Thresor de la langue françoise/Nucerin - Explication de certains proverbes de la langue française

La bibliothèque libre.


Thresor de la langue françoise
1606


Traduction de proverbes latins

EXPLICATIONS MORALES
D’AVCVNS PROVERBES COMMVNS EN LA
LANGVE FRANCOYSE.


Auoir deux chordes en son arc.

E prouerbe se peut appliquer à ceux lesquels ayās quelque entreprinse en main, ont diuers moyens pour l’executer, & peuuent choisir, ou bien en defaut de l’vn auoir recours l’autre : Et est vne similitude prise de ceux qui tirèt d’vn arc, lequel auroit deux cordes, l’vne desquelles se rompant, on se pourra seruir de l’autre.

Entre deux selles le cul à terre.

Cestuy-ci se dit proprement de ceus lesquels ayans diuerses commoditez de se mettre à leur aise, par faure de sçuoir bien choisir, & prendre l’occasion à propos de l’vne ou de l’autre, demeurent priués de toutes les deux.

Il a battu les buissons, vn autre a pris les oiseaux.

Ceci se peut dire de celuy lequel avant trauaillé quelque temps apres quelque chose, vn autre suruient qui en emporte le profit : Similitude tirée de ceux qui chassent aux petits oyseaux, lesquels estans mussez & cachez dedás les buissons, les vns pour les faire fortir frappent dessus auec des perches, les autres les attendent à quelque passage & les prennent.

Le mortier sent tousiours les aulx.

Ce prouerbe est propte á celuy lequel estant vne fois entaché de quelque vice, en retient tousiours les marques, & ne peut dissimuler ni cacher son inclination à iceluy : Tout ainsi qu’vn mortier dans lequel on a pilé des aulx, ne se peut tant lauer qu’il n’en retienne tousiours l’odeur : Et c’est ce que veut dire ce vers.

Quo semel est imbuta recens, feruabit odorem

Testa diu.

Tousiours souuient à Robin de ses flustes.

Ceci se dit quand quelqu’vn importunémét & sans propos fait mention de quelque chose qui luy est propre & n’a autre chose en la bouche. Prins d’vn certain gueux de Paris nómé Robin.

Les cousteaux Iehan Colot : l’vn vaut l’autre.

Ie ne scay ce prouerbe entendu par toute la France, estant bien vsité en Champagne, & particulierement en la ville de Troye. Ce Iean Colot estoit vn artisan facecieux & bon compagnon, lequel portoit ordinairement pendue à sa ceinture vne gaine, danslaquelle y auoit trois ou quatre cousteaux, tous de peu de valeur, & rarez de quelque defaut. L’vn auoit la pointe rompue, l’autre estoit esbreché au taillant, & l’autre ne couppoit point du tout. Et comme ce n’est que l’ordinaire des Francois de venir à la table sans cousteau, & d’emprunter celuy de son compagnon, aduint vne fois à certain bâquet que quelqu’vn as-


sis à table prés dudit Colot, le pria de luy prester vn de ses cousteaux : Ce qu’ayant esté fait & n’estant trouué au gré de l’emprunteur, le reprint & en tira vn autre de sa gaine qu’il luy donna, lequel n’estant meilleur que le premier fut pareillemet rendu, & vint on iusques au troisiesme qui ne se trouua de meilleure mise. Et de ce fut fait ce prouerbe lequel ce dit proprement de toutes choses où il n’y a pas grand choix. Et mesmes par metaphore des personnes qui vallent aussi peu l’vn que l’autre.

Sacs à charbonnier, l’vn gaste l’autre.

Ceci se dit des personnes lesquelles par trop familiere conuersation & accointance, se corrompent & deuiennent vicieux comme par contagion, tout ainsi qu’vn sac de charbonnier desia noir & poudreux, noircit tous les autres quelques blancs qu’ils soyent, qui touchent à luy.

A rude asne, rude asnier.

C’est à dire qu’il se faut porter l’endroir de ceux sur lesquels on a puissance, selon le subjet & occasion en dônent : C’est à dire conduire & gouuerner par douceur ses enfans, seruiteurs & autres domestiques qui se rendent traictables & obeissans : Et employer la verge & le batton sur ceux qui se monstrent & reuesches & desobeissans à l’exéple de ceux qui meinent les asnes.

A bon chat bon rat.

Ce prouerbe ne veut dire autre chose sinon à bon assailleur bô defendeur, qui eft vn autre prouerbe vsité entre gens de guerre.

Selon le bras, la seignée.

Ce prouerbe nous apprend qu’on ne doibt rien exiger de personne, soit du sang de la bourse, soit de son labeur & trauail, plus que la raison & l’equité le cômandent à l’exemple des bons medecins & chirurgiens, lesquels faisans seigner vn malade, examinent diligemmenr ses forces & sa portée, ne luy tirant du sang qu’autant qu’ils connoissent le pouuoir endurer.

D’vne pierre deux coups.

Ceci se peut entendre & en bien & en mal, de ceux lesquels sans beaucoup trauailler par leur industrie & dexterité, en vn seul traict font plusieurs & diuers effects. Comme celuy qui d’vn seul iect de pierre atteindroit deux personnes à la fois, ou l’vn apres l’autre.

D’une fille deux gendres.

Ceci s’entend de ceust qui d’vne mesme chose veulent tirer commodité de plusieurs : Comme quand vn riche homme a vne fille, & fait quelque demonstration de la vouloir donner en mariage tantost à l’vn, tantost à l’autre, dont il espere sous ce pretexte tirer quelque aduantage & proffit. Ce prouerbe se peut aussi adresser aux hommes doctes lesquels dedient leurs labeurs a plusieurs Princes & seigneurs, pour les presens qu’ils en esperent.

Escorcher l’anguille par la queuë.

Ceux qui ont veu escorcher des anguillet sçauent qu’il faut necessairement commencer par la queue, & que faisant autrement iamais on n’en viendra à bout. De lá est pris ce prouerbe, contre ceux lesquels en ce qu’ils pretendent & s’efforcent faire, commencent autrement qu’il ne faut & ne gardent l’ordre requis, dont arriue qu’ils se trauaillent en vain, & ne paruiennent à leurs intentions.

Mettre la charrue deuant les bœufs.

Ce prouerbe declare vn mesme desordre que le precedant és choses que nous voulons faire, assauoir de faire aller deuant ce qui doit estre dernier : Pris du labourage de la terre, où il est necessaire que les bœufs qui trainent la charrue marchent les premiers.

Manger son pain blanc le premier.

Ceci se dit de ceux lesquels en leur ieunesse, & au commencemēt de tout le progrez de leur vie, ont eu toute prosperité, mais sur la fin changement d’aise & repos, en trauail & sollicitude.

Se chatouiller pour rire.

C’est chose toute notoire que le rire est vne affection propre & peculiere à l’homme seul, & pour cela aucuns out voulu definir l’homme par ces mots, animal risibile, à quoy toutes fois les vns sont plus enclins de nature que les autres, & ont certaines parties au corps qui ne peuuēt tant soit peu estre touchées d’autres personnes, que cela ne les incite & prouoque incontinent à rire, encor qu’ils n’en eussent aucune enuie. Les François appellant ceste façon d’attoucher quelqu’vn, chatoüiller : De là est venu qu’a ceux lesquels á tout propos & souuent sans aucun subject se forgent des occasions telles quelles pour rire & gaudir, on leur met ce dicton au deuant, assavoir qu’ils se chatoüillent d’eux mesmes pour se faire rire. C’est à dire sans que d’ailleurs leur en soit donné suffisante occasion.

Rompre l’andouille au genouil.

La nature differente des choses, porte que les vnes se maniēt d’vne sorte les autres d’vne autre : les vns se peuuent rompre sur le genouil ou autrement, comme font les esclats de bois bien sec & deliez, les autres requirent le cousteau & ferrements pour estre mises en deux pieces, comme lozier verd & tout autre bois flexible, quand il est eneor verd : De ceste façon sont les andoüilles lesquelles ne se peuuent rompre, & les faut coupper au cousteau : Ce prouerbe donc apprend qu’en toutes nos actiōs nous ne pouuons paruenir à ce que nous pretendons, si ce n’est par les moyens ordinaires & à ce conuenables.

Rompre plustost que plier.

Ce prouerbe est pris de mesme similitude que le precedant, & s’entend de ceux lesquels sont tellement confirmez & endurcis en leur maniere de viure qu’ils ne peuuent plus receuoir aucun changement ni correction, & se laisseroyent plustost assommer de coups, que de plier tant soit peu sous les remonstrances qui leur sont faites.

Vous frappez à vn mesme coin.

Par ceci sont entendus plusieurs personnes ensemble, qui seroient d’vne mesme faction & coniuration. Ou autrement du tout ressemblans l’vn à l’autre en quelques opinions & facons de faire : Tout ainsi que les testons, francs, & autres especes forgeés en vne mesme boutique de monnoye, & frapez d’vn mesme coin, portent vne mesme figure & charactere.

Bonne mine & mauuais ieu.

