Traité des aliments de carême/Partie 1/Des Poissons en particulier

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Jean-Baptiste Coignard (Tome Ip. 307-388).

DES POISSONS,
en particulier,

Et premierement,
Des Poissons de Mer.



Aprés avoir parlé du Poisson en general, il nous reste, suivant le plan que nous nous sommes fait, à parler des differentes especes de poissons qui sont en usage sur les tables pendant le Carême. Nous exposerons donc avec le plus de clarté qu’il nous sera possible, les differentes qualitez de ces alimens, considerez en détail, & nous tâcherons de ne rien oublier sur ce point, de tout ce qui pourra instruire utilement les Lecteurs. Nous verrons en même tems, mais par occasion seulement, & sans en faire nôtre capital, que ce que l’Anonyme dit de plus considerable sur les poissons en particulier, pour prouver qu’ils sont préferables à la viande, n’est pas moins puerile, que ce qu’il en a dit en general. Nous commencerons par les Poissons de Mer, & nous viendrons ensuite à ceux d’Eau-douce ; aprés quoi nous examinerons les Amphibies.

Les Poissons de Mer les plus ordinaires sur les tables de Carême, sont, 1o. le Turbot, la Barbuë, la Sole, la Plye, la Limande, le Flez, le Carrelet, la Vive, le Rouget, le Surmulet, le Merlan, la Raye, l’Alose, la Lamproye, la Brame, l’Esturgeon, la Seiche. 2o. Parmi ceux qui ont des coquilles, les Ecrevisses de mer, les Moules, les Huîtres. 3o. Parmi ceux que l’on salle, les Sardines, les Anchoyes, le Hareng, le Saumon, la Morue & la Merluche. Nous allons parler par ordre de tous ces poissons.


DU TURBOT,
& de la Barbuë.

Le Turbot[1], autrement dit, Phaisan d’eau, Phasianus aquatilis, à cause que sa chair approche en bonté, de celle du phaisan, est un poisson plat, fort large, fait en forme de losange, d’où lui est venu le nom de Rhombus[2], qui a une chair blanche, ferme & trés-succulente. Ce poisson, qui est trés-vorace, vit de petits poissons, & sur tout d’écrevisses. C’est un des meilleurs poissons de mer, des plus nourrissans, & des plus sains ; la chair en est friable, & se digere assez aisément. On le mange, ou au court-boüillon, servi à sec dans une serviette, ou à la saulce blanche. Il se mange aussi en pâte, froid ou chaud ; il est bon de toutes ces manieres, pourvû que l’assaisonnement y soit ménagé : car la plûpart des Cuisiniers alterent la bonne qualité de ce poisson à force de thim, de romarin, d’oignon, de cloud de girofle, de poivre, & de sel. Il est plus sain boüilli dans le vin que dans l’eau ; & à parler en general, le poisson étant aqueux, comme il est, a besoin, quand on le fait boüillir, d’être un peu corrigé par le vin ; sur quoi nous remarquerons que le vin blanc vaut ordinairement mieux ici que le rouge, & cela pour deux raisons ; l’une qu’il rend le poisson plus blanc & plus ferme, & l’autre, qu’il lui donne une qualité diuretique, dont l’effet n’est pas à mépriser, quand on fait un long usage de poissons ; ce que nous disons principalement pour certaines Communautez, qui n’ont presque point d’autre nourriture pendant toute l’année.

La Barbue[3] est du nombre des turbots ; elle en a la figure & le goût ; mais la chair en est moins ferme & moins friable ; ce qui est cause qu’elle prend plûtôt l’assaisonnement ; c’est pourquoi pour être sainement aprêtée, il y faut moins de sel, & des autres assaisonnemens, qu’au turbot proprement dit. Quelques-uns prétendent que la Barbuë est meilleure vieille ; mais c’est une erreur ; les vieilles barbuës ont la chair longue & coriasse, & les jeunes l’ont friable & délicate.

Le Turbot étoit fort recherché chez les Romains, & ils le regardoient comme un des plus excellens mets : ce qui fait dire à Horace, Vents du midi, gâtez, je vous conjure, & empoisonnez par vos haleines les mets de tous ces gens de bonne chere ; mais non ils sont déja rebutez de sanglier & de turbot, l’abondance & la varieté des mets leur fait soulever le cœur[4].


             At vos
Præsentes austri coquite horum
        Obsonia : quamquam
Putet Aper, Rhombusque recens.


& à Perse, j’userai de mon bien ; mais je ne serai pas si prodigue que de nourrir mes gens avec des turbots.


        Utar ego utar
Nec Rhombos ideò libertis ponere lautus
[5].


DE LA SOLE.

La Sole, autrement appellée, Perdrix de mer[6], Perdix marina, à cause de son bon goût, est un poisson long & plat, qui a la chair courte, blanche, ferme, & trés-savoureuse. C’est peut-être le plus exquis, le plus nourrissant, & le plus sain qui se puisse manger. Il est beaucoup meilleur transporté, que sur les lieux ; ce qui vient de ce qu’il renferme une petite viscosité, qui se dissipe par le transport. C’est pourquoi il est plus excellent à Paris ou à Lyon, que sur le bord de la mer. On dit que Henri III. en faisait son mets favori les jours maigres : ce mets s’apprête de plusieurs façons differentes ; & quoi-qu’à parler en general, les fritures ne soient pas bien saines, on remarque que la sole frite n’a rien de si mal-faisant ; ce qui vient de ce qu’aïant la chair fort serrée, elle prend moins de friture que la carpe, & plusieurs autres poissons. On fait des potages avec les soles, désossées & farcies. On prépare des soles en marinade, des soles en ragoût, des soles en pâte : on fait des salades de filets de soles, &c. mais le goût est plus consulté en tout cela que la santé. Les soles frites, soit avec du beurre, soit avec d’excellente huile, ou simplement accommodées à la sauce blanche, sont les plus saines. Ce poisson, remarque Horstius, convient aux malades qui sont en état de manger ; & on le leur conseille, parce qu’il produit un bon sang, que la nourriture qu’il fournit fait peu d’excremens, & qu’il est, outre cela, fort agréable au goût. Solea ægrotantibus præscribitur quod bonum sanguinem generet, parum excrementorum habeat, & palato maxime jucunda sit[7].

