Traité de documentation/Le Livre et le Document 3

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Editiones Mundaneum (p. 363-371).

3

Les Livres et les Documents

Unités ou Ensembles
considérés au point de vue de la Bibliologie comparée




30 Généralités.

Le livre et le document, après avoir été envisagés en soi-même (partie 2), ont à être considérés aussi en tant qu’unité individuelle concrète, en tant qu’ensemble et dans leur totalité. D’où le cadre suivant dont certaines parties seulement sont considérées ci-après.

31 Des livres en tant qu’unités.
311 Ouvrages individuels, livres célèbres ou répondant à des particularités intéressantes (monographies bibliographiques).
312 Ouvrages d’un même auteur : leurs corrélations.
313 Ouvrage d’une même catégorie d’auteurs : leurs corrélations.
32 Des livres et documents en tant qu’ensembles.
321 Dans les diverses matières (sciences et activités pratiques ).
322 Dans les divers pays (distribution des livres dans l’espace).
323 Aux diverses époques (évolution, histoire du livre).
324 Sous les diverses formes (classes de livres). La littérature.
325 Dans les diverses langues (le livre dons les langues).
33 Des livres et documents considérés dans leur totalité.

323 Histoire du livre.

1. Histoire des diverses parties du livre.

Le livre a une longue histoire : chacun de ses éléments, chacune de ses parties et de ses espèces est le produit d’un développement parfois très lent. — Écriture : le Livre a ses origines dans celles de l’écriture figurative et du tracé des signes conventionnels. (Paléographie : science des écritures). — Substance : Il fut d’abord inscription murale (Épigraphie), tablette ou rouleau en terre cuite, tablette de bronze, de cire, ardoise. Plus tard il s’écrivit sur papyrus et parchemin, puis sur papier originaire de Chine. — Forme : il eut, dans l’antiquité, la forme rectangulaire, avec les tablettes de cire juxtaposées ; il fut fait de feuillets superposés et reliés avec les codex. Aujourd’hui il tend à la feuille ou fiche, mobile ou liassée en reliure mobile (monographie). — Reproduction : il fut écrit à la main (manuscrit), puis gravé sur bois (xylographie), puis composé à l’aide de caractères mobiles (imprimerie, Gutenberg). On le reproduisit par la pierre (lithographie), puis par la photographie (photogravure, héliogravure, phototypie), puis par des procédés chimiques (anastatique ou reviviscence des encres). — Illustration : Remonte à la plus haute antiquité, enluminure, miniature, puis gravure en relief et en creux. — Reliure : très ancienne, devient un art à Byzance au Xe siècle, se développe en Italie ou XVIIIe, en France au XVIe et au XVIIIe, renaît de nos jours.

2. Histoire générale.

a) Antiquité. — Invention et transformation des écritures, constitution des langues en langages littéraires. Le Papyrus. Les premières littératures : la formation des genres littéraires. Premiers essais de rédaction dans les sciences. Conservation des textes sacrés dans les temples et palais. Influence de l’esclavage : le cercle étroit des lettrés, des philosophes et des savants. Les polygraphies « de omni re scibili ». Les premiers encyclopédistes : Aristote.

b) Moyen âge. — Les barbares détruisent les bibliothèques. Les moines recopient les manuscrits. L’époque des manuscrits : Au XIIIe siècle, invention du papier de chiffon. Le moyen âge, grand par son art, sa philosophie, sa théologie. Peu de créations littéraires. Développement des sciences presque nul. Les « Miroirs » et les « Sommes », formes de l’idée encyclopédique.

c) Renaissance et temps modernes. — La Renaissance découvre l’antiquité. Époque de l’érudition : reproduction, traduction, commentaire des ouvrages. Vers 1436, invention de l’imprimerie. Elle se répand dans toute l’Europe avec la Réforme. Développement de la gravure. Les guerres de religions utilisent les livres. Au XVe siècle, le livre se constitue avec les traits essentiels qu’il a encore aujourd’hui. Plantin à Anvers (vers 1530). Fondation à Paris de la Bibliothèque nationale (1595), et de l’imprimerie nationale. Les premiers journaux. La constitution des sciences en corps de doctrines autonomes. XVIIIe siècle : les idées travaillent le peuple. L’encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Le rôle des livres, du pamphlet et des journaux politiques dans la Révolution française. XIXe siècle : les inventions mécaniques appliquées à la production du Livre ; la reproduction photomécanique de l’image ; le triomphe de la démocratie ; la diffusion de l’enseignement ; le régime constitutionnel dans les grands États basé sur la liberté de la parole et de la presse ; progrès dans l’organisation administrative des États et rôle des imprimés de toute espèce à ce point de vue. Développement des sciences sur la base de la division du travail ; organisation rationnelle de la librairie et de la presse scientifiques ; la revue, le journal d’information. La librairie et l’édition se font universelles, les bibliothèques géantes et les éditions géantes. Organisation internationale du Livre et de la Documentation.

3. Les Phases.

Toute histoire est divisée en deux manières : par date (chronologie), par phases (phaséologie, stades, époques). En vertu de la première, on se borne à déterminer la localisation d’un événement dans le temps, en vertu de la seconde, on détermine la division du temps d’après la durée de quelques grands faits subordonnant ou influençant les autres et s’étant succédé selon une certaine ratio. La chronologie est commune à l’histoire générale et à l’histoire spéciale bien que, dans ce dernier cas, il ne soit fait mention que des faits généraux influençant les faits spéciaux et, quant à ceux-ci seulement, les faits intéressant la spécialité à l’exclusion des autres. Les phases au contraire sont distinctes, selon qu’il s’agit d’histoire générale ou d’histoire spéciale, distinctes aussi d’après chaque histoire spéciale.

