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Traité de la législation relative aux cadavres/Texte entier

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Traité
de la
législation relative aux cadavres

Des inhumations
des lieux de sépulture. — des exhumations
des violations de tombeaux

Ouvrage contenant le commentaire de la loi du 14 novembre 1881 et de la nouvelle loi municipale, du projet de loi Chevandier sur la liberté des funérailles et du projet de la loi tendant à enlever aux fabriques et consistoires une partie du monopole des pompes funèbres.
Par Auguste CHAREYRE.
Avocat
Docteur en droit.

PARIS
L. LAROSE ET FORCEL
Libraires-Éditeurs
22, rue soufflot, 22

1884

INTRODUCTION


À aucune époque, dans aucun pays, ce qui a trait au respect dû aux morts, aux sépultures, aux mesures d’hygiène qu’il convient de prendre après le décès d’un individu, n’a pu rester indifférent à l’autorité religieuse ou civile entre les mains de laquelle se trouvait placée la garde des grands intérêts sociaux. Ces questions sont d’une importance extrême : complexes dans leurs termes, elles réclament dans leur solution des tempéraments nombreux, et c’est surtout en ces matières délicates qu’on peut dire avec raison que les lois ne valent que par la manière dont elles sont appliquées.

Si, soucieux de sa mission, sentant combien la vigueur d’un tel sentiment, base de l’esprit de famille et des grandes traditions, importe à la santé morale des peuples, le pouvoir social accorde au culte des morts sa sympathie la plus éclairée, sa protection la plus large, il doit cependant veiller à ce que l’ordre public ne souffre pas des manifestations extérieures de cette piété ; s’il permet à la forme des funérailles la plus grande liberté, il ne doit pas tolérer que celles-ci deviennent un scandale et blessent la décence publique ou les sentiments les plus recommandâmes des citoyens. Si, respectant la liberté du défunt et même cette passion si naturelle qui fait que l’homme reporte sur un cadavre les soins et la pitié qu’il avait pour une personne aimée, le législateur permet au défunt ou aux survivants de disposer, en quelque sorte, du corps en indiquant le lieu de la sépulture, les conditions de l’inhumation, il ne doit pas oublier les grandes règles de l’hygiène, et son devoir est d’imposer à la volonté des particuliers des limites, des conditions dont il ne leur sera pas loisible de s’écarter. Si enfin, prenant en considération ce sentiment qui pousse les familles à se recueillir au décès d’un de leurs proches, et à ne souffrir qu’avec peine les formalités les plus simples, le législateur s’efforce de ne pas imposer des mesures qui, pour avoir leur utilité, n’en seraient pas moins odieuses, il doit cependant, dans un haut intérêt de justice, ne pas permettre qu’à l’ombre de cette religion on puisse dissimuler un crime.

Cette revue incomplète nous montre sur combien de points délicats le devoir de l’autorité sociale se trouve en contact avec les droits des particuliers, et comme il doit être malaisé parfois de trouver une juste conciliation entre des intérêts trop souvent opposés. Si on accorde trop à la liberté des particuliers, l’hygiène du pays en souffre, et quelquefois aussi sa morale ; si on fait la part trop large aux pouvoirs de l’autorité, il en résulte trop souvent des froissements de mœurs et d’habitudes, qui, en cette matière pieuse plus que partout ailleurs, ne vont pas sans quelque révolte de l’opinion publique ou sans quelque affaiblissement de ce culte des morts dont nous indiquions plus haut d’un mot l’importance sociale.

On peut dire généralement qu’à l’origine des sociétés, tout ce qui touche aux cérémonies mortuaires, aux sépultures, au culte des morts était du domaine exclusif de la religion confondue, avec l’État. Et il faut convenir, sans regretter outre mesure l’esprit des temps anciens, que, par la force et la nature de l’autorité dont elle dispose, la religion, est plus à même que le pouvoir civil d’imposer, aux mœurs et à la liberté des citoyens, avec moins de peine et des froissements moindres, certaines contraintes que commande avant tout la préoccupation de la salubrité publique. C’est ce qui s’est produit notamment pour la religion juive, qui a su imposer au peuple qui la suivait des pratiques mortuaires qu’une pensée d’hygiène a seule dictée à ses fondateurs. Ajoutons que d’autres religions n’ont pas été aussi heureusement inspirées, par exemple celle de Mahomet, en ce qui a trait aux sépultures des croyants.

