Toutes les femmes/12

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A. Méricant (3p. 221-263).

LES CRÉOLES ET LES MÉTISSES.

Françaises de l’Amérique
du Nord.

Dans l’Amérique septentrionale, la race française ne s’est mélangée de sang indien qu’en de faibles proportions, car, pour la plupart, les enfants nés des unions entre Français et Indiennes restaient, avec leur mère, au wigwam et y vivaient de la vie sauvage.

La majeure partie des Franco-Canadiens est originaire de la Normandie ou des provinces riveraines de l’Atlantique. C’est un peuple gai, vivace, fort et surtout prolifique ; les célibataires y sont l’exception ; par contre, les familles comptant de quinze à vingt rejetons y sont, relativement, communes.

Tandis que, lors de l’annexion à l’Angleterre, soixante mille individus seulement parlaient notre langue dans la vallée du Saint-Laurent, la Nouvelle-France d’aujourd’hui compte plus de deux millions de citoyens ; il est vrai que, grâce à l’immigration, la population de langue anglaise a atteint un chiffre double de ce dernier.

Le Canadien a gardé l’âme vagabonde des premiers trappeurs. Se trouvant à l’étroit dans leur patrie d’adoption, les hommes se dispersent sur tout le continent, y exerçant mille industries, tandis que les jeunes filles vont s’amasser une dot, par leur travail, dans les grandes cités manufacturières de la Nouvelle-Angleterre.

Au point de vue physique, la race française transplantée sur les rives laurentines n’a pas dégénéré ; elle a plutôt gagné en stature et en force. Avec plus d’hygiène, elle jouirait même d’une très grande force de résistance aux maladies. Les femmes surtout ont gardé le type national, mais avec des traits plus réguliers, plus forts, moins animés que ceux de leurs sœurs du vieux pays ; elles sont gaies, rieuses, aimables, coquettes surtout ; paysannes comme citadines se piquent de suivre la mode. Presque toutes savent l’anglais, mais elles aiment à parler la langue de France, riche encore d’un grand nombre de mots descriptifs qui, ici, sont tombés en désuétude ; leur accent, tenant à la fois du normand, du saintongeois et du poitevin, ajoute à leur conversation une saveur qui n’est pas sans attraits.

Les créoles françaises de la Louisiane ont conservé longtemps un type qui, aujourd’hui même, n’a pas encore complètement disparu. Leur ville, la Nouvelle-Orléans, a gardé dans ses vieux quartiers l’aspect des anciens jours et les noms de rues du siècle passé. Notre langue s’y parle et s’y imprime encore ; mais la métropole du Sud, tout américanisée qu’elle soit, doit encore au charme particulier de ses femmes, à l’urbanité, à la politesse, aux idées chevaleresques que nombre d’habitants doivent à leurs ancêtres français, une influence considérable qui lui assure une place à part, et non des moins prédominantes, parmi les grandes cités de l’Union.

Anglo-Saxonnes d’Amérique.

La population mélangée qui peuple aujourd’hui les États-Unis, et dans laquelle l’élément anglo-saxon est prépondérant, a accepté, dans son ensemble, le sobriquet de Yankee, corruption algonquine du mot English, par lequel les Indiens avaient désigné les premiers colons débarqués dans la Nouvelle-Angleterre.

Et c’est bien, en effet, une race nouvelle qui, là-bas, unit en elle les éléments si divers que l’immigration a apportés d’Europe. Cette race est agile, adroite, vaillante et forte ; pour vivre d’une vie plus intense qu’en Europe, la mort ne la trappe pas plus tôt. Le milieu et le climat contribuent, à mesure que les générations se succèdent, à lui imprimer un caractère spécialement américain. Il est indéniable que le Yankee tend à se rapprocher de l’Indien ; son teint devient plus rougeâtre ; ses cheveux s’allongent et s’aplatissent ; la figure prend un caractère âpre ; les traits sont plus arrêtés, d’un contour plus précis ; les lèvres plus minces ; le nez plus arqué est surmonté d’yeux durs et perçants ; la démarche enfin se modifie et acquiert une tournure grave et altière.