L’histoire générale est divisée en préhistoire, antiquité (5000 ans), moyen âge (1000 ans), nouvel âge (350 ans), âge présent (120 ans). Au point de vue matériel, l’histoire du Livre présente les grands faits suivants qui délimitent autant de phases : 1. avant l’écriture ; 2. l’invention de l’écriture ; 3. l’invention du papier ; 4. l’invention de l’imprimerie, les revues et les journaux périodiques ; 5. la lecture généralisée et la production en masse ; 6. la multiplication de l’image ; 7. les nouveaux substituts du livre (radio — phono — film).

Au point de vue intellectuel, l’histoire du livre est divisible en un nombre très divers de phases qui se confondent avec celles de l’histoire des sciences, des lettres, des arts, de l’éducation, de la vie économique, sociale et politique.

En établissant les phases du développement historique de chaque élément, et de tout l’ensemble, cela à divers points de vue, on arrive au résultat de mieux concevoir toute l’évolution.[1]

4. Histoire des livres et histoire des réalisations.

L’histoire de la littérature est l’histoire des livres et celle de l’influence des livres. Ce n’est pas celle de la politique. Pendant de longues périodes la pensée des livres et la conduite des affaires politiques sont tout à fait distinctes. Quand on passe à l’action, les choses changent. Il ne s’agit plus seulement de raisonner, de discuter, de proposer, il faut tenter d’agir. Tant qu’il n’y a en présence que des écrivains et des lecteurs, la valeur d’une idée ne dépend que de l’intelligence et du talent de l’écrivain et de l’accent, de la compréhension des lecteurs. Si l’on commence au contraire à réaliser, c’est la réalisation qui compte. On voit une opinion réformiste devenir une opinion agressive puis une opinion révolutionnaire. (Daniel Mornet.) Histoire des idées d’un côté, histoire des activités de l’autre.

324 Le livre et la littérature.

1. Notion.

a) La Littérature est l’ensemble de la production littéraire d’un pays ou d’une époque. Au sens large, par littérature on peut aussi entendre toutes sortes de livres. Une partie importante de la Bibliologie doit consister à étudier les lois générales de la production, de l’échange et de la consommation littéraire.

Les œuvres de littérature fournissent la source la plus abondante pour l’étude comparée du livre aux divers points de vue bibliologiques.

C’est la littérature aussi qui a fourni la majeure partie de la production bibliographique. Pour beaucoup d’hommes, le livre littéraire est tout le livre.

b) Dans sa préface des Contemplations, Victor Hugo a défini ainsi le contenu de la littérature ; « Une destinée est écrite là jour à jour. Ce sont là en effet toutes les impressions, tous les souvenirs, toutes les réalités, tous les fantômes vagues, riants ou funèbres, que peut contenir une conscience, revenus et rappelés rayon à rayon, soupir à soupir et mêlés dans la même nuée sombre. C’est l’existence humaine sortant de l’énigme du berceau et aboutissant à l’énigme du cercueil ; c’est un esprit qui marche de lueur en lueur en laissant derrière lui la jeunesse, l’amour, l’illusion, le combat, le désespoir et qui s’arrête éperdu, au bord de l’infini. Cela commence par un sourire, continue par un sanglot et finit par un bruit de clairon dans l’abîme. La littérature découvre une âme, un cœur, une souffrance, une vertu, un vice. »

c) Au point de vue individuel, la littérature répond à ce but : « chercher son âme dans une autre âme, explorer le monument éternel laissé par les classiques anciens, s’abreuver a cette rivière féconde, percevoir la lumière des soleils qui dans le passé ont transpercé le monde de leurs rayons magnifiques, fréquenter la société des grands esprits. »

La foule, quoi qu’on prétende, adore la littérature. Elle apprécie les inventions des poètes, le drame de la fantaisie, les découvertes de l’inspiration. Elle sait bien que les romans ne sont pas autre chose que des secrets de famille, et cette révélation audacieuse aguiche la curiosité de tous les passants inexprimés.

d) La littérature est aussi vaste que la pensée humaine. C’est la manifestation intellectuelle de l’humanité dans ce qu’elle a de plus élevé avec les Arts, la Science et avec les Inventions.

Pour créer une littérature, il a fallu que l’homme dispose de loisirs. Partout où il est parvenu à s’en créer un peu, aussitôt la littérature a fleuri.

Sous ses formes multiples : poésie, drame, histoire, éloquence, la littérature fut la première éducatrice des peuples. Elle eut d’abord pour base l’étude et pour but l’exposition lumineuse de ces faits naturels sur lesquels est fondée la science moderne. Elle apparaît la première dans l’enfance des sociétés, dès que l’homme sait coordonner ses idées et possède le moyen de les transmettre. Elle fixe d’abord, dans un langage incorrect et grossier, les faits mémorables, transmet les noms des héros, des pasteurs du peuple ou des dompteurs de monstres ; puis, s’enhardissant, elle dépeint les grande spectacles de la nature ; chante les guerres et adresse des hymnes aux dieux,

Quand la littérature a produit ainsi une certaine masse d’œuvres remarquables, l’examen même de ces inspirations directes crée une autre source de littérature, la critique qui juge et compare entr’elles les productions des âges précédents.

e) La littérature n’est pas un miroir de la société. L’expression littéraire peut renforcer certains traits de la réalité, elle peut en combattre d’autres, ou les passer sous silence. La littérature n’est donc pas un reflet mais une recomposition de la vie. Il arrive souvent qu’elle accuse des divergences qui dans la réalité se compensent et s’effacent. Une psychologie des nations basée sur la littérature risque fort d’aboutir à des résultats trompeurs et artificiels.[2]

f) Utilité de la littérature. — On peut donner des buts divers à la littérature. La littérature doit servir le peuple, relier les générations les unes aux autres, faire la conscience de l’Humanité. En détruisant les formes désuètes, en construisant avec les éléments nouveaux, en maintenant l’héritage et l’acquit, elle doit être à la fois au service de la Tradition et de la Révolution.

