CHAPITRE X
THÉORIE DE LA DISPERSION DE HELMHOLTZ
136. Dans tout ce qui précède, nous avons admis implicitement
que le milieu étudié était homogène, et nous avons écrit
nos équations comme si la vitesse de propagation était indépendante
de la longueur d’onde Ceci est vrai, si la propagation
s’effectue dans le vide, mais n’est plus exact si la
propagation s’effectue dans un milieu réfringent. En se bornant
au spectre visible, l’indice de réfraction ou rapport
de la vitesse dans le vide à la vitesse dans le milieu, peut se
représenter assez exactement par l’expression :
et étant des constantes.
En ajoutant un terme
cette formule représente encore assez bien la variation de
l’indice dans le spectre ultra-violet.
Mais pour le spectre infra-rouge aucune de ces formules ne
suffit.
Briot avait été conduit par des prévisions théoriques à
penser que l’expression de devait contenir un terme en
mais, les expériences sur le spectre visible n’ayant pas
mis l’existence de ce terme en évidence, il fut amené à rejeter
les vues théoriques qui avaient été son point de départ. Au
contraire, pour bien représenter les phénomènes dans le
spectre infra-rouge, il est nécessaire d’introduire ce terme.
La théorie doit encore rendre compte d’un autre phénomène :
quand un rayon lumineux traverse un milieu, il
s’affaiblit en général et l’expérience montre que cet affaiblissement
dépend de la longueur d’onde Le spectre est parsemé
de bandes ou de lignes obscures, souvent fort étroites
qui occupent la place des radiations les plus affaiblies.
Enfin il faut expliquer les phénomènes de dispersion anormale
Fig. 32.
qui consistent en ce qui suit :
Si un faisceau de lumière blanche
traverse un prisme creux,
formé par des lames de verre à
faces parallèles et contenant une
dissolution de fuchsine, les rayons
verts sont absorbés et remplacés
dans le spectre par une bande obscure.
Si la dispersion était normale en se déplaçant dans un
certain sens d’une extrémité à l’autre du spectre, on trouverait
le rouge, le jaune, la bande noire, le bleu et le violet (fig. 32).
Au lieu de cela, on trouve le bleu, le violet, la bande noire, le rouge et le jaune. L’indice de réfraction ne croît donc pas constamment
avec il croît du rouge au jaune, puis décroît et
enfin croît du bleu au violet : la courbe qui représente en
fonction de présente un maximum et un minimum.
Cette disposition anomale qui a été observée aussi sur
d’autres corps paraît intimement liée à l’absorption.
137. Hypothèses de Helmholtz. — Helmholtz, remarquant
qu’il n’y a pas de dispersion dans le vide, attribue ces
phénomènes à l’action des molécules matérielles sur les molécules
d’éther ; il cherche à tenir compte dans les équations
du mouvement, de cette action en même temps que des
actions mutuelles des molécules d’éther.
Soient la densité de l’éther, un élément de volume de
cet éther : les composantes du déplacement,
les projections sur les axes de la résultante de toutes les
forces qui agissent sur l’élément (rapportées à l’unité de
volume). Les équations du mouvement seront :
(1)
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Les forces qui agissent sur la molécule d’éther sont de
deux sortes : 1o les forces qui proviennent des autres molécules
d’éther : soit la projection de leur résultante sur
l’axe des 2o les forces provenant des molécules matérielles : soit la projection de leur résultante. Nous aurons :
se calculera comme dans le cas d’un milieu non dispersif
(§ 12).
Pour trouver considérons une molécule matérielle de
coordonnées et une molécule d’éther
après le déplacement ces coordonnées deviennent :
et
L’attraction entre ces deux molécules étant supposée proportionnelle
à une certaine fonction de leur distance
sa projection sur l’axe des sera :
puisque est une fonction des différences etc.
Quand les molécules se sont déplacées, la distance et la
force auront varié, et
D’où
Dans l’état d’équilibre, toutes les forces doivent avoir une
résultante nulle : donc Il reste :
Ceci montre que doit être une fonction linéaire des différences
etc.
Si nous supposons pour le moment le milieu isotrope, rien
ne distingue une direction de l’autre, ne doit pas changer
quand on change de signe à la fois et ou et donc,
et :
de même
Comme rien ne distingue non plus les axes de coordonnées l'un
de l’autre,
Helmholtz pose
(2)
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et les équations du mouvement des molécules d’éther prennent
la forme
(3)
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Il introduit de cette façon trois nouvelles inconnues,
il faut trouver, pour les déterminer, trois autres équations, ce seront celles qui représentent le mouvement des
molécules matérielles.