L’Auteur du Traité des Dispenses dit qu’un avantage de la sole, c’est qu’elle peut être transportée au loin sans se corrompre[8], & il a raison ; il ajoûte que c’est ce qui prouve combien elle est peu sujette à faire de mauvais sucs. A la bonne heure ; mais deux pages plus bas, en parlant du Surmulet, il dit que le Surmulet ne se transporte que trés-mal-aisement ; mais que cela même est une marque de la bonté de ce poisson[9]. Comment accorder ces deux langages ?


DE LA PLIE, DU QUARRELET,
de la Limande, du Flez, & du Fletelet.

La Plie est un poisson large & plat, dont il y a deux especes ; sçavoir, le grand & le petit. Le grand est celui que l’on nomme Plie en François ; le petit, qui est presque quarré, est connu sous le nom de Quarrelet. Celui-ci est parsemé de taches rougeâtres ou jaunâtres ; l’un & l’autre ont une chair blanche & mollasse.

La Limande est plate aussi, médiocrement large, & couverte de petites écailles fortement attachées à la peau ; la chair en est blanche & molle, comme celle de la Plie & du Quarrelet ; mais un peu visqueuse. Il y a trois especes de Limande ; sçavoir, la Limande proprement dite, le Flez & le Fletelet. La Limande proprement dite, approche de la figure de la Sole ; le Flez, de celle du Quarrelet ; mais il est plus petit, & couvert de petites écailles noires, marbrées de rouge ; le Fletelet ne differe du Flez, qu’en ce qu’il est plus petit. De ces trois especes, la premiere est la meilleure.

La Plie, le Quarrelet, la Limande, le Flez & le Fletelet, ont une chair molle & aqueuse, peu convenable aux estomacs froids & pituiteux ; mais on en corrige en partie la mauvaise qualité, en les faisant cuire dans le vin blanc, avec un peu de sel, & de fines herbes. Ces poissons quittent souvent la mer pour entrer dans l’eau douce ; mais ils valent beaucoup mieux peschez dans la mer. Bien des gens estiment les œufs de la Plie, & les trouvent d’un meilleur goût que sa chair. On fait frire toutes ces sortes de poissons, comme la plûpart des autres ; mais ils boivent beaucoup de friture, ce qui les rend plus difficiles à digerer. Ils sont plus sains rôtis & accommodez ensuite avec les sauces blanches.


DE LA VIVE.

La Vive, ainsi appellée, parce qu’elle vit long tems hors de l’eau, est un poisson à peu près de la taille & de la figure d’un maquereau ; mais elle a la peau plus unie, la chair plus ferme, & les arêtes plus piquantes. C’est un manger excellent & fort sain, la chair en est blanche, courte, friable, & d’un bon goût. Quelques-uns ont prétendu que ce poisson étoit difficile à digerer, & qu’il produisoit des sucs grossiers & mal-faisans ; mais l’experience fait voir que c’est un de ceux qui se digerent le mieux, qui chargent le moins l’estomac, & qui nourrit davantage. La vive se mange ordinairement rôtie sur le gril, servie à la sauce blanche, avec un peu de verjus ; elle est fort saine ainsi aprêtée ; quelques-uns l’aiment mieux frite ; d’autres au beurre roux ; ce dernier apprêt lui ôte beaucoup de sa bonne qualité, le beurre roussi étant un beurre à demi brûlé, qui ne sçauroit que contrarier la digestion.

La Vive est armée au haut du dos de petits aiguillons, dont la piquûre est trés-dangereuse, même après la mort du poisson : c’est pourquoi il est ordonné par les Reglemens de Police, aux Pescheurs & aux Marchands de poisson, de les couper ; ce qu’on néglige assez souvent. Si par hazard on en est picqué, comme il arrive quelque-fois aux Cuisiniers, il n’y a qu’à prendre le foye de la vive, & aprés l’avoir écrasé, l’appliquer sur la blessure ; c’est le remede le plus prompt & le plus seur.


DU ROUGET.

C’est un poisson environ de la longueur de la main, rouge en dehors, blanc en dedans, lequel a la tête grosse, le museau court & pointu, les yeux grands, la gueule petite, garnie de dents médiocres. Il est fort vorace, & il mange les petits poissons. Il nage l’hyver en pleine mer, mais en esté il approche du rivage. C’est un fort bon manger pendant le froid, & même en Carême ; parce qu’alors on le pesche encore en pleine mer, au lieu qu’en esté il approche du rivage, où il se nourrit d’une eau moins pure ; il a la chair blanche, délicate, & facile à digerer ; c’est pourquoi il est du nombre de ceux dont on conseille à la plûpart des infirmes, d’user en Carême, préferablement à plusieurs autres poissons. On remarque qu’il convient dans le cours de ventre, dans la toux, & dans la plupart des maladies qui viennent d’acretez d’humeurs ; ce qu’il est sur tout à propos d’observer pour ceux qui sont engagez par leur état à faire toujours maigre.