g) La littérature a donné lieu : 1° aux œuvres elles-mêmes, à leur collection dans les meilleurs textes : 2° aux écrits sur les œuvres de la littérature, écrits répartis en quatre groupes : a) exposé de l’enchaînement de la production des œuvres ; b) la littérature comparée ; c) la critique littéraire (voir n° 254) ; d) la théorie littéraire (voir n° 224.1).[3]

L’étude littéraire des œuvres est entrée dans un détail extrême avec la discipline nouvelle dite la stylométrie. Ainsi pour établir la chronologie des écrits de Platon, Winsenty Lutoslawski a créé toute une méthode. (The origin and growth of Plato’s logic, 1897.) Cette méthode a son point de départ dans un relevé minutieux de plus de 500 particularités qui caractérisent le style des derniers écrits de Platon, le Timée et les Lois. Elle a été décrite pour les lecteurs de langue française par M. P. Tannery dans un article de la Revue Philosophique (1899, p. 159)

2. Historique.

a) Les littératures, en tant que l’ensemble des productions des écrivains d’une nation, d’un pays, d’une époque ont donné lieu à des productions immensément nombreuses et parmi elles à des œuvres magistrales. Ont existé successivement les littératures indoue, hébraïque, chinoise, grecque, romaine, les littératures italienne, espagnole, française, allemande. Il y a aussi les littératures russe, Scandinave, hollandaise-flamande, hongroise, polonaise, roumaine. Et d’une manière générale chaque langue possède ses œuvres littéraires, notamment les langues rendues récemment à la liberté ; la littérature lettone, lithuanienne, finoise et toutes les littératures particulières des nationalités comprises dans la Russie des Soviets.

b) Les littératures ont procédé largement les unes des autres ; en Occident, elles ont procédé très directement des lettres greco-latines. Le vieux français et le vieux provençal, les langues d’oc et d’oïl, dérivées notamment du latin, créent des œuvres communes et imitées partout (Épopées françaises). Au XVe et au XVIe siècle, l’Italie est un foyer lumineux auquel d’autres nations empruntent leur lumière. L’Angleterre et la France rayonnent aussi simultanément au XVIe siècle ; au commencement du XVIIe siècle, la France emprunte son théâtre à l’Espagne et ses madrigaux à l’Italie. À la fin du XVIIe siècle, c’est au contraire l’Italie et l’Espagne qui empruntent à la France. Au XVIIIe siècle, les littérateurs français s’enjouent de l’Angleterre, et en transportent chez eux la philosophie, puis le théâtre. La Russie produit une littérature largement française. Au XIXe siècle, le Romantisme, puis le Réalisme sont de tous les pays. Au XXe siècle apparaissent des formes de littérature internationale.

3. Histoire de la Littérature. (Littérature comparée).

a) L’histoire littéraire au sens large doit s’attacher à l’histoire des formes littéraires, à celle des formes bibliologiques et documentaires, à celle du contenu des œuvres. Elle comprend d’après les œuvres l’histoire des idées, celle du sentiment et aussi celle de l’action.[4]

b) L’histoire de la littérature. — Demogeot (Histoire de la Littérature française) a défini ainsi cette histoire :

« Ce n’est pas seulement des écrivains, des artistes de langage plus ou moins habiles que nous cherchons dans cette longue revue littéraire ; c’est l’élite des esprits de chaque tempe, les représentants intellectuels de la nation. Toute pensée dont une époque a vécu, toute idée qui a servi de flambeau à une génération se trouvent nécessairement reproduites pour nous sous sa forme privilégiée. Envisagée ainsi l’histoire de la littérature française est donc l’histoire même de l’homme sur une grande échelle, une étude de psychologie sur le genre humain. Nous suivons avec une religieuse émotion la grande biographie de cet individu immortel qui, comme dit Pascal, vit toujours et apprend sans cesse. Chaque époque littéraire est un des moments de sa pensée, chaque œuvre une des vues de son esprit, ou un des battements de son cœur. »

c) La littérature naît, fleurit et meurt. Les œuvres correspondent à la sensibilité, aux goûts, à la compréhension d’une époque, d’un moment, puis elles deviennent périmées, elles passent, elles tombent dans l’oubli. De-ci de-là l’une d’elles survit ou ressuscite, c’est le chef-d œuvre ou l’œuvre qualifiée telle et qui va s’ajouter au trésor des siècles.

d) Les Histoires de la Littérature constituent pour les œuvres littéraires les inventaires choisis, classés et critiques les mieux établis.

« Le critique s’arrête seulement aux œuvres littéraires, c’est-à-dire aux idées, sentiments, expériences, rêves, que l’art a revêtu d’éternité. De plus en plus la littérature circonscrit son domaine à l’étude du cœur humain. »

(Lanson. Histoire de la Littérature française, p. 1411.)

e) Les traités de littérature, même les mieux enrichis de citations traduites plus ou moins fidèlement, ne font connaître les œuvres que bien vaguement. Le seul moyen de les estimer à leur juste valeur consiste à se reporter à leurs textes originaux.

f) Il est presque impossible de comparer les différentes littératures entr’elles au point de vue de leur valeur respective ; car, sans parler des préférences possibles, il est peu de gens à qui plus de deux ou trois littératures soient familières.

g) De nombreux et puissante facteurs agissent pour donner à la littérature le même caractère universel qu’ont revêtu la science et la civilisation elle-même. (La littérature et l’internationalisation.)