Soit la densité de la matière :
se compose de deux termes : un terme provenant de
l’action des molécules d’éther sur les molécules matérielles. En
vertu du principe de l’action et de la réaction, ce terme est
égal à et un autre terme représentant les actions des
molécules matérielles l’une sur l’autre.
Helmholtz fait le calcul comme si, parmi les molécules
matérielles, les unes participaient au mouvement de l’éther,
et les autres restaient sensiblement immobiles. Les premières
agiraient seules sur l’éther, on ne voit pas bien pourquoi.
Les molécules immobiles, au contraire, exerceraient deux
sortes d’action :
1o Une espèce d’attraction sur les molécules mobiles, tendant
à les ramener dans leur position d’équilibre. Cette action est
analogue à celle des molécules matérielles sur les molécules
d"éther que nous avons étudiée tout à l’heure. Nous avons
trouvé comme expression de cette dernière
Par les mêmes considérations nous trouverions ici des
expressions de la forme puisque le
déplacement de l’une des molécules est nul.
2o Les molécules immobiles exerceraient sur les molécules
mobiles une sorte de frottement proportionnel à leur vitesse, etc. Donc
Les équations deviennent
(4)
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|
Les systèmes (3) et (4) forment ainsi six équations qui définissent
Ce que nous désignons par c’est
donc non pas la densité de la matière totale, mais celle de
la matière mobile seulement.
Le mouvement sera-t-il encore transversal ? Pour qu’il en
soit ainsi, nous savons qu’il faut que
Différencions la première des équations (3) par rapport à
la deuxième par rapport à la troisième par rapport à
ajoutons et opérons de même sur le système (4) nous trouverons :
(5)
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Ces relations montrent que, si à l’origine des temps
sont nuls, il en est de même de toutes leurs dérivées par rapport
au temps : donc et sont identiquement nuls.
Par conséquent, si on part du repos, et sont toujours nuls.
Il en sera encore de même si le mouvement est périodique.
Posons en effet :
et ne dépendant que de
Nous avons vu déjà que, si la partie réelle de cette expression
satisfait à des équations de la forme des équations (3) et (4),
l’expression entière y satisfait également.
Nous aurons :
Substituons dans les équations (5)
Dans la seconde équation le coefficient de devant être
nul, la première donne alors
Par conséquent, si le mouvement est périodique, il est
transversal.
138. Cas particulier des ondes planes. — Supposons
en particulier que :
c’est-à-dire que le déplacement soit parallèle à et ne
dépende que de et de nous aurons une onde plane parallèle
au plan des Le mouvement étant transversal
ce qui se réduit à :
Les deux dernières équations de chacun des systèmes (3) et
(4) sont satisfaites d’elles-mêmes, il reste seulement :
(6)
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système de deux équations à deux inconnues.
Nous allons en particulier étudier les ondes planes périodiques ;
nous chercherons donc à vérifier ces équations en posant :
Alors
Substituons dans les équations (6)
ou :
Posons pour abréger
La seconde équation devient
Multiplions les deux équations en croix, et s’éliminent
il reste :
(7)
|
|
|
sera en général une quantité complexe. Posons
et la partie réelle de est :
est donc représenté par une fonction périodique de et de
multipliée par une exponentielle ayant un exposant négatif
proportionnel à la vibration est, par conséquent une vibration
pendulaire dont l’amplitude décroît suivant une loi
exponentielle à mesure que croît : il y a donc absorption.
sera le coefficient d’absorption. En appelant la période de
la vibration, nous avons :
si est la longueur d’onde dans le milieu considéré
étant la vitesse de la lumière dans le vide, l’indice de
réfraction du milieu, la vitesse de la lumière dans ce milieu
sera :
d’où
La partie réelle de est proportionnelle à l’indice de réfraction,
et la partie imaginaire au coefficient d’absorption.
139. Hypothèses de Helmholtz sur l’ordre de grandeur des coefficients.
— Pour simplifier la discussion,
Helmholtz prend comme unité de temps la durée d’une vibration moyenne (celle de la raie D, par exemple), et comme unité de
longueur la longueur d’onde de cette vibration dans le vide.