Ce prouerbe est pris des ioueurs lesquels estans assis vn deuant l’autre ou costé, en maniant leurs cartes se gardēt le plus qu’ils peuuent, de ne donner par leur contenance aucun signe d’auoir bon ou mauuais ieu. Et en ay veu quelques vns venir iusques là, que n’estant en leur puissance de s’en garder, iamais ne iouoyent qu’ils n’eussent en teste vn chapperon a gorge, tel qu’on porte par les champs contre les rigueurs de Chimo : Et lors que quelque nouuelle carte leur deuoit venir, de peur de descouurir à leur visage par aucun signe d’allegresse ou tristess qu’elle elle estoit, abbaissoient du tout la barbure & ne monstroyent que les yeux : & ce affin de pouuoir mieux donner vne cassade, ou se garder qu’elle leur fust donnée. L’on pourra done appliquer ce mesme dire à ceux, lesquels encor que les affaires n’aillent du tout à souhait, sont neantmoins si retenus & bien aduisez qu’il ne laissent, és compagnies, de monstrer vn visage ioyeux, sous lequel ils dissimulent leur tristesse.

Courir apres son esteuf.

Ceux lesquels ont en main & sont ia saisis de quelque chose qui leur est propre, ne voulanr lascher prise, & sous quelque pretexte se mettre en danger de la perde, ou du moins d’estre contrains de poursuiure apres auoir laissé aller ce que desia ils tenoyent, peuuent selon ce prouerbe dire qu’ils ne veulent courir apres leur esteuf : C’est dire que tenant la chose en main, ils ne la veulent abandonner pour la poursuiure apres.

Laisser son enfant morueux plustost que luy arracher le nez.

Ce dire nous apprend que ceux qui ont des personnes à gouuerner tellemēt inueterez & endurcis en aucunes complexions & mauuaises coustumes, desquelles on les voudroit biē retirer, & n’est pas possible de le faire entierement, doiuent plustost tascher d’en corriger le plus, & en laisser le moins qu’ils pourront, que par les vouloir trop presser, les despiter & rebuter du tout. Ceste similitude prise des petits enfans, lesquels estans ordinairement morueux on leur arracheroit plustost le nez, que de les garder du tout qu’ils n’ayent tousiours quelque roupie pendante sur leurs leures.

Se couurir d’vn sac mouillé.

Ce prouerbe appartient à ceux qui iamais ne veulent confesser leur faute, & quand on leur monstre, alleguent des excuses friuoles, & aussi propres à leur iustification comme si quelqu’vn pour se garantir de la pluye, mettoie sur sa teste vn sac desia tout moüillé & degoutant l’eau, qui le moüilleroit encore d’auantage. De mesme les excuses iustes, dōt telles personnes se pensent bien couurir, ne seruent que de les conuaincre de plus en plus.

Vouloir faire à croire que veßies sont lanternes.

Ce prouerbe est propre à ceux lesquels par babil & vaines inductions, s’efforcent de persuader des choses entierement absurdes & dont les plus grossiers peuuēt apperceuoir la fausseté.

Faire à Dieu jarbe de fuierre.

Ce dicton a esté corrempu cy deuant par beaucoup de gens & des doctes mesmes, lesquels au lieu de jarbe difoient barbe, mais quand on sçaura son origine, la correction en sera facile. L’on sçait que de tout temps il a esté ordōné & en coustume de payer au seigneur ie disme, c’est assauoir vne diziesme partie des biens que l’hōme recueilloit des fruits de sa terre. Ce droit estoit tellement sacrosainct que chacū en toute verité laissoit sur le chāp ce qui eftoir dudit disme. Est aduenu qu’aucuns profanes & faisant aussi peu de difficulté de tromper Dieu comme les hōmes, faisoyent tour expres certaines jarbes esquelles n’y auoit point de grain & de cela payoyent leurs dismes. Ce qui a donné lieu à ce prouerbe, lequel se peut appliquer à toute personne de mauuaise conscience soit enuers Dieu soit enuers les hommes, comme sont telles gens.

Homme de porc & de bœuf.

Par ces mots on veut signifier vn hōme grossier, inciuil, malhonneste, mal apprins, tels que sont ordinairement ceux de plus vil & bas degré d’entre le peuple : & d’autant que Ia nourriture plus familiere à telles gens est du lard, du porc, du bœuf & autres grosses viandes, on les appelle ainsi, à la differēce des autres plus honestes, plus delicats, & de plus belle vie & coustumes, lesquels sont aussi nourris de choses plus delicates, comme mouton, chapons, perdrix & autres menües viandes. Comme si on disoit cest hōme se monstre du rang des porchiers & bouuiers en toute sa conuersation, ou bien monstre qu’il y a autant de difference entre luy à vn honneste homme, comme entre les viandes le porc & le bœuf sans difference du chappon & de la perdrix.

Homme de sac & de corde.

Ce prouerbe ressemble aucunement au precedent, mais il est plus iniurieux : car par ces mots est entendu vn scelerat & digne d’estre puni par la main du bourreau, assauoir estre ietté en l’eau & noyé dans vn sac, ou bien pēdu au gibet par vn licol de corde.

Faire des chasteaux en Espagne.

Il semble que ces mots represent aucunement ce verbe Grec ἀεροβατεῖν que Ciceron selon Budee interprete en Latin in summa inanitate versari. Aristophane en sa Comedie des Nues, se mocquant de Socrates, la fait ainsi parler Ἀεροβατῶ καὶ περιφρονῶ τὸν ἥλιον. C’est à dire ie me promeine en l’air & contemple & considere le soleil : Qui est autant cōme s’il disoit, ie fais des chasteaux en Espagne. Lucian en quelque endroit pour ἀεροβατεῖν, vse de ce mot ἀεροδρομεῖν, en somme cette locution Greque & ce prouerbe Francois, faire des chasteaux en Espagne, ou bien en l’air, ne signifie autre chose sinō s’amuser à des friuoles & vaines cōtemplations & ne penser à bon escient à ses propres affaires qui touchent de plus pres. Ceux qui recerchent de plus loing l’origine de ce prouerbe, disent que Cecilius Metellus ayant assiegé la ville de Trebie en Arragon, & recognu que pour estre trop bien munie, il ne pouuoit venir bout de son dessein, leua le siege & s’en alla par toute la contrée voltigeant ça & là. Il bastissoit à tout propos sur le haut des montagnes ie ne sçay quels forts, puis les laissoit & faisoit des remuemens de terre parmi des marescages, & à l’embouscheure de quelques fondrieres & vallons. Ces bizarreries inutiles donnerent occasion à vn de ses plus familiers de s’enquerir à quel dessein il faisoit toutes ces choses, auquel il respondit, que s’il pensoit que sa chemise en cogneust rien, il la despoüilleroit & brusleroit tout à l’heure. La dessus les Arragonois ne pouuans imaginer ny cōprēdre à quoy tendoyēt tous ces mysteres, s’estans tenus plus nonchalamment que de coustume sur leurs gardes, lors qu’il vit l’occasion il rebroussa tout court par vne belle nuict, & s’alla camper deuāt la ville, qui s’estant trouuée despourueuë fut contrainte de se rendre. Ainsi font des chasteaux en Espagne ceux qui feignās auoir autre chose en la pensée, ne laissent d’aduiser à leurs affaires & y mettre vn bon ordre.

Partir le gasteau ou manger le cochon ensemble.

Ce prouerbe semble pris de quelque coustume ancienne, qui encor se practique aucunement pour le iourd’huy ; L’on sait que les anciens voulans faire quelque coniuration estans assemblez, apres auoir sacrifie à leurs Dieux, beuuoient tous en vne mesme couppe, & d’vn mesme vin. Cela se peut clairement voir en Aristophanes en sa Comedie intitulee Lysistrate, où celle qui estoit auctrice de leur coniuration, disoit aux autres femmes ses compagnes ces mots :

Λάζοι πέσοι τής κύλικος ὧ λαμπιτοί.

C’est a dire, Prenez toutes de ceste couppe ô Lampira, qui est le nom de celle à qui elle addresse son propos.

Semblablement manger le cochon ensemble, ne signifie autre chose, sinon par telle ceremonie consentir ensemble à quelque entreprise ou coniuration : Mais partir le gasteau est autant comme qui diroit, departir à chacun du proffit qui en peut reuenir : Quoy que ce soit, ce prouerbe s’entend de ceux qui monopolent & conspirent en quelque chose, mais plustost pour le mal & dommage d’autruy, que pour aucun bien.

Qui ne retire de sa vache que la queuë, ne perd pas tout.

Par ces mots nous sommes aduertiz qu’en tous cas & accidens de perte & dommage, on ne doit point negliger ce que l’on peut sauuer, d’autant qu’on n’en sçauroit si peu retirer, que ce ne soit plus que rien du tout. Ce prouerbe semble estre pris de l’histoire de quelque pauure homme, auquel sa vache estant violentement rauie, ou par hommes ou par bestes, se seroit tellement esuertué de la retenir par la queuë, qu’à force de tirer, ladite queuë pour toute chose luy seroit demeurée és mains.