4. Littérature orale. Tradition.

a) La tradition est la transmission orale de récits vrais ou faux, faite de bouche en bouche et pendant un long espace de temps. Elle est la mémoire de l’Humanité (Gabriel), le lien du présent avec le passé (Lacordaire), le point de départ de toute spéculation sur l’avenir (Proudhon). Il y a des traditions historiques conservées dans la mémoire par des récits épiques ; des traditions mythiques, produits spontanés de l’imagination interprétant à sa manière la nature et ses phénomènes, des traditions remontant aux origines même de l’humanité, mais obscurcies et altérées. Bien des nations, n’ayant pas le livre, ont été réduites à confier à la mémoire seule leurs lois et leurs poèmes.

b) La littérature parlée fut à l’origine ; elle s’est poursuivie à travers l’antiquité et le moyen âge ; elle se perfectionne encore aujourd’hui. Il y a un siècle les frères Grimm ont recueilli la collection des contes populaires allemands. Les conteurs, véritables artistes oraux, possèdent le don inné du détail et cette saveur précieuse capable d’entraîner l’auditeur.

La littérature orale existe encore aujourd’hui. Par ex. celle des Bantonos du Congo Belge. Les idiomes y sont multiples. Les apologies et les contes de la brousse remontent à de très lointaines origines. Leur langue est pleine d’ordre, et de méthode. Dans leurs contes s’affirment des concordances avec ceux des Égyptiens et d’autres peuples civilisés.[5]

5. La matière littéraire.

a) La matière littéraire comme la matière scientifique (toutes deux alimentant la matière bibliologique) va en se développant et en s’amplifiant.

Toute l’histoire littéraire en démontre la lente élaboration. Elle n’offre que bien rarement l’exemple d’une élaboration spontanée.

b) « Le génie classique a eu ses grandes beautés, mais on peut le critiquer de n’avoir pas châtié les vices et les crimes des dieux et des rois, en leur prêtant une noblesse de langage qui ne correspond guère à la bassesse de leurs sentiments. Le romantisme a opposé le grotesque au sublime, la laideur à la beauté, l’intérêt personnel à l’altruisme et il a donné aux crimes et aux vices humains, une place souvent excessive. Le nouveau genre littéraire devra s’imposer l’auguste mission de fouiller dans les replis les plus profonds de l’âme pour nous révéler toutes les nuances, toutes les délicatesses des qualités et des vertus humaines. Avec une maîtrise qui non seulement surmontera tous les dangers de la monotonie, mais encore en fera ressortir l’incomparable valeur morale, soutien de la beauté littéraire parvenue à son plus haut apogée. »

c) Prospérité ou crise, ordre ou révolution, guerre ou paix, les œuvres littéraires jaillissent intarissablement. Voici la nouvelle littérature russe. Dans la préface de « La Défaite » par Alex. Fedeev (Éditions Sociales internationales), Maurice Parijanine écrit : « Notre littérature prolétarienne a une tâche essentielle : celle de montrer comment, dans l’atmosphère d’une grande révolution sociale, le « vieil homme » quelles que soient ses origines, réagit aux événements, comment se forme l’homme d’un nouvel âge, qui appartiendra corps et âme à la collectivité, qui sera membre actif et utile dans un état socialiste… »

Et l’on voit des œuvres comme « Nous autres » de Zamiatin décrire l’antagonisme, dans un univers caractérisé par la mécanisation à outrance, entre la raison et l’imagination, l’ordre établi et l’attrait subversif de la révolution, entre l’individualisme et la soumission complète à la collectivité, entre la notion de bien, représentant tout ce qui est admis et la notion de mal représentant tout ce que l’homme étouffe de lui-même.

d) La littérature contemporaine a été tour à tour romantique, idéaliste, parnassienne, réaliste, symboliste, éprise d’idées internationalistes.

Deux grands courants traversent la littérature actuelle : 1o ceux qui proclament la littérature pour la littérature ; 2o ceux qui disent : Littérature veut dire vie exaltée, vie consolée. Le métier fait la pensée de l’écrivain, comme la pensée fait le métier. Âme, cœur, intelligence, doivent être unis dans tout acte, à toute minute de la journée. N’écrire qu’avec la main qui agit.

6. Genres littéraires.

a) Il y a une multitude de genres littéraires.

Lors de la lutte des classiques et des romantiques, un académicien disait en 1824 : « Les genres ont été reconnus et fixés, on ne peut en changer la nature ni en augmenter le nombre ».

Dumas Père recevait Madame Bovary de Flaubert et écrivait : « Si c’est bon cela, tout ce que nous écrivons depuis 1830, ça ne vaut rien. »

En fait, entre les différents genres littéraires, il n’y a pas eu de solution de continuité. Au moyen âge, l’histoire était mêlée de roman et le roman de l’histoire.

En littérature, on a inventé des genres nouveaux et on en invente encore : tel le genre opérette inventé sous le second empire.

b) Les mêmes formes, les mêmes idées à exprimer peuvent donner lieu à vingt formes différentes. Contes philosophiques, dialogues, discours, conférences, rêveries, théâtre. « Tout livre qui a exercé son influence sur le mouvement de la société a eu son allure propre qui ne permet guère de le classer. Qu’est-ce Don Quichotte, et Pantagruel, et Faust ? » (M. Barrès.)

En tant que forme d’un même fond littéraire, et selon l’ordre chronologique d’apparition, la pensée est exprimée la première par le roman ; le théâtre a habituellement un retard.

c) Description. — Dans une description, il n’y a pas d’action ou du moins d’action unique. L’ordre des parties est facultatif.

Il faut savoir répartir les détails en quelques groupes nettement séparés, afin de donner à la description toute la clarté désirable. Pour cela une vue générale de l’objet à décrire est souvent nécessaire. On indique ensuite les différents points qu’on traitera et l’on développe ceux-ci l’un après l’autre. Quand on visite un monument, il ne suffit pas de visiter successivement toutes les parties, il faut y jeter un coup d’œil d’ensemble.

La description comprend le tableau et le portrait. Le tableau est une description dont le titre conviendrait également à l’œuvre d’un peintre et qui ne renferme pas autre chose que ce que l’artiste pourrait fixer sur la toile. C’est une description destinée à remplacer le tableau qu’on n’a pas sous les yeux. Le portrait est une description physique et morale.

d) Narration. — En rhétorique, c’est la partie du discours qui comprend le récit des faits : l’exposition la précède et la confirmation la suit. On distingue la narration oratoire de la narration historique et de la narration poétique. Celle-ci est laissée à l’imagination du poète.