Quelques-uns prétendent que l’usage fréquent de ce poisson est contraire à la chasteté ; mais c’est une imagination, qui n’est fondée ni en raison ni en experience ; & il faut mettre ce sentiment avec celui de ceux, qui accusent du même vice les racines, & la plûpart des fruits qui se mangent en Carême.


DU SURMULET,
ou Barbeau de Mer.

Le Surmulet, autrement dit Mulet de mer ; car il y en a aussi un de riviere, est un poisson un peu long, d’une grandeur médiocre, pesant ordinairement deux livres, & couvert de grandes écailles tendres, lequel se nourrit de cadavres & de petits poissons. Il fournit une bonne nourriture ; mais il est quelque-fois trop gras, & alors cette graisse rebute l’estomac, jusqu’à causer des nausées ; il faut donc le choisir le plus charnu & le moins gras qu’il se peut. Il a une chair ferme, friable, & d’autant plus saine, qu’elle est exempte de toute viscosité[10], ce qui se rencontre en peu de poissons. Il est bon à l’estomac, agréable au goût, & ne se corrompt pas aisément[11]. Le foye du Surmulet est regardé par quelques-uns, comme un bon morceau ; & anciennement il étoit trés-recherché[12]. On fait avec les œufs de ce poisson, comme avec ceux de l’esturgeon, du loup marin, du thon, la Boutargue de Provence, si propre à exciter l’appetit. Dioscoride prétend que le trop fréquent usage du Surmulet, affoiblit la vûë ; & Pline, qu’il est contraire aux nerfs ; mais y a-t-il quelque viande dont l’excès ne soit nuisible ? Ce poisson se mange ou rôti, ou à l’étuvée, ou au court-bouillon. Il est sain de toutes ces manieres, pourvû qu’il soit sagement assaisonné. On trouve dans la tête du Surmulet, une pierre qui a la même vertu que celle qui se tire de la tête des écrevisses. Il y a peu de poissons dont on ait fait plus de cas dans l’Antiquité que de celui-ci, & c’est quelque chose d’inoüi, que le prix qu’il coutoit. Nous avons rapporté plus haut l’Epigramme de Martial, adressée à Calliodore, qui, pour acheter un de ces poissons vendit un Esclave.


DU MERLAN.

C’est un poisson d’environ un pied de long, presque aussi gros que le bras, couvert de petites écailles blanches argentées, lequel a les yeux grands & blancs, & la bouche garnie de dents fines & pointuës. Il se nourrit des petits poissons qu’il trouve dans la mer. Il n’y a point de poisson d’une chair plus legere que celui-ci, & si on dit ordinairement du poisson, que c’est une eau figée, on peut presque dire du merlan, que c’est une eau rarefiée, aussi ne charge-t-il pas l’estomac, & il faudrait en faire un grand excès pour s’en trouver incommodé. Ce n’est pas que le merlan ne nourrisse, mais cette nourriture n’est pas de durée ; c’est ce qui a fait dire à Xenocrate, que si la chair de ce poisson est d’un bon suc, si elle passe facilement, εὐδιαφόρητος, si elle nourrit, le suc qu’elle donne s’échappe neanmoins si vite, que la nature n’a presque pas le tems d’en disposer pour le soûtien du corps : c’est ce qu’il faut entendre par le mot δυσδιοικητος dont cet Auteur se sert, & qui signifie en cet endroit, difficile à arrêter, difficile à fixer[13] : ce que Nonnius, pour le remarquer en passant, semble n’avoir pas entendu, lorsqu’il traduit ici δυσδιοικητος, par qui est difficile à se distribuer, & qu’il soupçonne là-dessus quelque faute de leçon, le mot δυσδιοικητος, dit-il, & celui de εὐδιαφόρητος ne pouvant convenir au même sujet, puisqu’il est impossible que ce qui est facile à passer ait de la peine à se distribuer[14]. Le poisson dont nous parlons est peu estimé, en comparaison des autres ; il ne laisse pas cependant de trouver quelque-fois place sur les bonnes tables, où il se sert non seulement frit ou rôti, mais de plusieurs autres manieres. On l’accommode en casserolle, comme beaucoup d’autres poissons, on le farcit, on sert des filets de merlan comme des filets de sole, de brochet, &c. & on les sert, non seulement en salade, mais aussi en ragoût, de plusieurs sortes. On fait avec ce poisson, des tourtes, des pâtez, des potages, comme avec les poissons les plus exquis. Mais de quelque maniere qu’il soit apprêté, il est toûjours trés-peu nourrissant.


DE L’ALOSE.

Ce poisson a de grandes écailles minces, faciles à détacher ; la tête écrasée vers le haut, le museau pointu, la bouche sans dents, une lame osseuse & luisante à chaque côté de la tête, au dessus des yeux : le dos d’un blanc jaunâtre, avec les côtez & le ventre de couleur argentine. Il devient aussi grand que le saumon ; il passe dans les rivieres, & on le trouve beaucoup meilleur quand il a été quelque tems dans l’eau douce ; mais quelque bon qu’il y devienne, il retient toûjours une certaine acreté, qui en rend la chair beaucoup moins saine qu’elle ne seroit sans cela. Cette acreté se fait même sentir aux gencives & aux dents, quelque fraîche que soit l’alose ; mais si elle ne l’est pas, le suc acre qu’elle renferme, devient beaucoup plus sensible, & peut faire tort non seulement aux dents & aux gencives, mais à l’estomac. Les œufs de ce poisson sont bons à manger. Il s’en fait un grand trafic aux Indes, où l’on en charge des navires. L’alose aime naturellement le sel, & elle suit plus de trois cens lieuës en terre les bateaux qui en sont chargez : c’est pourquoi on l’a nommée Alausa, Alose, du Grec αλς, αλος, qui signifie sel. L’Auteur du Traité des Dispenses prétend que le nom d’Alose vient du Latin alere ; parce que ce poisson nourrit ; alausa ab alendo, dit-il, il l’a lû ainsi dans quelques Auteurs ; mais cette étymologie est aussi heureuse que celle de l’Aloüette, ab alarum agitatione ; parce que l’alouette remuë les ailes : cependant, c’est là-dessus qu’il fonde une partie de l’éloge qu’il fait de l’alose, pour montrer qu’elle doit être préferée à la viande. C’est un poisson, dit-il, des arêtes duquel on se plaint, mais qui auroit fait trop de plaisir à l’homme, si l’homme avait pû le manger sans cette incommodité[15], un poisson qu’on doit regarder comme un present du ciel, puisque le ciel permet que ce soit surtout en Carême que l’alose paroisse dans toute sa bonté & en abondance[16] ; un poisson enfin qui annonçoit par son nom sa destinée, Alosa ab alendo, puisqu’il en est peu qui nourrissent aussi abondamment & aussi utilement que lui.

