Traité de radioactivité/Tome 2/16

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Gauthier (2p. 435-466).


CHAPITRE XVI.

MINERAUX RADIOACTIFS. — PRODUCTION DU RADIUM. — IONIUM. ANALOGIES ET LIAISONS
ENTRE LES FAMILLES D’ÉLÉMENTS RADIOACTIFS.




209. Origine du radium. — La vie moyenne du radium, quoique longue par rapport à la durée d’une existence humaine, est courte par rapport à la durée des époques géologiques et par rapport à l’âge probable des minéraux dont on extrait le radium. Ainsi que l’ont indiqué MM. Rutherford et Soddy[1], la présence du radium dans ces minéraux ne peut s’expliquer que par une formation continue de ce corps au sein de ces mêmes minéraux. D’après cela les minéraux de radium doivent contenir une substance dont dérive le radium, et si l’on admet que la transformation radioactive consiste toujours en une fragmentation de l’atome, le radium ne peut dériver que d’une substance dont le poids atomique est plus élevé que le sien. On pouvait supposer que cette substance était soit l’uranium, soit le thorium, et plutôt le premier de ces corps, parce que le radium semblait associé à l’uranium plutôt qu’au thorium dans les minéraux radioactifs.

La relation entre le radium et les minerais d’urane et de thorium se présentait dès la découverte du radium comme un fait très frappant. Parmi le très grand nombre de minéraux examinés par moi, au courant des travaux relatifs à la découverte et la préparation du radium, seuls les minerais d’urane et de thorium contenaient plus ou moins de radium. P. Curie et moi nous avons effectué à ce sujet l’expérience suivante[2] : le radium étant très analogue au baryum par ses propriétés chimiques, nous avons voulu nous assurer si le chlorure de baryum du commerce ne contenait pas de petites quantités de chlorure de radium inappréciables à notre appareil de mesures. Pour cela, nous avons entrepris le fractionnement d’une grande quantité de chlorure de baryum du commerce, espérant concentrer par ce procédé la trace de chlorure de radium si elle s’y trouvait, 50kg de chlorure de baryum du commerce ont été dissous dans l’eau ; la dissolution a été précipitée par de l’acide chlorhydrique exempt d’acide sulfurique, ce qui a fourni 20kg de chlorure précipité. Celui-ci a été dissous dans l’eau et précipité partiellement par l’acide chlorhydrique ; le chlorure précipité (8,5kg) a été soumis à la méthode de fractionnement employée pour le chlorure de baryum radifère et l’on a éliminé à la tête du fractionnement 10g de chlorure correspondant à la portion la moins soluble. Ce chlorure ne montrait aucune radioactivité dans notre appareil de mesures ; il ne contenait donc pas de radium ; ce corps est, par suite, absent des minerais qui fournissent le baryum.

Parmi les minéraux dont on extrait le radium, le plus important est la pechblende qui est un minerai composé principalement d’oxyde d’urane et ne contenant quelquefois que très peu d’oxyde de thorium. D’autre part les minerais qui contiennent beaucoup de thorium (thorite, orangite, monazite) ne comptent pas parmi les plus riches en radium. Une liaison entre l’uranium et le radium semblait plus probable qu’une liaison entre le thorium et le radium.

MM. Rutherford et Soddy ont émis la supposition que le radium pourrait être un descendant de l’uranium. Comme la vie moyenne de l’uranium est certainement beaucoup plus longue que celle du radium, étant donné l’âge probable des minéraux d’urane et la forte proportion d’uranium qui y est contenue, MM. Rutherford et Soddy ont supposé de plus qu’un équilibre de régime radioactif devait être atteint dans les minéraux entre l’uranium et le radium, de sorte que la quantité de radium doit y être proportionnelle à celle de l’uranium.

Des recherches sur la teneur relative des minéraux en uranium et en radium ont été effectuées par plusieurs expérimentateurs. Dans ces recherches il est nécessaire de considérer que certains minéraux ont pu rester inaltérés depuis l’époque de leur formation, tandis que d’autres ont pu subir l’action des eaux modifiant leur composition à des époques moins éloignées de nous. On peut donc espérer obtenir des résultats concluants surtout avec les minéraux inaltérés (minéraux primaires), ou tout au moins avec ceux dont la composition n’a pu être profondément modifiée.

M. Mc Coy, examinant l’activité des minerais d’urane par la mesure de l’intensité du rayonnement de couches très minces (§ 164), a trouvé que l’activité de ces minéraux par gramme d’uranium est la même pour différents minéraux et 4,54 fois plus grande que l’activité d’un gramme d’uranium dans les sels de ce métal. Les minéraux examinés étaient des pechblendes, une gummite et une carnotite.

Si l’activité d’un minerai d’urane était proportionnelle à la teneur en uranium, il devrait en être de même pour les quantités des substances radioactives auxquelles est dû l’excès d’activité ; ces substances sont surtout le radium et ses dérivés.

M. Boltwood[3] et M. Strutt ont évalué la teneur des minéraux en radium par la mesure du débit de l’émanation du radium. Dans les expériences de M. Boltwood, une certaine quantité de minerai était finement pulvérisée (0g,5 à 1g,5), et l’on mesurait d’abord la quantité d’émanation qui pouvait en être extraite par un courant d’air après un temps d’accumulation de plus d’un mois. Ensuite le minerai était attaqué en vase clos par un réactif convenable, soit par l’acide azotique ou chlorhydrique, soit par l’acide sulfurique concentré à chaud ; les gaz dégagés pendant l’attaque étaient recueillis et l’émanation qui y était contenue était mesurée. La somme des quantités d’émanation recueillies avec le minerai avant et pendant la décomposition représente la quantité d’émanation totale qui est en équilibre avec le radium contenu dans le minerai. La méthode suppose que, lors de la décomposition du minerai, l’émanation occluse est complètement expulsée ; ce point demanderait une vérification précise.

L’uranium était dosé à l’état de pyrophosphate. La teneur en uranium des minéraux étudiés variait de 75 à 0,3 pour 100.

Voici le Tableau qui contient les résultats obtenus ; on a désigné par la quantité d’émanation contenue dans un gramme de minerai en équilibre, par la proportion d’émanation qui s’échappe du minerai à la température ordinaire, par la proportion d’uranium par gramme de minerai :

                             
 
pour 100

pour 100
Uraninite (pechblende) 
  
170,00 11,3 74,65 228
Uraninite 
  
155,1 05,2 69,6 223
Gummite 
  
147,0 13,7 65,38 225
Uraninite 
  
139,6 05,6 61,74 226
Uranophane 
  
177,7 08,2 51,68 228
Uraninite 
  
115,6 02,7 50,64 228
Uranophane 
  
113,5 22,8 49,84 228
Thorogummite 
  
072,9 16,2 33,17 220
Carnotite 
  
049,7 16,3 22,61 220
Uranothorite 
  
025,2 01,3 11,38 221
Samarskite 
  
023,4 00,7 10,44 224
Orangite 
  
023,1 01,1 10,34 223
Euxénite 
  
019,9 00,5 08,71 228
Thorite 
  
016,6 06,2 07,54 220
Fergusonite 
  
012,0 00,5 05,57 215
Aeschynite 
  
010,0 09,2 04,52 221
Xénotime 
  
001,54 26,0 00,70 220
Monazite sable 
  
000,88   00,43 205
Monazite crist. 
  
000,84 01,2 00,41 207
Monazite massive 
  
000,63   00,30 210

D’après ces expériences, le rapport serait approximativement constant pour tous les minéraux, même pour ceux qui, comme la gummite, le thorogummite ou l’uranophane, ont été formés par l’action de l’eau sur l’uraninite. La présence de l’uranium et du radium a été mise en évidence dans plusieurs échantillons de monazite qui était considérée par divers auteurs comme exempte d’uranium. La monazite, la thorianite, la fergusonite sont des minéraux primaires qui se trouvent dans les roches éruptives les plus anciennes du globe.