La narration historique, au contraire, doit exprimer l’exacte vérité ; quant à la narration oratoire elle s’accommode au discours et expose les faits sous le jour le plus favorable à la cause. On cite Démosthène, Cicéron, Bossuet, comme ayant excellé dans ce genre. On étend aussi le nom de narration à toutes sortes de récits et d’exercices littéraires par lesquels les humanistes se préparent à suivre les cours de rhétorique.

c) Conte. — On comprend, sous ce nom, tout un genre de littérature, en prose ou en vers, qui a été cultivé très anciennement et chez divers peuples. L’Asie nous a donné : les Contes indiens de Bidpay, qui vivait, dit-on, deux mille ans avant J.-C. ; les Fables Milésiennes d’Aristide de Milet, regardées comme la source du roman grec ; les Mille et une Nuits de Saadi, poète persan. L’Occident a eu : les contes chevaleresques et les romans de nos trouvères ; les contes de fées (Chaperon rouge, Petit Poucet, Peau d’âne, Barbe bleue) ; les contes-nouvelles (Decaméron et Heptaméron) ; bref, les contes de toutes sortes : fantastiques, philosophiques, moraux.

f) Épopée. — La Divine Comédie n’est pas une création subite, le sublime caprice d’un artiste divinement doué. Elle se rattache au contraire à tout un cycle antérieur, à une pensée permanente qu’on voit se reproduire périodiquement dans les âges précédents ; pensée uniforme d’abord, qui se dégage peu à peu, qui s’essaye diversement à travers les siècles, jusqu’à ce qu’un homme s’en empare et la fixe définitivement dans un chef-d’œuvre.

(C. Labitte.)

g) Mythe. — Il diffère de l’allégorie et la fable en ce qu’il est moins une création des poètes qu’un produit spontané de l’imagination populaire. Le mythe joue un grand rôle à l’origine des religions qui tombèrent dans le polythéisme et l’anthropomorphisme, comme celles de l’Inde et de la Grèce (la Mythologie). Souvent il traduit des faits historiques, embellis par la reconnaissance ou l’admiration populaire ; ainsi les mythes de Jupiter, de Janus, etc., qui paraissent avoir été d’anciens rois ; d’autres fois il exprime de grands phénomènes naturels, comme la lutte du jour et de la nuit, le désordre des éléments pendant la tempête, la foudre, les tremblements de terre ; d’autres fois, enfin, il porte avec lui un sens moral : ainsi le mythe de Prométhée, celui de Pandore.

h) Littérature érotique, pornographique. — Elle s’est signalée autrefois par sa truculence ou sa courtoisie, ses prétentions philosophiques ou son mépris de tout spiritualisme ; aujourd’hui elle est marquée du signe de la ruse intellectuelle, sa caractéristique n’est ni dans la complaisance, ni dans l’audace, ni dans le réalisme, mais dans la vogue de l’anormal, du morbide et du malsain.[6]

« Mettre tant de descriptions, tant de scènes, tant de recettes de péchés mortels, sous les yeux de jeunes gens effervescents, sous les yeux de jeunes filles que leur maman a déjà mille peines à empêcher de jouir des apéritifs défendus avant le mariage, ou des époux qui s’ennuient d’être toujours en tête à tête avec le même partenaire, les documenter comme on fait, les enflammer, les exciter, augmenter la force explosive, diminuer leur force de résistance, dérégler ne fût-ce que pour quelques heures, mais on ne sait jamais le frein de leur conscience ; cela, ce n’est pas bien du tout, c’est même très mal, surtout de la part d’un homme qui professe le respect de la morale chrétienne et qui reconnaît qu’il y a lieu d’obéir aux 6e et 9e commandements de Dieu. Luxurieux point ne seras, de corps ni de consentement. L’œuvre de chair ne désireras qu’en mariage seulement. » (L’abbé Englebert sur les Bacchantes de Daudet, mises à l’index. Revue Catholique, des idées et des fats. 1932.04.15, p. 114.)

i) Livres futiles. — Il n’est de composition futile ni ridicule qui n’ait été faite. Des œuvres littéraires existent dont les auteurs ont omis à dessein une lettre de l’alphabet (lipogrammatique). Pindare composa déjà une ode qui était dépourvue de la lettre S. Nestor de Laranda, contemporain de l’empereur Sévère, fit une Illiade en 24 chants dont le premier était sans A, le second sans B et ainsi des autres. Le moyen âge a vu naître quelques ouvrages de cette nature où des Italiens modernes ont aussi excellé.

j) En dehors de tous les genres, il en est deux qui partagent tous les autres : le genre ennuyeux et le genre intéressant.

7. Poésie.

a) De l’inspiration naquit la poésie, ce langage des dieux. Il serait injuste de ne voir dans la poésie et dans la prose qu’une distinction fondée dans la mesure, la cadence et l’observation des autres règles poétiques. Ces deux formes de la parole répondent surtout à deux manières bien différentes de sentir et d’exprimer le vrai et le beau. Combien de versificateurs laborieux, dit E. Blanc (Dictionnaire Universel de la Pensée), qui n’ont pu jamais se dégager de la prose, tandis que des prosateurs mieux doués s’élevaient sans effort et sans prétention à une sublime poésie ! Il y a deux tendances qui sollicitent inégalement toutes les âmes. Les uns charmés par les tableaux de leur imagination, émus du pressentiment de l’infini et de l’expectative d’une révélation suprême, cherchent des horizons nouveaux, comme ces hardis navigateurs à qui l’ancien monde ne suffisait plus. La terre, malgré son immensité, leur paraît trop étroite ; ils aspirent sans cesse à une vie supérieure, idéale, où les spectacles de leur imagination et les conceptions enchanteresses de leur esprit ne seraient plus de vains rêves. C’est parmi eux qu’il faut chercher les poètes. Il en est d’autres, au contraire, que l’imagination ne séduira jamais, et que les possibilités entrevues ne sauraient distraire du fait qui vient de s’accomplir ou qui se prépare. Sans danger de tomber jamais au-dessous de la réalité, comme aussi sans espoir de s’élever au-dessus, ils suivent une voie uniforme, non sans mérites et sans honneur. C’est parmi eux qu’on choisira plus d’un esprit judicieux et ferme. Mais qu’ils renoncent à l’espoir d’être jamais poètes. Heureux celui en qui l’imagination la plus vive s’allierait à la raison la plus ferme et la mieux éclairée. Mais qui peut hériter en même temps de toute la verve des poètes et de toute la raison des philosophes, succéder à Homère en même temps qu’à Aristote, écrire l’Illiade en même temps que la Métaphysique ?

