Thérèse philosophe (Enfer-402)/02

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A la Haye (à la Sphère) (p. 3-47).

HISTOIRE

DE
MADAME
BOIS-LAURIER.


Tu vois en moi, ma chere Théreſe, un Etre ſingulier. Je ne ſuis ni homme, ni femme, ni fille, ni veuve, ni mariée. J’ai été une libertine de profeſſion, & je ſuis encore pucelle. Sur un pareil début, tu me prens ſans doute pour une folle ; un peu de patience, je te prie, tu auras le mot de l’énigme. La nature capricieuſe à mon égard a ſemé d’obſtacles inſurmontables la route des plaiſirs qui font paſſer une fille de ſon état à celui de femme : une membrane nerveuſe en ferme l’avenue avec aſſez d’exactitude pour que le trait le plus délié que l’amour ait jamais eu dans ſon carquois n’ait pu atteindre le but, & ce qui te ſurprendra davantage, on n’a jamais pû me déterminer à ſubir l’opération qui pouvoit me rendre habile aux plaiſirs, quoique pour vaincre ma répugnance on me citât à chaque inſtant l’exemple d’une infinité de filles qui, dans le même cas, s’étoient ſoumiſes à cette épreuve. Deſtinée dès ma plus tendre enfance à l’état de Courtiſanne, ce défaut, qui ſembloit devoir être l’écueil de ma fortune dans ce honteux métier, en a été au contraire le principal mobile. Tu comprens donc que lorſque je t’ai dit que mes avantures t’inſtruiroient des caprices des hommes, je n’ai pas entendu parler des différentes attitudes que la volupté leur fait varier, pour ainſi dire à l’infini, dans leurs embraſſemens réels avec les femmes : toutes les nuances des attitudes galantes ont été traitées avec tant d’énergie par le célébre Pierre Arétin, qui vivoit dans le quinziéme ſiécle, qu’il n’en reſte rien à dire aujourd’hui. Il n’eſt donc queſtion, dans ce que j’ai à t’apprendre, que de ces goûts de fantaiſie, de ces complaiſances biſarres, que quantité d’hommes exigent de nous, & qui, par prédilection ou par certain défaut de conformation, leur tiennent lieu d’une jouiſſance parfaite. J’entre préſentement en matiere.

Je n’ai jamais connu mon pere ni ma mere. Une femme de Paris, nommée la Lefort, logée bourgeoiſement, chez laquelle j’avois été élevée, comme étant ſa fille : me tira un jour myſtérieuſement en particulier, pour me dire ce que tu vas entendre. (J’avois alors quinze ans.)

Vous n’êtes point ma fille, me dit Madame Lefort : il eſt temps que je vous inſtruite de votre état. A l’âge de ſix ans, vous étiez égarée dans les rues de Paris : je vous ai retirée chez moi, nourrie & entretenue charitablement juſques à ce jour, ſans avoir jamais pu découvrir quels ſont vos parens, quelques ſoins que je me ſois donné pour cela.

Vous avez dû vous appercevoir que je ne ſuis pas riche, quoique je n’aie rien négligé pour votre éducation. C’eſt à vous préſentement à être vous-même l’inſtrument de votre fortune. Voici, ajouta-t-elle, ce qui me reſte à vous propoſer pour y parvenir. Vous êtes bien faite, jolie, plus formée que ne l’eſt ordinairement une fille de votre âge. Monſieur le Préſident de *** mon protecteur & mon voiſin eſt amoureux de vous : il s’eſt déterminé à vous faire plaiſir & à vous entretenir honnêtement, pourvu que de votre part vous ayez pour lui toutes les complaiſances qu’il exigera de vous. Voyez, Manon, ce que vous voulez que je lui diſe ; mais je ne dois pas vous taire, que ſi vous n’acceptez pas ſans reſtriction les offres qu’il m’a chargé de vous faire, il faut vous déterminer à quitter ma maiſon dès aujourd’hui, parce que je ſuis hors d’état de vous nourrir & de vous habiller plus long-temps.

Cette confidence accablante & la concluſion de Madame Lefort, qui l’accompagnoit, me glaça d’effroi. J’eus recours aux larmes. Point de quartier ; il fallut me décider. Après quelques explications préliminaires, je promis de faire tout ce qu’on exigeoit ; au moyen dequoi Madame Lefort m’aſſura qu’elle me conſerveroit toujours les ſoins & le doux nom de mere.

Le lendemain matin elle m’inſtruiſit amplement des devoirs de l’état que j’allois embraſſer & des procédés particuliers qu’il convenoit que j’euſſe avec M. le Préſident. Enſuite elle me fit mettre toute nuë, me lava le corps du haut en bas, me friſa, me coëffa, & me revêtit d’habits beaucoup plus propres que ceux que j’avois coutume de porter.