Grâce à ce choix, et sont finis, l’unité de vitesse est la
vitesse de la lumière dans le vide et :
La théorie de Helmholtz se rattache au groupe des théories
qui supposent la vibration perpendiculaire au plan de polarisation.
L’élasticité est alors une constante qui dans notre
système d’unités est égale à
En outre Helmholtz suppose que est fini, tandis que
sont des infiniment petits du premier ordre,
et un infiniment petit d’ordre supérieur ; mais cependant très
grand vis-à-vis de sera par exemple un infiniment
petit d’ordre
La valeur de est donnée par l’équation (7) :
est fini. est du premier ordre comme
puisque est fini.
Dans le troisième terme, la partie réelle de est du premier
ordre, la partie imaginaire d’ordre Posons :
sera une quantité finie puisque
sont du premier ordre.
Alors
Tant que ne sera pas très voisin de la partie réelle
sera du premier ordre : comme est du second ordre, le
terme sera du premier ordre. Si au contraire devient
très voisin de devient d’ordre et
d’ordre
140. Explication de l’existence des raies. — Pour discuter
les valeurs de nous allons construire la courbe dont
les points ont pour coordonnées
l’allure de cette courbe nous fera connaître la manière dont
varie avec
Dans ce but, construisons d’abord la courbe qui représente
L’hypothèse la plus simple que nous pouvons faire, c’est
que n’est pas compris dans le spectre observable.
Dans ces conditions, est du premier ordre. —
La partie réelle de est du premier ordre et la partie
imaginaire qui est d’ordre est négligeable.
Le second membre est toujours positif puisque est le seul terme fini et est essentiellement positif ; donc est toujours
réel et se réduit à il n’y a pas d’absorption sensible.
Ce second membre est une fonction rationnelle de et
peut être décomposé en éléments simples :
d’où
Ces deux coefficients et sont essentiellement positifs, il en
résulte que va constamment en croissant quand croît,
les rayons dont la longueur d’onde est la plus courte seront
les plus réfrangibles.
Supposons en particulier alors et :
Si correspond à une radiation située en dehors du spectre
observable, en-deçà de l’infra-rouge, pourra se développer
suivant les puissances croissantes de c’est-à-dire suivant
les puissances croissantes de ce qui ne peut s’accorder avec
les expériences. Si correspond à une radiation située au-delà
de l’ultra-violet, se développera suivant les puissances
de ou de ce qui est conforme aux observations.
Dans l’infra-rouge, l’expression de Cauchy développée suivant
les puissances croissantes de n’est plus suffisante : il
faut ajouter le terme de Briot en il suffit ici de supposer
ou
D’après l’hypothèse que nous avons faite sur la quantité
imaginaire étant négligeable, la courbe qui représente
Fig. 33.
diffère peu de l’axe des quantités réelles (fig. 33).
Nous obtenons un spectre à dispersion normale.
141. Supposons à présent que corresponde à une radiation
faisant partie du spectre observable.
Deux cas sont à distinguer :
1o Nous considérons des points pour lesquels est notablement
différent de nous faisons varier d’une part de
la valeur qu’il prend à l’extrémité de l’infra-rouge jusqu’à
d’autre part, de jusqu’à la valeur correspondant
à l’extrémité de l’ultra-violet.
Dans ces conditions ne devient jamais nul. La
partie réelle de est du premier ordre, la partie imaginaire qui est d’ordre est négligeable, nous retombons sur les
formules précédentes.
est réel et la courbe s’écarte peu de — Si
varie de à part de croît jusqu’à valeur qu’il
atteint pour saute brusquement de à
quand traverse la valeur et croît ensuite de à
valeur atteinte pour
Dans les deux intervalles
la courbe diffère peu de l’axe des quantités réelles. Mais,
Fig. 34.
quand est très petit, les deux segments empiéteront en
général l’un sur l’autre : autrement dit, les deux arcs de courbe
se croiseront (fig. 34).
2o Nous considérons des valeurs de comprises entre et est alors un infiniment petit d’ordre la
partie réelle et la partie imaginaire sont alors toutes les deux
d’ordre .
Nous pouvons prendre comme valeur approchée de le
second membre dans lequel nous aurons remplacé par
l’erreur ainsi commise sera très petite, puisque diffère très
peu de et nous écrirons :
Fig. 35.
Les deux premiers termes sont constants, le troisième seul
dépend de
Construisons le point qui représente la quantité complexe :
La partie imaginaire est constante et la partie réelle croissante
avec le point décrira donc de gauche à droite une
parallèle à l’axe des quantités réelles (fig. 35).