Quoi qu’il en soit, une fois que l’État a eu conquis son indépendance et revendiqué avec succès contre l’Église la garde des grands intérêts matériels et moraux de la nation, un départ d’attributions s’est forcément imposé en cette matière entre l’autorité religieuse, et l’autorité civile : celle-là prêtant son concours aux funérailles de ceux qui suivent la religion, sous la condition de respecter les s lois de police générale et la liberté de conscience des citoyens. Ces rapports entre l’Église, l’État et les particuliers ont soulevé des questions intéressantes et tout aussi délicates que celles d’un autre ordre que nous indiquions plus haut.

Nous nous proposons d’étudier les diverses mesures prescrites par la loi ou prises par l’administration en vue de constater les décès, d’empêcher les inhumations précipitées, de prévenir les fraudes coupables qui auraient pour but de cacher à la justice les traces d’un crime. Nous examinerons ensuite dans leurs rapports respectifs les droits de l’administration, de l’autorité religieuse et des particuliers en ce qui concerne le choix, le mode des funérailles et la police des convois. Nous nous attacherons spécialement à la législation relative aux lieux de sépulture, qui soulève encore aujourd’hui des controverses juridiques du plus grand intérêt ; nous nous demanderons quelle est la nature et quelle est l’étendue des droits des concessionnaires de terrains dans les cimetières publics. Enfin, après avoir exposé les règles des exhumations et parlé du droit de police des diverses autorités administratives sur les cimetières, nous étudierons les sanctions pénales établies contre les actes graves que la loi qualifie violations de tombeaux ou de sépultures.

Tel est, dans ses grandes lignes, le cadre de l’étude que nous avons entreprise. Nous nous efforcerons surtout de donner aux questions d’ordre purement juridique l’attention qu’elles méritent et les développements qu’elles comportent.


CHAPITRE I

Des formalités qui doivent être accomplies entre le moment du décès et celui des funérailles

La société a le plus grand intérêt à être avisée promptement de la mort d’un individu, à ce que cet événement ne soit point tenu secret. Il faut que la justice, s’il y a eu crime, puisse le constater ; il faut que l’administration puisse prendre les précautions nécessaires, lorsque le décès a été amené par une maladie infectieuse ou épidémique. Dans tous les cas elle doit être mise à même de veiller à l’exécution des mesures sanitaires prescrites pour que la présence d’un cadavre au milieu des vivants ou son transport ne soit point un danger. — À un autre point de vue, la mort d’un individu crée, transfère ou modifie des droits si nombreux et si considérables, qu’une constatation défectueuse de l’événement du décès amènerait le trouble le plus regrettable dans les rapports des particuliers, au grand préjudice de l’ordre social.

L’autorité est prévenue en général d’un décès par des déclarations faites à l’officier de l’état civil. (Code civil, liv. I, tit. II, chap, IV.) Il est remarquable que la loi n’ait point fixé le délai dans lequel ces déclarations doivent être faites, ni imposé formellement à aucune personne l’obligation de les faire. « Elle se borne, remarque M. Demante[1], à indiquer les personnes dont la déclaration sera de préférence admise pour fournir les éléments nécessaires à la rédaction de l’acte de décès. Le législateur a apparemment pensé que, la force des choses ne permettant pas de retarder longtemps l’inhumation, laquelle ne peut avoir lieu sans l’autorisation de l’officier de l’état civil, l’avis du décès serait nécessairement donné à ce fonctionnaire, qui ne délivrerait l’autorisation d’inhumer qu’après avoir dressé l’acte. Tel me paraît bien être en effet le vœu de la loi, et je considérerais en général comme en faute l’officier de l’état civil qui délivrerait l’autorisation d’inhumer avant la rédaction de l’acte de décès. Toutefois nous devons remarquer que la loi, sur ce point, n’est pas précise et qu’aucune peine n’est portée contre la délivrance préalable de l’autorisation, ni en général contre l’omission de l’acte de décès. Cette lacune, au reste, offre peu d’inconvénients, car les diverses personnes dont les droits sont ouverts par le décès d’une autre seront suffisamment poussées par leur intérêt à faire légalement constater le décès. »

L’acte de décès peut être défini : l’acte par lequel l’officier de l’état civil atteste qu’il a reçu de tels et tels individus la déclaration que telle personne est morte. Toutes autres indications ne devraient point y figurer, sauf toutefois celles qui ont pour but de fixer l’identité du mort et qui sont énumérées dans l’article 79 du Code civil[2]. — L’acte de décès est dressé sur la déclaration de deux personnes que la loi appelle témoins : nous concluons de cette remarque que les conditions d’âge et de sexe exigées des témoins par l’article 37 du Code civil seront exigées d’elles. La loi désigne spécialement pour faire la déclaration les proches, parents ou les proches voisins ; dans le cas où une personne sera décédée hors de son domicile, la personne chez laquelle elle sera décédée et un parent du défunt. Mais l’officier de l’état civil devrait recevoir les déclarations, de toutes autres personnes réunissant toutes les conditions de l’article 37.

