Trésor du jardin de la préfecture à Rennes/L’enceinte gallo-romaine de Condate. — Découvertes faites à l’intérieur de cette enceinte

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Trésor du jardin de la préfecture à Rennes, époque gallo-romaine, sarcophages, urnes cinéraires, amphores, bijoux, médailles, notices et descriptions
Verdier, fils ainé (p. 3-8).

I

L’ENCEINTE GALLO-ROMAINE DE CONDATE — DÉCOUVERTES FAITES A L’INTÉRIEUR DE CETTE ENCEINTE.

Au iiie siècle, une ceinture de remparts, élevée par les légions conquérantes au confluent de l’Ille et de la Vilaine, enserrait étroitement ta cité. Ces murailles, détruites à plusieurs reprises, furent réédifiées au ixe, puis au xiie siècle, sur ces mêmes assises de granit, de briques rouges, de moellons cubiques et de ciment dont on a maintes fois retrouvé des traces lors des travaux d’embellissement et de transformation que nous avons vu s’exécuter depuis moins de cinquante ans. Ce ne fut qu’au xve siècle que l’étroite enceinte élargit enfin les primitives limites que lui avaient tracées les murailles gallo-romaines de la Ville Rouge.

Ce périmètre restreint, qui ne comprenait guère plus de huit à neuf hectares, était limité au Nord par notre place actuelle des Lices, — à l’Est par les rues de Rohan, de l’Horloge et Châteaurenault, — au Sud par la Vilaine, — à l’Ouest par les cours des maisons bordant le côté Est de la rue Nantaise. D’ailleurs, le plan de la ville actuelle, sur lequel nous avons tracé l’antique enceinte (Planche I), permettra de suivre pas à pas la ligne des remparts gallo-romains, que nous avons indiquée par un trait rouge. Des étoiles de même couleur marqueront les points sur lesquels ont été faites les découvertes que nous énumèrerons tout-à-l’heure.


Partant de l’extrémité Nord de la rue Rallier, à l’endroit où s’élevait autrefois la porte Saint-Michel, le mur gallo-romain suivait à peu près la ligne actuelle formée par les maisons qui bordent le côté Sud de la place des Lices[1], et par le pavillon Est du marché couvert. Il passait à travers le pavillon Ouest du même marché, traversait la rue de Juillet et touchait la porte Mordelaise. De là il se dirigeait, entre les derrières de l’École d’Artillerie et la rue Nantaise, vers la place de la Croix-de-la-Mission, qu’il coupait diagonalement, entrait dans le jardin de l’hôte) de Coniac, suivait la Vilaine en ligne droite jusqu’au bas de la rue du Carthage. Il décrivait alors une légère courbe, remontait le côté Ouest de la rue de Rohan, suivait la rue de l’Horloge, passait sous le Présidial (aile Nord de l’Hôtel-de-Ville) et longeait les derrières des maisons bordant le côté Est de la rue Châteaurenault, jusqu’à l’angle de cette rue et de la rue Lafayette, à l’endroit où s’élevait avant l’incendie de 1720 la tour Saint-James. De là, il remontait en ligne droite, à travers le triangle formé par tes rues de Toulouse, Leperdit et Rallier, jusqu’à l’extrémité Nord de cette dernière rue, où nous avons pris son point de départ.


Comme on le voit sur notre plan, c’est surtout aux abords de notre église cathédrale qu’ont été faites les trouvailles d’objets gallo-romains enfouis dans le périmètre de l’enceinte murée.

Nous avons dit ailleurs[2] que, selon toute probabilité, cette église a dû s’élever sur l’emplacement d’un temple païen, et nous avons cité la curieuse chronique de Robert du Mont, d’après laquelle l’évêque de Rennes Philippe trouva, en 1180, sur l’emplacement même de son ancienne cathédrale qui tombait en ruines, un trésor qui lui permit de faire face à toutes les dépenses nécessitées par la construction d’un nouveau temple.

Quelle était la nature de la trouvaille de l’évêque Philippe ? La chronique de Robert ne le dit pas, et l’histoire est muette à ce sujet. On peut supposer que ce fut un trésor enfoui par les Romains, quand on pense à la découverte de la patère d’or faite à cent pas de là, tout près de l’endroit où furent trouvés, — en 1862, un énorme dolium, espèce de grand cuvier ou jarre ronde, en poterie d’argile figuline rougeâtre, décoré d’un filet et de bandes de couleur[3]; — en 1863, une petite boîte en bronze enfouie dans les fondations du mur d’enceinte de la cité gallo-romaine[4].

Tout près de là, dans la rue de Juillet, on trouva un pied de coupe, ou trépied en bronze[5], et, dans une substruction de la muraille gallo-romaine, un fragment de mosaïque en marbre blanc qui avait été employé parmi les matériaux de construction[6]. On découvrit aussi au même lieu des fûts de colonnes, des pierres de granit avec mortaises, et une multitude de grandes briques droites ou à crochets[7].

En 1880, quand on démolit les vieilles maisons dites « la Cité, » entre l’hôtel de Pinieuc et l’École d’Arlillerie, on trouva en nivelant le sol une grande quantité de fragments de briques à rebords.

Au mois de mars 1882, la tranchée ouverte pour la construction des égouts nous a donné une très-grande quantité de briques plates (lateres) enfouies pêle-mêle, à deux mètres de profondeur, sur tout le parcours de la rue Saint-Sauveur.

