effectivement ; il n’y a là qu’un calcul algébrique qui est assez long mais ne présente aucune difficulté. Nous nous bornerons à dire que les prévisions de la théorie ont été confirmées par l’expérience.

Dans toutes les expériences qui ont été faites, le premier milieu était monoréfringent et le second cristallin et dans les développements qui vont suivre nous supposerons toujours qu’il en est ainsi. Une des difficultés principales provient de ce que toutes les substances connues sont assez peu biréfringentes ; il en résulte que le plan de polarisation diffère peu en général de ce qu’il serait avec une substance isotrope. On a tourné cette difficulté en prenant comme premier milieu un liquide dont l’indice de réfraction diffère peu de l’indice moyen du cristal. Dans ces conditions on peut observer des déviations très considérables du plan de polarisation. Les déviations observées paraissent concorder suffisamment avec les déviations calculées.

Il semble toutefois que certains cristaux présentent des anomalies. Ainsi le diamant qui est du système cubique et devrait se comporter par conséquent comme un corps isotrope donne lieu à une polarisation elliptique très intense.

222. Réfraction uniradiale. — Si un rayon incident tombe sur un cristal, il se partage en un rayon réfléchi et deux rayons réfractés ; ces deux derniers sont entièrement polarisés. Supposons maintenant que le rayon incident ait été polarisé par son passage à travers un nicol ; quand on fera tourner ce nicol, les intensités des deux rayons réfractés varieront ; dans une des positions du nicol, l’un des rayons réfractés disparaît ; dans une autre position, c’est l’autre rayon réfracté qui s’éteint. On dit alors qu’il y a réfraction uniradiale. Les directions de la vibration incidente qui correspondent à cette extinction de l’un des deux rayons réfractés s’appellent les deux directions uniradiales.

223. Théorème de Mac-Cullagh. — Le théorème de Mac-Cullagh (215) est susceptible d’une généralisation remarquable par son élégance[6], mais que nous énoncerons sans démonstration.

Il faut d’abord donner la définition du plan polaire d’une des vibrations réfractées. Nous considérons un des deux rayons réfractés ; par un point quelconque menons une parallèle à la vibration de Neumann et une parallèle au rayon. Construisons la surface de l’onde qui a pour centre le point et qui vient couper en le rayon lumineux
Fig. 28.
En ce point menons le plan tangent à la surface de l’onde et abaissons du point une perpendiculaire sur ce plan tangent ; nous appellerons le chemin que la lumière aurait parcouru dans le premier milieu pendant le temps que met dans le second milieu un ébranlement parti du point pour parvenir au point ou en un point quelconque de la surface de l’onde qui passe en

Prenons ensuite sur le prolongement de un point tel que :

Joignons  ; le plan mené par parallèlement à s’appelle le plan polaire du rayon réfracté considéré.

Il résulte de cette définition que si l’on change la direction du plan de séparation en faisant varier en même temps la direction du rayon incident, mais de telle façon que celle du rayon réfracté ne change pas, le plan polaire ne changera pas non plus, pourvu que l’indice de réfraction du premier milieu soit resté le même ; la direction de ce plan dépend au contraire de l’indice de réfraction du premier milieu.

Voici maintenant en quoi consiste le théorème de Mac-Cullagh.

Dans le cas de la réfraction uniradiale, on obtiendra le déplacement d’un point quelconque du premier milieu en composant les déplacements dus à la vibration incidente et à la vibration réfléchie ; quant au déplacement d’un point du second milieu il se réduira au déplacement dû à la seule vibration réfractée qui subsiste, puisque nous avons supposé le nicol orienté de façon à éteindre la seconde vibration réfractée.

Si donc nous construisons en un point du plan de séparation trois droites représentant en grandeur et direction la vibration réfractée, la vibration incidente et la vibration réfléchie, la première sera la somme géométrique des deux autres. Ces trois droites sont donc dans un même plan.

L’analyse de Mac-Cullagh montre que ce plan n’est autre que le plan polaire de la vibration réfractée.

224. Proposons-nous maintenant le problème suivant :

Connaissant en grandeur et direction la vibration incidente, construire la vibration réfléchie et les deux vibrations réfractées.