En cas de mort dans une prison ou un hôpital, les administrateurs de ces établissements doivent avertir l’autorité municipale, qui dresse l’acte sur les indications à lui fournies et les renseignements qu’il a pris.

Nous ne nous occuperons pas davantage des actes de décès, lesquels doivent nous intéresser dans cette étude au seul point de vue de la connaissance qu’ils, donnent à l’autorité de l’événement d’une mort.

La deuxième obligation imposée aux particuliers en cas de décès d’un individu est celle de solliciter un permis d’inhumation. Article 77, Code civil : Aucune inhumation ne sera faite sans une autorisation ; sur papier libre et sans frais, de l’officier de l’état civil… Nous avons déjà remarqué que, par cette demande, l’administration sera forcément avisée du décès, la nature des choses ne permettant point de garder longtemps un cadavre sans l’inhumer ; et que l’officier de l’état civil ne devra, dans l’intérêt général, donner l’autorisation qu’après que l’acte de décès aura été dressé.

L’accomplissement de cette deuxième prescription de la loi, c’est la suppression des inhumations clandestines, c’est la possibilité pour l’administration de faire les constatations, de prendre les mesures et d’exercer la surveillance prescrites par les textes après le décès, au moment des funérailles et même lorsque le corps est déposé dans la terre. On comprend dès lors toute l’importance de l’article 358 du Code pénal qui édicté une sanction énergique pour le cas où l’enterrement aurait eu lieu sans permission de l’autorité : Ceux qui, sans l’autorisation préalable de l’officier de l’état civil, dans le cas où elle est prescrite, auront fait inhumer un individu décédé, seront punis de six jours à deux mois d’emprisonnement et d’une amende de seize à cinquante francs sans préjudice de la poursuite des crimes dont les auteurs de ce délit peuvent être prévenus dans cette circonstance.

Cette défense de procéder à l’inhumation sans autorisation de l’officier civil n’était point nouvelle dans nos lois. Déjà un décret du 4 thermidor an XIII avait défendu à tous maires, adjoints et membres d’administrations municipales de souffrir les transports, présentations, dépôts, inhumations des corps, ni l’ouverture des lieux de sépulture ; à toutes fabriques d’églises et consistoires ou autres, ayant droit de faire les fournitures requises pour les funérailles, de livrer lesdites fournitures ; à tous curés, desservants ou pasteurs d’aller lever aucun, corps, ou de les accompagner hors des églises et temples, qu’il ne leur apparaisse de l’autorisation donnée par l’officier de l’état civil pour l’inhumation, à peine d’être poursuivis comme contrevenants aux lois. Nous avons cité ce texte afin de pouvoir signaler les différences que sa rédaction présente avec celle de l’article 358 du Code pénal. D’une part, la sanction n’est point la même : le manquement aux prescriptions du décret de l’an XIII est puni des peines de simple police ; le délit de l’article 358 est punissable de peines plus fortes[3]. D’autre part la sanction de ce dernier article ne frappe que ceux qui ont fait inhumer ; celle du décret de thermidor s’applique à tous ceux qui ont prêté leur concours à l’inhumation. La Cour de cassation (arrêt du 27 janvier 1832) a jugé que l’article 358 ne concerne pas le prêtre qui lève les corps et les accompagne, mais le prêtre, dans ce cas, contrevient au décret du 4 thermidor an XIII et encourt la peine de l’article 471, n° 15[4]. Le curé ne peut donc pas plus prêter son ministère à une inhumation qu’à un mariage[5] avant que l’autorité civile ai rempli sa mission : les deux règles sont les conséquences d’un commun principe.

Le fait de procéder à une inhumation sans y être autorisé par l’officier de l’état Civil revêt un caractère particulièrement grave lorsque la mort a été la conséquence d’un crime ou d’un délit. Quelle qu’ait été l’intention du contrevenant (Cass., 18 avril 1845), le fait de receler ou de cacher le Cadavre d’une personne homicidée ou morte des suites de coups ou blessures est puni d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de cinquante à quatre cents francs, sans préjudice, ajoute le texte, des peines plus graves, si le contrevenant a participé au crime. Peu importe qu’il, y ait eu homicide volontaire ou simple homicide par imprudence : la Cour de cassation l’a décidé très exactement et de conformité parfaite avec l’esprit même de la loi (arrêt du 26 mai 1855). — Toute personne ayant connu les causes de la mort et ayant coopéré à l’inhumation clandestine[6], quel que soit son caractère, quelles que soient ses fonctions, un prêtre, un fossoyeur, aura commis le délit prévu par l’article (Art. 359 C. p.)