Pour déterminer la quantité de radium qui se trouve dans les minéraux par gramme d’uranium, M. Boltwood a utilisé une solution de bromure de radium pur, préparée avec une quantité connue d’un sel dont la pureté était contrôlée par des mesures du débit de chaleur effectuées antérieurement par M. Rutherford ; le dégagement de chaleur était de 110cal par gramme de radium. En mesurant le débit d’émanation de la solution étalon dans le même appareil de mesures que celui qui a servi pour les expériences sur l’émanation extraite des minéraux, M. Boltwood a trouvé que dans les minéraux un gramme d’uranium est associé à 3,45.10-7 gramme de radium.

M. Strutt a effectué des expériences analogues. Le minerai était fondu avec du borax, puis dissous ; l’émanation était chassée de la solution par ébullition et s’accumulait ensuite pendant un temps connu ; on faisait alors à nouveau bouillir la solution, et l’émanation recueillie était transportée dans un appareil de mesures. Une solution de sel de radium, dont la teneur était supposée connue, servait d’étalon. M. Strutt a constaté que l’uranium et le radium semblent invariablement associés au thorium, quoique en proportion très variable ; il semble donc y avoir une liaison entre l’uranium et le thorium. Quant au radium, sa proportion n’est en aucune façon liée à celle de thorium, mais il y a proportionnalité approchée entre les proportions de radium et d’uranium dans les minéraux ; le nombre trouvé pour le rapport entre les quantités de ces deux substances était beaucoup plus élevé que celui de M. Boltwood [environ 1,4.10-6 pour les uraninites (pechblendes) et la thorianite], toutefois la pureté du sel de radium qui a servi pour la comparaison n’a pas été contrôlée.

Enfin M. Eve[4] a évalué la proportion de radium dans les minéraux par l’intensité du rayonnement D’après les résultats du même physicien (§ 137) les rayons pénétrants proviennent seulement du radium et du thorium ; on peut tenir compte de l’effet du thorium et l’on trouve pour la teneur d’une uraninite en radium un nombre très voisin de celui que M. Boltwood a trouvé en dosant le radium par son émanation.

Nous ne connaissons actuellement que par exception des minéraux qui contiennent du radium sans contenir de l’uranium. M. Danne[5] a signalé que tel est le cas d’une pyromorphite (chlorophosphate de plomb) trouvée au voisinage d’Issy-l’Évêque, en France. Ce minerai s’y trouve dans des argiles plombifères et dans la pegmatite. La présence de ce minéral dans cet endroit semble due à un dépôt formé par les eaux ; d’autre part, non loin de là se trouvent des gisements d’autunite (phosphate d’urane et de calcium), et il est probable que le radium s’est trouvé transporté à distance à partir de l’endroit de sa production. On verra d’ailleurs plus loin que le radium est très répandu à la surface de la terre, à l’état de dilution extrême.

Il ne paraît pas douteux, d’après l’ensemble des recherches décrites, que le radium est en relation intime avec l’uranium. Cependant, d’après des expériences, plus récentes, cette relation ne semble pas aussi simple que celle qui a été indiquée. La méthode de dosage du radium utilisée par M. Boltwood est sujette à quelques objections ; la correction relative à l’émanation perdue par les minéraux avant leur dissolution est parfois grande. De plus il ne paraît pas certain que l’émanation occluse soit entièrement mise en liberté pendant l’attaque du minerai, surtout quand il y a formation de sulfates insolubles. Pour éviter les causes d’erreur de ce genre. Mlle  Gleditsch s’est attachée à extraire directement tout le radium contenu dans une quantité donnée de minéral et à effectuer le dosage par l’émanation sur la petite quantité de radium ainsi obtenue[6]. L’opération était faite de la manière suivante : une certaine quantité (50g) de minerai est mise en dissolution, et la dissolution additionnée d’un peu de chlorure de baryum est précipitée par l’acide sulfurique. Le précipité étant séparé par filtration, on ajoute de nouveau une petite quantité de chlorure de baryum et l’on fait une nouvelle précipitation. On recommence l’opération jusqu’à ce que les sulfates obtenus soient inactifs. Quand l’opération a été bien conduite, presque tout le radium se trouve dans le précipité. Les sulfates contenant le radium sont transformées en carbonates par l’ébullition avec une solution de soude et de carbonate de soude ; les carbonates sont transformés en chlorures et dans la dissolution de ces chlorures on dose le radium par la méthode en usage au laboratoire Curie. Les résidus insolubles obtenus lors de l’attaque des minéraux sont traités séparément jusqu’à ce qu’on obtienne soit la dissolution complète, soit un résidu très petit et inactif. Après la séparation du radium, la solution du minerai est utilisée pour l’extraction de l’uranium par les méthodes analytiques qui conviennent à chaque minerai. L’examen des solutions diverses obtenues au cours du traitement a montré que la quantité de radium non extraite est inférieure à 1 pour 100.

Le rapport entre les quantités de radium et d’uranium ne s’est pas montré le même pour tous les minéraux étudiés ainsi que l’indiquent les nombres du Tableau suivant :

                                                                          
 
pour 100

pour 100
Autunite de France 
  
1,20.10-5 47,0 2,56.10-7
Autunite du Tonkin 
  
1,22 1» 47,1 2,591.»
Carnotite 
  
0,375.» 16,0 2,341.»
Pechblende de Saint-Joachimsthal 
  
1,48 1» 46,0 3,211.»
Cleveite de Norvège 
  
1,78 1» 54,9 3,231.»
Bröggerite de Norvège 
  
2,05 1» 63,9 3,221.»
Chalcolite du Portugal 
  
1,27 1» 39,8 3,241.»
Thorianite de Ceylan 
  
0,655.» 17,4 3,761.»
Pechblende de Cornouailles 
  
1,07 1» 28,7 3,741.»


Le nombre des minéraux étudiés n’est pas encore suffisant pour qu’on puisse savoir dans quelle mesure la valeur du rapport dépend de la nature du minerai. Cependant on peut remarquer que parmi les minéraux examinés la thorianite est probablement le plus anciennement formé et l’autunite le plus récemment formé. On peut donc penser que la relation de genèse entre l’uranium et le radium existe effectivement, mais que le rapport du radium et de l’uranium dépend de l’âge du minerai ; tel pourrait être le cas, s’il existait entre l’uranium et le radium une substance intermédiaire de vie moyenne très longue et ne pouvant être considérée comme insignifiante par rapport à l’âge des minéraux, de sorte que l’équilibre radioactif entre l’uranium et le radium ne serait pas nécessairement réalisé. On pourrait aussi penser que le rapport du radium à l’uranium peut avoir été influencé par des causes extérieures agissant sur ces minéraux après leur formation, ces causes pouvant, par exemple, dans certaines conditions, modifier les constantes radioactives.

Les résultats obtenus sont importants et prouvent que l’étude des minéraux radioactifs doit être continuée par des méthodes précises.

Les premières expériences relatives à la constance du rapport entre l’uranium et le radium dans les minéraux radioactifs paraissaient appuyer l’hypothèse que le radium dérive de l’uranium. Si le radium était produit directement par l’uranium, sa vitesse de formation serait donnée par la relation est la vie moyenne du radium et la quantité de radium qui est en équilibre avec un gramme d’uranium. La vie moyenne de l’uranium étant supposée beaucoup plus longue que celle du radium, le nombre d’atomes de radium formés est toujours égal (ou proportionnel) au nombre d’atomes d’uranium détruits dans le même temps, et par suite constant pendant de nombreuses années. La quantité de radium qui se formerait par an dans 1kg d’uranium, si 2500 ans et 3,4.10-7 gramme, serait environ 1,3.10-7 gramme, et pourrait facilement être observée.

Des expériences directes faites à ce sujet par M. Soddy[7] et par MM. Soddy et Mackenzie[8] n’ont pas donné le résultat prévu.

