Traité de la peinture (Cennini)/LXXII

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Traduction par Victor Mottez.
Jules Renouard et L. Lefort (p. 84-87).

lxxii.Comment on colore sur mur à sec et ses tempère.

Toutes couleurs employées à fresque peuvent aussi servir à sec, tandis qu’à fresque il y a des couleurs bonnes à sec qui ne peuvent pas servir. Ainsi l’orpin, le cinabre, le bleu d’Allemagne, le minium, le blanc de plomb, le vert-de-gris et la laque. Celles qu’on peut employer à fresque sont le blanc de Saint-Jean, giallorino[1], noir, ocre, cinabrese, sinopia, terre verte, améthiste. Les couleurs qu’on emploie à fresque veulent pour compagnes dans les mélanges le blanc de Saint-Jean[2], les verts, quand on veut les laisser verts, le giallorino, et le blanc si on veut en faire des verts sauge. Les couleurs qu’on ne peut employer à fresque veulent pour compagnie et pour mélanges le blanc de plomb, le giallorino et quelquefois l’orpin, mais rarement cette dernière ; moi je la crois superflue.

Pour faire un azur rehaussé de blanc, reprends la raison des trois vases que je t’ai enseignée pour la couleur de chair et la draperie cinabrese : il en sera de même cette fois-ci, à l’exception qu’où tu as mis du blanc de chaux, tu mettras du blanc de plomb et ajouteras de la tempera. Deux manières de tempera sont bonnes, mais l’une est meilleure que l’autre. Pour la première, prends le jaune et le blanc de l’œuf, mets dedans quelques taillures de branche de figuier, et bats bien le tout ensemble, verse dans tes vases de cette tempera ni trop ni trop peu, comme serait un vin à demi trempé d’eau ; alors emploie tes couleurs, soit blanc, vert ou rouge, comme je te l’ai démontré pour la fresque, et de même qu’à fresque tu feras tes vêtements à tempera, seulement sans attendre que le tout soit sec. Si tu mettais trop de tempera, la couleur crèverait et se détacherait du mur. Sois prudent et expérimenté.

Je te dirai d’abord qu’avant de commencer à colorer, si tu voulais faire un vêtement de laque ou de tout autre ton, prends avant une éponge bien lavée, un jaune d’œuf que tu mettras avec le blanc dans deux écuelles d’eau claire et que tu mêleras bien ensemble : avec ladite éponge à demi imbibée de cette tempera, tu passeras également sur tout l’ouvrage que tu dois colorer à sec ou embellir d’ornements d’or ; cela fait, colore librement comme tu veux[3].

La seconde tempera se compose du seul jaune d’œuf. Sache qu’elle est universelle. Sur mur, sur panneau, à fresque[4] il n’en faut pas donner trop, mais sois prudent et suis la route mitoyenne. Avant d’aller plus avant, je veux avec cette tempera te faire faire un vêtement à sec comme tu as fait à fresque avec le cinabrese. Cette fois je te le ferai faire de bleu outremer. Prends, selon la coutume, trois vases : dans le premier mets deux parties d’azur, une de blanc de plomb ; dans le troisième, deux parties de blanc et une d’azur ; mêles-y la tempera comme je te l’ai dit, puis prends le vase vide, c’est-à-dire le second, prends autant dans un vase que dans l’autre, et fais-en un mélange bien remué avec un pinceau de soies mou et souple. Avec la première couleur, qui est la plus obscure, forme les ombres des plis les plus foncés ; prends ensuite la demi-teinte et couvre depuis l’obscur des plis jusqu’au clair qui forme le relief de la figure, puis prends la troisième couleur et couvre et termine les plis de dessus qui sont le relief ; mêle-bien l’un avec l’autre, fondant et modelant à la façon que je t’enseignai à fresque. Alors reprends la couleur la plus claire, ajoutes-y du blanc et de la tempera, tu feras les sommités des plis dans la lumière ; puis avec un peu de blanc pur tu forceras certains grands reliefs, selon ce qu’exige le nu de la figure. Avec du bleu d’outremer pur tu fouilleras les fonds des plis les plus obscurs et formeras les contours ; de cette manière touche légèrement ton vêtement selon les endroits et les couleurs, fondant avec douceur sans en déranger ou brouiller aucune : ce sera fait ; et de même pour la laque ou pour toute couleur qui s’emploie à sec.

  1. Le giallorino doit répondre au jaune d’antimoine, le cinabrese au brun rouge, la sinopia au rouge Vandyk, et l’amétiste au violet de mars. (V. M.)
  2. Vasari (cap. 19 della Introd. alle arti del dis.) enseigne, en parlant de la peinture à fresque, à se servir pour blanc de travertin cuit au lieu de blanc de Saint-Jean.(Cav. Tambroni.)

    Je crois cette méthode funeste à la fresque. Sur la chaux reposent la richesse de ses ressources, son éclat et sa solidité. (V. Moitez.)

  3. Vasari (cap. 20, Introd. alle tre arti, etc.) dit : « Sur les murs qui sont secs, on donne une ou deux couches de colle chaude, et ensuite avec les couleurs mélangées de cette même colle on conduit tout l’ouvrage.

    Cennino enseigne une manière bien différente, et son dire mérite plus de confiance, car Vasari ne parle des tempere que comme moyens employés par les vieux maîtres. ( Cav. Tambroni.)

  4. Sans doute pour la retoucher.