Ietter le manche apres la coignée.

Ce prouerbe peut venir de mesme source que le precedant, asçauoir de quelque pauure boscheron, lequel ayant rompu ou autrement perdu le fer de sa coignée, auroit par vn despit ietté le manche apres, ce qu’il ne deuoit faire, veu que ce manche pouuoit seruir â vn aurre fer, & espargner autant de despence. A cet exempte nous est enseigné quand quelque perte nous aduient, de retenir nostre courroux, & ne la vouloir faire plus grande par nostre propre faute, en perdant par despit le reste qui nous peut encore seruir.

Torcher à autruy le cul de sa chemise.

C’est à dire, faire quelque bien & courtoisie à quelqu’vn, mais de son bien mesme & de ce qui luy appartient, sans que celuy qui fait tel plaisir y employe rien du sien comme quand on pratique ce que dit ce prouerbe.

Manger les charretes ferrées, & manger à vn grain de sel.

Ce sont hyperboles propres à ceux qui se font vaillans, comme Arioste descrit Rodomonte, Terence son Thraso, & Plaute son Pyrgopolinices, en sa Comedie du nom de Miles gloriosus. Au reste, manger á vn grain de sel, est pris de ceux lesquels par leur grande auidité ne prenans le loisir de mignarder & assaisonner les viandes, les aualent auec vn peu de sel dessus.

Villonner. Pateliner. Pindariser.

Ces verbes font contrefaits sur les noms propres de certains hommes de nostre siecle, desquels il faudroit icy inserer les choses plus memorables de leur vie & faits, pour auoir intelligence desdits verbes. Ainsi les Grecs ont ceux cy, Κρητίζειν, Συβαρίζειν, Λεσβιάζειν, Λυδίζειν, & autres semblables tirez des noms de telles nations, qu’il faudroit aussi interpreter plus à plain, si cela ne nous escartoit trop de nostre subiect.

Entre l’enclume & le marteau.

Ce prouerbe est tiré du Latin en mesmes mots & signification asçauoir, Inter incudem & malleum, & se dit des personnes qui sont tellement enueloppez de fascherie & anxieté, que de quelque costé qu’ils se tournent, ne reçoyuent que peine & affliction, comme vn fer qu’on bat sur l’enclume, lequel au dessous sent la dureté d’icelle, & par dessus la pesanteur des coups de marteau tombant sur luy.

Il ne craint ni les rez ni les tondus.

Ce prouerbe seroit froid, & auroit bien peu de grace si ce n’est qu’on entende son origine : Car quelle occasion y auroit il de craindre vn homme rasé ou tondu, plus qu’vn autre portant cheueux ? Vous deuez dōc sçauoir que depuis vne centaine d’années plus ons moins, en la ville de Troye, capitale de Champagne, y auoit vne famille, dont le surnom estoit les Rez, laquelle pour sa grande richesse & authorité s’estoit renduë quasi redoutable à tous ses concitoyens, tellement que c’estoit comme vne forme de menace ordinaire, quand on vsoit à quelqu’vn de ces mots ou semblables, Ie le diray ou feray sçauoir au Rez ; Sur quoy vn bon compagnon de ce temps la, fasché peut estre que trop souuent ceste menace luy estoit repetée, prononça en cholere ces mots, Ie n’ay que faire des Rez ni des tondus, ou chose semblable, faisant allusion de ce mot Rez, & y adioustant cest autre tondus. Cela puis apres tourna en prouerbe peculier à ladite Vitte, que lors qu’on vouloit taxer quelqu’vn d’estre temeraire, arrogant & ne portant respect à personne, on disoit : Il ne craint ni les Rez ni les tondus.

Assez escorche qui le pied tient.

C’est à dire, que ceux qui aydent & prestent leur peine à ceux qui cruellement molestent & trauaillent quelqu’vn, ne sont exempts de la coulpe : Tout ainsi que celuy qui tient les pieds de quelque pauure beste qu’on escorche, ne merite moins le nom d’escorcheur, que fait celuy qui manie le cousteau.

Porter la paste au four pour autruy.

La signification de ce prouerbe est assez commune & vulgaire, qui est quand quel qu’vn patit & porte la peine qu’vn autre a meritée. Mais ie confesse librement n’en sçauoir ni l’occasion ni l’origine.

Maille à maille se fait le haubergeon.

Haubergeon estoit vne espece & façon d’armeure ancienne, qui se faisoit de telle estoffe & maniere que ce que nous appellons maintenant, Cotte ou chemise de mailles. Ces mailles sont petits annelets de fer ou d’acier s’embrassans & tenans l’vn l’autre, pour en faire habillement de telle longueur & largeur que l’on veut, chose assez vsitée & commune entre gens faisans profession des armes. Et pource qu’à bastir cest ouurage, composé de tant de petites pieces, il y va beaucoup de temps & de patience, ce prouerbe nous enseigne qu’il n’est rien qu’on ne puisse parfaire par le menu, & petit à petit si on y veut mestre l’estude & le temps, suyuant ce que dit vue bonne vieille en Theocrite.

—————————— ἐς Τροίην πειρώμενοι ἦνθον ᾿Αχαιοί,
Καλλίστα παίδων, πείρᾳ θην πάντα τελεῖται.

Les petits ruisseaux font les grandes riuieres.

Ce prouerbe n’est fort esloigné de la signification de l’autre, & nous apprend que beaucoup de petites pieces ioinctes ensemble, font vn grand corps, ainsi que plusieurs petits ruisseaux s’assemblans en vn, font vn grand fleuue.

Pas à pas on va bien loin.

Signifiant que toute besongne, pour longue qu’elle soit, si on y veut continuellement petit à petit trauailler, se trouuera en fin parfaite.

Il n’est nulles laides amours.

C’est vne maxime confessée de tous, que la beauté d’vne femme, est ce qui attire le plus l’omme á l’aymer, mesmes que la nature a donné aux femmes pour toutes armes la beauté, par laquelle elle se rend victorieuse de toutes choses. Voicy comme en parle le bon Anacreon apres auoir declaré les choses par lesquelles toutes sortes d’animaux & mesme les hommes sont ornez & garniz, parlant de la femme par maniere d’interrogation, dit ainsi :

Τί οὖν δίδωσι ; puis respond, κάλλος
Ἀντ’ ἀσπίδων ἁπασῶν, ἀντ’ ἐγχέων ἁπάντων.
Νικᾷ δὲ καὶ σίδηρον, καὶ πύρ καλλή τις οὖσα.

Souuent aussi au contraire il aduient que l’amour qui precede fait trouuer belle celle qu’on ayme encor qu’elle ne le soit pas, suyuant ce qui est dit en Theocrite en la 6. Eglogue.

—————————— ἦ γὰρ ἔρωτι
πολλάϰις ὦ πολύφαμε τὰ μὴ καλὰ καλὰ πέφανται.

C’est à dire mot á mot, Certes à l’amour bien souuent, ô Polypheme, les choses non belles, se monstrent belles. Sur quoy faut noter, que ce mot amour en cest endroit, se prend pour la personne amoureuse. Et est le sens de ce prouerbe, Il n’est nulles laides amours, qui se peut estendre generalement à toutes choses, pour signifier que tout cela qu’on ayme & qu’on a en affection, on le trouue beau quel qu’il soit.

Ons adiouste pour contraire.

Il n’est nulle belle prison.

D’autant que la liberté est si aymable & precieuse à tout homme, que sans icelle nul lieu ne peut estre agreable, feust-ce vne maison bastie toute d’or, si elle sert de prison.

A tous oyseaux leurs nids sont beaux.

C’est à dire, que chacun trouue sa propre maison belle, & luy en plaist l’habitation, à l’exemple de tous oyseaux.

Il n’est chassé que de vieux chiens.

Par ce prouerbe nous est enseigné, encor que les ieunes gens ayent beaucoup de sçauoir acquis, toutesfois ne pouuans encor auoir l’experience que l’aage & le temps apportēt aux hommes de iour à autre, ils ne sont si capables d’aucune fonction que ce soit, comme ceux qui ont plus grand aage : Tout ainsi que les ieunes chiens, tant soient ils de bonne race & bien dressez par les Veneurs, ne sont neantmoins si rusez & seurs pour rendre la beste pourchassée prise, comme sont les anciens.

Amour peut moult, argent peut tout.

Ce prouerbe nous apprend que veritablement amour a grande force pour gaigner les femmes, mais que l’argent, c’est à dire les dons & presents peuuent encor d’auantage. C’est de quoy se plaint le bon Anacreon en vne sienne Ode, souhairant la mort à celuy qui premierement ayma l’argēt Voicy comme elle commence. Σαλευτὸν τὸ μὴ φιλήσαι. Et ce qui suit, qu’il faut voir en son lieu. Aristophane n’en dit pas moins en sa comedie, intitulée Plutus, où il est escrit.