L’Alose s’apprête de plusieurs manieres. Elle est fort saine au court-boüillon, servie à sec avec son écaille, & bien assaisonnée de persil : elle est encore fort bonne à l’étuvée, aussi-bien que rôtie, soit sur le gril, soit à la broche.


DE LA RAYE.

La Raye est un poisson cartilagineux, for plat & fort large, d’une apparence hydeuse, lequel a la bouche pointuë, luisante, & garnie de dents fort dures, la queuë longue & ronde, armée de trois rangs de pointes ; quelque-fois le dos herissé de pointes blanches, avec des figures d’étoiles. On pesche à Marseille une espece de Raye, appellée Raye Bouclée, laquelle est beaucoup plus petite, mais meilleure. Le long de la côte des Abyssins, il se trouve des Rayes plus longues qu’un Bateau, & large à proportion, lesquelles ont la peau si dure, que le harpon n’y peut mordre[17].

La Raye se nourrit prés des rivages de la mer, & dans les endroits les plus bourbeux ; ce qui est cause qu’elle ne sçauroit fournir une nourriture bien saine : elle est d’ailleurs assez coriasse, & à moins que d’avoir été mortifiée quelque tems, elle est fort difficile à digerer. Il y a une grosse espece de Raye, qu’on appelle Ange, laquelle est encore plus coriasse que la Raye ordinaire.

La Raye se mange ordinairement apprêtée des deux manieres suivantes, ou au beurre roux, aprés avoir été cuite auparavant dans le vin blanc, ou marinée avec du vinaigre bien assaisonné, & puis frite, soit dans du beurre affiné, soit dans de l’huile d’olive. Ces deux sortes d’apprêts conviennent peu à la santé ; mais le dernier est le moins mal-faisant, parce que le beurre ou l’huile qui y entre, ont moins éprouvé la force du feu.


DE LA LAMPROYE.

La Lamproye a la figure d’une grosse anguille, le ventre blanc, & le dos marqué de taches bleuës & blanches. La Lamproye de mer ; car il y a aussi celle d’eau douce, aime à entrer dans les rivieres, comme l’alose, & plusieurs autres poissons de mer. C’est au commencement du Printems qu’elle vient dans l’eau douce ; la femelle y fait alors ses petits, & quelque tems aprés elle s’en retourne avec ses mêmes petits dans la mer. Elle est meilleure pleine qu’aprés avoir fait ses œufs : ce qui fait dire à Horace, dans la description d’un repas : on servit une Lamproye, que tout exprès on avoit choisie pleine ; parce qu’autrement, comme l’Hôte eut soin de nous le faire valoir, elle n’eût pas été si bonne.

Assertur squillas inter muræna natantes,
In Patinâ porrecta. Sub hoc Herus
        Hæc gravida inquit,
Capta est, deterior post partum carne futura
[18].

La Lamproye mâle a la chair plus ferme & de meilleur goût que la femelle, qui n’est pas pleine, contre l’ordinaire des poissons, dont les femelles, sans même être pleines, sont ordinairement d’une meilleure chair. Le suc de la Lamproye est un suc visqueux & grossier, qui ne convient qu’à de bons estomacs[19]. Elle se mange ou boüillie, ou rôtie, ou frite, on la met en pâte, on la salle, on la fume, quelques-uns la font mourir dans du vin, croïant par-là en mieux corriger la viscosité[20] ; d’autres veulent qu’on la saigne, & qu’aprés l’avoir fait cuire par tronçons avec du vin blanc, du beurre, du sel, du poivre, de fines herbes, & une feüille de laurier ; On en jette le sang par dessus, avec un peu de farine frite, & des capres. Elle est plus délicate & plus saine apprêtée de cette derniere façon, que d’aucune autre, & la viscosité en est presque entierement corrigée. Il y a es estomacs qui s’en accommodent mieux à la sauce douce, c’est-à-dire, quand elle est cuite avec du vin, du beurre, de la canelle & du sucre. Anciennement on l’apprêtoit avec de l’huile vierge, de la saumure, du vin de Chio, du poivre blanc & du vinaigre, comme on le voit par ces Vers, qui sont la suite de ceux que nous venons de rapporter.

His mistum jus est oleo, quod prima venafri,
Pressit cella, Garo de succis piscis iberi,
Vino quinquenni, verùm citrà mare nato ;
Dum coquitur, cocto chium sic convenit, ut non
Hoc magis ullum aliud, pipere albo, non sine aceto,
Quod methymnæam vitio mutaverit uvam.
[21].