Construisons maintenant le point qui représente la
quantité :
Pour l’obtenir, il faut faire un angle égal à l’angle
et prendre tel que :
Le lieu de sera une circonférence décrite dans le sens
de la flèche.
Il nous faut enfin construire le point
ce point décrira une circonférence dans le sens indiqué par la
flèche (fig. 35). La partie de la courbe qui s’éloigne
notablement de l’axe des présente donc sensiblement la forme
d’une circonférence.
Par conséquent la courbe réelle possédera un point double
et une boucle.
Le calcul montre que cette boucle existe tant que
Si ces deux quantités sont égales, on a un point de rebroussement.
Si la première devient plus petite, le point double disparaît,
le second membre de l’inégalité est fini, ce qui montre
que doit être du même ordre que et
quand la boucle existe.
La courbe en a même allure que la courbe en Soit en
Fig. 36.
effet le point qui représente (fig. 36).
Pour obtenir le point qui représente il faut mener la
bissectrice de l’angle et prendre
Quand
décrit une courbe, avec point
double il en est de même de
et les points doubles se correspondent.
Fig. 37.
Les dimensions de la boucle sont variables. Si n’est plus
très petit et notablement plus grand que la boucle est
très petite. Quand la courbe s’éloigne de cela veut dire
qu’il y a absorption, la boucle correspond à une bande noire.
Si elle est peu prononcée, la perturbation est insignifiante et
le spectre présente une dispersion normale (fig. 37).
Si la boucle est fortement accentuée (fig. 38), comme dans
le cas d’un prisme de fuchsine, au-dessus d’une certaine valeur de c’est-à-dire pour la portion de la boucle située
au-dessus d’une certaine parallèle à l’axe il y aura
absorption. De en nous aurons l’infra-rouge ; de en le
rouge ; de en le jaune ; de en le vert absorbé, d’où
une bande noire ; de en le bleu ; de en le violet ; et, au-delà,
Fig. 38.
l’ultra-violet. En projetant sur l’axe des nous obtiendrons
la variation de l’indice, et, comme le montre la figure,
les couleurs rangées par ordre d’indice croissant se succéderont
comme il suit :
Bleu, violet, (bande obscure), rouge, jaune.
142. Nous rendons compte par ces considérations de l’existence
d’une seule bande obscure dans le spectre. Or les
spectres observés présentent un très grand nombre de ces
bandes obscures.
Dans notre analyse nous avons admis seulement trois sortes
de molécules : les molécules d’éther et les molécules matérielles,
les unes mobiles, les autres immobiles. Si, au lieu
d’une seule espèce de molécules matérielles mobiles, nous en admettons plusieurs espèces, l’analyse nous expliquera la
présence d’un plus grand nombre de bandes.
Supposons en effet qu’il y ait des molécules matérielles
mobiles de espèces : soient les élongations des
molécules de 1re, 2e, … e espèce.
Nous allons écrire les équations du mouvement en supposant
qu’il y ait seulement deux espèces de molécules matérielles
mobiles.
L’équation du mouvement de l’éther sera :
le premier terme du second membre provient de l’élasticité
de l’éther, il se réduit à pour une onde plane parallèle au
plan des Les deux autres termes représentent respectivement
l’action des molécules matérielles mobiles de première
et de seconde espèce.
Les équations du mouvement des molécules matérielles
mobiles seront pour la première espèce :
et pour la seconde :
Posons, pour satisfaire à ces équations :
aura pour partie réelle l’indice de réfraction et pour partie
imaginaire étant le coefficient d’absorption.
Il faudra que :
Remplaçons et par et dans la première équation,
et tirons nous trouvons :
Pour discuter ce résultat, il faut, comme nous l’avons fait
déjà, construire la courbe ayant pour abscisse et pour ordonnée
Nous construirons d’abord la courbe qui représente
en faisant les mêmes hypothèses qu’au paragraphe précédent
sur l’ordre de grandeur des coefficients.
Posons :
ou :
Tant que n’est pas voisin de la partie réelle de est du premier ordre, et la partie imaginaire qui est d’ordre supérieur
peut être négligée.
est constamment positif et croissant avec Mais
quand devient très voisin de on ne peut plus négliger la
partie imaginaire : il y a absorption : la longueur d’onde
pour laquelle correspond à une raie d’absorption. De
la même manière, on montrerait que la longueur d’onde pour
laquelle correspond aussi à une raie d’absorption.