b) Genres. — Il y a plusieurs genres de poésie. Au point de vue du but que poursuit le poète, et de la forme qu’il choisit, on distingue les poésies lyrique, épique ou héroïque, dramatique, didactique ou philosophique, élégiaque, pastorale ou bucolique, érotique, satirique, la poésie descriptive (très pratiquée au XVIIIe siècle). Selon les matières ou selon la façon dont elles sont traitées, la poésie est dite sacrée ou profane, sérieuse ou légère, badine, etc. Au point de vue du rythme et de la mesure, la poésie est dite rhytmique ou métrique. Dans la première, on observe la cadence et le nombre de syllabes, mais non leur quantité, car elles sont toutes réputées égales : telle est la poésie moderne en général et celle aussi des Orientaux. Au contraire, la poésie métrique repose sur la quantité des syllabes, dont les unes sont brèves et les autres longues : ainsi, la poésie grecque, latine, allemande (v. les Histoires de la Littérature et les Traités de Poésie).

La poésie lyrique est le plus élevé de tous les genres en poésie, celui qui exprime le mieux l’enthousiasme et réclame le plus d’inspiration, ainsi nommé parce qu’elle se chantait sur la lyre. Il comprend l’ode et ses diverses formes : dithyrambe, hymne, cantique, cantate, etc. On l’étend aussi à la ballade, la chanson, l’élégie, le sonnet et même aux opéras et aux drames destinés à être chantés. On trouve, dans la Bible, d’admirables modèles de poésie lyrique (psaumes, cantiques de Moïse, etc.). Les lyriques grecs, et en particulier Pindare, ont brillé aussi aux premiers rangs. Parmi les Romains, on trouve Horace et Catulle. La poésie liturgique très riche, renferme des loyaux. Le moyen âge eut les œuvres de ses troubadours.

c) Phases. — On distingue trois phases dans la création poétique : l’univers fournit au poète son innombrable matière et une ébauche de forme que l’esprit élabore et achève ; la seconde phase consiste dans cette transformation et purification spirituelle ; la troisième évolue, du point de vue humain, les objets poétiques ainsi créés. S’en tenir aux fins esthétiques, c’est prendre le poète pour tout l’homme, adorer des idoles et s’exposer à mourir d’inanition dans un musée encombré de chefs-d’œuvre. Poète est maître chez soi : dans l’acte de construire ses poèmes, il est seul juge de ses moyens et de ses fins propres. Mais la maison du poète n’est pas l’univers : ses œuvres font partie intégrante de l’avoir humain, elles sont utiles à la cité et à la civilisation. Le poète se sépare de l’homme pour travailler, mais se subordonne à l’humanité pour la servir.[7]

d) Objet. — La poésie exprime deux choses : 1° des idées ; 2° des sentiments. Et très souvent les deux sont amalgamés.

La poésie a ou peut avoir sa forme, sa couleur, sa musique et en outre elle dispose du verbe sans lequel tout le reste est forcément un peu vague et qui ajoute à toutes les autres qualités la lumière de l’esprit et la splendeur du vrai. (Paul Souday.)

Être poète c’est avoir le don de l’Image, du Rythme, de l’Émotion, de la Musicalité, de l’Évocation. (Ed. Picard.)

Toutes les méditations du poète sont des extases et tous les rêves sont des visions.

e) Le souci métaphysique. — À la poésie, expression de la vie spirituelle des peuples, on a donné comme fin l’expression de l’humain, le souci métaphysique ou le jeu gratuit. On peut se demander si la poésie moderne a une tendance générale ou si au contraire elle manque de direction, si elle est vivante ou morte, comme certains le prétendent ; s’il y a avantage ou non aux échanges réciproques entre poésies de divers peuples, notamment entre la poésie occidentale et la poésie orientale ; s’il y a lieu à la liberté des vers ou au retour à des formes rigoureuses.

Pour certains artistes, l’acte de création littéraire, c’est prendre conscience des choses de l’univers en leur vérité, leur nudité originelle, à renaître avec elles, à les recréer en esprit après Dieu. « Je suis l’Inspecteur de la création, dit Claudel, le Vérificateur de la prose présente, la Solidité de ce monde est la matière de ma béatitude. (Art Poétique.) Dans les œuvres littéraires, la poésie a construit une métaphysique du cœur. Dans la création imaginaire, le récit objectif semble avoir pour fonction de manifester une métaphysique de l’intelligence. L’art dramatique, la tragédie surtout, une métaphysique de la volonté.