La construction de Huyghens nous permettra d’abord, connaissant le plan de l’onde incidente de construire les plans de l’onde réfléchie et des deux ondes réfractées ; nous connaîtrons également le rayon réfléchi et les deux rayons réfractés.

Nous en déduirons les directions des deux vibrations réfractées et puisque dans la théorie de Neumann la vibration réfractée doit être menée dans le plan de l’onde perpendiculairement au rayon (215).

Nous construisons ensuite les plans polaires des deux vibrations réfractées ; ces plans polaires couperont le plan de l’onde incidente suivant ces deux directions uniradiales.

Soit la vibration incidente donnée, nous la décomposerons, par la règle de parallélogramme en deux composantes et dirigées suivant ces deux directions uniradiales.

Le premier plan polaire qui passe par et coupera l’onde réfléchie suivant une droite Nous achevons le parallélogramme dont un côté est
Fig. 29.
et dont l’autre côté et la diagonale sont dirigés suivant et Alors représentera, non seulement en direction, mais en grandeur la première vibration réfractée, et représentera en grandeur et en direction ce que serait la vibration réfléchie si la vibration incidente se réduisait à

On construirait de même un second parallélogramme dont un côté serait dont la diagonale représenterait en grandeur et direction la seconde vibration réfractée ; dont enfin le second côté représenterait ce que serait la vibration réfléchie si la vibration incidente se réduisait à

On n’aurait plus ensuite qu’à composer et par la règle du parallélogramme pour avoir la vibration réfléchie totale

225. Remarque. — Il est aisé de se rendre compte d’après ce qui précède pourquoi les phénomènes de la réflexion cristalline s’écartent d’autant plus de ceux de la réflexion vitreuse que l’indice du premier milieu se rapproche plus de l’indice moyen du cristal. En effet l’écart entre les deux ordres de phénomènes sera d’autant plus grand que le plan polaire défini plus haut s’écartera plus du plan c’est-à-dire que l’angle sera plus voisin de 90°. Les substances connues étant peu biréfringentes l’angle est petit et par conséquent est petit.

Pour que l’angle ne soit pas petit, il faut que soit petit. Or :

Il faut donc que soit très voisin de Or est le rapport de la vitesse de propagation de l’onde réfractée à celle de l’onde incidente. Ces deux vitesses doivent donc être très voisines ce qui exige que les indices moyens des deux milieux soient peu différents.

THÉORIE DE M. SARRAU[7]

226. M. Sarrau suppose :

1o Que la véritable vibration a pour composantes les quantités que nous avons appelées plus haut et

2o Il admet en outre les principes fondamentaux de la théorie de la réflexion qui est due à Cauchy et d’après lesquels les trois composantes du déplacement seraient continues ainsi que leurs dérivées du premier ordre, mais à la condition de tenir compte, à côté des rayons transversaux observables, de rayons longitudinaux évanescents et inaccessibles à l’expérience.

Nous avons vu plus haut (216) quelles étaient les conséquences des principes admis par Cauchy. Si sont les trois composantes du déplacement dû à la lumière transversale (en prenant le plan d’incidence pour plan des et le plan de séparation pour plan des ), les quantités

sont des fonctions continues. Si en outre la vitesse imaginaire des ondes longitudinales est la même dans tous les milieux, est aussi une fonction continue. Quand même d’ailleurs cette condition n’est pas remplie, est encore approximativement continu.

Ici les trois composantes de la véritable vibration sont et donc et

sont des fonctions continues. Ce sont là précisément les résultats auxquels conduisait la théorie de Neumann et Mac-Cullagh ; il y a donc concordance parfaite entre les deux théories.

Il importe de préciser, dans le cas des milieux anisotropes, ce qu’on doit entendre par rayon longitudinal ; les vibrations longitudinales sont dirigées non suivant le rayon, mais normalement au plan de l’onde.

Ajoutons que la théorie de M. Sarrau conduirait au même résultat, si au lieu de prendre pour point de départ les idées de Cauchy, il avait supposé l’existence d’une couche de passage et la variation continue des coefficients du polynôme que nous avons appelé

La théorie de la double réfraction de Fresnel (149) combinée avec les principes de la théorie de la réflexion de Cauchy, conduit à des résultats incompatibles avec les observations.