Καὶ τὰς γ’ἑταίρας φασὶ τὰς Κορινθίας.
ὅταν μὲν αὐτάς τις πένης πειρῶν τύχῃ,
οὐδὲ προσέχειν τὸν νοῦν, ἐὰν δὲ πλούσιος,
τὸν πρωκτὸν αὐτὰς εὐθὺς ὡς τοῦτον τρέπειν.

Ce prouerbe touche à l’histoire de Danaé, qui fut corrompuë par Iupiter, transformé en pluye d’or.

Il n’est si grand iour qui ne vienne à vespre.

Par ce prouerbe nous sommes appris que toutes choses de ce monde viennent en fin à decadence, comme il n’est point de iour si long qui n’ayt son soir qui le suit. Cecy se peut estendre & appliquer à toutes choses, comme properité, credit, authorité, pompe, & choses semblables, lesquelles ne sont perdurables, & prennent fin comme les autres.

Apres la pluye vient le beau temps.

Ce prouerbe nous declare la vicissitude alternatiue de toutes choses soubs le ciel, pour estre consolez & auoir bon courage en nos aduersitez à l’exemple du temps, lequel ordinairement apres la pluye retourne beau & serain. De mesmes aussi apres les afflictions viennēt les ioyes & plaisirs, & apres le trauail vn gracieux & doux repos, & ainsi consequemment le bien suit le mal. A ce prouerbe est accordant ce mot Latin, Post nubila Phœbus. Et toute cette Ode d’Horace, Non semper imbre : & autres, icy se peut faire vne longue & belle digression sur la deuise de Geneue, Post tenebras lux. En mesme sens les bons compagnons disent, Le Diable n’cil tousiours à vne porte.

A petit mercier, petit panier.

Ce prouerbe en tiré des merciers qui vont par les champs auec vne balle de mercerie sur le dos, la pluspart du païs de Sauoye, nommez communément Porte-paniers, ou Porte-tablettes, ou bien Colporteurs. Par ce prouerbe nous sommes admonestez que chacun doit mesurer ses forces & facultez, & ne prendre sur soy fardeau plus pesant que ce qu’il pourra porter. Comme ordinairement entre telles gens se trouuēt beaucoup de ieunes garçons, ausquels il ne seroit raisonnable de mestre sur les espaules vne balle de mercerie de telle grandeur & puis que porteroit vn homme fort & robuste. Cela se peut aussi estendre plus loin, asçauoir que chacun se doit mesurer, pour ne rien entreprendre qui passe sa mesure.

Battre le fer quand il est chauld.

Le fer est vn metal que chacun cognoist, & de plus grandc vtilité à l’homme que nul autre. Il est malleable & se laisse dresser en telle forme que l’on veut, quand il est tellement eschauffé au feu, qu’il semble estre le feu mesme. Pour ceste cause les mareschaux, serruriers, & autres artisans qui en trauaillent, sont fort diligens le retirant ainsi rouge de leur forge, de le mettre soudain sur l’enclume, & auec le marteau & tenailles, le tant frapper, tourner, & retourner, qu’en fin ils le reduisent tel qu’ils veulent, deuant qu’il se refroidisse. A cet exemple nous sommes admonestez, que quand nous auons quelque affaire en main, qui ia est en bon train & prend quelque progrez, il faut estre diligcent de le poursuyure & employer les moyens qu’on y a, iusques à tant qu’on en ayt obtenu la fin pretēduë, de peur que par intermission le tout ne soit à recommencer, tout ainsi que laissant refrotdir le fer sans le battre, il faut le remettre au feu, & ni a rien de fait.

L’habit ne fait pas le moine.

Par ce prouerbe nous sommes enseignez, que le vestement & autres choses externes, donnent bien quelque tesmoingnage de la profession que les personnes font en apparence, mais que pour cela ils ne sont tousiours par le dedans tels qu’ils doyuent estre. De fait tel porte vn froc, vn capuchon & quelque chose de couleur vsitée aux moynes, qui pourtant n’est pas moyne : C’est à dire duquel la vie & conuersation n’a aucune conformité au vray estat Monachal. Aussi S. Hierosme disoit de son temps : Ecce vndique mandus feruet monachis & sacerdotibus, & tamen iam sunt rarißimi sacerdotes & monachis, cum vix de centum vnum reperiatur. Tout de mesme tel se void bien armé de pied en cap, representant vn vaillant homme de guerre, qui bien souuent est vn couard & poltron, & partant en tous estats il ne faut iuger par l’exterieur seulement.

A l’enfourner on fait les pains cornuz.

C’est à dire, qu’il faut bien dresser & projetter les commencemens de tous affaires, de peur d’encourir le prouerbe Latin, Impingere in limine, c’est à dire  : se heurter le pied au sueil de la porte, des le premier pas qu’on fait pour sortir de la maison. Cette similitudc est prise des fourniers, lesquels se gardent tant qu’ils peuuent, mettans le pain dans le four pour cuire, de heurter à chose qui puisse difformer leur pain estant encore tendre : Car quand il est cuict & endurcy du feu, il ne se peut redresser. Ainsi en est-il de quelque faute faite des le commencement d’vne affaire, laquelle ne se peut par apres rabiller.

En la queuë gist le venim.

Le prouerbe precedant nous veut apprendre à estre aduisez & prudents au commencemēt de noz entreprises, & cestuy-cy nous aduertit de nous donner bien garde sur la fin. Il est tiré de la nature des serrpens, & particulierement du scorpion, la morsure du-


quel est lors dangereuse, quand il peut toucher la playe de sa queuë. Tout de mesmes aucunes personnes ont du commencement qu’on les aborde, vn accueil assez doux & gracieux, du moins ne monstrent leur mauuaise volonté, mais en fin gettent & descouurent leur mal-talent & poison.

A qui meschet on luy mesoffre.

Ce prouerbe descouure la peruersité & faute de charité qui se trouue en plusieurs ; Et est pris de ce qui se voit ordinairement estre practiqué entre les hommes : C’est, que si quelque pauure personne se trouue en telle neccessité que force luy soit de vendre sa maison ou autre heritage, tel qui auparauant auoit grand envie de l’acheter, & eust beaucoup donné, en offre alors beaucoup moins que la iuste valeur.

Qui a le bruit de se leuer matin, peut bien dormir la grasse matinée.

Par ces mots nous sommes enseignez que bien-souuent l’opinion bonne & iugement que l’on fatt des personnes, est fondée sur le bruit & dire du commun, plus que sur la verité mesme : de sorte que la reputation surmonte le fait propre. Et se void assez de gens que le commun tiēt pour sages, doctes, vaillans, & ornez de beaucoup d’autres vertus, qui n’ont rien de tout cela si on les regarde & examine de pres.

On auroit außi tost vn pet d’vn asne mort.

Entre les adages qui sont vn petit sales, cestuy-cy en est l’vn, qui est proprement dit de ceux lesquels interrogez de quelque chose, ne donnent aucune response, & plus sont sollicitez de parler, plus se rendent muets.

Tout ce qui reluit n’est pas or.

Par ce mot nous sommes appris de ne pas iuger legerement selon l’apparence exterieure des choses, laquelle bien souuent trompe tellement le sens de la veuë, qu’elle fait estimer estre ce qui n’est pas. Comme on voit que plusieurs choses ont le lustre & la couleur de l’or, qui pourtant ne sont pas or.

Dieu gard la Lune des Loups.

Cecy se dit ordinairement à ces brauaches mangeurs de charretes ferrées, quand on oit qu’ils menassent plus qu’ils n’ont de puissance de mal faire. C’est vne façon d’ironie ridicule, de prier que Dieu vueille defendre la lune à l’encōtre des loups qui heurlent apres, d’autant qu’on sçait bien qu’ils ne la peuuent mordre.

A trop acheter n’y a que reuendre.

Combiē que ce prouerbe soit comme peculier aux marchans, les admonestant que les denrées trop cherement achetées ne se peuuent reuendre qu’auec perte. Neantmoins il se peut estendre plus loin, asçauoir qu’en toutes choses on se doit garder d’employer de son temps & labeur, plus qu’il n’y a d’apparence d’en retirer en fin d’vtilité & de proffit.

Qui trop embrasse mal estreint.

Ce prouerbe est pris de ceux lesquels pensent amasser a vn coup plus de choses ensemble, qu’ils n’en peuuēt contenir & serrer entre leurs bras. Et nous enseigne de n’entreprēdre plus d’affaires a la fo1s que nous n’en pouuons expedier.

Pour vn poil Martin perdit son asne.

Ceux qui disent, Pour vn point Martin perdit son asne ont occasion d’aduoüer qu’ils ne sauent l’origine de ce prouerbe : Mais il sera facile à le restituer en son entier, selon qu’il est cy dessus. Le faict est qu’vn nommé Martin, ayant perdu son asne à la foire, il arriua que l’on en trouua vn autre qui estoit aussi perdu, de sorte que le Iuge de village estoit d’opinion que l’on rendist à ce Martin l’asne qui auoit esté trouué, mais celuy qui l’auoit en sa possession, & le vouloit faire sien, s’aduisa de demander à Martin de quel poil estoit son asne lequel ayant respōdu que l’asne estoit gris, fut debouté sur le champ de sa demande, d’autant que l’asne estoit noir. Ainsi pour n’auoir sçeu dire de quel poil estoit sa beste, il donna lieu à ce prouerbe.