La poétique est l’aspiration vers l’infini. (A. Delacour)

f) Le vers. — Aux époques primitives, où l’écriture était ignorée ou peu répandue, on eut recours aux formes synchroniques et régulières de la poésie pour faire entrer plus facilement les préceptes dans l’esprit populaire. (Un Hésiode qui ne parle guère que par aphorismes.)

g) Historique. — On a distingué trois périodes dans l’histoire du vers. 1° Période physique où l’homme traduit d’une façon purement émotive ce qu’il ressent. Dans un état d’émotion, les battements du cœur et la tension des nerfs s’expriment sous une forme rythmique. 2° Période physico-mécano-intellectuelle, au cours de laquelle le rythme se confond avec la technique du vers. Ainsi, ne pouvant adopter ni le système greco-romain (quantitatif, qualitatif), ni le système germanique (accentuel), les Français ont compté les syllabes et le rythme consiste a observer des règles numériques. 3° La période intellectuelle ou psychologique ou révolutionnaire, l’individu suit ses tendances naturelles, ses inclinaisons, ses émotions. Certaines expériences de laboratoire tendent à faire penser que le vers nouveau français est basé sur des accents, voir même sur des quantités.[8]

h) La mise en pages. — Ordinairement la mise en pages des vers est la figure visible du rythme. Dans certaines éditions de poésies françaises, les vers ne sont pas alignés selon le nombre de syllabes, mais selon leur longueur apparente, qui n’a aucune valeur métrique et dépend du hasard des mots et de l’orthographe. (Ex. Édition de Fleurs du mal, 1917. Édition de Verhaeren par la Société littéraire de France.) Les vers libristes ont adopté une troisième méthode qui consiste à mettre tous les vers sans distinction sur la même ligne.

Paul Fort, qui écrit des vers réguliers, les imprime d’un seul tenant, sans aller à la ligne, comme de la prose.

i) La forme poétique. — Le poème, par toutes les complications de rythme, de césure, d’allitérations et de rimes qu’il suppose est la forme supérieure de création spirituelle, car « la matière de la pensée, c’est le langage qui est pour elles ce que les machines sont pour le feu qui ne devient utile que lorsqu’il est engagé et emprisonné en elles ». (Rageot.)

j) Prosodie musicale. — Le rythme joue dans le langage un rôle important. Dans certaines langues, lu signification d’un mot se modifie suivant l’emplacement de l’accent. Le langage lui-même peut être considéré comme une musique inorganique, étant fécond en modèles rythmiques et contenant dans ses inflexions une mélodie latente. Dans la poésie, les modèles rythmiques du langage s’organisent en rythmes véritables par l’alternance des syllabes accentuées et non accentuées, ou simplement par leur association en groupes réguliers. Le rythme poétique peut être comparé au rythme musical, mais ses combinaisons sont infiniment moins nombreuses. Il existe deux genres de poésie : 1° la poésie qualitative fondée sur la qualité. C’est celle des langues classiques, grecque et latine, et des langues germaniques. Ces langues étant fortement rythmées et les syllabes fortes ou faibles, ou longues et brèves, par conséquent fort distinctes l’une de l’autre, celles-ci sont disposées d’après des modèles rythmiques réguliers, maintenus d’un bout à l’autre de la pièce. 2° La poésie quantitative, fondée surtout sur la quantité des syllabes. C’est celle de la langue française qui n’est pas rythmée mais accentuée seulement. C’est en vain que des poètes humanistes de la Renaissance avec Baif tentèrent d’y adapter des rythmes antiques. (E. Closson.)

k) Surréalisme. — Le surréalisme a fait la critique de la poésie-raison ; il a montré que la poésie était activité libre de l’esprit et que cette activité ne pouvait être dirigée par la raison qui représente nos acquisitions passées et les fige ; la raison qui exprime les étapes parcourues de la science ne doit pas même servir à marquer celles de l’art ; c’est dans une association libre et non dans une idée définie que doit se marquer le temps d’arrêt où la pensée se pose, ne fixe sur les mots. Une image ? Non, pas nécessairement une image, un rapprochement des choses les plus imprévues possible et qui est pourtant connu tout de suite comme essentiel. « J’ai tendu des guirlandes d’étoile à étoile et |*ai dansé ». dit Rimbaud.[9]

l) La poésie scientifique. — Des poètes ont accepté une mission qui à travers les âges a été en s’amplifiant. Ils n’ont pas séparé la pensée de la forme, mais de leur verbe magnifique ils ont approché de la science attachée aux idées, travaillant à la découverte de l’Univers et de nos destinées. Cette science, ils ont commencé a la connaître de l’extérieur, et puis de plus en plus de l’intérieur. Ils vont à l’interroger sur les inconnues universelles et nous-mêmes, lui demandant des émotions, des enthousiasmes, ou de poignantes appréhensions. La vraie poésie scientifique est atteinte lorsque le poète a pénétré dans la science et ainsi est devenu le centre vibratoire conscient et émis de la connaissance scientifique. Cette poésie léguée de l’Inde à la Grèce, à Lucrèce, entrevue au moyen âge, est représentée plus près de nous par Chenier, Delille, Leconte de Lisle, Richepin, Sully Prudhomme, par Verhaeren, par René Ghil. Tous ils composèrent une œuvre unique, s’emparèrent des hypothèses savantes et se montrèrent dans la zone de la philosophie voisine avec la science et firent sortir directement l’émotion, ajoutant parfois de nouvelles hypothèses en vue de multiplier les rapports vers des nœuds de synthèse pour mieux scruter les ténèbres qui nous entourent.[10]

8. Le Roman.

a) Le roman demeure un genre immense.

On estime que la presse quotidienne publie 50,000 romans par an dont 95 % sont fournis par les « fabriques de romans ».

b) Des romanciers s’efforcent de nous intéresser par la nouveauté ou le savant embrouillement de leurs intrigues. D’autres plus fins nous proposent des études psychologiques ou de mœurs. Il en est qui ont pour but de créer une atmosphère et d’obliger le lecteur à y entrer. Le roman idéal combinerait les trois genres : nourri d’une forte intrigue, il serait aussi un document psychologique ou social et baignerait en outre dans une atmosphère d’une densité, d’un pouvoir de suggestion particulier. (Georges Remy.)

c) Le roman a été jugé avec sévérité.

Production d’un esprit faible, écrivant avec facilité des choses indignes d’être lues par des esprits sérieux. (Voltaire.)