L’Américaine-type — puisque de plus en plus les citoyennes des États-Unis monopolisent ce nom — est grande, de complexion rarement épaisse, toujours moins charnue, de teint moins frais que l’Anglaise. Le contraste entre les formes des jeunes filles et celles des jeunes gens est moindre qu’en Europe ; les deux sexes, d’ailleurs, sont élevés ensemble, font les mêmes études et pratiquent les mêmes jeux ; les écolières y gagnent une allure libre et dégagée, un esprit d’initiative hardie, une confiance en elles-mêmes que l’Européenne ignorera longtemps encore.

Les Bostoniennes, comme toutes les femmes de la Nouvelle-Angleterre, sont, aujourd’hui encore, celles qui ont conservé le plus de ressemblance avec leurs sœurs de la Grande-Bretagne ; ces filles sévères des premiers colons qui, sur la Mayflower, abordèrent sur les rives du Nouveau-Monde, affectent une religiosité extrême
Anglo-saxonne d’Amérique.

jointe à une rigueur de mœurs qui en fait les femmes les plus faciles à choquer qui soient au monde ; toujours calmes, toujours maîtresses de leurs émotions, ce sont les white-livered, les femmes à foie blanc, selon le nom que leur donnent plaisamment les bouillantes Caroliniennes ou les ardentes Louisianaises.

Dans la vallée du Mississipi, les allures sont moins raides, plus débonnaires, les mœurs moins rigides ; le caractère bon enfant ignore l’orgueil ; mais l’activité est la même, comme aussi la promptitude au gain et à la dépense. La Californienne joint à l’aisance et à la gaieté un réel entrain et une très grande liberté morale.

Il n’est pas rare de remarquer dans les rues de New-York des femmes qui ont tournure de Françaises : même type, même tournure, même vivacité. Leur beauté, comme celle de la Parisienne, est due bien plus à l’animation des traits qu’à leur finesse ou à leur régularité.

Cette beauté, l’Américaine la garde, le plus souvent, longtemps après la quarantaine ; comme la Française, elle s’épaissit un peu avec l’âge. On peut la féliciter de n’avoir hérité de l’Anglaise ni les dents, ni les pieds, ni les mains, qui peuvent compter au premier rang de ses attraits.

Jeune fille ou femme, l’Américaine est une enfant gâtée qui doit à son tempérament, ni sensuel, ni sentimental, de pouvoir jouir de libertés presque absolues. Ayant reçu une instruction des plus solides, connaissant tous les pièges qui pourraient lui être tendus, habile à dresser ceux dans lesquels viendra se faire pincer l’imprudent flirteur sur qui elle a jeté son dévolu, la jeune miss yankee est à la fois un des êtres les plus charmants, les plus troublants, les plus pervers et les plus honnêtes qui soient. À dix-huit ans, elle va, vient, voyage, court les théâtres, les bals, se fait accompagner, inviter à dîner, à souper même, par qui lui plaît. Chez elle, elle reçoit qui bon lui semble sans que ses parents s’en préoccupent. Elle peut compter, de la part de tout gentleman, sur un respect qui est fait de plus de politesse vraie et de moins de galanterie qu’en France. Dédaigneuse, en général, de l’élégant parfumé, cosmétiqué, du dude, elle préfère à ces marionnettes pour tailleurs l’homme doué des qualités mâles d’intelligence, d’activité, de volonté, d’énergie qui font le business man, le gros gagneur d’argent.

C’est qu’une fois mariée, elle sera une épouse exemplaire, mais une ménagère peu économe. La prodigalité est d’ailleurs le grand défaut — ou la grande vertu — de la nation. Il lui faut des toilettes d’un luxe effréné, des bijoux de haut prix. Élégante, pleine de chic, elle a de la grâce, de la distinction, mais pas de simplicité. Ce qui
Anglo-saxonne d’Amérique.

coûte cher lui agrée plus que ce qui est vraiment beau. On a pu dire avec raison que si, en France et en Angleterre, la femme prenait les intérêts de son mari, aux États-Unis elle prenait son capital.