A quatre heures après midi, nous fûmes introduites chez M. le Préſident. C’étoit un grand homme ſec, dont le viſage jaune & ridé étoit enfoui dans une très longue & très-ample perruque quarrée. Ce reſpectable perſonnage, après nous avoir fait aſſeoir, dit gravement, en adreſſant la parole à ma mere : voilà donc la petite perſonne en queſtion ? Elle eſt aſſez bien : je vous avois toujours dit qu’elle avoit des diſpoſitions à devenir jolie & bien faite ; & juſques à préſent ce n’eſt pas de l’argent mal employé : mais êtes-vous ſûre au moins qu’elle a ſon pucelage, ajouta-t-il ? voyons un peu, Madame Lefort. Auſſi-tôt ma bonne mere me fit aſſeoir ſur le bord d’un lit ; & me couchant renverſée ſur le dos, elle releva ma chemiſe & ſe diſpoſoit à m’ouvrir les cuiſſes, lorſque M. le Préſident lui dit d’un ton bruſque ; hé ! ce n’eſt pas cela, Madame ; les femmes ont toujours la manie de montrer des devants : hé, non ! faites tourner… Ah ! Monſeigneur, je vous demande pardon, s’écria ma mere ; je croyois que vous vouliez voir… Ça ; levez-vous, Manon, me dit-elle ; mettez un genoux ſur cette chaiſe, & inclinez le corps le plus que vous pourrez. Moi, ſemblable à une victime, les yeux baiſſés, je fis ce qu’on me preſcrivoit. Ma digne mere me trouſſa dans cette attitude juſques aux hanches ; & M. le Préſident s’étant approché, je ſentis qu’elle ouvroit les lévres de mon ***, entre leſquelles Monſeigneur tentoit d’introduire le doigt, en tâchant. mais inutilement, de pénétrer. Cela eſt fort bien, dit-il à ma mere, & je ſuis content : je vois qu’elle eſt ſûrement pucelle. Préſentement faites-la tenir ferme dans l’attitude où elle eſt : occupez-vous à lui donner quelques petits coups de votre main ſur les feſſes. Cet arrêt fut exécuté. Un profond ſilence ſuccéda. Ma mere ſoutenoit de la main gauche mes juppes & ma chemiſe élevées, tandis qu’elle me féſſoit légerement de la droite. Curieuſe de voir ce qui ſe paſſoit de la part du Préſident, je tournai tant ſoit peu la tête, je l’apperçus poſté à deux pas de mon derriere, un genoux en terre, tenant d’une main ſa lorgnette braquée ſur mon poſtérieur, & de l’autre ſecouant entre ſes cuiſſes quelque choſe de noir & de flaſque, que tous ſes efforts ne pouvoient faire guinder. Je ne ſçai s’il finit ou non ſa beſogne ; mais enfin après un quart d’heure d’une attitude que je ne pouvois plus ſupporter, Monſeigneur ſe leva, & gagna ſon fauteuil, en vacillant ſur ſes vieilles jambes étiques. Il donna à ma mere une bourſe dans laquelle il lui dit qu’elle trouveroit les cent louis d’or promis ; & après m’avoir honoré d’un baiſer ſur la jouë, il m’annonça qu’il auroit ſoin que rien ne me manquât, pourvu que je fuſſe ſage ; & qu’il me ſeroit avertir lorſqu’il auroit beſoin de moi.

Dès que nous fûmes rentrées au logis ma mere & moi, continua Madame Bois-Laurier, je fis d’auſſi ſérieuſes réflexions ſur ce que j’avois appris & vû depuis vingt-quatre heures, que celles que vous fîtes enſuite de la fuſtigation de Madelle.. Eradice par le Pere Dirrag. Je me rappellois tout ce qui s’étoit dit & fait dans la maiſon de Madame Lefort depuis mon enfance, & je raſſemblois mes idées pour en tirer quelque concluſion raiſonnable, lorſque ma mere entra & mit fin à mes rêveries. Je n’ai plus rien à te cacher, ma cher Manon, me dit-elle en m’embraſſant, puiſque te voilà aſſociée aux devoirs d’un métier que j’exerce avec quelque diſtinction depuis vingt ans. Ecoute-donc attentivement ce que j’ai encore à te dire ; & par ta docilité à ſuivre mes conſeils, mets-toi en état de réparer le tort que te fait le Préſident. C’eſt par ſes ordre, continua ma mere, que je t’ai enlevée il y a huit ans. Il m’a payé depuis ce temps une penſion très-modique, que j’ai bien employée & au-de-là pour ton éducation. Il m’avoit promis qu’il nous donneroit à chacune cent louis, lorſque ton âge lui permettroit de prendre ton pucelage ; mais ſi ce vieux paillard a compté ſans ſon hôte, ſi ſon viel outil, roüillé, ridé & uſé, le met hors d’état de tenter cette avanture, eſt-ce notre faute ? Cependant il ne m’a donné que les cent louis qui me regardent ; mais ne t’inquiète pas, ma chere Manon, je t’en ferai gagner bien d’autres. Tu es jeune, jolie, point connuë : je vais, pour te faire plaiſir, employer cette ſomme à te bien nipper ; & ſi tu veux te laiſſer conduire, je te ferai faire à toi ſeule le profit que faiſoient ci-devant dix ou douze Demoiſelles de mes amies.

Après mille autres propos de cette eſpece, à travers leſquels j’apperçus que ma bonne maman débutoit par s’aproprier les cent louis donnés par le Préſident, les conditions de notre traité, furent qu’elle commenceroit par m’avancer cet argent qu’elle retireroit ſur le produit de mes premiers travaux journaliers & qu’enſuite nous partagerions conſcientieuſement les profits de la Société.

La Lefort avoit un fond inépuiſable de bonnes connoiſſances dans Paris. En moins de ſix ſemaines, je fus préſentée à plus de vingt de ſes amis, qui échouérent ſucceſſivement au projet de recueillir les prémices de ma virginité. Heureuſement que par le bon ordre que Madame Lefort tenoit dans la conduite de ſes affaires, elle avoit exactement ſoin de ſe faire payer d’avance les plaiſirs d’un travail qui étoit impraticable. Je crus même un jour qu’un gros Docteur de Sorbonne, qui s’obſtinoit à vouloir gagner les dix louis qu’il avoit financé, y mourroit à la peine, ou qu’il me deſenchanteroit.

Ces vingt Athletes furent ſuivis de plus de cinq cens autres, pendant l’eſpace de cinq ans. Le Clergé, l’Epée, la Robe & la Finance, me placerent tour-à-tour dans les attitudes les plus recherchées : ſoins inutiles ; le ſacrifice ſe faiſoit à la porte du Temple, ou bien la pointe du couteau s’émouſſant, la victime ne pouvoit être immolée

Enfin la ſolidité de mon pucelage fit trop de bruit, & parvint aux oreilles de la Police, qui parut vouloir faire ceſſer le progrès des épreuves. J’en fus avertie à temps ; & nous jugeâmes, Madame Lefort & moi, que la prudence exigeoit que nous fiſſions une petite éclipſe à trente lieues de Paris.

Au bout de trois mois le feu s’appaiſa. Un Exempt de cette même Police, compere & ami de Madame Lefort, ſe chargea de calmer les eſprits, moyennant une ſomme de douze louis d’or que nous lui fimes compter. Nous retournâmes à Paris avec de nouveaux projets.

Ma mere, qui avoit inſiſté long-temps ſur ce que l’opération du biſtouri me fut faite, avoit bien changé de ſyſtême ; elle trouvoit dans la difformité de ma conformation un fond inaltérable qui produiſoit un gros revenu ſans être cultivé, ſans craindre des Orvales, point d’enfans, point de Rhumes Ecléſiaſtiques à redouter. Quant à mes plaiſirs, je me repaiſſois, ma chere Théreſe, par néceſſité, de ceux dont tu ſçais te contenter par raiſon.