La solution d’azotate d’urane qui servait pour l’expérience était conservée en vase clos ; la quantité d’émanation qui s’y accumulait était chassée par l’ébullition dans le vide et mesurée à des intervalles réguliers au moyen d’un dispositif très sensible. Le sel d’urane avait été préalablement privé de radium aussi parfaitement que possible. MM. Soddy et Mackenzie n’ont pu mettre en évidence aucun accroissement de la quantité de radium dans une solution contenant 250g d’uranium observée pendant 600 jours ; étant donnée la sensibilité des mesures, l’accroissement final était certainement inférieur à 10-11 gramme tandis que l’accroissement prévu était de l’ordre de 10-8 gramme. Mais des observations portant sur quatre années ont permis de mettre en évidence un accroissement de la quantité de radium ; cet accroissement était évalué à 5,2.10-11 gramme de radium par kilogramme d’uranium et pendant 4 ans. La quantité de radium produit semblait proportionnelle au carré du temps[9].

Les résultats des expériences pouvaient s’interpréter en admettant que le radium dérive bien de l’uranium, mais qu’il n’en est pas le descendant direct. On peut admettre qu’abstraction faite de l’uranium X, pour lequel un équilibre de régime radioactif avec l’uranium est atteint rapidement, il existe entre l’uranium et le radium une substance intermédiaire dont la vie moyenne est longue et qui se sépare de l’uranium pendant les traitements qui ont pour objet l’extraction de ce corps du minerai. S’il existe une telle substance et qu’elle soit le parent direct du radium, la formation de ce dernier corps dans l’uranium extrait du minerai doit se trouver retardée. D’autre part, si le rapport entre l’uranium et le radium était constant, la vie moyenne de la substance hypothétique devrait être courte par rapport à celle de l’uranium.

Supposons que le nombre d’atomes d’uranium détruit par unité de temps reste constant et que soient les constantes radioactives de la substance intermédiaire et du radium. Le nombre d’atomes de radium formé en un temps à partir de l’uranium primitivement exempt des deux substances, est donné pour les petites valeurs de par la formule


est le nombre d’atomes qui correspond à l’équilibre avec l’uranium ; dans le cas d’une filiation directe la loi de formation aurait été au début représentée par la formule Les expériences de M. Soddy laissent supposer que la vie moyenne de la substance intermédiaire pourrait être, au minimum, de 35 000 ans. Si, au lieu d’une seule substance intermédiaire, on en avait deux ayant des vies moyennes comparables, chacune de ces substances pourrait avoir une vie moyenne beaucoup plus courte que celle calculée dans l’hypothèse précédente.


210. Découverte de l’ionium. — Les expériences relatives à la production du radium par l’uranium ayant rendu vraisemblable l’existence d’une substance intermédiaire entre ces corps, la recherche de cette substance a été aussitôt entreprise par M. Rutherford et M. Boltwood. Ces recherches ont été couronnées de succès et ont conduit à la découverte d’un nouvel élément radioactif, l’ionium.

Les recherches de M. Debierne avaient montré que l’actinium dégage toujours de petites quantités d’émanation de radium. D’autre part, ce corps est extrait des minerais d’urane, et sa liaison avec l’uranium semble probable. On pouvait donc supposer que l’actinium, dont la vie moyenne est certainement longue, constitue un intermédiaire entre l’uranium et le radium. À la suite d’un travail fait sur la carnotite, M. Boltwood[10] a annoncé qu’effectivement l’actinium donne lieu à la production de radium. Un kilogramme de carnotite était dissous dans l’acide chlorhydrique étendu ; la solution était traitée par l’hydrogène sulfuré et, après la séparation des sulfures, additionnée de sel de thorium et précipitée par l’acide oxalique. Les oxalates obtenus étaient dissous, et dans cette solution on mesurait le débit de l’émanation du radium. Ce débit augmentait régulièrement pendant 193 jours, et l’augmentation observée correspondait à la production de 1,6.10-8 gramme de radium par an.

M. Rutherford[11], examinant la même question, se servait d’actinium préparé par M. Giesel (émanium). Avec 0g,32 de ce produit dont l’activité à masse égale était 250 fois plus grande que celle de l’uranium, il observait une augmentation du débit d’émanation correspondant à la production de 2,9.10-9 gramme de radium par an.

Pour priver la solution du radium qui pouvait y être contenu à l’état de traces, M. Rutherford a précipité l’actinium par le sulfure d’ammonium, et cette opération a été répétée plusieurs fois. La liqueur séparée et précipitée ensuite par l’ammoniaque donnait encore un précipité d’actinium très actif. Le précipité I obtenu par le sulfure d’ammonium et le précipité II obtenu par l’ammoniaque étaient redissous et examinés séparément pendant 250 jours. Dans la portion I, d’activité 9900, on constatait un accroissement du débit d’émanation correspondant à la production de 2,55.10-9 gramme de radium par an. Dans la portion II, d’activité 6000, on ne constatait aucune production de radium. Puisque les activités des deux portions étaient dues à l’actinium et étaient du même ordre, ce résultat ne pouvait s’expliquer qu’en admettant que le radium n’est pas produit par l’actinium, mais par une substance qui se trouve mélangée à celui-ci.

M. Rutherford a d’ailleurs vérifié directement qu’on n’obtient pas de production de radium sur une lame exposée pendant longtemps à l’émanation de l’actinium. La production de radium s’est montrée la même, avec le produit étudié, en absence ou en présence de l’actinium X qui pouvait être séparé par l’ammoniaque. La substance mère du radium ne faisait donc pas partie des dérivés de l’actinium et l’on pouvait penser qu’elle fait partie du même groupe que l’actinium et le thorium.

Cette supposition a été confirmée par les travaux de M. Boltwood[12] qui a montré qu’on peut séparer de l’actinium la substance mère du radium en précipitant la solution des deux substances par l’hyposulfite de sodium. Dans ces conditions la substance cherchée précipite avec le thorium, tandis que l’actinium, d’après M.  Boltwood, ne précipiterait pas. Le produit précipité ne donnait plus l’émanation de l’actinium, et sa teneur en radium augmentait régulièrement pendant 600 jours.

La substance nouvelle a été caractérisée par une émission de rayons dont le parcours mesuré par la méthode des scintillations est environ 2cm,8 ; ce parcours est donc plus petit que ceux qui ont été observés pour tous les autres groupes de rayons connus. Cette substance a reçu le nom d’ionium.

L’ionium se rapproche surtout du thorium par ses propriétés chimiques. Sa présence dans les sels de thorium du commerce est rendue probable par les expériences de M. Hahn[13], d’après lesquelles la teneur de ces sels en radium augmente avec le temps. Les minerais de thorium contenant toujours de l’uranium, l’ionium qui accompagne ce dernier se trouve entraîné avec le thorium dans le traitement.

D’après M. Hahn l’ionium précipite complètement par l’acide oxalique en présence du thorium, mais n’est pas entraîné dans la précipitation du baryum par l’acide sulfurique.

Les propriétés chimiques de l’ionium sont extrêmement voisines de celles du thorium ; plusieurs modes de fractionnement ont été essayés en vain pour mettre en évidence une différence entre les deux substances[14]. Il y a aussi une grande analogie de propriétés entre l’ionium et l’uranium X, de sorte que les deux substances sont séparées ensemble. Pour séparer le thorium et l’ionium contenus dans une solution chlorhydrique des terres rares extraites du minerai d’urane, on peut précipiter ces substances par l’hydrate de zinc ; la séparation est beaucoup plus complète que celle que l’on obtient par l’hyposulfite de sodium, et la séparation du zinc s’obtient en précipitant par la soude la dissolution acide du précipité obtenu.

Quand une grande quantité de sel d’urane est traitée pour l’extraction de l’uranium X, on constate qu’après destruction de ce dernier la matière qui le contenait conserve une faible activité constante pouvant être attribuée à l’ionium ; cette substance se trouve donc en faible proportion dans les sels d’urane purifiés. Cette circonstance rend difficile l’interprétation des expériences de M. Soddy sur la formation du radium dans les sels d’urane.