L’Américaine apporte souvent à chercher le mariage d’argent une âpreté qui ne lui donne pas toujours le bonheur ; ses erreurs ne peuvent s’excuser, comme celles des Françaises, ni par l’ignorance de la vie, ni par le despotisme familial. Heureusement les unions facilement conclues sont rompues sans trop de peine. En certains États, on divorce pour ainsi dire à volonté.

Le Palais de Justice de Chicago a pu mériter le nom de Divorces mill (moulin aux divorces), et le dicton veut que, si les trains s’arrêtent vingt minutes à Indianopolis, c’est pour laisser aux époux mal assortis le temps de faire trancher, par l’épée de Thémis, des liens qui faisaient leur malheur.

Allemandes de l’Amérique
du Nord.

Dès le xviie siècle, répondant à l’appel que William Penn adressait « à tous les malheureux, à tous les opprimés », nombre de Rhénans, d’habitants de la Forêt-Noire et de la Bavière se rendirent comme « engagés », c’est-à-dire comme esclaves dans les colonies anglaises d’Amérique. Ce mouvement d’immigration prit au xixe siècle des proportions considérables, et c’est par millions qu’il faut aujourd’hui compter les colons allemands établis sur le sol de l’Union.

Sauf sur les quelques points de l’Illinois, du Michigan ou de l’Ohio, où ils forment des groupes compacts, ils ont assez rapidement perdu leur nationalité pour se fondre dans la masse des maîtres du pays. La première génération garde les coutumes allemandes et célèbre les fêtes de la Mère-Patrie ; mais peu à peu les descendants s’américanisent, oublient leur langue nationale et leur nom même qu’ils modifient ou traduisent en anglais.

Les quelques nationalistes d’Outre-Rhin qui saluaient déjà la naissance d’une Néo-Germania, au delà de l’Atlantique, en seront pour leurs rêves déçus.

L’émigration allemande, composée en grande partie d’agriculteurs, comprenait un nombre relativement élevé de femmes. Celles-ci, moins accessibles à l’action du milieu, ont plus que les hommes gardé le type germanique ; elles se montrent également rebelles aux influences naturelles qui agissent sur les Allemands, comme sur les Yankees, pour rapprocher leur aspect physique de celui des races autochtones.


Allemande de l’Ohio.

Hispano-Américaines.

La population hispano-américaine du Nouveau-Monde s’est formée de tous les éléments divers, rouges, noirs et blancs, qui ont peuplé le pays. Il faudrait plusieurs pages pour donner la liste des noms multiples dont on désigne les individus qu’ont produits les mélanges divers opérés entre la race autochtone, la race esclave importée et la race conquérante et dominatrice.

À la différence de l’Amérique du Nord, où le blanc refoule (quand il ne les extermine pas) le rouge et le noir, afin de n’avoir point à subir leur contact, l’Amérique du Centre et celle du Sud voient ainsi se constituer une race nouvelle, intelligente, belle et forte, à laquelle semblent promises les plus hautes destinées. C’est surtout dans les régions andines que la fusion s’est opérée entre les Espagnols et les Indiens ; elle semble presque achevée dans les régions les plus peuplées du Vénézuela et de la Colombie, en quelques parties du Pérou et du Chili, dans l’Uruguay et sur les rives de la Plata.

À Cuba, la disparition complète des primitifs habitants du pays a laissé pleine prépondérance à l’élément ibérique.

La grâce voluptueuse des Cubaines est proverbiale, mais les traits de leur visage sont souvent peu dignes de la réputation de beauté à laquelle ont droit ces filles de Castillanes et d’Andalouses. Chez toutes, cependant, le corps est un chef-d’œuvre de proportions et de charme, les yeux grands et veloutés sont sans égaux, le sourire est idéal. Les défauts des traits s’oublient si bien que l’on peut dire qu’il n’est créole qui ne captive : il lui suffit d’un regard, d’un sourire, d’un tour de tête ou d’une ondulation d’épaules.