La loi défend enfin de pratiquer l’inhumation avant l’expiration de la période de vingt-quatre heures qui suit le décès : les peines portées contre les contrevenants par l’article 358 du Code pénal sont celles mêmes dont cet article punit les inhumations non autorisées[7]. Un ordre formel du maire agissant en vertu de ses pouvoirs de police dans l’intérêt de la salubrité publique, pourrait seul rendre légal un enterrement précipité.

Telles sont les prescriptions de la loi que doivent, observer les particuliers au décès d’un individu. Les règlements de police peuvent en imposer de spéciales, par exemple il sera utile de recommander qu’on ne couvre pas le visage du défunt, qu’on ne le mette pas en bière avant un délai déterminé, au moins avant la visite du médecin délégué ou de l’officier public. Ce sont des précautions qui compléteraient très utilement la loi et dont l’oubli pourrait avoir des suites effrayantes. Les contraventions à ces règlements seront punies des peines de simple police. (Pour Paris : arrêté du 27 vendémiaire an IX ; 25 janvier 1841.)

Une question grave s’est posée en pratique, que nous devons examiner rapidement : Lorsqu’il s’agit d’inhumer un enfant mort-né, les règles que nous avons énumérées doivent-elles recevoir leur application ? Si l’enfant venait toujours a terme, il n’y aurait point de difficulté ; mais il arrive fréquemment que par accident, dans un état de grossesse moins avancé, la femme mette au monde un être qu’il est assez difficile de qualifier fœtus ou enfant. Le médecin ne peut que constater que c’est par degrés insensibles que le fœtus se développe et devient être humain, sans pouvoir préciser le point où cette qualité est acquise. Dès lors exigerons-nous que l’officier de l’état civil reçoive l’aveu de toute fausse couche ? Les mœurs s’accommoderaient mal d’une pareille exigence et les termes de la loi ne nous autoriseraient pas à la maintenir. Où donc trouver un critérium ?

La Cour de cassation, dans un arrêt du 7 août 1874, modifiant sa jurisprudence antérieure, a pris pour, base de sa décision sur ce point l’article 312 du Code civil. La loi, dit-elle, a établi, en principe que la plus courte gestation était de cent quatre-vingts jours on devra donc se soumettre aux règles, des inhumations quand l’enfant vient au monde après six mois de grossesse : auparavant il y aurait un fœtus, non un enfant.

Nous reconnaissons que cette solution peut être fort sage en pratique, et nous désirons qu’elle passe dans la loi, étant de nature a donner satisfaction aux légitimes susceptibilités des familles et à permettre cependant là surveillance de l’autorité dans les cas où elle est utile. Mais en droit nous sommes d’avis que la Cour s’est écartée des principes et a fait du droit prétorien, en vérité fort utile, en étendant les présomptions de l’article 312 à des cas pour lesquels elles n’avaient point été établies. La doctrine judiciaire antérieure l’avait bien compris : de nombreuses décisions admettaient qu’il y avait ou non contravention à inhumer sans autorisation suivant que l’enfant était venu à terme ou avant terme (V. Cassation, 10 septembre 1847), point qu’une constatation médicale pouvait aisément établir dans presque tous les cas.

Nous avons dit dans quels cas l’autorité devait être avisée d’un décès, et comment elle en était avisée, Nous devons à présent étudier le rôle de l’administration, ses devoirs entre le jour de la mort et le jour de l’enterrement.

La loi impose d’abord à l’officier de l’état civil l’obligation de se transporter auprès du décédé et de s’assurer du décès. Le permis d’inhumer ne sera délivré qu’après l’accomplissement de cette formalité. (Art. 77 C. civ.)

Le but de cette disposition est facile à saisir. On a voulu, avant tout rendre pour l’avenir impossibles les inhumations de personnes qui se trouveraient seulement en état de catalepsie, ou ne seraient pas réellement mortes : de tels faits n’avaient pas été rares autrefois, et l’opinion publique s’en était si vivement émue que le législateur a dû prendre des mesures qu’il jugeait sérieuses pour en éviter le retour.