211. Vie moyenne du radium et de l’uranium. — La connaissance de la vitesse de production du radium dans un minerai d’urane et de la quantité de radium qui correspond à l’équilibre avec l’uranium, permet de déterminer la constante radioactive du radium. Si, en effet, on désigne par cette constante, par la quantité de radium associée à l’uranium dans le minerai, par la quantité de radium produite par unité de temps, on a la relation

La valeur de peut être calculée pour une certaine quantité de minerai d’urane d’après la teneur en uranium, en supposant connu le rapport entre le radium et l’uranium. La valeur de a été l’objet d’une détermination directe faite par M. Boltwood[15].

On ne peut déterminer directement sur le minerai puisque celui-ci a atteint l’équilibre de régime ; il est donc nécessaire d’extraire tout le radium du minerai, tout en laissant intégralement l’ionium. On peut encore extraire, aussi complètement que possible, l’ionium contenu dans une quantité donnée de minerai et, sur cet ionium à peu près dépourvu de radium, observer la vitesse de production de ce dernier corps. C’est cette méthode qui a été utilisée. Il est difficile d’obtenir une séparation très complète de l’ionium. Dans le traitement du minerai on obtient fréquemment des précipités et des résidus insolubles. Voici la description de l’expérience qui a donné à ce sujet le meilleur résultat.

Le minerai utilisé était une uraninite très pure et exempte de traces de produits d’altération secondaires (provenance de North Carolina). Une quantité de ce minerai de 40g a été chauffée avec de l’acide azotique étendu, et la solution a été évaporée à sec. Le résidu humecté par quelques gouttes d’acide azotique étendu était repris par l’eau chaude, et la solution était filtrée. Le résidu insoluble ne pesait que 0g,0663, soit 0,17 pour 100 de la matière totale ; il se composait principalement de silice, et son activité ne dépassait pas celle de 1mg d’uranium. La solution a été traitée par l’hydrogène sulfuré, et les sulfures ont été séparés ; l’hydrogène sulfuré était alors chassé par l’ébullition, et une solution de 10g d’acide oxalique était ajoutée. Après dépôt complet, les oxalates formés ont été séparés ; l’eau mère a été évaporée à sec, et le résidu calciné jusqu’à destruction de l’acide oxalique ; ce résidu a été dissous dans l’acide azotique, la solution a été évaporée à sec, et le résidu de nitrates a été repris par l’éther pur et sec pour extraire l’azotate d’uranium. La partie insoluble dans l’éther était traitée par l’acide chlorhydrique étendu, et à la solution on ajoutait une solution de 5g d’acide oxalique ; les oxalates ainsi obtenus ont été réunis avec ceux obtenus dans la première précipitation. Les oxalates ont été ensuite transformés en oxydes, puis en chlorures, et la solution de ces derniers a été précipitée par l’ammoniaque. La dissolution des hydrates et leur précipitation à nouveau par l’ammoniaque ont été répétées trois fois. Les hydrates ainsi purifiés ont été dissous dans l’acide chlorhydrique étendu, et la solution a été soumise à l’examen au point de vue de la production du radium.

Si la vitesse de production du radium est constante et égale à si est la quantité de radium qui se trouve dans la solution à l’origine du temps et la constante de l’émanation que l’on considère comme très grande par rapport à celle du radium, la quantité d’émanation accumulée dans la solution après un temps est proportionnelle à l’expression

En effectuant la mesure pour différentes valeurs de on obtient des relations entre et et l’on peut déterminer ces deux quantités. La valeur de la constante du radium est ensuite donnée par la formule est la quantité de radium associée à l’ionium et à l’uranium dans la portion de minerai utilisée pour l’expérience. Si l’on a dosé l’uranium contenu dans le minerai, la quantité de radium peut se calculer en admettant une teneur connue en radium par gramme d’uranium. Toutefois la connaissance de cette teneur n’est pas nécessaire, car pour connaître le rapport , il suffit de comparer ces deux quantités à une même quantité de radium en valeur relative ; par conséquent la valeur obtenue pour n’est pas affectée par les erreurs possibles sur l’étalonnage de la solution de comparaison, dont la teneur en radium est supposée connue, mais qui ne sert qu’à indiquer la sensibilité de l’appareil de mesures en valeur relative.

Voici les résultats expérimentaux obtenus dans l’expérience dans laquelle l’extraction de l’ionium du minerai était considérée comme la plus complète. La quantité de radium contenue au début dans la solution était 0,067.10-9 gramme ; l’accroissement de la teneur en radium, observé pendant une période de 147 jours, était de 3,72.10-9 gr. par an. La teneur du minerai en uranium était de 78,5 pour 100 ; 40g de ce minerai contenaient 1,07.10-5 gr. de radium. On obtient ainsi

Plusieurs autres expériences, faites avec des minéraux moins bien choisis, ont donné des valeurs de plus élevées, dont la plus grande est 3100 ans. On considérait que l’extraction de l’ionium, en ce cas, n’était pas complète, et cette supposition était confirmée par la comparaison de l’activité de l’ionium, contenu dans les solutions qui ont servi pour les expériences, à l’activité de l’uranium avec lequel cet ionium se trouve associé dans le minerai. Quand l’équilibre de régime radioactif est atteint, le rapport des activités doit être constant. La comparaison a été faite dans des conditions bien définies, et les expériences, dont la description va suivre, ont montré que l’activité de l’ionium constitue dans les conditions de l’expérience la fraction 0,35 de celle de l’uranium avec lequel il est associé. En mesurant l’activité de l’ionium pour les solutions utilisées, on peut donc en déduire la quantité d’uranium qui correspond dans le minerai à cette quantité d’ionium, et par suite aussi la quantité de radium correspondante. Dans les solutions, l’ionium se trouve avec le thorium ; en tenant compte de l’activité de ce dernier, qui est proportionnellement faible, et en calculant pour chaque solution, d’après l’activité ainsi corrigée, la quantité de radium, on trouve des valeurs de assez voisines, et dont la moyenne 3,42.10-4 est en bon accord avec la valeur qui résulte de la meilleure détermination expérimentale. M. Boltwood a conclu de ses expériences que la valeur de est environ 3,48.10-4 d’où pour la période environ 2000 ans et pour la vie moyenne environ 2900 ans. La valeur de la période ainsi trouvée par voie expérimentale est peu éloignée de celle qui a été prévue par M. Rutherford à la suite de considérations théoriques sur l’émission de particules par le radium (§ 188). Cette concordance constitue une confirmation remarquable des hypothèses faites sur le mode de la désintégration atomique.

La connaissance de la vie moyenne du radium permet de prévoir celle de l’uranium. Puisque l’activité du radium au minimum d’activité est à masse égale 1,3.106 fois plus grande que celle de l’uranium, et que les parcours des particules du radium et de l’uranium sont peu différents, le nombre 1,3.106 mesure aussi le rapport des nombres de particules émises respectivement par un gramme de radium et par un gramme d’uranium pendant le même temps. Si l’émission d’une particule correspondait à la destruction d’un atome, la période de l’uranium serait donc égale à 2000 x 1,3.106 ; soit 2,6.109 ans.

On peut aussi évaluer la période de l’uranium, en admettant qu’à l’état d’équilibre radioactif avec le radium, les nombres d’atomes des deux substances sont entre eux comme les inverses des constantes radioactives ou comme les périodes. Le rapport des poids de radium et d’uranium est donc alors égal à Si l’on admet que ce rapport est égal à 3,5.10-7 on trouve

5,5.109 ans.

Ce nombre est à peu près le double de celui trouvé par la méthode précédente, ce qu’on pourrait expliquer en admettant qu’un atome d’uranium donne lieu à la production de deux particules soit directement, soit par l’intermédiaire de dérivés encore inconnus.


212. Activité des minerais d’urane. — L’activité relative des différentes substances dans un minerai d’uranium a été déterminée par M. Boltwood[16]. On mesurait l’ionisation produite par une pellicule très mince de matière ; l’activité était proportionnelle à la masse de matière employée. Les dimensions de la chambre d’ionisation étaient telles que, dans tous les cas, les rayons étaient complètement absorbés par l’air de la chambre.