Il n’en est pas de même si on admet que la véritable vibration est celle de Fresnel et qu’il existe une couche de passage ; les résultats auxquels on est ainsi amené ne diffèrent pas de ceux qu’on peut déduire des deux autres théories.

Grâce à l’hypothèse de la couche de passage, les phénomènes de la réflexion cristalline ne permettent pas de décider entre les trois théories de la double réfraction ; les équations du §(218) conservent en effet toujours la même forme quelle que soit celle de ces trois théories que l’on adopte ; l’interprétation physique seule diffère. Pour M. Sarrau, c’est pour Neumann, c’est pour Fresnel c’est qui représentent les composantes de la véritable vibration. Mais la forme analytique des équations et par conséquent les phénomènes observables restent les mêmes dans ces trois cas.


RÉFLEXION MÉTALLIQUE

227. Propagation de la lumière dans un milieu absorbant. — Les milieux opaques comme les métaux doivent être considérés, non comme absolument imperméables à la lumière, puisque en lame mince ils jouissent d’une certaine transparence, mais comme doués d’un pouvoir absorbant considérable.

Voyons comment on peut concevoir la propagation de la lumière dans un semblable milieu.

Les trois composantes du déplacement seront les parties réelles de fonctions de la forme

Mais les quantités qui sont proportionnelles à l’amplitude de la vibration devront décroître très rapidement à mesure que le rayon se propagera. L’hypothèse la plus naturelle sera de supposer que sont de la forme

et étant des constantes.

On voit ainsi que dans la propagation d’une onde plane dans un milieu absorbant on a à envisager deux plans qui jouent tous deux un rôle important, le plan de l’onde

et le plan d’absorption

Les expressions de et peuvent encore s’écrire

en posant

En d’autres termes tout se passe comme si le plan de l’onde avait pour équation :

et si la vitesse de propagation avait pour expression :

Nous appellerons le plan plan imaginaire de l’onde et la vitesse vitesse imaginaire de l’onde.

Pour que le rayon aille constamment en s’affaiblissant à mesure qu’il se propage, il faut et il suffit que la normale au plan de l’onde menée dans le sens de la propagation du rayon et la normale au plan d’absorption menée dans le sens de l’extinction fassent un angle aigu. Cette condition s’écrit :

Or, la partie imaginaire de est égale à

Cette partie réelle doit donc être négative.

En résumé un milieu absorbant se comporte comme si son indice de réfraction était imaginaire. Soit

cet indice. Comme l’indice de réfraction est proportionnel à l’inverse de la vitesse, c’est-à-dire ici à et que la partie imaginaire du carré de doit être négative, l’angle devra être compris entre et

228. Cela posé, proposons-nous le problème suivant :

Un rayon lumineux tombe sur une surface métallique sous une incidence égale à quelle est la direction du plan imaginaire de l’onde, du plan de l’onde, du plan d’absorption, et le coefficient d’absorption ?

Le plan d’absorption ne peut être que le plan de séparation des deux milieux que nous prenons pour plan des Nous prendrons le plan d’incidence pour plan des

Soit l’angle du plan imaginaire de l’onde avec le plan des c’est-à-dire l’angle imaginaire de réfraction. Soit l’angle du plan réel de l’onde avec le plan des c’est-à-dire l’angle réel de réfraction.

Le plan imaginaire de l’onde devra avoir pour équation

ou
(1)

On aura d’autre part

et

étant le coefficient d’absorption.

L’équation du plan imaginaire de l’onde s’écrira alors

On a donc

De l’équation (1) on tire aisément sous la forme :

on a alors

ce qui détermine l’angle réel de réfraction et le coefficient d’absorption.

229. Équations du mouvement lumineux dans un milieu absorbant. — On a proposé diverses formes pour les équations du mouvement dans un milieu absorbant. L’une des plus générales est celle de Voigt[8] qui s’écrit :

(2)

avec deux autres équations analogues pour et auxquelles il faut joindre la condition de transversalité

La théorie électromagnétique de la lumière a conduit Maxwell à une équation de même forme, mais où les coefficients et sont nuls.