La visite de l’officier public doit encore avoir pour résultat de lui faire reconnaître s’il existe des traces de mort violente : son devoir serait alors de faire part de ses observations à la justice qui informerait ; — Enfin, la loi défend que l’inhumation ait lieu dans les vingt-quatre heures qui suivent le décès ; le maire devra s’assurer que les déclarations à lui faites de l’heure de la mort sont exactes et, d’après ses observations, fixer d’une manière rationnelle le moment où l’enterrement pourra ou devra, se faire.

Si la pensée de la loi est louable, si son but est excellent, on doit reconnaître que les voies et moyens sont bien défectueux. L’officier de l’état civil n’a pas le temps de se transporter auprès de chaque personne décédée : le fît-il, il manquerait d’autorité et de science pour accomplir la mission très délicate que la loi lui confie ; Le maire ira-t-il dans une maison amie s’armer de ses droits pour procéder à des constatations, à une inspection du corps qu’on souffrirait peut-être d’un médecin, qu’on ne souffrira jamais d’un administrateur ? Le maire peut gérer très habilement les affaires communales, et n’avoir, pas plus que ses administrés, les connaissances très spéciales nécessaires pour discerner l’état de catalepsie de l’état de mort, et pour découvrir des traces de mort violente habilement dissimulée. — En fait, que se passe-t-il ?

Dans les grandes villes, à Paris par exemple, où le le service est merveilleusement organisé, des médecins spéciaux désignés par l’officier de l’état civil, accomplissent pour lui la visite réglementaire ; ces médecins eux-mêmes sont sous la surveillance d’inspecteurs nommés par le préfet de police à Paris, lesquels s’assurent que les constatations ont été faites et l’ont été exactement. C’est sur le certificat de mort du médecin que l’acte de décès est dressé ; c’est sur les indications de ce certificat que l’officier de l’état civil donne la permission d’inhumer et fixe la date des obsèques, qu’il avertit le parquet, qu’il prend les mesures jugées nécessaires dans l’intérêt de la salubrité publique. Les rôles sont ainsi distribués à ceux qui ont qualité pour les remplir : à l’homme de l’art les constatations techniques ; à l’autorité municipale le droit de prendre des mesures dont la nécessité apparaîtrait au vu du rapport du médecin. (Arrêté du 27 vendémiaire an IX ; arrêté du 31 décembre 1821 ; du 25 janvier 1841.)

Dans beaucoup de villes moins importantes, ce sont non plus des médecins spéciaux, mais les médecins mêmes qui ont soigné le malade qui attestent le décès et en indiquent les causes dans un certificat présenté à l’officier de l’état civil. Ce magistrat se dispense, en ce cas, de faire la visite réglementaire. Ce procédé déjà incorrect, puisque, grâce à une collusion entre les médecins et les intéressés, on pourrait arriver à des résultats contraires aux vœux de la loi, est cependant en somme satisfaisant. Le médecin engage sa responsabilité, et sa complicité sera rare, devant être punie d’une façon sévère par l’article 359 du Code pénal.

Enfin dans beaucoup de communes, l’officier de l’état civil délivre les permis d’inhumer sans qu’on lui produise aucun certificat de médecins et sans qu’il se soit transporté lui-même auprès du décédé. Nous ne saurions trop regretter de semblables habitudes. Sans doute on peut dire que, le plus souvent, quand il y aura eu crime, l’opinion publique émue ou soupçonneuse avertira l’autorité qui exceptionnellement prendra des mesures ou procédera à des constatations. Mais le soin des criminels, de ceux mêmes qui ont commis des homicides par imprudence n’est-il pas précisément ; de ne pas éveiller les soupçons ? — Et, d’autre part, la visite de l’officier public a d’autres motifs ; nous les avons énumérés. La loi est trop sage pour qu’on se permette de ne pas la respecter.

Une réforme de ces coutumes fâcheuses s’impose : On ne peut songer à obliger les maires à l’accomplissement strict du devoir que leur prescrit la loi : bien peu accepteraient cette fonction en quelque sorte nouvelle et qui n’est pas, en somme, une fonction d’administrateur. Même s’ils l’acceptaient, les mœurs publiques seraient froissées et mettraient des obstacles de toute nature à l’accomplissement de leur mission.

Que faudrait-il donc ? Une chose bien simple : obliger les personnes qui sollicitent un permis d’inhumer à présenter à l’officier de l’état civil un certificat d’un homme de l’art dans, tous les cas où des médecins spéciaux choisis par l’administration ne seraient pas commis à cet effet. Ce certificat dont la forme pourrait être fixée d’une manière générale pour toute la France donnerait en outre des renseignements de statistique du plus haut intérêt[8].