Une première série d’expériences a été faite pour évaluer la proportion d’uranium dans les minerais et l’activité des minerais par gramme d’uranium. Comme les minerais contiennent aussi du thorium, il était nécessaire de doser celui-ci et de faire une correction correspondante. Une autre correction résulte de ce que les minéraux perdent de l’émanation du radium, et qu’il faut ramener leur activité à la valeur qu’elle aurait si l’émanation restait entièrement occluse.

L’uranium était séparé suivant les méthodes ordinaires de l’analyse. La principale partie de l’opération consiste à dissoudre le minerai dans l’acide azotique étendu, à séparer les corps précipitables par l’hydrogène sulfuré et à traiter les azotates restants secs par l’éther pur et sec afin d’extraire l’azotate d’urane. L’uranium était dosé à l’état d’oxyde U308.

Le thorium se trouve avec les azotates insolubles dans l’éther et peut être précipité de leur solution par l’acide oxalique. Ces oxalates contiennent aussi les autres terres rares et l’ionium. Le thorium était séparé en utilisant la solubilité de son oxalate dans l’oxalate d’ammonium en excès.

L’activité de l’uranium pur était évaluée en utilisant une pellicule étalon préparée avec de l’oxyde U308 très pur en quantité connue. L’activité du thorium contenu dans les minéraux était évaluée en utilisant une pellicule préparée avec une thorite qui contenait 52 pour 100 d’oxyde de thorium et 0,37 pour 100 d’uranium seulement. Sachant qu’un gramme d’uranium dans le minerai a une activité environ 4,5 fois plus grande qu’un gramme d’uranium pur, on peut calculer la fraction de l’activité totale qui est due à l’uranium et qui n’est égale qu’à 3 pour 100 dans le cas de la thorite considérée. On peut alors déduire l’activité qui, par gramme de minerai, est attribuable au thorium accompagné de ses dérivés.

La proportion de l’émanation qui s’échappe à l’état solide était déterminée pour chaque minerai. Il en résulte une correction qu’on peut calculer, quand on connaît l’activité minimum du radium contenu dans le minerai et la loi suivant laquelle varie l’activité du radium avec la quantité d’émanation accumulée. Ce dernier point a fait l’objet d’une recherche spéciale.

Les minerais examinés ont été plusieurs uraninites, la carnotite, la thorianite. Toutes corrections faites, l’activité par gramme d’uranium s’est montrée constante et 4,7 fois plus grande que celle d’un gramme d’uranium dans un sel pur. Ce nombre diffère de 4 pour 100 environ du nombre indiqué par MM. Mc Coy et Ross. La valeur trouvée pour la carnotite est inférieure aux autres, mais pour ce minerai les conditions ne sont pas bonnes, parce qu’étant très perméable il perd beaucoup d’émanation et qu’il est exposé à l’action de l’infiltration des eaux.

Les résultats obtenus sont représentés dans le Tableau suivant :

  Uranium. Thorium. Correction
pour
l’émanation
perdue.
pour 100 pour 100 pour 100
Uraninite 
  
77,2 6,0 4,70 0,6
Urai» 
  
77,7 6,1 4,68 1,1
Urai» 
  
78,5 1,9 4,67 6,2
Urai» 
  
75,8 1,9 4,73 6,1
Urai» 
  
66,7 0,0 4,68 2,8
Carnotite 
  
49,0 0,0 4,32 16,21
Urai» 
  
43,1 0,0 4,50 5,5
Thorianite 
  
12,5 78,87 4,72 0,4

L’activité d’une quantité connue de radium dans le même appareil de mesures a été évaluée en utilisant comme source de rayons une pellicule très mince de sel de radium obtenue par évaporation d’une solution de teneur connue. Connaissant d’autre part la quantité d’uranium qui correspond dans les minéraux à cette quantité de radium, on trouve que le rapport de l’activité minimum du radium à celle de l’uranium dans un minerai est égal à 0,45.

Dans le même appareil l’activité du radium en équilibre avec l’émanation et le dépôt actif est 5,64 fois plus grande que l’activité minimum, ainsi qu’il résulte de mesures faites en tenant compte de la perte d’émanation par le sel solide. Par conséquent l’activité du radium dans les minéraux qui n’éprouvent pas de perte d’émanation appréciable doit être dans le rapport 0,45 × 5,64, soit 2,54 à celle de l’uranium, et sur ce rapport la partie 0,45 correspond au radium seul, et la partie 2,09 à l’émanation accompagnée du radium A, du radium B et du radium C. M. Boltwood a essayé de récolter le dépôt actif d’une quantité donnée d’émanation et de déterminer son activité ; le dépôt actif était reçu pendant 4 heures sur une plaque chargée négativement, et son activité était ensuite mesurée en fonction du temps ; cette activité ne constituait que 60 pour 100 environ de celle qui pouvait être prévue d’après les parcours des particules ce qui résulte de ce fait que le dépôt actif n’a pu être complètement extrait du gaz dans lequel il était formé.

Pour évaluer l’activité du polonium, M. Boltwood séparait ce corps des sulfures précipitables par l’hydrogène sulfuré dans la solution acide du minerai. Ces sulfures ayant été dissous dans l’acide azotique, on séparait le plomb à l’état de sulfate ; la solution restante était précipitée par l’ammoniaque ; les hydrates obtenus étaient redissous dans l’acide chlorhydrique, et dans la solution on laissait plonger un bouton de bismuth qui récoltait le polonium pendant plusieurs jours. Si le bismuth est maintenu en rotation, le dépôt est fait en quelques heures. Dans d’autres expériences la solution était versée dans un vase au fond duquel on plaçait une plaque de cuivre ; on agitait la solution et le polonium se déposait sur la plaque. Un peu de polonium est entraîné avec le sulfate de plomb. La séparation du polonium ne se fait pas facilement d’une manière complète ; elle est meilleure quand on additionne la solution du minerai d’un peu de bismuth. Les nombres obtenus pour le rapport de l’activité du polonium à celle de l’uranium dans les minéraux varient entre 0,03 et 0,46. La valeur du même rapport, prévue d’après le parcours des particules du polonium, est 0,49. On peut remarquer que la teneur en polonium est nécessairement diminuée pour les minéraux qui dégagent de l’émanation.

La séparation de l’ionium est également une opération difficile. Pour la réaliser on entraîne d’abord l’ionium en ajoutant du thorium à la solution du minerai après la séparation des sulfures, et en séparant ensuite ce thorium et les autres terres rares à l’état d’oxalates. Le précipité des terres rares est soumis à des traitements de purification, puis la solution chlorhydrique est maintenue en ébullition avec de l’hyposulfite de sodium jusqu’au départ de l’acide sulfureux ; le précipité contenant du soufre est traité par l’acide chlorhydrique étendu et reprécipité encore une fois par l’hyposulfite de sodium ; ce second précipité fortement calciné sert pour les mesures. Les pellicules préparées avec cette substance augmentent d’abord d’activité pendant un mois en raison de la formation de thorium X ; l’activité diminue ensuite lentement par suite de la destruction du radiothorium qui ne se trouve pas en équilibre dans le sel de thorium ayant servi pour l’entraînement et ne contenant pas de mésothorium. On tient compte de l’activité du thorium qui est déterminée directement sur le sel de thorium et l’on trouve pour le rapport des activités de l’ionium et de l’uranium dans les minerais la valeur 0,35. L’ionium préparé par la méthode indiquée est considéré comme exempt d’actinium. Dans d’autres expériences on supprimait la précipitation par l’hyposulfite de sodium ; l’actinium restait alors avec l’ionium, et l’activité augmentait régulièrement. Aussitôt après la séparation, l’activité initiale, considérée comme due à l’ionium seul, a la même valeur que celle qui résulte des expériences où l’actinium est séparé.

L’actinium reste dans la solution des terres rares après la précipitation du thorium et de l’ionium par l’hyposulfite de sodium. Les terres rares contenues dans cette solution sont transformées en hydrates, puis en oxydes. L’activité, presque nulle au début, augmente peu à peu et atteint une limite après 4 mois ; la courbe d’accroissement correspond à celle qui est observée pour l’actinium privé de ses dérivés. L’activité de l’actinium ainsi évaluée n’est que 0,14 de celle de l’uranium, tandis que le rapport déduit de l’accroissement d’activité des pellicules contenant l’actinium avec l’ionium était trouvé égal à 0,42 et à 0,36 dans deux expériences différentes. La séparation quantitative de l’actinium est donc une opération difficile.