Cependant, pourſuivit la Bois-Laurier, nous prîmes de nouvelles allures, & nous guidâmes ſur de nouveaux principes. En arrivant de notre exil volontaire, notre premier ſoin fut de changer de quartier ; & ſans dire mot au Préſident, nous nous tranſplantâmes dans le Fauxbourg S. Germain.

La premiere connoiſſance que j’y fis, fut celle d’une certaine Baronne, qui après avoir pendant ſa jeuneſſe travaillé utilement & de concert avec une Comteſſe ſa ſœur, aux plaiſirs de la jeuneſſe libertine, étoit devenue directrice de la maiſon d’un riche Américain, à qui elle prodiguoit les débris de ſes appas ſurannés qu’il payoit bien au-de-là de leur juſte valeur. Un autre Américain, ami de celui-ci, me vit & m’aima : nous nous arrangeâmes. La confidence que je lui fis du cas où j’étois, l’enchanta, au lieu de le rebuter. Le pauvre homme ſortoit d’entre les mains du célébre Petit : il ſentoit qu’entre les miennes, il étoit aſſuré de ne pas craindre la rechûte. Mon nouvel amant d’Outremer avoit fait vœu de ſe borner aux plaiſirs de la petite oye ; mais il mêloit dans l’exécution un tic ſingulier. Son goût étoit de me placer aſſiſe à côté de lui ſur un ſopha, découverte juſques au-deſſus du nombril ; & tandis que j’empoignois & que je donnois de légeres ſecouſſes au rejetton de la racine du genre humain il falloit que j’euſſe la complaiſance de ſouffrir qu’une femme de chambre qu’il m’avoit donné, s’occupât à couper quelques poils de ma toiſon. Sans ce biſarre appareil, je crois que la vigueur de dix bras comme le mien, ne fût pas venue à bout de guinder la machine de mon homme, & encore moins d’en tirer une goutte d’Elixir.

Du nombre de ces hommes à fantaiſie, étoit l’amant de Minette troiſiéme ſœur de la Baronne. Cette fille avoit de beaux yeux, elle étoit grande, aſſez bien faite, mais laide, noire, ſéche, minaudiere, jouant l’eſprit & les ſentimens ſans avoir ni l’un ni l’autre. La beauté de ſa voix lui avoit procuré ſucceſſivement nombre d’adorateurs. Celui qui étoit alors en fonctions, n’étoit ému que par ce talent ; & les ſeuls accens de la voix mélodieuſe de cet Orphée fémelle avoient la vertu d’ébranler la machine de cet amant & de l’exciter au plus grand des plaiſirs.

Un jour après avoir fait entre nous trois un ample dîner libertin, pendant lequel on avoit chanté, on m’avoit plaiſanté ſur la difformité de mon … on avoit dit & fait toutes les folies imaginables, nous nous culbutâmes ſur un grand lit, là nos appas ſont étalés, les miens ſont trouvés admirables pour la perſpective, l’amant ſe met en train ; il campe Minette ſur le bord du lit, la trouſſe, l’enfile & la prie de chanter. La docile Minette, après un petit prélude, entonne un air de mouvement à trois temps coupés ; l’amant part, pouſſe & repouſſe toujours en meſure ; ſes lévres ſemblent battre les cadences, tandis que ſes coups de feſſes marquent les temps. Je regarde, j’écoute, en riant aux larmes, couchée ſur le même lit. Tout alloit bien juſques-là, lorſque la voluptueuſe Minette, venant à prendre plaiſir au cas, chante faux, détonne, perd la meſure : un bémol eſt ſubſtitué à un Bquarre. Ah ! chienne, s’écrie ſur le champ notre Zélateur de la bonne muſique ! Tu as déchiré mon oreille : ce faux ton à pénétré juſqu’à la cheville ouvriere, elle ſe détraque : tiens, dit-il en ſe retirant ; regarde l’effet de ton maudit bémol. Hélas ! le pauvre diable étoit devenu mol, le meuble qui battoit la meſure n’étoit plus qu’un chiffon.

Mon amie déſeſpérée fit des efforts incroyables pour ranimer ſon acteur ; mais les plus tendres baiſers, les attouchemens les plus laſcifs furent employés envain. Ils ne purent rendre l’élaſticité à la partie languiſſante. Ah ! mon cher ami, s’écriat-elle, ne m’abandonne pas : c’eſt mon amour pour toi, c’eſt le plaiſir qui a dérangé mon organe : me quitteras-tu dans cet heureux moment ? Manon ! ma chere Manon ! ſecoure-moi : montre-lui ta petite moniche ; elle lui rendra la vie, elle me la rendra à moi-même ; car je meurs s’il ne finit. Place-là, mon cher Bibi, dit-elle à ſon amant, dans l’attitude voluptueuſe où tu mets quelquefois la Comteſſe ma ſœur ; l’amitié de Manon pour moi répond de ſa complaiſance.

Pendant toute cette ſinguliere ſcène, je n’avois ceſſé de rire juſqu’à perdre la reſpiration. En effet, a-t-on jamais vu faire pareille beſogne en chantant, & battre la meſure avec un pareil outil, & jamais a-t’on pû imaginer qu’un bémol au lieu d’un

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Bquarre dût faire ratter & rentrer auſſi ſubitement un homme en lui-même.

Je concevois bien que la ſœur de la Baronne ſe prêtoit à tout ce qui pouvoit plaire à ſon amant, moins par volupté que pour le retenir dans ſes liens par des complaiſances qu’elle lui faiſoit payer cherement ; mais j’ignorois encore quel avoit été le rôle de la Comteſſe que l’on me prioit de doubler. Je fus bien-tôt éclaircie : voici quel il fut.