Clocher des deux costez.

Porter à deux espaules.

le premier de ces deux prouerbes est attribué à Elie le prophete, duquel il est escrit au premier liu. des Rois cha. 18. vers. 11. en ceste sorte, Puis Elie s’approcha de tout le peuple, & dict, Iusques à quand clocherez vous des deux costez ? Si l’Eternel est Dieu, suyuez le : mais si c’est Bahal fuyuez le. Qui est vne similitudine prise de ceux qui sont boiteux des deux hanches, de sorte que cheminant, à chacun pas qu’ils font panchent & s’inclinent tout le corps tantost d’vn costé, tantost d’vn autre.

L’autre est tiré de ceux qui portent sur eux quelque fardeau, lequel par fois ils mettent tantost sur l’vne de leurs espaules, tantost sur l’autre. C’est vn mesme sens & signification, & en peut on proprement vser contre ceux lesquels sans aucune forme & stable resolution vacillent, & sont tousiours branlans. Mesmes s’il est question de prendre quelque parry, ils suyuent tantost l’vn & tantost le contraire, sans aucun arrest : Et encor qu’ils facent demonstration d’embrasser la cause de l’vn, ils font tout le semblable à son aduersaire.

Estre en la paille iusqu’au ventre.

Ce prouerbe est pris des cheuaux, ausquels le meilleur traictement qu’ils puissent receuoir, outre le foin & l’aueine en abondance, est qu’ils ayent ample & profonde lictiere. Et par ceste similitude il se peut dire de ceux lesquels sont à leur ayse, & ont à leur souhait toutes choses necessaires à vne vie opulente & delicieuse.

Il ne peut sortir du sac que ce qui y est.

Comme d’vn sac plein quand on le vuyde, rien ne sort que la matiere mesme qui estoit dedans ; Ainsi d’vn esprit remply de mauuaises pensées & cogitations, ne peut sortir que mauuaises paroles, asçauoir d’vn cœur, impudicque, vilains, & sales propos, & d’va vilain & rustique, rudes ac discourcoises paroles : Et ainsi de toutes autres afflictions, de sorte qu’on y accorde ce dire commun, De l’abondance du cœur la bouche parle.

Trouuer à tondre sur vn œuf.

Ce mot de tondre presuppose qu’il y ait ou poil, ou laine, ou herbe, ou chose semblable ; Or chacun sçait combien vn œuf est exempt de tout cela : Doncques par ceste façon de parler hyperbolique, sont remarquez certains personages & actifs à leur profit, & ingenieux en toutes sortes d’inuentions, pour pouuoir grappiner, que rien ne leur passe par les mains où ils ne trouuent à prendre, & qu’il ne leur en demeure quelque chose au bout des doigts.

Pescher en eau trouble.

Qund les riuieres par quelques longues pluyes ou autre occasion sont bien troubles, lors les pescheurs ont bon temps, parce que le poisson ne pouuant apperceuoir les filez, entrent plus facilement dedans : Tout de mesmes quand vne Republicque ou autre Estat, tel qu’il soit, est agité de dissentions & discordes ciuiles, & par ce moyen tout ordre & police en confusion, ceux qui manient les affaires publicques ont par là occasion & beau ieu, pour faire leur proffit particulier, & tirer à eux des finances & substances communes, ce que bon leur semble, ce qu’ils ne pourroient sans craincte en vn tempps paisible & cranquille. C’est proprement ce que cc prouerbe veut dire, lequel toutesfois se peut estendre plus loin, asçauoir en toutes negociations particulieres, esquelles les personnes de mauuaise conscience, n'ayans craincte d’estre repris, quand il suruient quelque difficulté qui puisse aucunement esbloüir les yeux, en sçauent bien faire leur proffit, & parmy tel empeschement, se donner par les iouës, comme on dit, de ce qui n’est clair & liquide : Ce qu’ils ne pourroient faire sans les differens suruenuz.

Ce n'est pas tout de courir, il faut partir à temps.

Ce prouerbe nous admoneste, qu'en toutes noz besongnes, non seulement la diligence est necessaire en trauaillant, mais aussi qu’il faut commencer de bonne heure & à propos. Ceste similitude est tirée: de ceux qui courent pour gaigner quelque prix, lesquels doyuent commencer leur course aussi tost que le signal de partir est donné. Autrement ils sont en danger que leur bien courir leur serue de peu, estans deuancez de ceux qui ont deslogé les premiers.

Petite pluye abbat grand vent.

Ce prouerbe a beaucoup de particulieres significations, toutes tirées d’vne mesme cause qui se void ordinairement, asçauoir que lors qu’il s'esleué quelque fort & impetueux vent, suruenant quelque petite pluye, il se voit incontenent appaisé, & l’air rendu tranquille & coy : De mesmes lors qu’vn homme est en furie bruyant & tonnant de cholere & menasses, il aduient souuent que par vn peu de douces & gracieuses paroles qu’on luy donne, il se rend du tout appaisé & pacificque. Ainsi d’aunes choses en general, comme lors que les peuples fremissent, tempestent, & menaçent le plus en quelque sedition, il ne faut quelque fois qu’vn bien peu de bon conseil ou de resistance, en quelque sorte que ce soit, pour leur rompre leurs mauuais desseins & entreprises. Icy y aura matiere de monstrer sa philosophie en discourant des causes naturelles de cest effect de pluye & du vent. Et l’on sçait que par metaphore le vent se prend ordinairement pour la iactance & vanterie.

Il sçait que l'aulne en vaut.

Cecy se dit de ceux lesquels pour estre bien entenduz & experimētez és affaires qu’ils ont à negotier auec autruy, se donnent bien garde par ce moyen d’estre trompez ou circonuenuz. Il se peut aussi applicquer à ceux lesquels ayant desia passé par quelques difficultez ou dangers, se donnent garde apres d’y retomber, ou bien y estans, s'en sçauent mieux desuelopper. Ceste façon de parler est prise des marchans, lesquels en vendant leurs denrées ne surfont pas volontiers aux personnes cognoissans que la chose vaut, desquels ils feroient incontinent seruiz de ce prouerbe : Aux autres, aux autres, ie suis du mestier, ie sçay que l'aulne en vaut. Et le mesme se peut dire à tous ceux lesquels desguisans les matieres, voudroient faire à croire vne chose pour vne autre. Comme aussi cestuy-cy. Allez vendre vos coquilles ailleurs.

Le four appelle le moulin bruslé.

L’vsage de ce prouerbe est, quand aucun entaché de quelque vice & tache, la reproche à vn autre qui en est du tout exempt. Comme si vn four auquel ordinairement le feu est embrasé, &


par consequent est à demy bruslé, faisoit ce reproche au mouilin, lequel estant basty sur l’eau, & d’icelle continuellement arrousé, est bien eslongné de tel inconuenient.

Ceux qui nous doyuent, nous demandent.

C’est contre ceux lesquels ayans reçeu beaucoup de plaisirs & biens-faits, tant s'en faut qu'ils s'efforcent de le recognoistre par aucun deuoir, qu’au contraire au lieu d’en remercier & donner de bonnes paroles, ils se plaignent & parlent bien gros, comme si on leur deuoit beaucoup d’auantage que ce qu’on a desia fait. En general il se peut applicquer à tous ceux qui par ingratitude se portent autrement qu’ils ne deuroient, enuers ceux ausquels ils sont tenuz & obligez.

Au bout, la borne.

Par ces mots nous sommes enseignez de cōtinuer & aduancer en toutes noz entreprises autant qu’il nous sera possible, resoluz si nous n’en pouuons du tout venir à bout, qu’au pis aller nous mettrons la borne d’icelles au lieu où nous serons contraints de cesser. Il semble que ce prouerbe soit pris de ceux qui courent en quelque carriere limitée, lesquels ayans fait leur plain deuoir de la franchir tout du long, font la fin d’icelle, & la borne de leur course, au lieu où les forces leur defaillent.

Vouloir prendre vn homme ras par les cheueux.

C’est à dire, vouloir exiger d’vn hōme ce qui n’est en sa puissance de donner, ne l’ayant pas, & le penser contraindre par des moyens qui ne sont pas en luy. La similitude est aysée à entendre.

Ne croire à Dieu que sur bons gages, ou à bonnes enseignes.

Ce prouerbe pris à la lettre & entendu de Dieu mesme, seroit profane & du tout impie, & ne pense pas qu’il y ait homme si desbordé d’en venir iusques là : Mais par comparaison est propre aux personnes tellemenc deffiantes de leur nature, comme il s'en void assez, que iamais ils ne croyent, iamais ne s'asseurent de chose qui leur soit dite, ou promise, par qui que ce soit, qu’ ils ne la voyent desia comme deuant eux, & à demy effectuée. Tirant cet argument du grand au petit, ainsi, si cet homme ne se fie en Dieu qui est la Verité mesme, & qui ne promet rien qu’il ne vueille & puisse tenir, quel credit fera-il aux hommes, qui pour la pluspart sont menteurs & trompeurs ? Et faut noter qu’en cest endroit ce mot, Croire, ne s'entend pas de la Foy & creance Chrestienne, mais se prend pour se fier & adiouster Foy à ce que quelqu’vn dict ou faict.