Les frais de ce certificat pourraient être tarifés et pris à la charge des communes dans certains cas au moins et sous certaines conditions. — Nous savons que, pour mettre cette idée à exécution, il faudrait commencer d’abord par assurer le service médical dans tous les cantons de France ; mais c’est une réforme d’humanité qui ne peut manquer de s’imposer prochainement, étant vivement réclamée par l’opinion publique. C’est à ce moment qu’il serait utile de fixer des règles uniformes pour la constatation des décès, des règles conformes à la raison et très utiles au bon ordre[9].

Eh attendant ces réformes nécessaires, nous devons constater l’irrégularité de toute délégation donnée aujourd’hui, par l’officier de l’état civil : en pratique donc ou il y a une visite faite par une personne qui n’a pas qualité pour remplacer le maire dans cette fonction, ou il n’y a pas de visite du tout : dans tous les cas l’article 77 du Code civil est lettre morte.

Aucune sanction pénale n’est édictée contre l’officier de l’état civil qui néglige simplement de faire la visite prescrite par la loi : l’administration supérieure ne dispose aujourd’hui d’aucun moyen sérieux pour obliger les maires à remplir exactement les fonctions si importantes dont nous nous occupons actuellement, le droit de suspension ou de révocation ne pouvant pas s’exercer utilement en l’espèce.

Remarquons toutefois que si ces magistrats permettaient des inhumations avant l’expiration des vingt-quatre heures qui suivent le décès, ils seraient passibles des peines portées en l’article 538 du Code pénal contre ceux qui auraient contrevenu d’une manière quelconque à la loi et aux règlements relatifs aux inhumations précipitées. Nous n’irons pas jusqu’à dire que le maire sera en faute indistinctement toutes les fois qu’il aura permis ou ordonné une inhumation avant l’expiration des vingt-quatre heures. Il peut se faire d’abord, qu’il ait cru et qu’il ait dû croire, ayant reçu des déclarations conformes des personnes ayant entouré le défunt à ses derniers moments et s’étant transporté lui-même auprès du décédé, ou ayant donné délégation, à un médecin à cet effet, que la mort remontait à une heure plus éloignée que celle à laquelle elle se place réellement ; il peut se faire d'autre part, que les circonstances commandent de ne pas attendre l’expiration du délai légal. C’est ce qui aura lieu en temps d’épidémie par exemple : la prudence la plus élémentaire veut qu’on enterre les corps aussitôt après le décès. Ce serait nécessaire encore dans le cas où, très rapidement, le corps arriverait à un état de décomposition avancée. Dans ces hypothèses, le maire échapperait à l’application de l’article 538. Ces solutions sont conformes à celles de la jurisprudence.

La loi du 3 janvier 1813 sur la police de l’exploitation des mines porte dans son article 18 : Il est expressément prescrit aux maires et autres officiers de police de se faire représenter les corps des ouvriers qui auraient péri par accident dans une exploitation, et de ne permettre leur inhumation qu’après que le procès-verbal de l’accident dura été dressé conformément à l’article 81, Code civil, et sous les peines portées par les articles 358 et 359, Code pénal. Le transport de l’officier de l’état civil auprès du décédé est ici obligatoire, sauf l’exception prévue par l’article 19 de cette même loi de 1813. — La sanction varié suivant qu’il y a une simple négligence de ce fonctionnaire, cas auquel on appliquera l’article 538, ou qu’il y aura eu intention de cet officier d’aider à cacher l’accident : en cette hypothèse il y aura lieu d’appliquer les peines plus sévères de l’article 539.

Enfin, notons que, dans tous les cas où l’autorité est avertie qu’il y a des traces de mort violente, ou lorsqu’il est permis de le soupçonner, l’officier de l’état civil doit remplir certaines formalités spécialement indiquées par l’article 81 du Code civil. S’il ne le faisait pas, nous n’oserions pas décider, dans le silence de la loi, qu’il se rendrait coupable de contravention et serait passible des peines de simple police, mais certainement si le maire avait eu pour but d’aider à commettre le délit prévu par l’article 359 du Code pénal, il serait passible des peines portées en cet article.

Tels sont les devoirs des particuliers et de l’administration après le décès, avant les funérailles. 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CHAPITRE X

Des violations de tombeaux et de sépultures

« La loi sévit encore dans ses dispositions contre ceux qui, sans respect pour le dernier asile, violeraient les sépultures, troubleraient la cendre des morts ou profaneraient leurs tombeaux. » Telles sont les expressions du rapport de M. Monseignat au Corps législatif à propos de l’article 360 du Code pénal.