Les Lamproyons, qui sont une espece de Lamproyes qui demeurent toûjours fort petites, ont un trés-bon goût, & une chair plus délicate que les grosses Lamproyes ; ils ne laissent pas neanmoins d’être assez difficiles à digerer ; & on sçait qu’un Roi d’Angleterre, pour en avoir voulu trop manger, y trouva sa mort[22]. Les Lamproyes ne valent rien aux gouteux, aux graveleux, ni à aucun de ceux qui abondent en humeurs gluantes & visqueuses.

La vraïe saison de la Lamproye, est l’Hyver & le Carême ; passé ce tems, elle devient dure & coriasse ; c’est ce qu’on appelle Lamproye cordée.


DE LA BRAME DE MER.

La Brame de mer, autrement dite, Dorade ou Dorée, à cause de la couleur de ses écailles,

......Et auri
Chrysophrys
[23] imitata Decus[24].


est un poisson, dont la tête paroît d’un verd doré, & le reste du corps d’un jaune d’or, mêlé d’azur. Ce poisson a la tête en pointe par devant, le dos herissé d’épines, la queue fourchuë, deux nageoires au dessous de la tête, autant sous le ventre, & tout le corps plus large que rond. On le prend quelque-fois avec un hameçon, où l’on met un morceau de linge blanc pour tout appas. C’est un poisson excellent, qui étoit fort célébre chez les Anciens, comme on le peut voir dans Athenée, quoi-que Galien n’en parle point. Ce poisson a une chair blanche & ferme, un peu plus séche que celle de la Truite & du Saumon, mais d’un goût aussi agréable. Elle se digere aisément, elle nourrit bien, & n’est point sujette à se corrompre dans l’estomac. La Brame se mange ordinairement rôtie, ou au court-boüillon ; on la sale aussi pour la garder ; mais alors elle perd beaucoup de son bon goût, & n’est pas si saine. On l’appelle à Rome le Poisson saint Pierre[25], parce que le peuple prétend que c’était une Dorade, que ce poisson, dans la bouche duquel saint Pierre trouva miraculeusement la piece de monnoïe avec laquelle il païa le tribut à Cesar.


DE L’ESTURGEON.

C’est un grand poisson, de la pesanteur de cent livres, lequel a la tête longue & quarrée, le museau pointu, avec deux poils de barbe de chaque côté, la bouche sans machoire & sans dents, le corps long & presque rond, le dos bleu, relevé de grosses écailles osseuses & fort dures, d’entre lesquelles sortent des picquans, le ventre plat & couvert d’une peau douce argentine.

Ce poisson, comme on sçait, passe souvent dans les rivieres. Il y a quelques années qu’on en prit un dans la Seine, lequel avoit neuf pieds de long. Plusieurs prétendent qu’il est meilleur pesché dans l’eau douce ; mais celui qui se prend dans la mer est beaucoup plus exquis, pourvû qu’on le prenne loin des bords, sans quoi il faut avouer qu’il a un goût sauvage, qui le rend fort inferieur à celui qui a passé dans les rivieres[26]. On ne peut nier que ce poisson ne soit un des meilleurs mets qui se servent les jours maigres. Il nourrit beaucoup, & si fort, que quelques Medecins prétendent qu’il est à cet égard, parmi les poissons, ce qu’est le cochon parmi les Quadrupedes[27]. Aussi a-t-il une chair grossiere, peu convenable aux estomacs foibles. Les gens de Lettres, sur tout, doivent éviter cette nourriture. Le mâle est meilleur que la femelle ; mais quand celle-ci est pleine, on la préfere, non seulement pour ses œufs, mais pour la bonté de sa chair. On mange ce poisson rôti sur le gril, ou accommodé au court boüillon. Il est moins gras & moins visqueux de cette derniere façon, & par consequent beaucoup plus sain ; car la graisse en est fort pesante sur l’estomac. L’esturgeon, au lieu d’arête, a un cartilage tendre & assez gros, qui s’étend depuis la tête jusqu’à la queuë ; on leve ce cartilage, & on le fait secher au Soleil pour le manger ; c’est un fort bon mets. Les œufs de l’Esturgeon ne sont point à mépriser, on les saupoudre de sel, puis on les expose au Soleil, où on les laisse quelques jours, en les remuant plusieurs fois, & on en fait le Cavial, qui est une espece de mets, qui se prépare comme les Boutargues[28].


DE LA SÉCHE.

La Séche est une espece de Poulpe ou Polype, qui a un bec comme celui d’un Perroquet ; le dessus du corps couvert d’un os leger, grand comme la main, épais d’un pouce au milieu, mince vers les côtez, dur par dessus, tendre, friable, & trés-blanc dans tout le reste de sa substance ; une vessie prés de l’estomac, remplie d’une liqueur fort noire que ce poisson répand quand il est poursuivi ; deux manieres de bras attachez vers la tête, desquels il se sert pour nager ; & outre cela huit pates, sçavoir, six petites, & deux plus grandes : il se nourrit de petits poissons ; mais il n’en est pas meilleur pour cela, étant fort dur, coriace, d’assez mauvais goût, & fort difficile à digerer. On n’en mange point à Paris, mais il est fort commun à Lyon, à Bourdeaux, à Nantes ; & en plusieurs autres villes de France. On le fait boüillir dans de l’eau, puis on le coupe par morceaux, pour l’apprêter avec du beurre, de l’oignon, des ciboules, du persil, un peu de poivre, & sur la fin quelques goutes de vinaigre. Il faut avant cela, qu’il ait été attendri dans de l’eau salée, mêlée de chaux vive & de cendres ; moïennant quoi les bons estomacs s’en peuvent accommoder. On le prépare à Lyon avec de la cendre gravelée. Il nourrit beaucoup quand on le peut digerer ; mais comme l’a remarqué Hippocrate, il resserre le ventre, & il produit un sang épais & grossier, qui appesantit la tête, & qui charge les yeux[29]. Le boüillon de ce poisson est neanmoins laxatif, selon la remarque du même Hippocrate.



