Traité de la musique/Livre 1/Chapitre 5

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Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)
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CHAPITRE V.
LE SENTIMENT MUSICAL VIENT-IL DE LA NATURE ?

10. Le M. Il nous reste, je crois, à montrer que les arts mêmes qui nous plaisent par le talent d'exécution, quand les effets en sont puissants, dépendent immédiatement, non de la science, mais du concours des sens et de la mémoire ; car je ne veux point que tu me dises que la science peut se rencontrer sans la pratique et même à un plus haut degré que chez ceux qui excellent dans la pratique, et que néanmoins ces derniers auraient été incapables d'atteindre, en dehors de toute science, à un talent d'exécution aussi consommé. — L'E. Commence, c'est là evideiiuneul le point à démontrer. Le M. N'as-tu jamais écouté certains histrions avec un certain intérêt? — LE. Oui, et avec plus d'intérêt peut-être que je ne l'aurais voulu. — Le M. D'où vient que la multitude ignorante siffle souvent un joueur de flûte qui fait eutindre de méchants airs, tandis (ju'tUe api)laudit un exécutant habile, et que son enthousiasme répond à la beauté des accords du musicien ? La foule agit-elle ainsi parce qu’elle connaît l’art musical ? — L’É. Non. — Le M. Pourquoi donc ? — L’É. Ainsi le veut la nature qui a donné à tous les hommes le sens de l’ouïe: la foule juge d’après l’oreille. — Le M. Tu as raison, mais examine si le joueur de flûte n’est pas aussi doué de ce sens. S’il en est ainsi, il peut l’aire mouvoir ses doigts conformément aux indications de la nature quand il souffle dans sa flûte; un son le satisfait-il ! il peut le noter et le graver dans sa mémoire, et, à force de le répéter, habituer ses doigts à se placer sans hésitation et sans erreur, soit qu’il reproduise les airs d’un autre, soit qu’il en invente lui-même, en suivant les inspirations et le goût de la nature. Par conséquent, si la mémoire obéit aux sens, et les doigts à la mémoire, quand ils sont déjà assouplis et préparés par l’exercice ; le joueur de flûte exécute, quand il le veut, avec d’autant plus de justesse et d’agrément qu’il possède à un degré supérieur les facultés qui nous sont communes avec les bêtes, ainsi que nous venons de le démontrer, je veux dire le goût de l’imitation, les sens et la mémoire. As-tu quelque objection à faire? — L’É. Aucune assurément. Et je désire ardemment connaître l’essence de cet art que tu viens de mettre avec tant de raison hors de la portée des vulgaires esprits.