Les deux amans me couchent ſur le ventre, ſous lequel ils mettent trois ou quatre couſſins qui tiennent mes feſſes élevées : puis ils me trouſſent juſqu’au-deſſus des hanches, la tête appuyée ſur le chevet du lit. Minette s’étend ſur le dos, place ſa tête entre mes cuiſſes, ma toiſon jointe à ſon front, auquel elle ſervoit comme de toupet. Bibi leve les juppes & la chemiſe de Minette, ſe couche ſur elle & ſe ſoutient ſur les bras. Remarque, ma chere Théreſe, que dans cette attitude, M. avoit pour perſpective à quatre doigts de ſon nez, le viſage de ſon amante, ma toiſon, mes feſſes & le reſte. Pour cette fois il ſe paſſa de muſique : il baiſoit indiſtinctement tout ce qui ſe préſentoit devant lui, viſage, cul, bouche, & nulle préférence marquée, tout lui étoit égal : ſon dard guidé par la main de Minette, reprit bientôt ſon élaſticité & rentra dans ſon premier gîte. Ce fut alors que les grands coups ſe donnerent : l’amant pouſſoit, Minette juroit, mordoit, remuoit la charniere avec une agilité ſans égale ; pour moi je continuois de rire aux larmes, en regardant de tous mes yeux la beſogne qui ſe faiſoit derriere moi. Enfin après un aſſez long travail, les deux amans ſe pâmerent & nagerent dans une mer de délices.

Quelque temps après, je fut introduite chez un Evêque, dont la manie étoit plus bruyante, plus dangereuſe pour le ſcandale & pour le timpan de l’oreille le mieux organiſé. Imagine-toi que, ſoit par un goût de prédilection, ſoit par un défaut d’organiſation, dès que ſa Grandeur ſentoit les approches du plaiſir, elle mugiſſoit, & crioit à haute voix haï ! haï ! haï en forçant le ton à proportion de la vivacité du plaiſir dont il étoit affecté ; deſorte que l’on auroit pû calculer les gradations du chatouillement que reſſentoit le gros & ample Prélat, par les dégrés de force qu’il employoit à mugir haï ! haï ! haï ! Tapage qui, lors de la décharge de Monſeigneur, auroit pû être entendu à mille pas à la ronde, ſans la précaution que ſon valet de chambre prenoit de matelaſſer les portes & les fénêtres de l’appartement Epiſcopal.

Je ne finirois pas, ſi je te faiſois le tableau de tous les goûts biſarres, des ſingularités que j’ai connu chez les hommes, indépendamment des diverſes poſtures qu’ils exigent des femmes dans le coït.

Un jour je fus introduite par une petite porte de derriere chez un homme de nom & fort riche, à qui, depuis cinquante ans, tous les matins une fille nouvelle pour lui, rendoit pareille viſite. Il m’ouvrit lui-même la porte de ſon appartement. Prévenue de l’étiquette qui s’obſervoit chez ce paillard d’habitude, dès que je fus entrée, je quittai robbe & chemiſe. Ainſi nuë, j’allai lui préſenter mes feſſes à baiſer dans un fauteuil où il étoit gravement aſſis. Cours donc vîte, ma fille, me dit-il tenant d’une main ſon paquet qu’il ſecouoit de toute ſa force, & de l’autre une poignée de verges dont mes feſſes étoient ſimplement menacées. Je me mets à courir, il me ſuit : nous faiſons cinq à ſix tours de chambre, lui criant comme un diable, cours donc, coquine, cours donc. Enfin il tombe pâmé dans ſon fauteuil ; je me r’habille, il me donne deux louis & je ſors.

Un autre me plaçoit aſſiſe ſur le bord d’une chaiſe, découverte juſqu’à la ceinture. Dans cette poſture, il falloit que par complaiſance, quelquefois auſſi par goût, je me ſerviſſe du frottement de la tête d’un godemichi, pour me provoquer au plaiſir. Lui, poſté dans la même attitude vis-à-vis de moi à l’autre extrêmité de la chambre, travailloit de la main à la même beſogne,

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ayant les yeux fixés ſur mes mouvemens, & ſingulierement attentif à ne terminer ſon opération, que lorſqu’il appercevoit que ma langueur annonçoit le comble de la volupté.

Un troiſiéme (c’étoit un vieux Médecin) ne donnoit aucun ſigne de virilité, qu’au moyen de cent coups de fouet que je lui appliquois ſur les feſſes, tandis qu’une de mes compagnes, à genoux devant lui, la gorge nuë, travailloit avec ſes mains à diſpoſer le nerf érecteur de cet Eſculape moderne, d’où exhaloient enfin les eſprits qui, par la fuſtigation, mis en mouvement, avoient été forcés de ſe porter dans la région inférieure. C’eſt ainſi que nous le diſpoſions, ma camarade & moi, par ces différentes opérations, à répandre le baume de vie. Tel étoit le méchanique par lequel ce Docteur nous aſſûroit qu’on pouvoit reſtaurer un homme uſé, un impuiſſant, & faire concevoir une femme ſtérile.

Un quatriéme (c’était un voluptueux Courtiſan, uſé de débauches,) me fit venir chez lui avec une de mes compagnes. Nous le trouvâmes dans un cabinet environné de glaces de toute part, diſpoſées de maniere que toutes faiſoient face à un lit de repos de velours cramoiſi, qui étoit placé dans le milieu. Vous êtes des Dames charmantes, adorables, nous dit affectueuſement le Courtiſant : cependant vous ne trouverez pas mauvais que je n’aie pas l’honneur de vous ..... ce ſera, ſi vous le trouvez bon, un de mes Valets-de-Chambre, garçon beau & bienfait, qui aura celui de vous amuſer. Que voulez-vous, mes beaux enfans, ajouta-t-il ! Il faut ſçavoir aimer ſes amis avec leurs défauts ; & j’ai celui de ne goûter de plaiſir, que par l’idée que je me forme de ceux que je vois prendre aux autres. D’ailleurs, chacun ſe mêle de ...... Eh ! ne ſeroit-il pas pitoyable que gens comme moi, ſoyons les ſinges d’un gros vilain payſan. Après ce diſcours préliminaire, prononcé d’un ton mielleux, il fit entrer ſon Valet-de-chambre, qui parut en petite veſte courte de ſatin

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couleur de chair, en habit de combat. Ma

