Traité élémentaire de la peinture/053

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Traduction par Roland Fréart de Chambray.
Texte établi par Jean-François DetervilleDeterville, Libraire (p. 37-38).


CHAPITRE LIII.

D’où vient que les choses peintes ne peuvent jamais avoir le même relief que les choses naturelles.

Les Peintres assez souvent se dépitent contre leur ouvrage, et se fâchent de ce que, tâchant d’imiter le naturel, ils trouvent que leurs peintures n’ont pas le même relief, ni la même force que les choses qui se voient dans un miroir ; ils s’en prennent aux couleurs, et disent que leur éclat et la force des ombres surpassent de beaucoup la force des jours et des ombres de la chose qui est représentée dans le miroir ; quelquefois ils s’en prennent à eux-mêmes, et attribuent à leur ignorance un effet purement naturel, dont ils ne connoissent pas la cause. Il est impossible que la peinture paroisse d’aussi grand relief que les choses vues dans un miroir (bien que l’une et l’autre ne soient que superficielles), à moins qu’on ne les regarde qu’avec un œil : en voici la raison : les deux yeux A B voyant les objets N M l’un derrière l’autre, M ne peut pas être entièrement occupé par N, parce que la base des rayons visuels est si large, qu’après le second objet elle voit encore le premier ; mais si vous vous servez seulement d’un œil, comme dans la figure S, l’objet F, occupera toute l’étendue de R, parce que la pyramide des rayons visuels partant d’un seul point, elle a pour base le premier corps F, tellement que le second R qui est de même grandeur, ne pourra jamais être vu[1].


  1. Léonard de Vinci est fort obscur dans ce chapitre, et peut-être s’est-il trompé : celui qui l’a traduit la première fois ne l’a ni expliqué ni corrigé. Voici ce qu’on peut dire sur la matière qui est ici traitée. Tout tableau est une perspective, et l’art peut faire paroître les figures d’un tableau avec autant de relief qu’en ont les figures naturelles. Mais un tableau ne représente que des figures plates autour desquelles on ne sauroit tourner pour en voir les différens côtés ; il n’a proprement qu’un point de vue d’où on puisse les bien voir, au lieu qu’on, peut voir de tous côtés les figures naturelles, et elles paroîtront toujours avec le relief qu’elles ont.