On a veu d'außi grand vent venter.

Quand quelqu’vn bruit,tempeste, menace, & fait vn plus grād brouhaha qu’il n’a de puissance de mal faire, on luy mer en barbe ce prouerbe-cy, auec lequel tacitement s'entend ceste seconde clause, Sans abattre les maisons, ou, Sans que les maisons soyent tombées, ou chose semblable ; Comme si on luy disoit : On a bien veu d’aussi grands criars & menasseurs que toy, sans qu’ils ayent fait beaucoup de mal. Il a esté dit cy dessus que ce mot de, Vent, par metaphore se prend pour vne vaine iactance où il n’y a rien que des paroles.

Trouuer chaussure à son pied.

Ce prouerbe est propre à ceux lesquels pensans se rendre redoutables, faisans les mauuais & menaçans autruy, trouuent tout soudain quelqu’vn qui les arreste tout court & fait tenir en bride. L’origine de ce prouerbe peut venir de ceux qui ont le pied si mal faict, qu’il est mal-aisé à chausser, s'ils ne font faire leurs souliers expres, & quand de cas fortuit ils en rencontrent de faits qui leur soyent propres, on peut dire qu’ils ont trouué chausseure à leur pied.

Ne sçauoir trouuer tant de trous, qu'on a de cheuilles.

L’vsage de ce prouerbe est contre ceux lesquels estans repris & tancez de quelque faute, sont si ingenieux & pleins de langage à la defendre, qu’on ne leur sçauroit tant amener de raisons & de tesmoignages pour les penser conuaincre, qu’ils n’ayent aussitost vne response & excuse toute preste. Comme si quelqu’vn vouloit percer à iour quelque lieu pour y voir clair, & qu’vn autre, pour l’empescher, eust autāt de cheuilles toutes prestes, comme il verroit de trous, pour les estouper.

Cuider n'est pas iuste mesure.

Ce langage nous enseigne que la iuste & certaine estimation des choses, ne depend pas de la premiere opinion qu’on en prend par l’exterieur, mais qu’il faut bien venir plus auant pour en pouuoir affirmer ce qui en est. Il semble estre pris de ceux qui vendent au poids, ou à l’aulne, ou au boisseau, lesquels par vn long vsage qu’ils ont de ceste distribution, iettant l’œil sur quelque amas ou reste des choses qui ont accoustumé de se vendre de ceste façon, iugent à peu pres combien il y en peut auoir, mais non pas si exactement, que souuent ils ne s'y trouuent deceux en les examinant au poix ou mesure qu’ils doyuent tenir.

A qui est l'asne, le tienne par la queuë.

Ce prouerbe nous apprēd que nul ne doit estre tant seigneur, ni tant trauailler pour la conseruation d'aucune chose, que celuy à qui elle appartient. Pris des bestes, lesquelles quand leurs maistres les tiennent par la queuë, ils sont asseurez d'en estre si proches, que mal-aisément se pourroient elles esgarer pour estre perdues. Il signifie aussi que celuy à qui quelque affaire touche le plus, ne peut & ne doit auoir meilleur solliciteur que soy-mesme, comme estant celuy auquel le proffit ou dommage en touche de plus pres ; Et aussi que celuy qui a quelque chose à garder y doit veiller plus soigneusement que ceux qui n'y ont aucun interest.

Auoir du nez.

Quand on veut donner ce los à quelqu’vn d’estre bien aduisé, accort, entendu & preuoyant de loin tous accidens, pour ne se laisser surprendre, on dit ordinairement, Cet homme a du nez. Et ceste similitude est prise de la sagacité & aigu odorat des chiens de chasse, lesquels au sentiment du nez, la teste baisse contre terre, descouurent & suyuent tous les tours & entortillemens des bestes qu'ils pourchassent. Les Latins en vsent en autre signification, car voulant signifier estre mocqueur ils disent, Nasum habere. Et Homo nasutus, est autant comme vn homme mocqueur.

De ce mesme mot de nez, est encore fait vn autre prouerbe, asçavoir, Mener par le nez. Et cela se dict des personnes esquels y a si peu d'entendement & de resistence, qu'ils se laissent persuader, ou dissuader ce qu'on veut ; Tout ainsi qu'vn bufle ayant vne boucle au trauers du nez.

Ce mesme nez nous fournit d’vn autre prouerbe, qui est, Il a autant de nez. Et cela se dit quand quelqu'vn ayant entrepris de faire quelque chose, manque d'en venir à bout, & partant demeure confuz & tout honteux : Mais la grace de ce dicton est quād il est accompagné d'vn geste propre à cela, qui est que l'on serre les deux poings clos de tous les doigts, reserué les deux poulces, l'vn desquels se ioinct au bout du nez et l'autre, au petit doigt d'iceluy, de sorte qu'ainsi rangez ils peuuent faire la longueur d'vn bon carrier d'aulne de Paris. C'est la figure que les Grecs nomment παρεπίγραφη, asçauoir quand on represente δεικλικώζ, comme ils parlent, ce qu'on veut dire. Il y a encor vne autre façon de parler prouerbiale, prise de ce mesme nez, asçauoir quand quelqu'vn fait à vn autre vne demande trop curieuse, & de chose dont on n'a que faire : Comme est, que faites vous là ? La response ordinaire est, ie regarde qui a le plus beau nez. Cela se dit d'autant qu'entre gens vertueux, c'est vne vanité de les regarder au nez s'ils l'ont beau, comme si c'estoient des femmes, la beauté desquelles depend vne grande partie de la forme du nez. Il se dict aussi quand quelqu'vn s'arreste & s'amuse beant à regarder quelque chose friuole, comme celuy lequel se trouuant en quelque grande assemblée, s'occuperoit du tout à contempler lequel de tous auroit le plus beau nez.

Item, Se prendre par le nez, qui signifie se recognoistre soy-mesme entaché de quelque vice qu'on reproche à vn autre.

Ou la cheure est liée, faut qu'elle broute.

Ce prouerbe nous apprend que quand nous sommes en quelque cōdition aduenuë, non de nostre propre volonté & election, mais comme par quelque maniere de force & contrainte, encor qu'elle nous soit peu agreable, il faut neanmoins s'y accomoder, & ne laisser de faire nostre deuoir en icelle ; Tout ainsi que la cheure qu'on meine paistre aux champs auec vne corde, au premier buisson qu'il plaist à son maistre de l'attacher, il faut necessairement qu'elle y prenne sa pasture encor qu'à l'entour d'elle elle en voys d'autre qu'elle aymeroit mieux.

Ietter la poudre aux yeux.

Ceux qui aciennement couroyent pour gaigner le prix de vistesse, estoient ensemble egalement retenuz en vne certaine ligne ou barriere, que les Latins appelloient Carceres. Et si tost que le signe de partir leur estoit donné, & ceste barriere ouuerte, c'estoit lors à qui mieux doubleroit le pas, iusques à tant qu'ils peussent paruenir à la borne eslevée & plantée au bout de la carriere, appelée des mesmes Latins Meta, & celuy qui premier y arriuoit estoit victorieux. Or d'autant que toute ceste carriere estoit bien applanie & semée de menu sable, il aduenoit que les coureurs par la frequente agitation des pieds, excitoient vne grande pousiere, de sorte que quiconque demeuroit, sembloit jetter ceste poudre aux yeux de ceux qui le suyuoient, ne pouuant courir si fort que luy. Doncques par metaphore ce prouerbe est vsurpé, quand deux ou bien plusieurs entreprenans vne mesme chose, on dict de celuy qu'on estime en deuoir venir mieux à bout : Il jettera à tous les autres la poudre aux yeux : Les Latins en vsent en autre signification, quand ils disent : Oculis puluerem offundere.

De l'arbre d'vn pressoir le manche d'vn cernoir.

Ce prouerbe semble peculier aux Campenois au langage desquels la plus longue, espeçe, grosse & massiue piece de bois, qui soit en vn pressoir, est appelée arbre. Et cernoir est vn petit instrument, ayant le manche de la longueur de trois doigts, & espesseur d'vn poulce, & le fer sortant dudit manche, de la longueur d'enuiron deux doigts, ayant la taille & la poincte toute mousse, & le dos esleué en bosse comme faisant vne forme de


triangle : De cest instrument les villageois & autres fendent les noix, lors qu'elles commencent à estre bonnes à manger, & ne laissent encor l'escalle, & en tirent les noix parties en deux, que l'on appelle communément des cerneaux. Or ce prouerbe s'applicque à ceux lesquels faisans quelque besongne, la tiennent, retiennent, manient & remanient tant de fois, en ostant tousiours quelque chose peu à peu, qu'en fin ils la reduisent quasi à rien. Tout ainsi que seroit vn charpentier ou autre ouurier de bois, lequel passeroit & repasseroit si souuent & tant de fois la coingnée sur ceste grosse piece de pressoir, qu'on appelle arbre, qu'en fin il la reduiroit propre à faire vn manche de cernoir.