Camarade fut couché ſur le lit de repos, bien & duëment trouſſée par le Valet-de-chambre, qui m’aida enſuite à me deshabiller nuë de la ceinture en haut. Tout étoit compaſſé & ſe faiſoit avec meſure. Le Maître dans un fauteuil examinoit, & tenoit ſon inſtrument mollet à la main. Le Valet-de-chambre au contraire, qui avoit deſcendu ſes culottes juſques ſur ſes genoux & tourné le bas de ſa chemiſe autour de ſes reins, en laiſſoit voir un des plus brillans. Il n’attendoit pour agir que les ordres de ſon Maître, qui lui annonça qu’il pouvoit commencer. Auſſi-tôt le fortuné Valet-de-chambre grimpe ma Camarade, l’enfile & reſte immobile. Les feſſes de celui-ci étoient découvertes. Prenez la peine, Mademoiſelle, dit notre Courtiſan, de vous placer à l’autre côté du lit, & de chatouiller cette ample paire de C..... qui pendent entre les cuiſſes de mon homme, qui eſt, comme vous voyez, un fort honnête Lorrain. Cela exécuté de ma part, nuë, comme je vous ai dit, de la ceinture en haut, l’ordonnateur de la fête dit à ſon Valet-de-chambre qu’il pouvoit aller ſon train. Celui ci pouſſe ſur le champ, & repouſſe avec une mobilité de feſſes admirable : ma main ſuit leurs mouvemens, ne quitte point les deux énormes verrues. Le Maître parcourt des yeux ſes miroirs qui lui rendent des tableaux diverſifiés ſelon le côté dont les objets ſont réfléchis. Il vint à bout de faire roidir ſon inſtrument qu’il ſecoue avec vigueur : il ſent que le moment de la volupté s’approche. Tu peux finir, dit-il à ſon Valet-de-chambre. Celui-ci redouble ſes coups ; tous deux enfin ſe pâment & répandent la liqueur divine.

Chere Théreſe, dit la Bois-Laurier, en pourſuivant ſes propos, je me rapelle fort à propos d’une plaiſante avanture qui m’arriva ce même jour avec trois Capucins ; elle te donnera une idée de l’exactitude de ces bons Peres à obſerver leurs vœux de chaſteté.

Après être ſortie de chez le Courtiſan, dont je viens de te parler, & avoir dit adieu à ma compagne, comme je tournois le premier coin de rue pour monter dans un fiacre qui m’attendoit, je rencontrai la Dupuis amie de ma mere, digne émule de ſon commerce, mais qui en exerçoit les travaux dans un monde moins bruyant. Ah ! Ma chere Manon, me dit-elle en m’abordant, que je ſuis ravie de te rencontrer ! tu ſçais que c’eſt moi qui ai l’honneur de ſervir preſque tous nos Moines de Paris. Je crois que ces chiens-là ſe ſont tous donné le mot aujourd’hui pour me faire enrager : ils ſont tous en rût. J’ai, depuis ce matin, neuf filles en campagne pour eux en diverſes chambres & quartiers de Paris, & je cours depuis quatre heures, ſans en pouvoir trouver une dixiéme pour trois vénérables Capucins, qui m’attendent encore dans un fiacre bien fermé ſur le chemin de ma petite maiſon. Il faut, Manon, que tu me faſſe le plaiſir d’y venir : ce ſont de bons diables, ils t’amuſeront. J’eus beau dire à la Dupuis qu’elle ſçavoit bien que je n’étoit pas un gibier de Moines, que ces Meſſieurs ne ſe contentoient pas des plaiſirs de fantaiſie, de ceux de la petite oye, mais qu’il leur falloit au contraire des filles dont les ouvertures fuſſent très-libres. Parbleu ! repliqua la Dupuis, je te trouve admirable de t’inquieter des plaiſirs de ces coquins-là ! il ſuffit que je leur donne une fille ; c’eſt à eux à en tirer tel parti qu’ils pourront. Tiens, voilà ſix louis qu’ils m’ont mis en mains : il y en a trois pour toi, veux-tu me ſuivre ? La curioſité autant que l’intérêt me détermina. Nous montâmes dans mon fiacre, & nous nous rendimes près de Montmartre à la petite maiſon de la Dupuis.

Un inſtant après entrent nos trois capuchons ! qui, peu accoutumés à goûter d’un morceau auſſi friand que je paroiſſois l’être ſe jettent ſur moi comme trois dogues affamés. J’étois dans ce moment debout, un pied élevé ſur une chaiſe, nouant une de mes jarretieres. L’un avec une barbe rouſſe & une hâleine infectée, vint m’appuyer

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un baiſer ſur la parolle, encore cherchoit-il à chifonner avec ſa langue. Un ſecond tracaſſoit groſſierement ſa main dans mes tetons ; & je ſens le viſage du troiſiéme, qui avoit levé ma chemiſe par derriere, appliqué contre mes feſſes tout près du trou mignon, quelque choſe de rude comme du crin, paſſé entre mes cuiſſes, me farfouilloit le quartier de devant ; j’y porte la main : qu’eſt-ce que je ſaiſis ? La barbe du Pere Hilaire, qui, ſe ſentant pris & tiré par le menton, m’applique, pour m’obliger à lâcher priſe, un aſſez vigoureux coup de dent dans une feſſe. J’abandonne en effet la barbe, & un cri perçant que ma douleur m’arrache, en impoſa heureuſement à ces effrénés, & me tira pour un moment de leurs pattes. Je m’aſſis ſur un lit de repos près lequel j’étois ; mais à peine eus-je le temps de m’y reconnoître, que trois inſtrumens énormes ſe trouvent braqués devant moi. Ah ! mes Peres, m’écriai-je, un moment de patience, s’il vous plaît : mettons un peu d’ordre dans ce qui nous reſte à faire. Je ne ſuis point venue ici pour jouer la veſtale : voyons donc avec lequel de vous trois je… ? C’eſt à moi, s’écrierent-ils tous enſemble, ſans me donner le temps d’achever. A vous, jeunes barbes, reprit l’un d’eux en nazillant ? Vous ôſez diſputer le pas à Pere Ange ci-devant Gardien de ..... Prédicateur du Carême de … votre Supérieur ! Où eſt donc la ſubordination ? Ma foi ce n’eſt pas chez la Dupuis, reprit l’un d’eux ſur le même ton : ici Pere Anſelme vaut bien Pere Ange. Tu en as menti, repliqua ce dernier en apoſtrophant un coup de poing dans le milieu de la face du très-Révérend Pere Anſelme. Celui-ci, qui n’étoit rien moins que manchot, ſaute ſur Pere Ange : tous deux ſe ſaiſiſſent, ſe colletent, ſe culbutent, ſe déchirent à belles dents : leurs robbes relevées ſur leurs têtes, laiſſent à découvert leurs miſérables outils, qui, de ſaillans qu’ils s’étoient montrés, ſe trouvoient réduits en forme de lavettes. La Dupuis accourut pour les ſéparer ; elle n’y réuſſit qu’en appliquant un grand ſceau d’eau fraîche ſur les parties honteuſes de ces deux diſciples de ſaint François.