Leur adorable nonchalance se trahit dans tout ce qui émane d’elles, même dans leur parler, si lent, si doux, si paresseux qu’on ne sait s’il est ainsi fait « pour ne point fatiguer les lèvres qui causent ou pour fasciner les oreilles qui écoutent ». La Havanaise pousse à l’excès cette horreur du mouvement et de l’action. Avant quatre heures de l’après-midi, elle n’a point fait dix pas dans sa maison. Étendue en rond, comme une chatte, dans ce fauteuil à bascule que l’on appelle berceuse, ou couchée sur une natte, à peine vêtue, mais soigneusement coiffée, la tête ornée de fleurs, elle rêve… à quoi ? À tout ce qui ne lui procurera pas la moindre occupation. Le soir venu, luxueusement habillée, elle se blottit à nouveau dans sa berceuse et la fait traîner sur une fenêtre grillée, en forme de rotonde, qui lui sert de balcon. De là elle regarde circuler les passants, et, comme les salons sont au niveau
Femme cubaine.

de la rue, elle peut, sans faire un pas, arrêter les cavaliers et causer avec eux. C’est ainsi, publiquement, qu’on se fait la cour, en la calle.

Son pied mignon est incapable d’endurer la moindre chaussure. En voiture, elle le pose sur le bord de sa volante, et l’œil curieux admire la finesse du riche soulier ; mais, sous le talon, ce soulier est écrasé et renversé en pantoufle. Aussi, sous aucun prétexte, ne descend-elle de voiture. C’est là que, arrêtée devant les cafés ou les magasins de modes et de nouveautés, elle consomme glaces et sorbets ou choisit les chiffons qu’un commis complaisant vient soumettre à son examen.

Ces volantes, les seules voitures dans lesquelles puisse se montrer une élégante à la Havane, sont aussi remarquables par la bizarrerie de leur construction que par le luxe de leurs ornements et le costume de ceux qui les conduisent. À la fois meubles et bijoux, leurs marchepieds, leurs ressorts, leur caisse, leurs harnais, leurs brancards, leurs roues mêmes, sont incrustés, parsemés de métaux précieux. Savez-vous où l’on va chercher une volante avant de l’atteler ? Où elle se remise, après avoir été nettoyée avec le plus grand soin, la promenade terminée ?… Au salon, dont elle est le meuble principal, occupant une place énorme.

À Porto-Rico, les créoles moins paresseuses courent volontiers par les rues, voilées seulement d’une mantille ou couvertes d’une cape noire.

Les Mexicaines de race croisée, qui forment le gros de la population, ont les formes potelées, élégantes, et les traits délicats bien qu’irréguliers. Leurs cheveux bruns manquent de souplesse ; le front est par trop déprimé, mais le regard et le sourire sont irrésistibles ; les attaches sont très fines ; la main, toute petite, est un véritable bijou.

Les dames de l’aristocratie ne s’occupent guère que de toilettes et de chevaux. Paresseuses à souhait, elles restent, jusqu’à une heure assez avancée, à demi nues, les cheveux flottant sur leurs épaules, dans leurs maisons où personne ne pénètre. Même riches, elles prennent leur repas accroupies sur leur petate. Mais, au moment de la promenade en voiture, ces chrysalides se muent en papillons, étalant de fraîches toilettes, faisant assaut de luxe éblouissant.

Dans les grandes villes, l’américanisation est rapide ; les mœurs yankees se substituent chaque jour aux antiques coutumes, marquant leur victoire par l’abandon de la mantille, que remplacent les modes nouvellement importées de Paris ou de New-York.

Dans le Mexique méridional, s’est conservée l’habitude de manger de la terre ; aux foires qui se tiennent sur le plateau de l’Anahuac, des marchands ambulants vendent aux belles
Femme cubaine.

gourmandes, en guise de bonbons, de petites pastilles d’argile parfumée.