Qui parle du loup en void la queuë.

L’usage de ce prouerbe est quand aucun suruient à l'improuiste, lors que l'on tient propose de luy : C'est ce que les Latins disent, Lupus in fabula. On peut voir à ce propos ce que amplement en a escrit Erasme en ses Chiliades.

Fermer l'estable quand les cheuaux sont pris.

C’est à dire, se donner garde & vouloir empescher que quelque chose n’aduienne, apres que s’en est desia fait. Comme si aucun ayant des cheuaux en vne estable seroit paresseux ou ne s'adviseroit d'en fermer la porte, sinon apres que les cheuaux seroyent desia desrobez & enleuez : De mesme signification est cestuy-cy, Faire vn restaurant à quelqu'vn, apres qu'il est mort. Et, Le secours des Venitiens, trois iours apres la bataille. Dont l'histoire est assez cogneuë.

A beau ieu beau retour.

Cecy se dict quand aucun sçait bien rendre la pareille, & se vanger du desplaisir qu’on luy fait. Il semble estre pris de ceux qui ioüans à la paulme se sçauent bien renuoyer l'esteuf l'vn à l'autre.

Estre au nid de la pie.

Qund quelqu’vn est monté au plus haut degré de sa fortune, on vse communement de ce prouerbe. Car le naturel de la pie est, de faire son nid sur les plus hauts arbres qu'elle peut choisir.

Vouloir voler auant qu'auoir des aisles.

Ce prouerbe est contre celuy lequel veut entreprendre quelque chose deuant que d'y estre bien preparé, & d'auoir tout ce qui est propre & requis à cela. Il est tiré des petits oyseaux, lesquels se hazardans de prēdre leur vol deuant qu'ils ayent assez de plumes & les aisles fortes, tombent à terre & seruent de proye au premier qui les rencontre, soit homme ou beste.

Compter sans son hoste.

Ce prouerbe veut dire que l’on ne peut bien traicter, accorder, ni resouldre de quelque affaire auec vn autre y ayant interest, s'il n’y est appelé & present. Tout ainsi que voulant partir de l’hostelerie ou l’on a fait quelque despence, il ne sert de rien d'en faire la supputation & calcul tout seul & à part soy, si l'hoste ni est present & consentant. Partant on dict communement : Qui compte sans son hoste, il faut qu'il compte deux fois.

Tant va le pot à l'eau qu'il brise.

Cecy se dict contre ceux lesquels se confians en leur bonheur, pour s'estre souuent mis en hazard & beaucoup de dangers, dont ils sont eschappez, y retournent tant de fois qu’à la fin ils y demeurent du tout. C’est vne similitude prise de ces cruches & pots de terre que l’on porte à la fontaine, ou au puits pour emplir d’eau, & sont continuellement en hazard d'estre cassez, heurtans contre quelque pierre ou autre chose plus dure qu’eux. Ce que ayans euité & demeuré entiers en ce seruice, quelquefois par vn bien long espace de temps aduient neant-moins, qu’apres beaucoup de voyages ils sont chocquez, & par consequent mis en pieces.

Pape & puis musnier.

Ce prouerbe est cōtre ceux lesquels apres auoir esté constituez & esleuez en quelque haut degré d'estat & dignité, tombent en vne vile & basse condition. Comme si quelqu'vn ayant esté quelque temps Pape, venoit à estre vn simple musnier. Il arriue beaucoup de disgraces de fortune aux grands, qui peuuent fournir le peuple à ce prouerbe ; Tesmoing Denis le Tyran de Syracuse, qui fut reduit à estre maistre d'escole. De nostre temps le Roy de Portugal s'est veu long temps à la cadene comme forsat, & ayant trouué moyen de se sauuer, n'a peu trouuer celuy de se restablir.

Tirer les vers du nez.

L'vsage de ce prouerbe est quand quelqu'vn par subtiles & desguisées interrogations, sans faire semblant d'y penser, faict tant que de propos à autre, il induict vn autre, à confesser & declarer ce qu'il vouloit sçauoir de luy. L'origine de ce prouerbe vient des pipeurs charlatans, qui font a croire aux simples gens beaucoup de telles riottes, affin d'auoir cependant le loisir de vuyder leur gibeciere.

Manger son auoine en son sac.

Quand les personnes sont tellemēt auares, sordides, & tenans, qu’ils ne veulent en façon que ce soit faire paroistre le bien & commoditez qu’ils ont, afin de n’en faire part & communiquer à autruy, on vse de ce prouerbe, lequel est pris de la façon de faire des mulletiers, lesquels par les champs & mesmes en l'estable, pendēt à chacun de leurs mulets vn petit sac plein d’auoine qu’ils mangent à part, sans qu’aucune autre en puisse prendre. De cecy ne semble trop eslongné le Latin, Intris camere, ou Tibi camere, mais il a vn autre origine.

De b carre en b mol.

Par cecy est remarquée l'inconstāce & varieté de ceux lesquels en leurs propos & discours ne tiennēt aucune fermeté, mais vont tousiours sautant de l’vn à l’autre. Cette similitude est prise des Musiciens, qui varient en leurs tons, selon les clefs de leur art nommées b carre & b mol, la muance desquelles est beaucoup plus difficile que de G sol re vt, ou E Fa vt.

De mesme signification est vn autre prouerbe qui dict : sauter de treille en paisseaux, tiré des vignerons, lesquels appellent vne treille, ce qui est planté au cordeau en ligne droite d’vn boùt à l’autre. Et par ce mot de paisseaux sont entenduz les ceps qui sont plantez par cy par là sans aucun ordre, ayans chacun vn paisseau pour les soustenir. Comme donc les vignerons, ou les vendengeurs sont attachez tantost à vnc treille, tantost à vn cep, ainsi font ceux lesquels sans suyure de droict fil leurs propos & discours, disent tantost d’vn, tantost d’autre.

C'est le ventre ma mere.

Quand quelqu’vn se repend d’auoir fait quelque chose, ou estant eschappé de quelque danger, veut protester & affirmer que iamais il ne luy aduiendra de commettre cela, ou de s’exposer derechef à tel danger, il vse volontiers de ces mots : C'est le ventre de ma mere, Ie n'y retourne plus. Tout ainsi que l’enfant estant sorti du ventre de sa mere, iamais plus n’y r’entre.

Iether vne pierre au iardin de quelqu’vn.

Quand on taxe quelqu’vn sans le nommer, en mots couuerts, & neantmoins tels, qu’il est aisé de cognoistre celuy qu’on veut entendre, on dii communement : On void bien au iardin de qui ceste pierre est jettée. La raison de ce prouerbe se rapporte au grand soing que l’on prend de tenir les iardins proprement ; De sorte que si quelque envieux y jettoit vne pierre, elle seroit incontinent apperceuë par le maiftre, qui cognoist par là que l’on ne luy a sçeu pis faire, que de penser sallir son iard&n en y jettant telles pierres.

Que de bond que de volée.

Ce prouerbe est pris des ioüeurs de paulme, lesquels pourveu qu’ils puissent rencontrer l’esteuf ou de volée, ou au bond, pour le renuoyer à la partie aduerse, se maintiennent sans perte. De mesme pourueu que l’on vienne à bout de quelque chose qu’on entreprend, on ne se doit pas beaucoup soucier de la façon. Autres disent en mefme sens: Qu'à hu, qu'à ha.

Reculer pour mieux sauter.

Qund quelqu’vn ayant commēcé quelque entreprise de longue durée, semble par fois relascher vn petit de son trauail & labeur ordinaire, on a coustume de dire : Il recule pour mieux sauter. Ceste similitude est prise de ceux qui s'esbatent à sauter, lesquels ayans defia le pied sur la ligne & marque d’où ils doyuent commencer le saut, ont de coustume de reculer quelques pas en arriere, pour mieux s'esbranler & l’ancer le corps.

Nager en grand’eau.

Par ce properbe on est enseigne que quiconque veut paruenir auec heureux succes à quelque chose que ce soit, il doit cercher & frequenter les lieux esquels en est la pleine abondance. Comme pour exemple, si quelqu’vn desire paruenir à quelque degré de science, il n’est que de se retirer és grandes & fameuses Vniuersitez & Academies, où l’on en faict profession, & non pas croupir és petites escholes vulgaires. Celuy qui par son eloquence veut acquerir du los & du bien, le fera auec plus de facilité és grandes Cours de Parlemens, que non pas au barreau & iustice subalterner de quelque petite ville ou village. De mesme qui veut traffiquer en marchandise, & de là se faire riche, en aura tousiours plus de moyen demeurant és grandes & fameufes Citez, & frequentant les foires des païs estranges, les plus celebres, que s'il demeuroit en quelque bourgade hantant seulement les petits marchez des enuirons. Ainsi est il de toutes autres choses, & ceste similitude est prise des riuieres, lesquelles tant plus elles sont grandes & profondes, plus elles sonr aysées à ceux qui nagent, de s'esgayer & ioüer par dessus ; Et mesmes portent & soustiennent mieux les gros bateaux, & toutes autres choses, que ne font les petis ruisseaux.