Pendant le combat, Pere Hilaire ne s’amuſoit point à la moutarde. Comme je m’étois renverſée ſur le lit, pâmée de rire & ſans forces, il fourageoit mes appas, & cherchoit à manger l’huitre diſputée à belles gourmades par ſes deux compagnons. Surpris de la réſiſtance qu’il rencontre, il s’arrête pour examiner de près les débouchés ; il entr’ouvre la coquille, point d’iſſues. Que faire ? Il cherche de nouveau à percer : ſoins perdus, peines inutiles. Son inſtrument, après des efforts redoublés, eſt réduit à l’humiliante reſſource de cracher au nez de l’huitre qu’il ne peut gober.

Le calme ſuccéda tout à coup aux fureurs monacales. Pere Hilaire demande un inſtant ſilence : il informe les deux combattans de mon irrégularité & de la barriere inſurmontable qui fermoit l’entrée du ſéjour des plaiſirs. La vieille Dupuis eſſuya de vifs reproches, dont elle ſe défendit en plaiſantant ; & en femme qui ſçait ſon monde, elle tâcha de faire diverſion par l’arrivée d’un convoi de bouteilles de vin de Bourgogne, qui furent bien-tôt ſablées.

Cependant les outils de nos Peres reprennent leur premiere conſiſtance. Les libations bachiques ſont interrompues de temps à autres par des libations à Priape. Toutes imparfaites qu’étoient celles-ci, nos frappards ſemblent s’en contenter, & tantôt mes feſſes, tantôt leur revers ſervent d’autel à leurs offrandes.

Bientôt une exceſſive gayeté s’empare des eſprits. Nous mettons à nos convives du rouge, des mouches : chacun d’eux s’affuble de quelqu’un de mes ajuſtemens de femme : peu-à-peu je ſuis dépouillée toute nue & couverte d’un ſimple manteau de Capucin : équipage dans lequel ils me trouvent charmante. N’êtes-vous pas trop heureux, s’écria la Dupuis qui étoit à moitié yvre, de jouir du plaiſir de voir un minois comme celui de la charmante Manon ? Non, ventrebleu ! Répliqua Pere Ange d’un ton bachique : „ Je ne ſuis point venus ici pour voir un minois : c’eſt pour F… un C… que je m’y ſuis rendu : j’ai bien payé, ajouta-t-il ; & ce V.... que je tiens en mains, n’en ſortira ventredieu pas, qu’il n’ait F… fût-ce le Diable.

Ecoute bien cette ſcène, me dit la Bois-Laurier en s’interrompant, elle eſt originale ; mais je t’avertis (peut-être un peu tard) que je ne puis rien retrancher à l’énergie des termes, ſans lui faire perdre toutes ſes graces.

La Bois-Laurier avoit trop élégamment commencé, pour ne pas la laiſſer finir de même ; je ſouris ; elle continua ainſi le récit de cette avanture.

Fut-ce le Diable ! répéta la Dupuis, en ſe levant de deſſus ſa chaiſe & élevant ſa voix du même ton nazillant que celui du Capucin : hé bien ! B… dit-elle, en ſe trouſſant juſqu’au nombril, „ regarde ce C.... vénérable, qui en vaut bien deux, je ſuis une bonne diableſſe ; F..... moi donc, ſi tu l’oſe, & gagne ton argent. ” Elle prend en même-temps Pere Ange par la barbe & l’entraîne ſur elle en ſe laiſſant tomber ſur le petit lit. Le Pere n’eſt point déconcerté par l’enthouſiaſme de ſa Proſerpine, il ſe diſpoſe à l’enfiler, & l’enfile à l’inſtant.

A peine la ſexagenaire Dupuis eut elle éprouvé le frottement de quelques ſécouſſes du Pere, que ce plaiſir délicieux, qu’aucun mortel n’avoit eu la hardieſſe de lui faire goûter depuis plus de vingt-cinq ans, la tranſporte & lui fait bientôt changer de ton. Ah ! mon Papa, diſoit-elle en ſe démenant comme une enragée, „ mon cher Papa, F. donc… donne-moi du plaiſir… je n’ai que quinze ans, mon ami, oui, vois-tu ? Je n’ai que quinze ans… ſens-tu ces allures ?… vas donc, mon petit Cherubin… ! tu me rends la vie… tu fais une œuvre méritoire…

Dans l’intervale de ces tendres exclamations, la Dupuis baiſoit ſon champion, elle le pinçoit, elle le mordoit avec les deux uniques chiquots qui lui reſtoient dans la bouche.

D’un autre côté le Pere qui étoit ſurchargé de vin, ne faiſoit que hanequiner ; mais ce vin commençant à faire ſon effet, la galerie, compoſée des Révérends Peres Anſelmes, Hilaire & de moi, s’apperçut bientôt que Pere Ange perdoit du terrein, & que ſes mouvemens ceſſoient d’être régulierement périodiques. Ah ! B.... s’écria tout-à-coup la connoiſſeuſe Dupuis, „ je crois que tu déb… chien ſi tu me faiſois un pareil affront… dans l’inſtant l’eſtomach du Pere, fatigué par l’agitation, fait capot ; & l’innondation, portant directement ſur la face de l’infortunée Dupuis au moment d’une de ſes exclamations amoureuſes qui lui tenoit la bouche béante, la vieille ſe ſentant infectée de cette exlibation infecte, ſon cœur ſe ſouleve, & elle paie l’agreſſeur de la même monoie.