DES COQUILLAGES DE MER,
Sçavoir,
DES MOULES, DES HUITRES
& des Ecrevisses.



On nous dit dans le Traité des Dispenses, qu’on auroit sujet de croire les Moules, les Huitres & les Ecrevisses, des poisson trop délicats pour un tems de penitence, tel que celui du Carême[30]. On ajoûte même que ce sont des poissons dont on auroit trop à craindre pour la pieté Chrétienne. Mais on oublie que quelques lignes plus haut, on a avancé que les Moules, les Huitres & les Ecrevisses, n’aïant point de sang, étoient les plus licites des Poissons de Carême, & que peut-être était-ce de ceux-là, que les sauterelles dont saint Jean se nourrissoit dans le Desert[31]. Quoi-qu’il en soit, nous ne croïons pas qu’on doive faire le moindre scrupule de manger de ces sortes de poissons en Carême, & c’est en supposant qu’ils sont trés-permis, que nous en allons parler.


DES MOULES.

La Moule est un petit poisson de la grosseur d’une féve, enfermé dans une legere coquille, où il se nourrit d’un peu d’eau. Cette coquille est bleuë, ou noire, un peu longue, & composée deux pieces, qui s’ouvrent & se ferment au gré du poisson.

Les Moules de mer (car il y a aussi celles de riviere, comme l’on sçait,) sont les meilleures. L’Auteur du Traité des Dispenses dit qu’elles contiennent beaucoup de sel volatil, & peut-être, est-ce pour cette raison qu’il les croit si dangereuses à la pieté Chrétienne[32]. Mais comme il ne prononce qu’elles abondent en volatil que parce qu’il croit l’avoir lû ainsi dans le Traité des Alimens, il est bon d’avertir qu’il s’est trompé, & que l’Auteur qu’il cite pour garant, écrit tout le contraire. Les Moules, dit cet Auteur, contiennent beaucoup de phlegme, beaucoup d’huile, & médiocrement de sel volatil ; c’est à la page 434. du Traité des Alimens. Cette observation, une fois faite, nous remarquerons que soit que les Moules renferment beaucoup de sel volatil, soit qu’elles n’en renferment que trés-peu, elles sont indépendamment de cela, trés-permises en Carême, aussi-bien que les Huitres & les Ecrevisses.

Les Moules sont agréables au goût, & assez nourrissantes ; elles s’apprêtent de plusieurs manieres ; & elles sont fort saines accommodées avec le beurre frais, le persil, la ciboule & la chapelure de pain. On fait des potages au moule qui sont encore fort sains, sur tout pour les temperammens chauds & bilieux.

Ce poisson a son usage en Medecine, & on prépare avec les coquilles de moules une poudre fort bonne contre la fievre tierce. On prend telle quantité qu’on veut de ces coquilles, & on les met dans du vinaigre, où on les laisse tremper l’espace d’une nuit, le lendemain on en ôte le limon, que le vinaigre y a fait en les rongeant, puis on les calcine, & on en garde la poudre, pour s’en servir dans le besoin. Cette poudre fait doucement suer ; on en prend un demi gros, ou dans de l’eau de chardon beni, ou dans du vin, ou dans de la bierre, à l’entrée de l’accès.


DES HUITRES.

L’Huitre est un poisson sans peau ni arêtes, informe en apparence, & enfermé entre deux écailles presque rondes, larges comme la main, épaisses, dures & pesantes, où il se nourrit d’un peu d’eau marine. Quelques Auteurs l’ont voulu faire passer pour un Zoophyte ; mais il n’y a point de ces sortes d’estres. L’Huitre est un veritable animal, & on n’en sçauroit disconvenir, aprés la découverte que de sçavans Modernes ont faites des organes de l’huitre. Ce qui peut avoir donné occasion d’en faire un Zoophyte, est la maniere surprenante dont les huitres s’engendrent en quelques païs, où on les séme, comme on sémeroit du grain. A la Chine, par exemple, il y a de petites huitres, qu’on séme dans les campagnes couvertes d’eau : on en casse quelques-unes, & l’on en jette les morceaux dans les champs, comme si c’étoient des graines : il en naît d’autres huitres en peu de tems, lesquelles ont fort bon goût. Dans les Antilles il y a des arbres si chargez d’huitres, que les branches en rompent. M. Childeré, dans son Livre des Merveilles d’Angleterre, assure que la même chose arrive auprés de Pleimouth ; mais tout cela ne sçauroit favoriser le sentiment de ceux qui regardent l’huitre comme un Zoophyte ; ces campagnes baignées d’eau, où l’on séme des huitres, n’en produisent qu’à cause que les œufs & le fray des huitres y ont été jettez avec les écailles qu’on a cassées : & comme il ne s’ensuit pas que le poisson, lorsqu’il s’engendre dans l’eau de la mer, par le moïen de l’œuf de la femelle, & du fray du male, soit un Zoophyte, il ne s’ensuit pas non plus que l’huitre en soit un, lorsqu’elle s’engendre de la même maniere dans les campagnes pleines d’eau. Quant aux huitres qu’on voit sur des arbres, elles n’y sont que parce que les vagues de la mer y ont jetté des sémences d’huitres. Ainsi tous ces faits ne prouvent point que l’huitre soit un Zoophyte. On dira peut-être que le peu de mouvement qu’on remarque dans l’huitre, doit faire douter que ce soit un veritable animal ; mais quand on n’y en remarqueroit aucun, il suffit qu’il ait tous les organes propres de l’animal, & qu’on n’y remarque que ceux-là : car c’en est assez pour faire juger qu’il n’est nullement plante ; mais venons aux qualitez de l’huitre.