Ressembler Thibault Garault, faire son cas à part.

Cecy se dict des personnes solitaires & non sociables, lesquels en toutes leurs affaires n’admettent aucune compagnie ni societé, comme cela est assez frequent aux marchans, lesquels se tiennent tousiours clos & couuerts, resserrez & faisant leurs besongnes à part, sans aucune communication d’autruy. Ce prouerbe a pris son commencement d’vn certain personnage d’Orleans,


qui portoit ce nom, & estoit de l’humeur cy dessus specifiée.

Faire bourre voler.

C'est vne façon de parler enigmatique, qui vaut autant à dire, comme iouër à la paulme : Car par ce mot de bourre est entendu l’esteuf, ou la pelote qui est faite de bourre, laquelle agitée, poulsée, & repoussée par les ioüeurs auec la main, le baton, ou la raquette, semble proprement voler en l’air. Or sous ceste espece de jeu sont entendus tous autres ieux & passetemps qui se font auec despence. Delà par metaphore, quand quelqu’vn s'adonne & employe par trop, soit à tels jeux, soit à toute autre maniere de passetemps qui ameinent coustange, on dict : Il faict bien bourre voler.

Du cuyr d'autruy large courroye.

Ce prouerbe est propre à ceux lesquels en ce qui leur touche, ou appartient, se monstrans chiches & bons mesnagers, quand ils ont en maniement quelque chose de l’autruy, en font liberalité, & le distribuent largement. Pris des artisans qui detranchent le cuyr.

Plus d'vn asne à la foire a nom Martin.

Ce prouerbe nous apprend quand on veut bien cognoistre & affermer de quelque chose, il ne se faut arrester ni à la conformité du nom, ni à quelques autres marques & circonstances, pour asseurer que ce soit cela mesme qu’on pense. Comme si quelqu’vn ayant vn asne tellement accoustumé à ce nom de Martin, que si tost qu’il seroit ainsi appelé monstreroit signe d’entendre, & que de la il voulust inferer que tous les autres asnes qui seroient le semblable seroienr le sien, on luy mettroit ce prouerbe au deuant, asçauoir que plusieurs autres asnes que le sien, qui se trouuent à vne foire, ont aussi ce mesme nom de Martin, & que partant il faut d’autres meilleures enseignes, pour prouuer que l’asne qui s'appelle Martin est le sien.

Ne pouuant plus tenir en sa peau.

Cela se dict de ceux lesquels sont tellement orguilleux & insolents, qu’ils surpassent les bornes & limites de leur condition, comme si sortans de leur peau trop estroicte pour eux, enflez de leur orgueil, il falloit les loger en vne plus grande & spacieuse.

Donner du nez à terre.

C’est à dire, estre du tout vaincu. Pris de ceux qui combattent en vn duel, où celuy qui a reçeu le plus de playes, & ne peut plus demeurer sur pied, est contrainct de tomber le plus souuent sur sa face, donnant du nez contre la terre ; Les Latins ont le leur, Potere terram, est encores, Terram ore momordat : Car les anciens guerriers auoient accoustumé de mordre la terre, en mourant soubs leur ennemy, de craincte que la douleur ne leur fist lascher quelque parole, qui rabaissast la grandeur de leur courage.

Les oysons meinent les oyes paistre.

L’on void par experience cest ordre estre obserué par les poules, les oyes, & autres tels oyseaux domestiques, que leurs petits estans esclos, les meres vont deuant & les conduisent à cercher leur vie. Ce seroit donc contre nature, si au contraire, les petits entreprenoient de presider & conduire leurs meres. De là est venu ce prouerbe, lequel a lieu lors que quelques ieunes gens peu experimentez, se veullent mesler de gouuerner les autres, qui ont plus d’aage, d’experience & de prudence : A quoy se rapporte aucunement le Latin, Sus Minernam, quand les ignorans veulent enseigner les doctes.

Il n'est pas mercier qui ne sçait faire sa loge.

Ce prouerbe est pris de ces petits merciers vagabons, qui n’ont aucune demeure arrestée, mais vont par les foires & marchez portans leur pacquet sur le dos, pour lequel desployer & estaller leurs merceries, eux mesmes bastissent de petites loges & boutiques, n’ayans moyen de faire plus grande despēse. A leur exemple donc nous sommes appris que nul n’est digne d’exercer quelque estat & mestier, s'il ne peut de luy mesme se preparer ce qui est requis à cela.

Aller aux meures sans crochet.

Le meurier est vn arbre qui estend ses rameux loin du tronc, & sont fort aysez à rompre, qui faict que ceux qui en veulent cueillir le fruict, ne s’osans aduancer aux extremitez, se tiennent sur les branches fermes à l'entour du tronc, & delà auec vn crochet tirent à eux les autres petites, pour en auoir le fruict, de sorte que quiconque oublie de porter son crocet, s'en retourne souuent sans beaucoup de fruict. Cela nous enseigne de ne point s'acheminer à aucune entreprise, sans estre pourueu & garni de ce qui la peut faciliter & faire mettre execution.

Battre l’eau.

C’est à dire en vn mot se trauailler en vain, perdre son temps & sa peine. Semblables à ces Latins, Ignem dissecare. Avare littus. Harenæ mandare femina. In aqua sementem facere. In aqua scribere. Æthiopem Lavare. Et plusieurs autres tous de cette mesme signification.

D'vn sac deux mouliniers.

Les musniers ont accoustumé de prendre pour leur droict de moulture, de chacun sac de blé, ou de farine, vne certaine mesure limitée, plus grande ou petite selon la diuersité des lieux, & ceux qui en prennent d’auantage sont tenuz pour larrons & gens de mauuaise conscience. De mesme sont estimez tous ceuz lesquels és choses où ils ont droict de prendre, mais estant reiglé & limité, ne se contentent de l’ordinaire & exigent au double de ce qu’ils doyuent auoir : Ou bien ceux qui d’vn mesme labeur prennent salaire de diuers endroicts.

A veuë de païs.

Ce prouerbe est vsité quand quelqu’vn parle, iuge, & determine de quelque chose grossierement, & selon ce qu’il luy semble, sans en auoir autre plus exacte cognoissance. Pris de ceux lesquels par les champs jettans la veuë sur quelque chose esloignée d’eux, iugent au plus pres de la verité de sa grosseur & longueur, & de sa distance, du lieu où ils sont. C’est le contraire du Latin, Adamußim.

A goupil endormy rien ne tombe en la gueule.

Ce prouerbe nous apprend que pour auoir sa vie, & s’entretenir au monde, il ne suffit pas d’estre bien aduisé & sçauoir ce qu’il faut faire, mais y faut employer le foin & la diligence, & comme on dict, mettre la main à la besongne. Cela est pris du Renard, lequel encor qu’il soit tenu entre les autres bestes pour l’vn des plus cruels & industrieux a trouuer sa nourriture, neantmoins s’il demeuroit tousiours dormant en son creux & terrier, aucune viande n’entreroir iamais en son ventre, & demeureroit à ieun. Faut noter en passant que Goupil est vn vieil terme François, l’animal que l’on appelle maintenant Renard. En mesme fens on dict : Attendre que les alouettes tombent en la bouche toutes rosties.


Retournons à noz moutons.

Quand en quelque long discours, apres s’estre aucunement esgaré & faict quelques digressions qui sont hors de la matiere, on veut rentrer en son premier propos, l’on a accoustumé d’vser de ce prouerbe. L’origine d’iceluy est pris des bergers, lesquels s’esgayans par les campagnes, folastrent quelquefois & dancent dans prairies, cependant que leur bestial paist. Et comme ils craignent que les loups ne ioüent leur personnage d’vn autre costé bien souuent, ils s’aduisent que leur troupeau est à l’abandon, & disent : Retournons à noz moutons. A cela peut respondre ce vers de Virgile :

Claudite iam riuos pueri sat prata biberunt.

Les Orateurs ont mille gaillardes feintes pour se remettre en leur sentier : mais elles sont escartées de nostre subiect.

Faire un trou à la nuict.

Si aucun part de quelque lieu à la desrobée, sans que personne en sçache rien, & mesmes lors qu’on l’eust le moins soupçonné, on vse de ce prouerbe. Il a faict un trou à la nuict. C’est vne metaphore prise des lieuz fermez de murailles ou autre clostures, & dont la porte est fermée de nuict, de sorte que ceuz qui en voudroient sortir deuant le iour venu, seroient contraincts de faire vne bresche ou pertuis à sa muraille, pour passer. Cela est de mesmes à ceuz lesquels pour n’estre apperceuz de personne, s’en vont de nuict, comme si la nuict estoit vn clos, auquel il faudroit faire vn trou, pour passer deuant l’arriuée du iour, qui seroit comme l’ouuerture de la porte.

FIN.