Jamais ſpectacle plus affreux & plus riſible en même-temps. Le Moine s’appéſantit, écroule ſur la Dupuis : celle-ci fait de puiſſans efforts pour le renverſer de côté, elle y réuſſit. Tous deux nagent dans l’ordure : leurs viſages ſont méconnoiſſables : la Dupuis dont la colere n’étoit que ſuſpendue tombe ſur Pere Ange à grands coups de poings : mes ris immodérés & ceux des deux ſpectateurs, nous ôtent la force de leur donner du ſecours. Enfin nous les joignîmes & nous ſéparâmes les champions. Pere Ange s’endort : la Dupuis ſe nettoie ; à l’entrée de la nuit, chacun ſe retire & gagne tranquillement ſon manoir.

Après ce beau récit, qui nous apprêta à rire de grand cœur, la Bois-Laurier continua à peu près dans ces termes.

Je ne te parle point du goût de ces monſtres qui n’en ont que pour le plaiſir Antiphiſique, ſoit comme agent, ſoit comme patient. L’Italie en produit moins aujourd’hui que la France. Ne ſçavons-nous pas qu’un Seigneur aimable, riche, entiché de cette frénéſie, ne put venir à bout de conſommer ſon mariage avec une épouſe charmante, la premiere nuit de ſes nôces, que par le moyen de ſon Valet-de-Chambre, à qui ſon Maître ordonna, dans le fort de l’acte, de lui faire même introduction par derriere que celle qu’il faiſoit à ſa femme par devant.

Je remarque cependant que Meſſieurs les Antiphiſiques ſe mocquent de nos injures & défendent vivement leur goût, en ſoutenant que leurs antagoniſtes ne ſe conduiſent que par les mêmes principes qu’eux.

„ Nous cherchons tous le plaiſir, diſent ces hérétiques, par la voie où nous croyons le trouver. C’eſt le goût qui guide nos adverſaires ainſi que nous. Or vous conviendrez que nous ne ſommes par les maîtres d’avoir tel ou tel goût. Mais dit-on, lorſque les goûts ſont criminels lorſqu’ils outragent la nature, il faut les rejetter. Point du tout : en matiere de plaiſirs, pourquoi ne pas ſuivre ſon goût ? Il n’y en a point de coupables. D’ailleurs il eſt faux que l’Antiphiſique ſoit contre nature, puiſque c’eſt cette même nature qui nous donne le penchant pour ce plaiſir. Mais, dit-on encore, on ne peut pas procréer ſon ſemblable continuent-ils. Quel pitoyable raiſonnement ! Où ſont les hommes, de l’un & de l’autre goût, qui prennent le plaiſir de la chair dans la vûë de faire des enfans.

Enfin continua la Bois-Laurier, Meſſieurs les Antiphiſiques alléguent mille bonnes raiſons, pour faire croire qu’ils ne ſont ni à plaindre, ni à blâmer. Quoiqu’il en ſoit, je les déteſte ; & il faut que je te conte un tour aſſez plaiſant que j’ai joué une fois en ma vie à un de ces exécrables ennemis de notre ſexe.

J’étois avertie qu’il devoit venir me voir ; & quoique je ſois naturellement une terrible petteuſe, j’eus encore la précaution de me farcir l’eſtomach d’une forte quantité de navets, afin d’être mieux en état de le recevoir ſuivant mon projet. C’étoit un animal que je ne ſouffrois que par complaiſance pour ma mere. Chaque fois qu’il

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venoit au logis, il s’occupoit pendant deux heures à examiner mes feſſes, à les ouvrir, à les refermer, à porter le doigt au trou, où il eut volontiers tenté de mettre autre choſe, ſi je ne m’étois pas expliquée nettement ſur l’article : en un mot je le déteſtois. Il arrive à neuf heures du ſoir ; m’ayant fait coucher à plat ventre ſur le bord d’un lit : puis, après avoir exactement levé mes juppes & ma chemiſe, il va, ſelon ſa louable coutume, s’armer d’une bougie dans le deſſein de venir examiner l’objet de ſon culte. C’eſt où je l’attendois. Il met un genoux en terre, & approchant la lumiere & ſon nez, je lui lâche à brûle-pourpoint un vent moelleux, que je retenois avec peine depuis deux heures ; le priſonnier en s’échappant fit un bruit enragé & éteignit la bougie. Le curieux ſe jette en arriere en faiſant, ſans doute, une grimace de tous les diables ; la bougie tombée de ſes mains fut ralumée ; je profite du déſordre & me ſauve, en éclatant de rire, dans une chambre voiſine, où je m’enfermai, & de laquelle ni prieres, ni menaces ne purent me tirer, juſqu’à ce que mon homme au camouflet eut vuidé la maiſon.

Ici Madame Bois-Laurier fut obligée de ceſſer ſa narration par les ris immodérés qu’excita en moi cette derniere avanture. Par compagnie elle rioit auſſi de tout ſon cœur ; & je penſe que nous n’euſſions pas fini ſitôt, ſans l’arrivée de deux Meſſieurs de ſa connoiſſance que l’on vint nous annoncer. Elle n’eut que le temps de me dire que cette interruption la fâchoit beaucoup, en ce qu’elle ne m’avoit encore montré que le mauvais côté de ſon hiſtoire, qui ne pouvoit que me donner une fort mauvaiſe opinion d’elle ; mais qu’elle eſpéroit me faire bientôt connoître le bon, & m’apprendre avec quel empreſſement elle avoit ſaiſi la premiere occaſion qui s’étoit préſantée de ſe retirer du train de vie abominable dans lequel la Lefort l’avoit engagée.

Je dois en effet rendre juſtice à la Bois-Laurier : ſi j’en excepte mon avanture avec M. R… dont elle n’a jamais voulu convenir d’avoir été de moitié, ſa conduite n’a rien eu d’irrégulier pendant le temps que je l’ai connue. Cinq ou ſix amis formoient ſa ſociété ; elle ne voyoit de femme que moi, & les haiſſoit. Nos converſations étoient décentes devant le monde : rien de ſi libertin que celles que nous tenions dans le particulier depuis nos confidences réciproques. Les hommes qu’elle voyoit, étoient tous gens ſenſés. On jouoit à de petits jeux de commerce : enſuite on ſoupoit chez elle preſque tous les ſoirs. Le ſeul B… ce prétendu oncle Financier étoit admis à l’entretenir en particulier.