Ces équations ou d’autres analogues ne peuvent évidemment rendre compte de la propagation de la lumière dans les milieux peu absorbants qui produisent un spectre de raies ou de bandes.

Quel que soit le nombre des dérivées partielles de qu’on y introduise, on n’arrivera jamais à rendre compte de la prodigieuse variété de ces spectres. En revanche ces équations paraissent rendre assez bien compte des phénomènes optiques que présentent les métaux.

Cherchons à satisfaire à l’équation (2) en faisant

La partie réelle de cette exponentielle imaginaire sera alors la véritable valeur de sera la période de la vibration, sera la vitesse imaginaire de propagation ; seront les cosinus directeurs du plan imaginaire de l’onde de telle sorte qu’on aura

(3)

On trouve alors, en substituant cette valeur de dans (2), supprimant les facteurs communs et tenant compte de (3) :

(4)

Cette équation montre que la vitesse imaginaire dépend de et par conséquent de la longueur d’onde, mais ne dépend pas de la direction du plan de l’onde.

Par conséquent l’indice imaginaire de réfraction est une constante qui dépend de la couleur, mais est indépendante de l’incidence. Il n’en serait pas de même de l’indice réel de réfraction

230. Théorie de Cauchy[9]. — Cauchy suppose que les hypothèses qui servent de base à sa théorie de la réflexion vitreuse sont encore applicables à la réflexion métallique.

De ces hypothèses il résulte, ainsi que nous l’avons vu, que si le plan de séparation est pris pour plan des les fonctions

sont continues.

Nous venons de voir que, dans un milieu métallique, les équations du mouvement sont les mêmes que si l’indice de réfraction était imaginaire. D’autre part, dans les idées de Cauchy, les conditions à la limite sont les mêmes que dans le cas de la réflexion vitreuse. Il est donc inutile de recommencer les calculs ; les formules de la réflexion vitreuse doivent rester applicables ; il suffit d’y remplacer l’indice de réfraction par sa valeur imaginaire.

Nous savons que dans l’étude de la réflexion vitreuse la théorie de Cauchy et celle de Fresnel conduisent aux mêmes résultats. Fresnel démontre que le rapport de la vibration réfléchie à la vibration incidente est égale à

si la lumière est polarisée dans le plan d’incidence et à

si la lumière est polarisée perpendiculairement à ce plan.

Les angles et sont les angles d’incidence et de réfraction. Si l’on appelle l’indice de réfraction, ces deux rapports sont égaux respectivement à

et

Ces formules se déduiraient sans peine de celles que nous avons données plus haut (203).

Si sont les cosinus directeurs de l’onde réfléchie, la longueur d’onde et la vitesse de propagation dans le premier milieu, le déplacement dû à la vibration réfléchie sera la partie réelle de

ou

ou

Si on passe à la réflexion métallique, il faut donner à une valeur imaginaire ; et sont alors imaginaires et on a

Alors le déplacement dû à la lumière réfléchie sera

si le plan de polarisation est le plan d’incidence, et

si le plan de polarisation est normal au plan d’incidence.

Il y aura donc polarisation elliptique et la différence de phase des deux composantes du rayon réfléchi sera

L’expérience confirme très suffisamment les formules de Cauchy.


  1. Œuvres complètes, T. I, p. 767.
  2. Quincke, Pogg. Ann.
  3. Fresnel (?) cité par Verdet, Leçons d’optique physique, t. II
  4. Nouveaux exercices de mathématiques, Comptes rendus, passim 1836 et 1839. Œuvres complètes, première série, t. IV, passim et principalement page 112 sqq. première série, t. V, page 111.
  5. Mac-Cullagh, Transactions de l’Académie royale d’Irlande, vol. XVIII ; Journal de Liouville, première série, tome VII, page 217 ; Neumann, Journal de Liouville, première série, tome VII, page 369, traduction d’un mémoire lu à l’Académie de Berlin, le 7 décembre 1835.
  6. Mac-Cullagh, Journal de Liouville, première série, tome VII, 1842.
  7. Journal de Liouville, deuxième série, t. XIII.
  8. Göttinger Nachrichten, 1884, page 137 sqq.
  9. Nouveaux exercices de mathématiques. Journal de Liouville, première série, t. VII, p. 338.