Vives et passionnées, belles, blanches et bien faites, les Colombiennes et les Vénézuéliennes n’ont, en général, ni les mœurs austères, ni l’esprit tourné aux choses sérieuses. Leur vie se partage entre des plaisirs plus ou moins innocents et des pratiques de minutieuse dévotion.

À Bogota, pour aller en visite ou se rendre à l’église, les dames revêtent la saya, la mantille et le chapeau. La saya est un jupon de satin noir un peu court, terminé souvent par des franges d’un pied et demi de long. La mantille est une pièce de drap fin, bleu ciel ou bleu lapis, taillée en demi-cercle, et qui se dispose de manière à tomber de la tête sur les épaules, comme un long béguin de nonne. Ces dames portent, en outre, des chapeaux de feutre et des souliers de satin ou de peau. La chaussure était jadis ce qui distinguait les femmes des hautes classes. Les filles du peuple allaient nu-pieds. Quand leur beauté ou un caprice de la fortune les élevait à la classe ayant le droit de porter chaussure, elles étaient obligées d’user de certains ménagements et de se faire beatas, c’est-à-dire de prendre un costume noir ou marron, en tout semblable à celui des religieuses, avec lequel il leur était permis de se chausser.

La République de l’Équateur est restée bien plus espagnole que la Colombie ou le Pérou. Les mœurs « péninsulaires », modifiées légèrement pour s’accommoder aux exigences du climat et aux habitudes locales, se retrouvent à Guayaquil, empruntant un charme nouveau aux molles allures, au nonchalant laisser-aller qui, bannis des plateaux des Cordillères, règnent délicieusement dans cette ville que les brises du Pacifique ne suffisent pas à défendre contre les rayons verticaux du soleil. Les femmes y reçoivent les visites, se balançant étendues en des hamacs joliment ornés ; et ce sont également des hamacs que, en guise de sièges, elles offrent aux visiteurs.

Avec les femmes de Montevideo, les pâles Limeñas sont le chef-d’œuvre du continent sud-américain. De beaux yeux noirs et limpides, des traits réguliers et remarquablement fins, des cheveux noirs qui, dans leur profusion, tombent jusqu’à terre, la peau blanche, des proportions parfaites, un pied petit, une jambe fine, de la grâce et de l’esprit, telles sont les femmes de Lima. Leur éducation est imparfaite souvent, mais qu’importe ? elles y suppléent par les charmes naturels de leur entretien. Elles sont dévotes, très pratiquantes, mais indulgentes et naïves ; leur mysticisme ne les empêche pas d’être les plus aimantes et les plus spontanées des femmes.
Créole mexicaine.

Deux types personnifient leur nature à la fois pieuse et légère, fervente et passionnée : une sainte et une courtisane, sainte Rose et la Périchole.

Leur mise est élégante et recherchée. Les dames du monde seules sacrifient à la mode de Paris et seulement l’après-midi ; la plupart ont conservé l’ancien costume, plein de mystère et de charme. Cette jeune femme qui, le matin, va à l’église ou court les magasins, qui, le soir, trottine d’un pas furtif, peut-être vers un rendez-vous, a recouvert sa toilette d’une saya en soie plissée, saisissant les formes et les accusant presque aussi nettement que la draperie mouillée d’un sculpteur. Par dessus la saya, s’attache el manto, la mante, nouée à la taille par un cordon et revenant par derrière sur la tête et le visage, qu’elle enveloppe en se croisant de manière à ne laisser voir qu’un œil. Quelle que soit la couleur de la saya, el manto est toujours en soie noire. Les femmes ne sauraient être reconnues dans ce costume sous lequel elles déploient une grâce charmante.