J’ai dit que deux Meſſieurs nous avoient été annoncés : ils entrerent ; nous fimes un Quadrille, nous ſoupâmes gaiment. La Bois-Laurier qui étoit d’une humeur charmante & qui peut-être étoit bien aiſe de ne me pas laiſſer ſeule livrée aux réflexions de mon avanture du matin, m’entraîna dans ſon lit. Il fallut coucher avec : on hurle avec les Loups, nous dîmes & nous fimes toutes ſortes de folies.

Ce fut, mon cher Comte, le lendemain de cette nuit libertine, que je vous parlai pour la premiere fois. Jour fortuné ! ſans vous, ſans vos conſeils, ſans la tendre amitié & l’heureuſe ſympathie qui nous lia d’abord, je coulois inſenſiblement à ma perte. C’étoit un Vendredi ; vous êtiez, il m’en ſouvient, dans l’amphi-théatre de l’Opéra, preſque au-deſſous d’une loge où nous étions placées la Bois-Laurier & moi. Si nos yeux ſe rencontrerent par hazard, ils ſe fixerent par réflexion. Un de vos amis, qui devoit être le même ſoir l’un de nos convives, nous joignit : vous l’abordâtes peu de temps après. On me plaiſantoit ſur mes principes de morale ; vous parûtes curieux de les approfondir, & enſuite charmé de les connoître à fond. La conformité de vos ſentimens aux miens, réveilla mon attention. Je vous écoutois, je vous voyois avec un plaiſir qui m’étoit inconnu juſqu’alors. La vivacité de ce plaiſir m’anima, me donna de l’eſprit, développa en moi des ſentimens que je n’y avois pas encore apperçus. Tel eſt l’effet de la ſympathie des cœurs, il ſemble que l’on penſe par l’organe de celui avec qui elle agit. Dans le même inſtant que je diſois à la Bois-Laurier qu’elle devoit vous engager à venir ſouper avec nous, vous faiſiez la même propoſition à votre ami. Tout s’arrangea ; l’Opéra finit, nous montâmes tous quatre dans votre caroſſe pour nous rendre dans votre petit hôtel-garni, où après un quadrille, dont nous payâmes amplement les frais, par les fautes de diſtraction que nous fimes, on ſe mit à table & on ſoupa. Enfin ſi je vous vis ſortir avec regret, je me ſentis agréablement conſolée par la permiſſion que vous exigeâtes de venir me voir quelquefois, d’un ton qui me convainquit du deſſein où vous étiez de n’y pas manquer.

Lorſque vous fûtes ſorti, la curieuſe Bois-Laurier me queſtionna, & tâcha inſenſiblement de démêler la nature de la converſation particuliere que nous avions eue vous & moi, après le ſouper. Je lui dis tout naturellement que vous m’aviez paru déſirer de ſçavoir quelle eſpece d’affaire m’avoit conduite & me retenoit à Paris ; & je convins que vos procédés m’avoient inſpiré tant de confiance, que je n’avois pas héſité à vous informer de preſque toute l’hiſtoire de ma vie, & de l’état de ma ſituation actuelle. Je continuai de lui dire que vous m’aviez paru touché de mon état, & que vous m’aviez fait entendre que par la ſuite vous pourriez me donner des preuves des ſentimens que je vous avois inſpirés. Tu ne connois pas les hommes, reprit la Bois-Laurier, la plûpart ne ſont que des ſéducteurs & des trompeurs, qui, après avoir abuſé de la crédulité d’une fille, l’abandonnent à ſon malheureux ſort. Ce n’eſt pas que j’aie cette idée du caractere du Comte perſonnellement ; au contraire, tout annonce en lui l’homme qui penſe, l’honnête-homme, qui eſt tel par raiſon, par goût & ſans préjugés.

Après quelqu’autres diſcours de la Bois-Laurier, qui viſoient à me ſervir de leçons, propres à m’apprendre à connoître les différens caracteres des hommes, nous nous couchâmes, & dès que nous fûmes au lit, nos folies firent place au raiſonnement.

Le lendemain matin la Bois-Laurier me dit en s’éveillant : je vous ai conté hier, ma chere Théreſe, à peu près toutes les miſeres de ma vie ; vous avez vû le mauvais côté de la médaille : ayez la patience de m’écouter, vous en connoîtrez le bon.

Il y avoit long-temps, pourſuivi-t-elle, que mon cœur étoit bourrelé, que je gémiſſois de la vie indigne, humiliante, dans laquelle la miſere m’avoit plongée, & où l’habitude & les conſeils de la Lefort me retenoient, lorſque cette femme, qui avoit eu l’art de conſerver ſur moi une ſorte d’autorité de mere, tomba malade & mourut. Chacun me croyant ſa fille, je reſtai paiſible héritiere de tout. Je trouvai, tant en argent comptant, qu’en meubles, vaiſſelle, linge, de quoi former une ſomme de trente-ſix mille livres : en me conſervant un honnête néceſſaire, tel que vous le voyez aujourd’hui, je vendis le ſuperflus, & dans l’eſpace d’un mois j’arrangeai mes affaires de maniere que je m’aſſûrai trois mille quatre cens livres de rente viagere. Je donnai mille livres aux pauvres, & je partis pour Dijon, dans le deſſein de m’y retirer & d’y paſſer tranquillement le reſte de mes jours.

Chemin faiſant la petite vérole me prit à Auxerre, qui changea tellement mes traits & mon viſage, qu’elle me rendit méconnoiſſable. Cet événement, joint au mauvais ſecours que j’avois reçu pendant ma maladie dans la Province que je m’étois propoſé d’habiter, me fit changer de réſolution. Je compris auſſi, retournant à Paris, & m’éloignant des deux quartiers que j’avois habité pendant mes deux caravannes, je pourrois facilement y vivre tranquille dans un autre, ſans être reconnue. J’y ſuis donc de retour depuis un an. M. B… eſt le ſeul homme qui m’y connoiſſe pour ce que je ſuis : il veut bien que je me diſe ſa niéce, parce que je me fais paſſer pour une femme de qualité. Vous êtes auſſi, Théreſe, la ſeule femme à qui je me ſois confiée ; bien perſuadée qu’une perſonne qui a des principes tels que les vôtres, eſt incapable d’abuſer de la confiance d’une amie, que vous vous êtes attachée par la bonté de votre caractere & par l’équité qui régne dans vos ſentimens.