En résumé les activités relatives des différentes substances sont les suivantes :

                                                  
Uranium 
  
1,00
Ionium 
  
0,35
Radium 
  
0,45
Émanation
  
  
2,10
Radium A
Radium B
Radium C
Polonium 
  
0,46
____
4,36

Si l’on admet que le rapport de l’activité d’un gramme d’uranium dans le minerai et d’un gramme d’uranium dans les sels d’urane est environ 4,7, on voit que la proportion de l’activité attribuable à l’actinium est environ 0,3, en admettant qu’il existe un rapport constant entre les proportions d’uranium et d’actinium dans les minéraux.

On peut remarquer que, conformément à une remarque qui a déjà été faite, l’activité de l’uranium dans les minéraux est environ le double de celle du radium, de sorte que le nombre des particules émises par l’uranium est environ deux fois plus grand que le nombre des particules émises par la quantité correspondante de radium. Quant à l’activité de l’ionium, elle est dans un rapport normal avec celle du radium, le parcours des particules de l’ionium étant notablement plus court que celui des particules du radium.

M. Boltwood a constaté qu’un minerai, qui a été chauffé au rouge clair et rendu ainsi imperméable à l’émanation, donne après un mois la même activité par gramme d’urane qu’un minerai non chauffé, ce qui prouve que le polonium n’est pas notablement volatilisé dans ces conditions.

L’activité de l’actinium dans les minéraux n’est pas en accord avec la supposition que l’actinium puisse être compris dans la suite des termes procédant par filiation directe de l’uranium. En effet, en ce cas l’activité de l’actinium dans les minerais, devant correspondre à l’émission d’au moins 4 particules serait beaucoup plus grande que celle que donne l’expérience. Comme, d’autre part, une relation entre l’uranium et l’actinium est probable, l’actinium pourrait faire partie d’une chaîne latérale formée à partir de l’uranium en même temps que celle qui comprend l’ionium et le radium. Les essais directs, faits en vue de mettre en évidence la formation d’actinium à partir de l’uranium, n’ont pas donné jusqu’ici de résultat positif[17].


213. Produits extrêmes de la destruction des éléments radioactifs. Âge des minéraux. — Les phénomènes radioactifs comportent l’émission de particules et de particules L’émission de particules correspond probablement dans tous les cas à un dégagement d’hélium ; l’expulsion d’une particule ne peut avoir lieu sans entraîner la destruction de l’atome. Quant à l’émission d’une particule il est possible qu’elle puisse se produire sans que le poids de l’atome et sa nature éprouvent une altération profonde.

L’hélium constitue l’un des produits extrêmes de la destruction des éléments radioactifs, et c’est jusqu’à présent le seul de ces produits qui soit connu.

L’étude de la teneur des minéraux en hélium a été faite par M. Strutt[18]. Les recherches ont porté sur les minéraux radioactifs proprement dits et sur les minéraux ordinaires. Le minerai pulvérisé était décomposé en tube scellé à la température de 200° en présence d’acide sulfurique concentré ; cette opération est quelquefois très longue. Les gaz formés étaient extraits, mélangés avec l’oxygène et soumis à l’action de l’étincelle en présence de soude ; l’oxygène était ensuite absorbé par barbotage du gaz dans du phosphore fondu. Le résidu gazeux était considéré comme formé d’hélium. Dans d’autres expériences le minerai était simplement chauffé au rouge en vase clos ; les gaz dégagés étaient soumis à l’action de réactifs absorbants appropriés ; le résidu formé d’azote et de gaz rares était soumis à l’action de la décharge électrique en présence d’oxygène et de potasse, puis à l’action absorbante du charbon à basse température ; l’argon, presque toujours présent, était absorbé et le résidu gazeux donnait le spectre de l’hélium.

Tous les minéraux radioactifs contiennent de l’hélium, mais la proportion de ce gaz est assez variable. Le minerai le plus riche en hélium est la thorianite qui en contient 9cm3 par gramme. L’orangite n’en contient qu’environ 0cm3,11 par gramme, et il en est de même pour la pechblende et la chalcolite qui sont relativement riches en radium. En général, il y a simultanément présence de corps radioactifs et d’hélium dans les minéraux. La seule exception connue est le béryl qui contient une proportion relativement forte d’hélium (environ 0cm3,017 par gramme), sans manifester une radioactivité appréciable.

On sait actuellement que tous les minéraux et roches de la croûte terrestre contiennent une proportion extrêmement faible de radium (§ 224) ; ils doivent donc aussi contenir de l’uranium. D’autre part, le thorium est également présent à l’état de traces. Tous ces minéraux contiennent des traces d’hélium, et il semble que la proportion de ce gaz soit conforme à la teneur en corps radioactifs, sauf dans le cas exceptionnel du béryl.

Quand l’hélium est produit par la destruction de radioéléments il peut soit s’échapper en partie du minerai ; soit, si celui-ci est compact, y rester entièrement occlus. L’hélium s’accumule en ce cas dans le minerai, et cette accumulation n’est pas limitée par un phénomène de destruction spontanée ; la teneur en hélium dépend donc de la vitesse de production et du temps pendant lequel sa formation a eu lieu dans le minerai.


M. Rutherford a émis la supposition que le plomb pouvait être le produit final de la destruction du radium. Le poids atomique du plomb est en effet très voisin du nombre 206,5 qu’on obtient en retranchant du poids atomique du radium le poids des 5 particules émises lors des transformations successives, soit 4 x 5 = 20. Le plomb est d’ailleurs, en général, présent dans les minéraux radioactifs. Si l’hypothèse est exacte, ce corps doit s’accumuler dans les minéraux.

M. Boltwood[19] a fait une étude des minéraux primaires inaltérés ; il a constaté que le rapport des proportions de plomb et d’uranium varie entre 0,04 et 0,25. Les minéraux de même provenance donnent sensiblement le même rapport ; ceux pour lesquels le rapport est plus petit peuvent être considérés comme de formation plus récente. On peut aussi remarquer que si l’hélium était dû seulement à la destruction de l’uranium, et s’il en était de même du plomb, les quantités d’hélium et de plomb devraient être proportionnelles dans les minéraux dans lesquels l’hélium est resté occlus, et leur rapport serait celui des nombres 32 et 206. La proportion d’hélium réellement observée n’est jamais, d’après M. Boltwood, supérieure à celle ainsi calculée.

On peut cependant remarquer que, d’après M. Marckwald, le plomb est absent de l’autunite ou ne s’y trouve qu’à l’état de traces[20].

On peut espérer établir directement quelle est la nature de la substance inactive qui constitue le dernier terme dans la famille du radium. Le spectre de cette substance doit apparaître dans le spectre des produits très concentrés en polonium, lors de la destruction de celui-ci. De plus cette substance doit être projetée par le polonium, en vertu du phénomène de recul lié à l’émission des particules et l’on peut essayer de la recueillir en utilisant cette projection.


La teneur des minéraux en hélium peut fournir un procédé d’évaluation approchée de l’âge des minéraux.