L’été venu, il est de mode, sous la saya et la mantille, de ne porter qu’une chemise brodée et un fichu. Une belle, ainsi accoutrée, prend le nom de tapada. À plusieurs reprises, sous la domination espagnole, l’Église, gardienne des bonnes mœurs, fit réprimer et interdire par les lois l’usage d’aller tapada ; mais les femmes n’ont consenti à renoncer à ce costume, si commode à tant de points de vue, que le jour du vendredi saint. N’avaient-elles pas, en effet, tous les arguments pour elles ? D’abord le soleil aurait bruni leur teint ; et puis, est-il nécessaire d’être vue pour aller visiter les malades et faire l’aumône aux malheureux.

Quelle que soit sa catégorie sociale, grande bourgeoise ou chola de race mélangée, la Chilienne porte, elle aussi, la manta, le matin, et pour se rendre à l’église. Le châle chilien descend en pointe par derrière et forme au-dessus de la tête un étroit capuchon dont la couleur noire fait ressortir la blancheur du teint et l’éclat des yeux. C’est d’une coquetterie suprême : la mante est, en effet, d’étoffe plus ou moins fine, brodée plus ou moins richement, plissée avec plus ou moins d’art ; une boucle conquérante s’en échappe souvent comme par inadvertance. Et de quel joli geste les mignonnes cholitas savent ajuster les plis de leur châle en le rejetant sur l’épaule gauche.

Il faut aller jusqu’au Chili pour trouver des femmes conductrices de tramways. C’est là une conséquence de la dernière guerre contre le Pérou qui priva les villes de leur population masculine. Coiffées de coquets chapeaux de paille, portant comme un uniforme de blancs tabliers, les jeunes cholas s’acquittent à merveille de leurs fonctions. Inutile de dire que celles
Femme mulâtresse de la Martinique.

d’entre elles qui sont jolies n’acquièrent pas de droits à la retraite.

À Buenos-Ayres, la population d’origine étrangère est en majorité ; l’élément italien, à lui seul, compte un tiers des habitants de la ville. Tantôt exaltée à l’excès, tantôt rabaissée avec exagération, la Porteña, produit de tous ces éléments divers, vise à jouer dans l’hémisphère sud le rôle de « la Parisienne ». Déjà, elle a abandonné la mante pour se coiffer d’après les modèles illustrés que chaque courrier lui apporte de France ; déjà elle fournit à nos parfumeurs une clientèle consommant des quantités abusives de poudre de riz et de veloutine, mais de si louables efforts n’ont point encore réussi à lui conquérir le « cachet » qu’elle ambitionne. Son éducation cependant et ses vertus réelles lui valent, plus encore que son élégance, encore un peu neuve, une influence méritée.

Croyante mais pas dévote, elle ne subit pas l’influence du prêtre ; jeune fille, elle a, avec moins de hardiesse, beaucoup de l’indépendance de la jeune Yankee ; épouse, elle reste fidèlement attachée à celui qu’elle a librement choisi, en dehors de toute préoccupation d’argent ; c’est une femme de foyer et une mère admirable. Les femmes de Buenos-Ayres sont, à tous les points de vue, supérieures aux hommes, et surtout à ces zambullidores élégants et oisifs, riches créoles ou aventuriers, tous trop bien habillés, étalant des cravates extraordinaires sur des devants de chemise étincelants comme des vitrines de joailliers, menant la vida de confiteria y de vereda, la vie de confiserie et de trottoir. La grande distraction de ces inutiles est, en effet, de stationner, de cinq à dix heures du soir, sur les trottoirs étroits de la « calle Florida » pour y reluquer les belles Porteñas sortant des pâtisseries, les accabler de leurs compliments insipides ou indécents, tout en s’interpellant l’un l’autre pour échanger des réflexions moins brillantes que leurs épingles de cravate.

Brésiliennes.

La population du Brésil se compose de Brésiliens proprement dits, descendants de colons européens, de créoles noirs africains, d’Indiens indigènes et de métis. On désignait jadis, sous le nom de mamelucos, les métis nés du croisement des blancs et des Indiens. Sur tout le territoire, l’élément noir est aujourd’hui prépondérant, surtout dans les régions les plus rapprochées de la côte d’Afrique ; aujourd’hui encore, la ville de Bahia, par exemple, mérite son titre de Velha Mulata.