Les anciennes lois françaises punissaient de peines plus ou moins fortes, suivant les cas et la qualité, toutes personnes qui se rendaient coupables de violement de sépultures[10]. L’extravagante detestandæ feritatis de sepulturis prononçait la peine de l’excommunication contre ceux qui violaient les tombeaux. Les crimes qui constituaient la violation de sépultures consistaient soit à déterrer les cadavres pour en faire l’objet d’études anatomiques ou autrement, soit à les dépouiller de leurs vêtements pour les voler, à détruire les tombeaux, épitapkes, ornements, empêcher qu’une personne morte fût enterrée ; à frapper, percer ou couper quelque membre d’un corps mort[11].

Mais la législation et la jurisprudence n’avaient pas posé de règles fixes pour la répression de ce crime. Ainsi

un arrêt du Parlement de Paris du 12 juillet 1683 condamnait le fils du fossoyeur de la paroisse Saint-Sulpice à être Page:Chareyre - Traité de la législation relative aux cadavres.djvu/285 Page:Chareyre - Traité de la législation relative aux cadavres.djvu/286 Page:Chareyre - Traité de la législation relative aux cadavres.djvu/287 Page:Chareyre - Traité de la législation relative aux cadavres.djvu/288 Page:Chareyre - Traité de la législation relative aux cadavres.djvu/289
Tables des matières

CHAPITRE II. — 
 22
I. IIÀ qui il appartient de les régler 
 27
II. IDu refus de sépulture ecclésiastique 
 46
III. Des restrictions apportées à la liberté des particuliers en cette matière par les lois, les règlements et le droit de police des maires 
 70
Appendice : De la crémation 
 94
CHAPITRE III. — 
 99
Historique :
I. IIDes cimetières publics 
 107
II. IDes lieux de sépulture appartenant à des particuliers 
 127
III. Des inhumations dans les églises et les hôpitaux 
 133
Appendice : 
Loi du 7 avril 1873, relative à la conservation des tombes des soldats morts pendant la dernière guerre 
 136
§ I. IIDe la domanialité publique des cimetières 
 183
§ II. IÀ qui appartiennent les cimetières 
 199
§ III. Des produits des cimetières et des charges qui y sont relatives 
 209
§ I. IIDroit de l’administration d’accorder des concessions 
 220
§ II. IDroits des concessionnaires 
 235
 256
CHAPITRE IX. — 
 267