Presqu’en même temps, au bas de la rue de la Monnaie, entre la Croix-de-la-Mission et le jardin de l’hôtel de Coniac, la pioche des terrassiers se heurtait contre la muraille d’enceinte du moyen-âge édifiée sur le mur gallo-romain lui-même. Les outils se brisaient sans pouvoir entamer cette masse compacte de granit, de schiste, de briques et de ciment, et il fallut l’attaquer au moyen de la mine. Nous avons recueilli dans cet endroit d’énormes blocs de granit taillés, quelques-uns moulurés, des briques plates, et des bases, chapiteaux et fûts de colonnes en granit. — La même tranchée a donné des anses et des goulots d’amphores ; de nombreux fragments de poteries grises ou noires ; quelques morceaux de poterie samienne, dont un avec des ornements en relief et un autre (un fond de vase) portant la signature Arrito

Sous le sol de la place Saint-Pierre, vis-à-vis la cathédrale, la tranchée des égouts a donné une assez grande quantité de fragments de verre irisé (pieds et goulots de vases) ; un petit buste de femme en terre cuite (représentant probablement une divinité ?) ; des anses, des goulots et autres fragments d’amphores et de poteries diverses ; enfin, la meule supérieure d’un petit moulin à bras en pierre.

Des fragments de poterie samienne ont été rencontrés, à diverses profondeurs, sur presque tout le parcours de la rue de la Monnaie.

En creusant le sol près de la porte Mordelaise, qui a conservé si longtemps encastrée sur une de ses faces la fameuse inscription gravée par l’Ordo Rhedonensis en l’honneur de l’empereur Gordien III[8], on mit au jour un très-beau fragment de terre cuite portant, modelée avec art, une élégante guirlande de roses[9].

En faisant des fouilles pour asseoir les fondations d’une maison, rue du Griffon, on trouva à deux mètres de profondeur une grande quantité de tuiles à rebords[10].

Entre la vieille chapelle Saint-Yves et le Carthage, on déterra un grand carreau de brique de 41 centimètres en carré[11].

En 1854, en creusant les fondations d’une maison rue de Rohan, on retrouva dans les couches inférieures du sol la muraille romaine et sept amphores en terre jaunâtre près desquelles gisaient quelques monnaies en bronze. Deux de ces amphores, parfaitement intactes, figurent au Musée de Rennes[12]. Quelques mois auparavant on avait déjà trouvé, sous le sol de la rue de Rohan, une monnaie de bronze de Gordien III, un fragment de fibule et un ombilic de bouclier.

En 1868, en démolissant pour le prolongement de la rue Rallier une partie du mur et de la courtine de la porte Saint-Michel, on trouva, parmi les matériaux employés au moyen-âge dans la construction de cet ouvrage, plusieurs briques romaines de grande dimension, dont l’une porte le nom du briquetier, Valentinni[13]. Nous en possédons une autre provenant du même lieu ; sa forme est ronde ; elle mesure 1 mètre 4 centimètres de circonférence, et son épaisseur est de 6 centimètres. C’est aussi à la porte Saint-Michel que furent trouvées, à la même époque, les deux inscriptions lapidaire conservées an Musée de Rennes[14], et qui ont fait l’objet d’une remarquable étude philologique de M. le commandant Mowat[15].

Un cippe carré en granit, qu’on présume avoir été un autel, a été trouvé dans la démolition d’une partie des murs d’enceinte du moyen-âge[16].

Tout récemment, au mois de février 1882, les travaux exécutés, pour la construction des égouts de la ville ont mis au jour, me des Dames et rue du Four-du-Chapitre, une conduite d’eau gallo-romaine dans un état parfait de conservation, et offrant absolument les même caractères que celles de la rue d’Échange et de la rue Saint-François, que nous mentionnerons tout-à-l’heure[17].

II

DÉCOUVERTES FAITES EN DEHORS DE l’ENCEINTE.

Si nous sortons de l’enceinte de la cité gallo-romaine, les découvertes continuent, non moins nombreuses, non moins intéressantes. On en peut juger par l’énumération qui suit :

En amont du pont de Berlin, dans l’ancien lit de la Vilaine, on trouva de 1841 à 1846, indépendamment de l’énorme quantité de monnaies dont nous avons parlé plus haut, des bagues, des fibules, des stylets, des épingles et des hameçons en bronze ; — des flacons en verre irisé ; — des débris de vases et de poteries rouges ; — des briques à rebords de différentes formes, etc.[18] D’autres trouvailles d’objets gallo-romains eurent lieu dans plusieurs endroits de la rivière,

  1. Dans plusieurs des cours de ces maisons, quelques parties de la muraille gallo-romaine sont encore aujourd’hui parfaitement visibles.
  2. Notice sur la Patère d’or, etc.
  3. A. André, Catalogue raisonné du Musée d’archéologie de la ville de Rennes, 2e édition, p. 159, no  709.
  4. Catal. déjà cité, p. 136, no  574.
  5. Ibid., p. 136, no  572.
  6. Ibid., p. 162, no  730.
  7. Hist. arch. de l’époque gallo-romaine de la ville de Rennes, p. 196.
  8. Catal., p. 494, no  3.
  9. Ibid., p. 164, no  740.
  10. Catal., p. 165, nos 746 à 751.
  11. Ibid., p. 167, no  759.
  12. Ibid., p. 160, no  714, 715.
  13. Ibid., p. 166, nos 753, 755.
  14. Ibid., p. 493, nos 1 et 2.
  15. Mém. de la Soc. Arch. d’Ille-et-Vil., t. VII, p. 291 et suiv.
  16. Catal, p. 495, no  4.
  17. Une conduite d’eau semblable fut découverte en 1841 dans les ruines romaines de Membrey (Haute-Saône). Des tuyaux en terre cuite, analogues à ceux de Rennes, sont figurés dans l’intéressante notice que M. l’ingénieur en chef de Matly de Lalour a consacrée à ces fouilles importantes. (Ruines romaines de Membrey, p. 24 ; pl. VII, fig. 11.)
  18. Catal. du Musée arch. et Hist. arch. de Rennes.