Parmi les créoles blancs, les habitants des plateaux du centre et du sud,
Femme quarteronne du Brésil.

les Mineiros (de Minas-Geraes), les Paulistas, les Paranaenses et les Rio-Grandenses, sont en général plus robustes, plus grands que ceux de la zone côtière et vallées des fleuves. Les Paulistas, fortement métissés, passent pour être les plus beaux, les plus intelligents et les plus énergiques des Brésiliens. Un proverbe dit qu’il faut admirer : « à Bahia, eux et pas elles ; à Pernambouc, elles et pas eux ; à São-Paulo, elles et eux. » Et, par leur grâce, comme par leurs nobles manières, les femmes de cette dernière ville, quelle que soit la proportion de sang nègre qui coule dans leurs veines, justifient, pour leur part, le dicton.

Jadis, à Rio-de-Janeiro, comme dans la plupart des cités brésiliennes, les belles créoles, brunes et vives, espiègles et coquettes, traitées en enfants gâtées, poupées parées et adulées, n’étaient guère que les premières des esclaves de la maison. Nonchalantes, elles passaient leurs journées étendues sur un canapé, jouant avec une fleur ou un oiseau, ne se préoccupant en rien de leur intérieur, ne touchant ni une aiguille ni un livre, passionnées seulement pour la musique, la parure et l’intrigue. Elles restaient ainsi murées dans leur maison comme en un cloître. Une femme qui serait sortie à pied, seule dans la rue, aurait été perdue de réputation. Parfois une métisse, une femme de mediopelo, s’y risquait, et encore rarement. S’il faut en croire les anciens voyageurs, le diable n’y perdait rien, car les rendez-vous se donnaient du haut des balcons. Quelques fleurs jetées sur la tête du préféré l’avertissaient qu’il serait le bienvenu.

Aujourd’hui, l’éducation française ou américaine a commencé à révolutionner ces tranquilles existences. Toujours mélomane, toujours férue de bijoux et de pierreries, aimant à s’en charger plutôt qu’à s’en parer, la Fluminense n’est pas devenue plus dissolue — au contraire — parce qu’elle commence à vivre de la vie européenne et qu’elle se promène librement, comme une Parisienne.



MÉTISSES, MULÂTRESSES ET
QUARTERONNES.

Partout où les blancs se sont installés, ils se sont unis avec des femmes de race indigène et ont engendré des métis. Le maître blanc et l’esclave noire ont, dans toutes les colonies, donné naissance au mulâtre ; le blanc et la mulâtresse produisirent le quarteron. De même, par leurs alliances avec des Indiennes, le conquérant blanc et l’esclave noir avaient respectivement comme descendants des cholos et des zanbos. Au Mexique, on ne distingue pas moins de quinze races de métis qui résultent des croisements, à divers degrés, du blanc, du noir et du rouge. Très prolifiques, en dépit de certaines théories, ces races tendent à prédominer dans les Antilles, l’Amérique du Centre et l’Amérique du Sud. Les habitants de la République Dominicaine sont nés d’un quadruple métissage de Caraïbes autochtones, d’Espagnols, de Français et de nègres. Et les femmes de la Dominique sont, avec les métisses martiniquaises, les plus belles des Antilliennes !

De même, dans l’Amazonie, se forme un peuple mélangé de blanc, de rouge et de noir, où l’on essayerait en vain de reconnaître les éléments originaires. Seuls, les cafuzos, fils de nègres et d’Indiennes, se signalent par leur énorme chevelure noire, hérissée, aux crins raides, mais non laineux. Il est à remarquer que, chez les métis indo-nègres, c’est le type africain qui s’atténue le premier. Le type indien est plus résistant. Ces métis sont supérieurs à leurs parents en élégance et en beauté aussi bien qu’en intelligence.