[33] Ce poisson nourrit peu, & la digestion qui s’en fait dans l’estomac, est plûtôt une simple dissolution, qu’une parfaite digestion ; c’est-à-dire, que l’huitre se consume dans l’estomac, sans y produire que trés-peu de chyle. Elle se resout presque toute en eau, & cette eau, qui est de la nature de celle dont l’huitre se nourrit dans la coquille ; c’est-à-dire, un peu piquante, irrite doucement les fibres de l’estomac & des intestins ; ce qui l’empêche de séjourner long-tems, & ce qui est cause qu’on peut manger un assez grand nombre d’huitres sans en être incommodé. Aussi voit-on une infinité de gens, en manger soir & matin, une fort grande quantité, sans en ressentir aucun mal. C’est l’opinion commune, qu’elles sont plus saines cruës ; mais il y a bien des estomacs qui ne les peuvent supporter de la sorte. Elles sont fort saines cuites sur les charbons dans leur propre coquille, avec un peu de beurre & de pain rapé ; & elles conviennent alors à toutes sortes d’estomacs, aussi-bien que celles que l’on accommode sur le rechaut avec une sauce au beurre & quelques legers assaisonnemens. Mais celles qui ont passé par la poëlle, ou qui sont frites, soit simplement, soit avec de la pâte, sont fort mal-saines. Au reste, de [34] quelque maniere qu’on les mange, elles nuisent à ceux qui abondent en pituite ; c’est la remarque de plusieurs sçavans Medecins[35], & l’experience fait voir qu’ils ne se trompent point.


DES ECREVISSES.

L’Ecrevisse est un poisson crustacé, fait à peu prés comme le scorpion, mais beaucoup plus gros, & qui a, comme cet insecte, des pates disposées en maniere de serres ou tenailles. Il se nourrit d’herbes, de grenouilles, & des cadavres de divers animaux.

Les Ecrevisses, soit de mer, soit de riviere, ont une chair fort nourrissante, mais qui se digere lentement. Le suc en est adoucissant, & convient particulierement dans les chaleurs de poitrine, dans la toux, & même, comme le remarque le sçavant Rivinus[36], dans le scorbut, dans la mélancolie, dans les douleurs de rate, dans la goute, & dans toutes les indispositions qui viennent d’une trop grande acreté d’humeurs. Les Ecrevisses sont un des meilleurs mets de Carême ; on les mange en ragouts, en hachis, en tourtes, en salades ; il s’en fait des coulis excellens, & il n’y a point de bonne bisque où elles n’entrent. L’usage des Ecrevisses est d’un grand secours contre l’excessive maigreur ; mais il ne faut pas qu’il soit trop continué, car leur suc renferme quelque chose de narcotique, qui à la longue peut faire du tort à la santé[37].

Du reste, c’est un fort bon manger que l’Ecrevisse, soit Hommar, Langouste, Chévrette, ou autre ; & s’il est vrai que les sauterelles dont S. Jean-baptiste se nourrissoit dans le Desert, fussent effectivement des Ecrevisses, comme le veut l’Auteur du Traité des Dispenses[38], il faut dire que, selon cet Auteur, saint Jean, dans sa vie penitente, ne faisoit point si mauvaise chere ; car l’Anonyme, ainsi que nous l’avons déja remarqué, prétend que les Moules, les Huîtres, & les Ecrevisses, sont trop délicats pour un tems de penitence, & qu’on en a trop à craindre pour la pieté Chrétienne[39]. Il ajoûte que cela est vrai, sur tout, si on s’en fait des ragouts.. Pour ce dernier article, il n’y a pas d’apparence que saint Jean raffinât beaucoup sur la maniere d’apprêter les Ecrevisses ; mais comme, selon nôtre Auteur, l’Ecrevisse même, sans qu’on s’en fasse des ragouts, ne laisse pas d’être un aliment qui convient peu dans la penitence : il n’est pas hors de propos d’examiner si saint Jean, qui faisait profession d’une vie austere, ne peut point être sauvé ici de la censure de l’Anonyme.

Sur quoi se fonde donc l’Anonyme, pour changer ainsi en un mets si peu propre, selon lui, à la penitence, les sauterelles de saint Jean ? Voici sa conjecture. « Peut-être, dit-il[40], étoit-ce de ces sortes de poissons (des Ecrevisses) que les sauterelles dont saint Jean se noutrissoit dans le Desert, du moins sçait-on certains rivages de mer, où les pauvres vivent en Eté d’une espece de Langoustes, que le peuple appelle Sauterelles ».

Voilà donc la raison pourquoi nôtre Auteur croit que les sauterelles de S. Jean étaient des Ecrevisses ; c’est qu’il y a des Ecrevisses nommées Langoustes, qu’en certains païs le peuple appelle Sauterelles. Ainsi les Sauterelles de saint Jean étaient peut-être de ces Ecrevisses ou Langoustes. Mais cette conjecture est fort mal fondée ; la Langouste, appellée ici par le peuple Sauterelle, se nomme en Grec κάραβος, qui est le nom d’une espece d’Ecrevisse : or dans le Passage, où il est dit que saint Jean ne vivoit que de Sauterelles, esca autem ejus erat Locustæ & mel sylvestre. Le Texte Grec ne porte point κάραϐος, qui auroit déterminé Locustæ, à signifier une espece d’Ecrevisse ; mais il porte ἀκρίδες, qui signifie veritablement des Sauterelles, telles qu’on les voit dans les campagnes ἡ δὲ τροφὴ αὐτοῦ ἦν ἀκρίδες, dit S. Matthieu[41] : or sa nourriture étoit des Sauterelles ; & S. Marc[42], καὶ ἐσθίων ἀκρίδας, & il mangeoit des Sauterelles.