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  1. Demante, Cours analytique du Code Napoléon, t. I.
  2. Il semblerait cependant bien étrange de défendre à l’officier de l’état civil de consigner la déclaration de l’heure du décès. Notons que ce point a une importance très grande, car la solution de beaucoup de procès et de questions délicates en pourront dépendre : notamment quand il s’agira de fixer le point de départ du délai de vingt-quatre heures pendant lequel l’inhumation ne peut avoir lieu. Il nous semble pour notre part, et sans que nous voulions entrer dans des explications trop longues à ce sujet, qu’il serait également dangereux d’attribuer à la déclaration de l’heure la même force, la même autorité qu’aux indications qui légalement doivent être fournies, et de défendre absolument aux officiers de l’état civil de recevoir cette déclaration, qui, donnée toujours à une époque rapprochée du décès, par des personnes bien placées pour la faire avec exactitude et souvent sans intérêt à la fausser, pourra toujours servir de base à une discussion.
  3. De ce que nous qualifions « délit » le fait répréhensible défini par l’article 358 du Code pénal il ne faudrait pas conclure que, au point de vue de l’intention criminelle à exiger du délinquant, on doive appliquer les règles des délits. Tous les auteurs qui se sont occupés de droit pénal ont remarqué que les termes de l’article 358 s’opposaient absolument à ce qu’on recherchât l’intention de l’auteur du délit ; c’est le fait de la contravention, la négligence elle-même qui est punie, malgré la bonne foi du contrevenant. Il y a donc exception au droit commun des délits ; nous signalons la même exception quand nous parlons de l’application de l’article 359. Enfin on l’admet également en matière de violation de sépultures et de tombeaux.
  4. Le fait pour un prêtre de prêter son concours à un enterrement sans s’être fait représenter l’autorisation de l’officier de l’état civil, constitue à la fois une contravention au décret du 4 thermidor an XIII et un cas d’abus, car il y a violation « d’une loi ou d’un règlement de la République ou de l’État », commise dans l’exercice des fonctions sacerdotales. Cela ressort d’une façon indiscutable du rapprochement de l’article 6 de la loi du 18 germinal an X et du décret de thermidor an XIII. Ce que l’on discute, c’est le point de savoir si la contravention peut être déférée directement aux tribunaux judiciaires, ou s’il faut préalablement porter l’affaire devant le Conseil d’État, qui la terminera définitivement en déclarant l’abus ou renverra devant le juge de paix, suivant l’exigence des cas. Nous ne discuterons pas ici cette question générale, qui comporterait de trop longs développements : nous nous contenterons de rappeler les hésitations de la jurisprudence et les controverses de la doctrine, ainsi que le rôle qu’y ont joué l’article 75 de la constitution de l’an VIII et la loi du 19 décembre 1879 abrogeant cet article 75. Nous nous rallions, quant à la solution, à l’opinion de M. Laferrière, qui, dans son cours professé à la Faculté de Paris en : 1884, enseigne qu’il n’y a pas lieu de soumettre la poursuite criminelle contre l’ecclésiastique à la nécessité d’une autorisation du Conseil d’État saisi préalablement d’un recours pour abus. « L’abus est la mise en œuvre de l’action disciplinaire : l’action disciplinaire et l’action répressive peuvent se cumuler ; il n’y a pas de raison pour subordonner à l’action disciplinaire les autres actions pénales ou civiles qui peuvent exister. Par un avis du 17 mars 1882, le Conseil d’État a implicitement adopté cette manière de voir. »
  5. « Les curés ne donneront la bénédiction nuptiale qu’à ceux qui justifieront en bonne et due forme avoir contracté mariage devant l’officier de l’état civil ; » (Article 54, loi organique des cultes du 4 8 germinal an X.)
  6. L’article 359 du Code pénal n’excepte pas nommément de sa disposition les époux, père, mère, frères et sœurs de l’individu qui aurait commis l’homicide ; mais, dit Carnot, l’exception en ce qui les concerne résulte nécessairement de ce qu’ils ne sont pas tenus de dénoncer les crimes auxquels des parents aussi proches pourraient s’être livrés.
  7. Notons une réforme désirable ; dans beaucoup de maison, surtout dans les villes, les dimensions restreintes des lieux habités, leur aération insuffisante amènent souvent une décomposition hâtive du corps et en rendent la garde très pénible aux vivants même avant l’expiration du délai de vingt-quatre heures. On pourrait suivre l'exemple de l’Angleterre : dans les centres importants il existe des maisons mortuaires, où on transporte le décédé et où sa famille peut le garder en attendant l’inhumation. Chaque corps est naturellement dans une chambre spéciale, convenablement disposée à cet effet. La surveillance de l’administration est aussi rendue très facile.
  8. À Paris, actuellement le médecin qui donne le certificat de décès doit remplie une formule imprimée. (V. Maxime Ducamp, Paris, ses organes, ses fonctions, sa vie, t. VI.) « Quand les blancs sont remplis, on peut y lire : les nom et prénoms du décédé, son âge, son lieu de naissance, le jour et l’heure du décès, son adresse, sa profession, l’étage de son appartement, et à quel point cardinal celui-ci est exposé ; on y voit en outre de quelle maladie il était atteint, quel est le médecin qui l’a soigné, chez quel pharmacien les médicaments ont été pris ; de plus si le logement était insalubre on doit l’indiquer ; en un mot, c’est un véritable rapport d’enquête si ingénieusement disposé qu’il tient sur le verso d’une seule feuille de papier. »
  9. À la suite de pétitions au Sénat sur les inhumations précitées, le ministre de l’intérieur a dû adresser aux préfets, à la date du 24 décembre 1866 une importante circulaire destinée à généraliser pour toutes les communes un système de vérification des décès analogue à celui de la ville de Paris. Une nouvelle circulaire a paru en 1875, pour le même objet. Nous avons le regret de constater que le mal n’a pas disparu, et nous estimons qu’une loi est nécessaire pour régler cette matière d’une manière efficace. En Angleterre, chaque paroisse a des femmes appointées, c’est-à-dire des visiteuses qui doivent être appelées dans la maison du décédé. Si on néglige de les appeler ou si elles conçoivent quelque soupçon, elles avertissent le anglais, qui réunit un jury chargé de faire une enquête sur le corps. En Autriche et en Russie l’usage est délaver les corps et de les exposer à visage découvert ; le Code de Hollande exige qu’on attende trente-six heures pour l’inhumation ; le Code de Danemark ordonne que le décès sera constaté par un médecin ou par deux hommes nommés par le magistrat. La coutume des mahométans est au contraire d’enterrer le mort aussitôt après le décès. Nous empruntons ces renseignements à l’ouvrage de M. Maurice André : Des sépultures.
  10. Suivant Jousse, Traité de la justice criminelle, t. III, p. 666.
  11. Morin, t. II, p. 699.