La population des Antilles, qui descend en grande majorité des blancs d’Europe et des négresses d’Afrique, présente les nuances de teint les plus diverses, depuis le blanc mat jusqu’au noir brillant ; mais où domine surtout le jaune brun, la belle couleur du bronze, s’adoucissant parfois jusqu’à celle de l’or pâle. En chaque île, les noirs se sont modelés sur leurs maîtres, adoptant leurs qualités comme leurs défauts, cessant surtout d’être Africains. En dépit des lois interdisant les unions entre blancs et noirs, le mélange des races s’est opéré ; dans la plupart des cas d’infraction à ces lois, les blancs n’étaient-ils pas d’ailleurs les premiers contrevenants ? Par le sang comme par les mœurs, les créoles noires des Antilles, et plus encore les métisses, tiennent surtout à l’Europe. En dépit de la déformation qu’elle a fait subir à notre langue, transformée par elle en un assemblage naïf de mots sans flexions, prononcés d’un accent zézayant et câlin, la Martiniquaise, par ses facultés très aiguës d’observation, par sa fine ironie, est avant tout une Française ; elle ne tient plus que de très loin à ses ancêtres des rives du golfe de Guinée. Quant aux facultés intellectuelles, n’oublions pas qu’Alexandre Dumas père était un tierceron et que Pouchkine, le grand poète russe, avait comme grand-père un pur nègre, du plus beau noir.

À la Martinique, comme à la Guadeloupe, les métisses surpassent les blanches au point de vue de la beauté physique. Les unes, comme les autres, sont bien faites et de belle taille ; elles ont cette souplesse voluptueuse du corps qui appartient à toutes les femmes des tropiques, mais la créole blanche ne possède ni cette régularité de traits, ni cette correction de lignes qui sont les caractéristiques de la beauté. Il est vrai qu’elle a pour elle ses cheveux superbes, lisses et abondants, fins et soyeux, ses mains et ses pieds d’enfant, son œil ardent et velouté, la caresse de son regard, la musique de sa voix enfantine.

Et la grâce, plus belle encore que la beauté !

Par contre, la mulâtresse peut s’enorgueillir de la vigueur plantureuse de ses formes, de ses contours d’un modelé superbe, du balancement de sa démarche ondulante et prenante, de ses épaules pleines, supportant un cou harmonieux et bien posé, de ses traits d’un dessin achevé, de ses mains effilées, délicates et souples. L’habitude de marcher pieds nus lui a malheureusement gâté le pied, petit mais mal fait. Mais ses lèvres sont du plus beau rouge, ses dents mignonnes sont de nacre, ses yeux — ses yeux surtout — sont irrésistibles.

Leur costume, auquel elles ont malheureusement renoncé, en grande partie, pour adopter la toilette européenne qui leur est préjudiciable, servait admirablement à mettre en relief leur beauté. C’était d’abord un corsage à demi transparent, permettant d’entrevoir beaucoup et de deviner tout, avec, au coude, des manches échancrées et boutonnées d’or massif. La jupe, moulée aux hanches, se nouait autour des reins délicieusement cambrés. Enfin, avec un art exceptionnel, un haut madras les coiffait. Disposer soigneusement ce madras, c’est pour une métisse « faire sa tête ». Des bijoux nombreux et volumineux, des boucles d’oreille d’or massif, des colliers de grenat ou de corail, des broches, des épingles forment le complément indispensable de leur parure.

Au moral, créoles et métisses possèdent la même vivacité d’esprit, la même imagination fantaisiste. Pour la
Femme mulâtresse de Cayenne.

vanité, la futilité, et aussi l’inconstance, il semble que le prix puisse être accordé à la sang-mêlé.

Ne lui en gardons pas rancune à la jolie pécheresse. L’objet de sa passion auquel elle s’attache avec le plus d’ardeur c’est toujours le blanc. Et puis, après tout, est-elle si coupable d’aimer autant l’amour, pour la joie qu’on en reçoit comme pour celle qu’il donne, dispensant généreusement à autrui la part de plaisir qu’elle réclame pour elle-même, soucieuse seulement qu’il ne lui soit point fait de peine et de n’en pas faire à qui que ce soit ?