La production annuelle d’hélium par un gramme de radium en équilibre radioactif avec l’émanation et la radioactivité induite à évolution rapide est approximativement connue et voisine de 160mm. Cette production représente l’émission de 4 groupes de rayons Le radium étant considéré comme un dérivé de l’uranium, la transformation d’un atome d’uranium en atome de radium, peut encore comporter l’émission de 3 particules dont deux sont attribuées actuellement à l’uranium et une à l’ionium. L’activité relative de l’uranium, de l’ionium et du radium dans les minerais d’urane est conforme à l’hypothèse qu’à l’état d’équilibre radioactif les nombres de particules émises par le radium au minimum d’activité et l’ionium sont les mêmes, tandis que le nombre des particules émises par l’uranium est double. Enfin un groupe de particules est émis par le polonium, descendant du radium dans la série des composants de la radioactivité induite à évolution lente ; d’après l’activité du polonium dans le minerai on peut penser que ce groupe comporte l’émission du même nombre de particules que chacun des autres groupes relatifs au radium et à ses dérivés. Par conséquent la production d’hélium par un gramme d’uranium en équilibre radioactif avec l’ionium, le radium et les dérivés de celui-ci est relative, d’après nos connaissances actuelles, à l’émission de 8 groupes de rayons contenant tous le même nombre de particules ; pour obtenir le volume de l’hélium produit, il faut donc doubler la valeur de ce volume qui correspond aux 4 premiers groupes du radium. Si un gramme d’uranium est accompagné de 3,4.10-7 gramme de radium, on trouve ainsi pour la production annuelle d’hélium par gramme d’uranium

160 × 3,4.10-7 × 2 mm3,            soit            1,08.10cm3.

Si l’on considère un minerai d’urane contenant peu de thorium, et si l’on admet que la production d’hélium est restée constante depuis la formation du minerai, et que l’hélium produit s’y trouve entièrement à l’état occlus, l’âge du minerai se déduit très simplement de la mesure de la teneur en hélium. On trouve ainsi pour la fergusonite, qui contient 7 pour 100 d’uranium et 1cm3,8 d’hélium par gramme, un âge d’environ 2,4.108 ans. Ce mode de calcul ne s’applique pas aux minerais riches en thorium, comme la thorianite, dans lesquels la production d’hélium ne peut être attribuée seulement à l’uranium et à ses dérivés. De plus, si la production d’hélium va en diminuant, l’âge du minerai peut être moins élevé ; s’il y a eu de l’hélium dégagé, il peut être plus élevé.

D’après M. Strutt, même les minéraux très compacts, tels que la thorianite, dégagent de l’hélium à la température ordinaire, mais on peut penser que les conditions qui déterminent l’occlusion de ce gaz ont pu être modifiées.

On peut aussi essayer de mesurer directement la vitesse de production d’hélium dans un minerai. Des recherches à ce sujet ont été faites par M. Strutt qui a trouvé pour la thorianite une production de 3,7.10-8 centimètre cube par gramme et par an ; d’où, pour l’âge de ce minerai qui contient 9cm3 d’hélium par gramme, une valeur de l’ordre de 240 millions d’années, en admettant que l’hélium est resté occlus et que sa production a été constante. Dans une solution de pechblende la production observée était égale à 10,4.10-8 cm3 par gramme de U3O8 et par an ; ce nombre n’est pas éloigné de celui que fait prévoir la théorie pour un minerai d’urane, et qui est égal à 9,2.10-8 cm3 par gramme de U3O8 et par année[21].

Les temps trouvés pour l’âge des minéraux sont de l’ordre de ceux que l’on considère en géologie. Quand l’étude de la désagrégation des radioéléments sera plus complète, on pourra probablement en retirer des renseignements de grande valeur relativement à l’évolution des minéraux.

L’occlusion de l’hélium semble être un phénomène analogue à une dissolution. Quand un minerai est chauffé au rouge, l’hélium s’en dégage en grande partie, mais le dégagement n’est complet que lorsque le minerai est dissous. Ce fait peut être rapproché de l’observation d’après laquelle l’hélium traverse la paroi d’un tube de quartz vers 500o.


214. Liste de minéraux radioactifs. — Voici une liste des minéraux radioactifs les plus importants, avec indication de leur composition et de leur provenance[22].

                                                                                                                                                                                                                
Composition chimique. Provenance.
Uranite (pechblende). Variétés : clévéite, bröggerite, nivénite, coracite.
Minerai d’oxyde d’urane U3O8, contient aussi du plomb, de la silice, des terres rares et des gaz rares.
Uranium 50 à 80 p. 100
Thorium h0 à 10 p. 100.
Se trouve dans les roches granitiques ; granite, syénite, pegmatite : Norvège, Suède, Caroline du Nord (Mitchell), Connecticut (Branchville),
ou en filons voisins des roches granitiques ; Erzgebirge (St -Joachimstahl, Johanngeorgenstadt et autres localités de Bohême et de Saxe), Cornwall, Colorado, Dacota du Sud.
Gummite
Oxyde d’urane hydraté contenant de la silice et du plomb.
Uranium 50-65 p. 100.
Produit d’altération de la pechblende trouvé dans les filons de cette dernière.
Uranophane (uranotil)
Oxyde d’urane hydraté contenant de la silice et de la chaux.
Uranium envir. 50 p. 100.
Produit d’altération de la pechblende trouvé dans les roches granitiques et dans les filons.
Cuprouranite (chalcolite, torbernite)
Phosphate double de cuivre et d’uranyle hydraté.
Uranium envir. 50 p. 100.
Produit d’altération de la pechblende trouvé dans les filons ; Erzgebirge, Cornwall, Saint-Yriex près Limoges.
Autunite
Phosphate double d’uranyle et de calcium hydraté.
Uranium envir. 50 p. 100.
Produit d’altération de la pechblende trouvé dans les granites uranifères ; Erzgebirge, Cornwall, Autun, Philadelphia, Tonkin.
Carnotite
Vanadate d’uranium et de potassium.
Uranium envir. 50 p. 100.
Se trouve dans les roches sédimentaires poreuses, Colorado et Utah.
Uranosphærite
Oxyde d’uranium et de bismuth hydraté.
Uranium envir. 40 p. 100.
Produit d’altération de minerais d’urane ; Saxe.

Composition chimique. Provenance.</noinclude>
Uranospinite.
Arséniate d’uranium et de calcium hydraté.
Uranium 49 p. 100.
Produit d’altération de minerais d’urane ; Saxe.
Zeunérite.
Arséniate de cuivre et d’uranyle.
Uranium envir. 50 p. 100.
Produit d’altération de la pechblende ; Joachimstahl.
Uranocircite.
Phosphate de baryum et d’uranyle hydraté.
Uranium 46 p. 100.
Produit d’altération de minéraux d’urane dans les granites uranifères.
Phosphuranylite.
Phosphate d’uranyle.
Uranium envir. 60 p. 100.
Pyromorphite.
Chlorophosphate de plomb contenant du radium.
En filons, Issy-l’Évêque.
Thorite, orangite, uranothorite.
Silicate de thorium contenant de l’uranium.
Thorium 40 à 50 p. 100.
Uranium 1 à 10 p. 100.
Constituants primaires des roches granitiques, Norvège (Arendal)
Thorianite.
Oxyde de thorium et d’uranium, terres rares, plomb et hélium.
Uranium 9 à 10 pour 100.
Thorium 65 pour 100.
Constituants primaires des roches granitiques, à Ceylan.
Thorogummite.
Silicate de thorium et d’uranium hydraté.
Uranium 18 pour 100.
Thorium 36 pour 100.
Texas.

Composition chimique. Provenance.</noinclude>
Samarskite.
Niobate et tantalate des terres rares et d’uranium.
Uranium 8 à 10 pour 100.
Constituant primaire des roches granitiques, Oural, Caroline du Nord, Suède.
Fergusonite.
Niobate et tantalate des terres rares
Uranium 1 à 7 pour 100.
Constituant primaire des roches granitiques, Norvège (Arendal), Caroline du Nord.
Euxénite.
Niobate et titanate des terres rares
Uranium 3 à 10 pour 100.
Constituant primaire des roches granitiques, Norvège (Arendal), Caroline du Nord.
Monazite.
Phosphate de terres cériques.
Uranium 0 à 5 pour 100.
Thorium 7 à 30 pour 100.
Constituant primaire des roches granitiques, Caroline, Brésil.
Xénotime.
Phosphate d’yttrium.
Uranium jusqu’à 30 p. 100.
Produit d’altération d’un minéral contenu dans les roches granitiques, Brésil.
Aeschynite.
Niobate et titanate de terres rares.
Uranium 0,33 pour 100.
Thorium 0 à 20 pour 100.
Constituant primaire des roches granitiques, Oural, Norvège, Brésil.

