Tite et Bérénice/Extrait de Xiphilin

La bibliothèque libre.
Œuvres de P. Corneille, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxHachettetome VII (p. 197-199).


XIPHILINUS EX DIONE
IN VESPASIANO,
GUILELMO BLANCO INTERPRETE[1].


Vespasianus a senatu absens imperator creatur, Titusque et Domitianus Cæsares designantur.

Domitianus animum ad amorem Domitiæ filiæ Corbulonis applicaverat, eamque, a Lucio Lamio Æmiliano viro ejus abductam, secum habebat in numéro amicarum, eamdemque postea uxorem duxit.

Per id lempus Berenice maxime florebat, ob eamque causam cum Agrippa fratre Romam venit. Is prætoriis honoribus auctus est ; ipsa habitavit in palatio, cœpitque cum Tito coire. Spes erat eam Tito nuptum iri ; jam enim omnia, ut si esset uxor, gerebat. Sed Titus, quum intelligeret populum Romanum id moleste ferre, eam repudiavit, præsertim quod de iis rebus magni rumores[2] perferrentur.

IN TITO.

Titus, ex quo tempore principatum solus obtinuit, nec cædes fecit, nec amoribus inservivit ; sed comis, quamvis insidiis peteretur, et continens, Berenice licet in urbem reversa, fuit.

Titus moriens se unius tantum rei pœnitere dixit : id autem quid esset non aperuit, nec quisquam certo novit, aliud aliis conjicientibus. Constans fama fuit, ut nonnulli tradunt, quod Domitiam uxorem fratris habuisset. Alii

putant, quibus ego assentior, quod Domitianum, a quo certo sciebat sibi insidias parari, non interfecisset, sed id ab eo pati maluisset, et quod traderet imperium romanum tali viro.



  1. L’abrégé de l’histoire de Dion Cassius par Xiphilin a été imprimé pour la première fois en 1551, par Robert Estienne, avec la traduction latine de Guillaume Blanc d’Alby, en un volume in-4o. Il y a entre les extraits de Corneille et le texte de 1551 deux ou trois différences insignifiantes, qu’il est inutile de relever. Les phrases qu’il cite ne se suivent pas dans Xiphilin : elles se trouvent aux p. 159, 160, 163, 164, 165, 169, de l’édition princeps de Robert Estienne. En 1589 a paru chez Lucas Bregel, à Paris, la traduction du même ouvrage par Antoine Canque, « conseiller du Roy au siege presidial de Clermont en Auvergne. » Nous en extrayons les passages qui correspondent à ceux que Corneille a cités :

    « Estans les choses en tel estat, Vespasien fut par le Sénat déclaré Empereur, et Titus et Domitianus Cæsars…

    « Domitianus… se tenoit la pluspart du temps en sa maison au pont d’Alba, estant du tout affollé et asserui de l’amour de Domitia fille de Corbulo, laquelle il auoit enleuee par force à son mary Lucius Lamius Æmilianus, et pour lors il la tenoit seulement auec luy comme sa concubine, mais du depuis il l’espousa…

    « En ce temps aussi le renom et bruict de Berenice estoit grand : elle s’en alla à Rome en la compagnie de son frere Agrippa, auquel on donna la dignité honoraire de Preteur, et elle eut pour sa maison et demeure le Palais, où Titus l’entretenoit, et cuidoit-on qu’il la deut espouser, car desia elle se comportoit comme son espouse et femme légitime, mais Titus ayant senty le vent que les Romains estoient malcontens de telles choses la renuoya en son pays : aussi murmuroit-on fort à Rome de leur accointance. »


    « Tout le temps que Titus iouyt seul de l’Empire se passa sans meurtres et effusion de sang, il ne commit aucun acte par lequel on peut iuger qu’il se laissast plus aller aux passions d’Amour. Tellement que iaçoit qu’on luy eut machiné trahisons, il se monstra neantmoins tousiours doux et clement mesmes enuers les trahistres, et Berenice estant derechef venue à Rome il se monstra homme chaste et continent…

    « Comme Titus rendit l’esprit, il dit qu’il auoit commis vn seul peché duquel il se repentoit, mais il ne declaira pas quel, ny personne ne le peut oncques asseurement sçauoir, les vns imaginans vne chose, les autres vne autre*. On tient pour asseuré, à ce que aucuns disent, qu’il se repentit d’auoir entretenu la femme de son frere nommée Domitia : les autres, ausquels i’adioute foy, de ce qu’ayant surprins Domitianus en manifeste trahison contre luy, il ne l’auoit pas occis, ains auoit plustost choisi de souffrir le malheur qui luy estoit aduenu, que de le faire tuer. Ou bien de ce qu’il laissoit l’Empire Romain entre les mains d’vn homme tel… »

    * Suétone, dans sa Vie de Titus, chapitre x, parle aussi de ce regret de Titus mourant, et rejette, comme Xiphilin, la première interprétation : Suspexisse dicitur… cœlum, multumque conquestus eripi sibi vitam immerenti : neque enim exstare ullum suum factum pœnitendum, excepto duntaxat uno. Id quale fuerit, neque ipse tunc prodidit, neque cuiquam facile succurrat. Quidam opinantur consuetudinem recordatum quam cum fratris uxore habuerit ; sed nullam habuisse persancte Domitia jurabat, haud negatura, si qua omnino fuisset ; imo etiam gloriatura, quod illi promptissimum erat in omnibus probris.

  2. L’édition de 1679 a la faute étrange de numero, pour rumores.