La courbe diffère d’abord très peu de l’axe des puis au
Fig. 39.
voisinage de elle
forme une boucle, elle se
rapproche ensuite de
forme une autre boucle au
voisinage de et
revient encore vers l’axe des
(fig. 39).
Ce que nous venons de
faire pour deux espèces de
molécules mobiles, nous aurions pu le faire pour un plus
grand nombre ; nous obtiendrons autant de boucles, et par
suite, autant de raies obscures que nous considérerions d’espèces
de molécules mobiles.
143. Difficultés de cette théorie. — Nous avons supposé
que la densité de l’éther était finie, et la densité de la
matière infiniment petite du premier ordre. C’est le contraire qu’on se figure habituellement : car on se représente en général
l’éther comme une matière extrêmement subtile. Cette
hypothèse paraîtra moins surprenante, si on remarque que
et représentent non pas la masse entière de la matière, mais
seulement celle de la matière mobile. Kirchhoff a aussi proposé
de regarder et comme la densité d’atomes d’éther
condensés autour des molécules matérielles.
Une autre difficulté tient à la présence de molécules immobiles.
Nos équations ne tiennent pas compte des actions
possibles de ces molécules sur l’éther. Nous avons supposé
que les molécules mobiles de première espèce n’agissaient pas
sur celles de seconde espèce, et réciproquement ; pour introduire
ces actions, il suffirait d’ajouter un terme de la forme
ce qui compliquerait les équations, mais n’en changerait
pas la forme.
En ce qui concerne les molécules immobiles, nous allons
voir qu’il est possible de les laisser de côté en introduisant en
plus une espèce de molécules mobiles.
Écrivons les équations du mouvement pour trois sortes de
molécules mobiles, sans molécules immobiles.
Ces équations ne contiennent que les différences
etc. Si nous négligeons les termes en nous pourrons ramener, par un changement de variables, ces équations
à la même forme que les précédentes.
Cette transformation sera analogue à celle que font les
astronomes pour réduire le problème des trois corps. Considérons
en effet trois astres, par exemple : le soleil, Jupiter et
Saturne. Le problème comporte dix-huit inconnues, à savoir :
les coordonnées et les vitesses de ces trois astres ; mais ce
nombre peut être aisément réduit à , si l’on considère seulement
les mouvements relatifs ; on rapporte ordinairement
les deux planètes au soleil ; mais les équations ne conservent
plus alors la forme canonique des équations de la Dynamique.
Cette forme est au contraire conservée si on rapporte
Jupiter au soleil, et Saturne au centre de gravité de Jupiter et
du soleil. On peut faire ici quelque chose de tout à fait analogue.
Il suffira de poser :
On peut supposer que le centre de gravité du système des
trois molécules soit immobile c’est-à-dire, que
Tout se passera alors comme s’il n’existait que deux
sortes de molécules mobiles. De ce que la théorie de Helmholtz
nous conduit à des résultats conformes aux faits observés,
nous ne pourrons donc conclure à l’existence de ces molécules
immobiles.
On pourrait de même dans la deuxième équation remplacer par en admettant que la résistance est proportionnelle
à la vitesse relative ; ce changement ne modifierait
pas les résultats dans ce qu’ils ont d’essentiel ; car le rôle du
terme en est seulement d’introduire un terme imaginaire
qui n’acquiert une valeur sensible qu’au voisinage des valeurs
remarquables de
Du reste, quelle que soit l’hypothèse que l’on fasse à cet
égard, il est assez difficile de s’expliquer l’origine de ce frottement
du moment où on se représente les molécules séparées
les unes des autres.
144. Relation entre l’absorption et l’émission. —
Quand un rayon traverse un milieu absorbant on dit souvent
que le milieu absorbe les couleurs correspondant, à sa période
propre de vibration, ce qui est conforme à la théorie de
Helmholtz. Reprenons en effet l’équation :
Si l’éther n’existait pas, on aurait
d’où
de même pour les périodes propres du milieu sont
donc données par les valeurs de qui
correspondent aux raies d’absorption.
On suppose ordinairement que, quand le rayon lumineux traverse un milieu absorbant, les molécules matérielles, entraînées
par celles d’éther entrent en vibration. S’il n’y a pas
concordance entre les périodes, l’amplitude de ces vibrations
reste très faible. S’il y a concordance, au contraire, l’amplitude
va en croissant : les molécules matérielles absorbent de
la force vive et leurs vibrations constituent la chaleur.