Les minéraux radioactifs sont tous des constituants ou des dérivés de roches éruptives granitiques ; ils peuvent être partagés en classes. Les minéraux les plus anciens ou primaires sont ceux qui sont restés inaltérés dans les roches originaires : les granites, les syénites, les pegmatites dans la Norvège du Sud, dans l’Oural, dans le Dacota du Nord, en Texas. Tels sont la fergusonite, la monazite, l’aeschynite, la thorite, la thorianite (Ceylan), la samarskite, etc. Ces minéraux ne se trouvent nulle part en grande quantité, mais certains d’entre eux sont très répandus. Les roches granitiques et les autres roches éruptives possèdent une très faible radioactivité et la présence de radium à l’état de dilution extrême a pu y être constatée ; mais la formation de minéraux où les radioéléments se sont concentrés semble n’avoir eu lieu que dans les roches granitiques. Cette formation est attribuée à l’action de la vapeur d’eau chaude, chargée de matière minérale, sur la roche plus ou moins solidifiée.

Une autre classe de minéraux radioactifs doit sa formation à l’action des eaux sur les roches contenant les minéraux primaires ; cette action a donné lieu à la formation de minéraux nouveaux, soit dans la roche d’origine ; soit, après abandon de celle-ci, dans des roches voisines. Parmi ces minéraux, il en est pour lesquels une grande concentration en uranium a été réalisée ; leurs principaux représentants sont les uraninites (pechblendes). En Bohême et en Saxe la pechblende a formé des filons dans la dolomie et le quartz ou dans l’ardoise voisine du massif granitique. D’autres uraninites, dont l’origine est considérée comme beaucoup plus ancienne, se sont formées dans les roches primaires où elles se trouvent parfois en beaux cristaux ; elles s’y trouvent associées à des minéraux primaires.

La pyromorphite radifère doit probablement aussi son origine à l’action des eaux sur un minéral contenant de l’uranium et du radium. Ce minéral se trouve en filons non loin des gisements de minerais d’urane d’Autun.

Enfin, une dernière classe de minéraux comprend ceux qui se sont formés à partir des minéraux des deux classes précédentes par l’action des agents atmosphériques. Ces minéraux : chalcolite, autunite, gummite, uranophane, etc. accompagnent, en général, les uraninites dans les roches granitiques ou les filons. Toutefois certains des minéraux radioactifs primaires se sont montrés plus réfractaires à l’action des agents atmosphériques que leur roche d’origine, et lors de la destruction de celle-ci, ils se sont accumulés dans les sables ; c’est là l’origine des sables monazités qui sont la source principale du thorium du commerce.

Certains minéraux particuliers ont aussi été signalés. Ainsi la cotunnite du Vésuve, un minerai de plomb, contient, d’après M. Rossi[23], du radium D, du radium E et du radium F sans radium. L’activité de ce minerai atteint 50 pour 100 de celle de l’uranium. M. v. Borne a signalé un minerai d’oxyde d’étain radioactif qui dérive probablement de roches granitiques voisines. Enfin le cinabre des environs de Belgrade et d’Idria est radioactif.

La dissémination des minéraux radioactifs par suite de la destruction des roches primaires dans lesquelles ils sont contenus peut donner sinon totalement, du moins en partie, l’explication de la dissémination de traces de radioéléments à la surface de la terre.


215. Remarques sur les familles des radioéléments. — On peut observer que le caractère général des transformations radioactives est le même dans toutes les familles. La transformation semble toujours se faire de telle manière qu’une substance radioactive donne lieu à la formation d’une seule substance radioactive ; en aucun cas la production simultanée de deux radioéléments à partir de la même substance mère n’a encore été observée. Il est possible cependant qu’on soit amené à considérer des cas de ce genre ; la question se pose, en particulier, pour la filiation de l’actinium à partir de l’uranium.

En général, la transformation a pour effet de produire des éléments de moins en moins électropositifs suivant la série de Volta. Les constantes radioactives ont toutes des valeurs différentes, et l’on n’en connaît pas encore qui aient la même valeur pour deux substances manifestement distinctes. Les valeurs les plus voisines sont celles obtenues pour l’émanation du radium et le thorium X, mais ces valeurs ne sont pas identiques.

Les principaux radioéléments dont le poids atomique est connu représentent en même temps les éléments dont le poids atomique est le plus élevé (Th=232, Ur=239, Ra= 226,5). Il semble que les atomes de grand poids dont la structure est probablement compliquée soient en même temps les moins stables. Toutefois le degré de radioactivité n’est pas en relation avec la grandeur du poids atomique.

La théorie des transformations radioactives sous sa forme actuelle prévoit environ 30 radioéléments dont 3 gazeux et les autres solides. On ne voit pas encore facilement de quelle manière ces éléments pourraient être introduits dans la classification périodique. On ne se rend pas compte non plus des causes qui déterminent les transformations et leur rapidité relative.

Le plus souvent, dans une famille, le parcours des rayons émis est d’autant plus grand que la transformation est plus rapide. La production de rayons de grande vitesse accompagne de préférence les transformations très rapides. Ces règles ne peuvent pas être considérées comme absolues, mais il est possible, que les écarts tiennent à l’insuffisance de nos connaissances à ce sujet. Ainsi l’on a pu montrer récemment que le radium C, qui émet des rayons de grand parcours et des rayons très rapides, sans cependant avoir une période très courte, est, en réalité, une substance complexe. On peut néanmoins remarquer que les transformations rapides ne semblent nécessairement accompagnées ni de rayons ni de rayons ainsi que l’indique l’exemple du thorium C et de l’actinium B qui n’émettent pas de rayons et celui du thorium D et de l’actinium C qui n’émettent pas de rayons

Voici comment on peut disposer les familles des radioéléments de manière à faire correspondre sur une même ligne horizontale les termes qui offrent quelque analogie :


      Thorium.       Uranium.
Actinium. Mésothorium 1. Radiouranium.
Mésothorium 2. Uranium X.
Radioactinium. Radiothorium. Ionium.
Actinium X. Thorium X. Radium.
Émanation. Émanation. Émanation.
Radium A.
Actinium A. Thorium A. Radium B.
Actinium B1. Thorium B. Radium C.
Actinium B2. Thorium C.
Radium D.
Actinium C. Thorium D. Radium E.
Radium F.

La correspondance entre les familles du thorium et de l’actinium semble assez étroite, surtout si l’on considère l’actinium B comme un corps complexe émettant deux groupes de rayons il est peu probable que cette correspondance soit l’effet du hasard. La famille du radium offre des divergences plus importantes avec les deux autres familles. Si l’actinium dérive de l’uranium, il peut se faire que la destruction de l’uranium entraîne la formation de radiouranium et d’actinium.


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  1. Rutherford et Soddy, Phil. Mag., 1903.
  2. Mme  Curie, Thèse de Doctorat.
  3. Boltwood, Phil. Mag., 1905.
  4. Eve, Amer. Journ. of Sc, 1906.
  5. Danne, Comptes rendus, 1905.
  6. Mlle  Gleditsch, Comptes rendus, 1909.
  7. Soddy, Nature, 1904 et 1905.
  8. Soddy et Mackenzie, Phil. Mag., 1907.
  9. Soddy, Phil. Mag., 1909.
  10. Boltwood, Phys. Zeit., 1906.
  11. Rutherford, Phil. Mag., 1907.
  12. Boltwood, Ann. Journ. of Sc, 1907.
  13. Hahn, Berichte, 1907.
  14. Keetman, Thèse de doctorat, Berlin, 1909.
  15. Boltwood, Amer. Journ. of Sc., 1908.
  16. Boltwood, Amer. Journ. of Science, 1908.
  17. Soddy et Mackenzie, Phil. Mag., 1907.
  18. Strutt, Proc. Roy. Soc., 1905, 1908, 1909.
  19. Boltwood, Amer. Jour. of Sc., 1907.
  20. Marckwald, Ber. d. d. chem. Ges., 1908.
  21. Strutt, Nature, 1909.
  22. Jahrbuch d. Rad., t. II ; Le Radium, 1909.
  23. Rossi, Le Radium, 1908.