Le roman, genre détestable car il permet de ne pas conclure. La société étant faite d’hommes et de manants, d’ignorants et de savants, décrire ce qui est, c’est parler à la fois des uns et des autres avec une égale sympathie.

d) « Tout futile qu’il soit, un roman a beaucoup plus de chance qu’une œuvre doctrinale de refléter une conception collective. Nul public ne lit un roman qui lui déplaît. On peut dire que le succès d’un roman qui a laissé quelques traces dans l’histoire est astreint à une double condition. D’abord il faut qu’aux yeux d’un large public il ait exprimé la vie d’une époque ; mieux encore que sa vérité, sa ressemblance, c’est-à-dire une sorte de synthèse de la réalité et de l’idéal ; la combinaison complexe de ce que cette époque ou cette nation ont été en fait, et de ce qu’elles se sont cru être, ou de ce qu’elles ont voulu être ou paraître. Car c’est dans ces conditions complexes qu’une société se reconnaît dans une œuvre et l’adopte ; on l’appellera justement « l’expression de cette société » en ce sens là, mais en ce sens là seulement, qui n’est pas toujours bien compris. Par là le roman est un livre représentatif (A. et C. Lallo. La guerre et la paix dans les romans français. Mercure de France, I.VII.1917.)

9. Littérature et science.

a) Pour certaine le dessein essentiel du roman doit être d’ordre philosophique et scientifique. Taine met sur le même pied le romancier, l’historien et le savant et les invite tous trois à collaborer à « la grande enquête sur l’homme ». Le romancier, dit Louis Barras, doit être un historien et surtout un philosophe et un savant. Pour lui, le roman sentimental, romanesque, faussement historique a fait son temps ; il doit céder le pas au roman logique, psychologique, philosophique et scientifique, écrit avec une méthode rigoureuse et bonne d’observation, qui décrit les mouvements du cœur humain et dont nous retirons enseignement et direction. Car le roman dans sa forme la plus haute, c’est de la vie sous ses aspects multiples, observée et mise dans un livre par le travail de l’art.

Dans La Vie en Fleur, Anatole France a écrit : « Les sciences séparées des lettres demeurent machinales et brutes ; et les lettres privées des sciences sont creuses, car la science est la substance des lettres ». L’union de la littérature contemporaine avec la science demeure intime, car sans vérité une œuvre ne saurait durer. (Paul Voivenel.) Des savants ont eu une grande culture littéraire associée à la forte culture scientifique, non seulement livresque mais vécue. Paré, Palisay, Cabanis, Cuvier, Laplace, Lacépède, Volney sont de grands savants et de grands écrivains. Pour le poète, toute rencontre, tout événement n’a de valeur qu’autant qu’ils lui fournissent une matière verbale.[11] Pour le savant, au contraire, cette rencontre fournit matière théorique.

b) Dans un livre scientifique, à l’opposé d’une œuvre littéraire, les idées ne sont pas noyées dans une phraséologie compliquée. On y gagne en clarté, en précision. Les faits restent eux-mêmes, sèchement, froidement avec leur valeur propre intrinsèque et exacte. Lee contemporains accordent au fond une révérence que les prédécesseurs accordaient à la forme. Mais, a-t-on répondu, l’imprécision dans l’exposé des idées est un charme pour le cœur. On a distingué les harmonies du langage humain fondées sur la raison et non sur l’esthétique. Ce qui est trop précis ne satisfait pas l’esthétique, élément de la littérature, et entre par là même dans le cadre de la science. Ce qui est trop dispersé ne répond pas à la fixation nécessaire à une observation scientifique.

c) Le style nouveau est le style de la simplification. Le modernisme se traduit essentiellement par cette formule : l’adaptation rigoureuse de l’objet à sa destination est génératrice de beauté, tout au moins d’eurythmie. (L. Van der Swaelmen.)

Le style c’est l’empreinte sur la tradition de la vie elle-même, consciente seulement de créer.

Les mots, les phrases qu’ils forment, les livres dont ils sont composés, sont en quelque sorte les « prisons » des idées. Formuler exactement celles-ci, voilà le grand problème de toute rédaction, partant de toute documentation. La lettre tue, l’esprit vivifie. L’esprit, la pensée doit donc être tenue comme première et primordiale, tandis que la lettre écrite doit apparaître comme son approximation plus ou moins proche.

  1. Muller-Lyer. — Phasen der Kultur. The History of Social development a mis en œuvre cette méthode en sociologie, notamment en économie.
  2. Curtius. — Essai sur la France, Paris, Grasset 1932.
  3. Verest, J. (S. J.). — Manuel de Littérature. Principes. Faits généraux. Lois. 3e édition. 676 p.
  4. Ex. : Histoire du sentiment religieux en France, par l’abbé Brémond.
  5. G. D. Périer. — Musée du Livre : Exposition du livre colonial. Octobre 1931.
  6. Raoul Derwere. — « L’érotisme dans la littérature moderne ». La Revue nationale. Bruxelles. 15 avril 1933.

    La Société des Nations a organisé une enquête par rapports annuels sur les publications obscènes (livres, images, photographies, périodiques, films, cartes et cartes postales). Les questions s’inspirent de l’accord de 1910 et de la convention internationale de 1923.

  7. Victor Bindel. — « La mission de Claudel ». Revue catholique des idées et des faits. 1933.05.12.
  8. Thieme, H. P. — Essai sur la civilisation française. 1933.
  9. André Deléage. — L’Internationale de l’Art. Esprit. 1932. p. 155.
  10. E. A. Fusil. — La poésie scientifique, de 1750 à nos jours (édition Scientia, 87, boul. St-Germain. Paris). Article à ce sujet par René Ghil dans Les Cahiers Idéalistes français, juillet 1918, p. 178.
  11. Maïokovski. Comment on fait un poème. Europe, 15 juillet 1933.