D’après cette manière de voir, l’amplitude de l’élongation des
molécules matérielles croît quand il y a absorption.
Dans la théorie de Helmholtz, l’amplitude d’élongation des
molécules matérielles reste constante, mais il y a un frottement
qui absorbe de la force vive et la transforme en chaleur.
Bien que la première conception ne soit pas facile à mettre
en équation, il est probable qu’elle conduirait aux mêmes
résultats que celle de Helmholtz, même en ce qui concerne
la dispersion anomale, car dans nos équations le terme
nous a servi seulement à exprimer l’existence de l’absorption.
Elle rendrait d’ailleurs, peut-être mieux que celle de
Helmholtz, compte de l’émission des radiations par les corps
qui les absorbent. Les molécules portées à haute température
vibrent et communiquent leur énergie aux molécules d’éther.
Une partie des difficultés que nous avons rencontrées
tiennent aussi à l’hypothèse particulière que nous avons faite
sur la nature de l’onde : comme nous avons considéré une
onde plane, remplissant tout l’espace, il ne peut y avoir
rayonnement.
145. Théorie électromagnétique de la dispersion. —
Nous savons qu’un excitateur possède une période propre et
que, placé dans un champ électrique variable, il entre en
vibration et devient un résonateur.
Pour expliquer les phénomènes de dispersion et d’absorption,
on a supposé la matière parsemée de petits conducteurs
susceptibles de jouer ainsi le rôle d’excitateurs et de résonateurs
pour les oscillations extrêmement rapides qui constituent
la lumière.
Voici quel avantage cette conception peut présenter. Dans
la théorie de Helmholtz nous sommes obligés, pour expliquer
l’existence de raies, d’imaginer espèces de molécules.
Comme les raies sont extrêmement nombreuses, il nous faudrait
admettre dans chaque molécule un nombre d’atomes
extrêmement considérable.
Or les raies du spectre forment des groupes qui paraissent
suivre des lois analogues aux lois des sons harmoniques,
quoique beaucoup plus compliquées ; il semble donc qu’on
devrait pouvoir trouver une relation qui permette de déduire
une quelconque de ces raies des précédentes. Si cette relation
existait, le nombre des raies et celui des atomes devraient
être infinis, ce qui semble inadmissible.
Déjà ce problème avait frappé M. Brillouin, qui en avait
cherché diverses solutions. La théorie électromagnétique
aurait pu lui en fournir une nouvelle assez satisfaisante.
Le milieu est parsemé d’excitateurs de formes et de périodes
diverses, répartis en un certain nombre de groupes, correspondant
aux diverses sortes de molécules mobiles de
Helmholtz.
Mais on sait qu’un excitateur est susceptible d’une infinité
de vibrations dont les périodes obéissent à des lois analogues
à celles des harmoniques d’une corde vibrante ; dans le cas
des excitateurs linéaires, ces lois se réduisent à ces dernières.
Chaque groupe d’excitateurs donnera donc non pas une raie, mais une infinité de raies se succédant conformément
à une certaine loi.
On retrouverait d’ailleurs, sauf cette différence, une théorie
tout à fait analogue à celle de Helmholtz.
À chaque catégorie de ces excitateurs correspondra dans
les équations une des composantes que nous avons appelées
Les équations trouvées ont même forme que celles
que nous avons écrites. Seulement l’interprétation des termes
est différente ; en particulier les coefficients
représenteraient les coefficients de self-induction des excitateurs,
etc. ; les coefficients
en représenteraient les capacités, etc.
Enfin, et c’est là un autre avantage de cette théorie sur celle
de Helmholtz, les termes en ne soulèvent plus
la difficulté que j’ai signalée plus haut.
représentent alors les résistances de nos excitateurs, et l’énergie
absorbée par ce que Helmholtz appelle le frottement n’est
autre chose que la chaleur de Joule.
Les équations seraient d’une forme un peu plus compliquée
que celles de Helmholtz, parce qu’il faudrait tenir compte de
l’induction mutuelle des excitateurs. Mais rien de ce qui est
essentiel ne serait changé. Il n’y a pas lieu du reste de faire
un choix entre ces théories différentes. Ce serait très prématuré.
J’ai voulu seulement, par cette discussion, montrer ce qui
est essentiel dans les hypothèses de Helmholtz, et ce qui est
secondaire.