L’Anonyme s’est donc mépris, de croire que parce qu’il y a des Ecrevisses, qu’en quelques païs, le peuple appelle Sauterelles, c’étoit peut-être, de ces sortes d’Ecrevisses que S. Jean mangeoit, & non pas des Sauterelles. Il a crû sa conjecture d’autant mieux fondée, qu’il n’a pû se persuader apparemment que les Sauterelles pussent être du nombre des alimens ; mais outre que chez les Orientaux[43], c’est la coûtume d’en servir sur table, du moins parmi les gens du commun ; & qu’en Perse & à la Chine, le peuple mange les Sauterelles frites au beurre, nous remarquerons que ces sortes d’animaux sont même de ceux que Dieu permit expressément à son peuple de manger[44]. Au reste, si l’on en croit Diodore de Sicile, cette nourriture est assez mal-saine, puisqu’il assure que les peuples qui en usent, ne vivent pas long-tems. Cependant Dioscoride, qui avoit voïagé chez ces peuples, & qui étoit né dans leur voisinage, ne remarque rien de tel[45]. Quoi-qu’il en soit, il y a toute apparence, par les observations que nous venons de faire, que les Sauterelles de saint Jean étoient de veritables Sauterelles ; c’est-à-dire, des Sauterelles volantes, & à quatre pieds, telles qu’elles sont décrites dans le Levitique[46]. Mundius, & Pierre Gontier se déclarent fort pour ce sentiment, quoi-qu’ils n’en apportent pas la raison. Hic cibus, dit le premier, Judæis non fuit interdictus, & verisimile est Baptistam locustis hujusmodi, non ceratiis, ut quidam volunt, victitasse[47]. Nostræ Locustæ, dit le second, alis constant & saliunt ; Saltatrices, Sauterelles, gallis dicuntur. Fuerunt hæ cibus D Joannis Baptistæ[48].

Les Ecrevisses ont dans la tête une petite pierre blanche, de la grosseur d’un pois, & quelque-fois plus grosse, faite comme un œil, laquelle s’appelle, pour cette raison, Œil d’Ecrevisse ; cette pierre, comme on sçait, est de grand usage en Medecine, pour purifier le sang, & pour absorber les acides ; on l’emploïe en poudre ; mais une proprieté qui doit rendre l’Ecrevisse bien recommandable, c’est d’être propre contre la morsure des chiens enragez. On fait brûler des Ecrevisses dans une poëlle de cuivre, jusqu’à ce qu’elles soient en cendre, & on donne tous les matins, pendant quarante jours, une petite cuillerée de cette cendre, délaïée simplement dans de l’eau. Galien vante extrêmement ce remede. qu’il dit avoir appris d’Æschrion, son Maître ; & il assure[49] que c’est un remede, qui toutes les fois qu’on l’a emploïé, a réüssi heureusement.



DES POISSONS,
que l’on sale.

Et premierement,
DU HARENG.



Le Hareng est un petit poisson, de la taille du Dard, ou du Gardon, bleu sur le dos, blanc sur le ventre, & qui a la figure d’une petite Alose. Il y a le Hareng frais, le Hareng salé, le Hareng pec, & le Hareng saur ou sauret. Le hareng frais, autrement dit hareng blanc, est celui qu’on mange au sortir de la pesche ; le salé, celui qu’on a mis au sel pour le garder ; le Pec, celui que l’on mange crud aprés l’avoir fait dessaler & égouter ; le Saur enfin, ou Sauret, celui qui a été séché à la cheminée, & que le menu peuple appelle de l’appetit. Le Hareng est un poisson de passage ; & la pesche, pour cette raison, en est permise les Fêtes & Dimanches, suivant un Chapitre des Décretales.

Il y a une espèce de Hareng marqué à chaque côté du corps d’une tache ronde, noirâtre aux uns, & jaune aux autres, lequel ne passe guéres la longueur du doigt : du reste, il ne differe de l’autre, qu’en ce que le premier ne se nourrit que d’eau, au lieu que celui-ci se nourrit aussi d’algue & d’herbes marines ; comme on le voit en l’éventrant : ils sont l’un & l’autre également bons à manger.

Willughbei, dans son Histoire des Poissons, dit que Guillaume Benkeldius s’est immortalisé, pour avoir trouvé le moïen de saler les Harengs, & de les encaquer. Il ajoûte que Charles V. étant venu dans les Païs-Bas, fut curieux d’aller voir, avec la Reine de Hongrie, sa sœur, la sépulture de cet homme. Mais sans vouloir diminuer l’obligation qu’on peut avoir à Benkeldius, nous ne ferons pas difficulté de dire, avec le sçavant Horstius[50], que le hareng salé, de quelque maniere qu’on le mange, soit rôti ou autrement, est assez mal-sain, & qu’il ne peut convenir qu’à des estomacs forts & robustes ; parce que cette préparation l’a dépoüillé des sucs doux & moëleux qu’il renfermoit. Le Hareng fumé ou saur, est encore pire, la fumée l’aïant rendu trés-acre. Celui que l’on a fait dessaler, est moins mal-sain ; mais comme on ne sçauroit, en le dépoüillant de son sel, le rétablir dans son premier suc, il est toûjours fort inferieur au hareng frais, & n’a jamais la chair si moëleuse & si délicate. Le hareng frais est agréable au goût ; il se digere facilement, & nourrit bien ; il est fort sain rôti sur le gril, & apprêté ensuite avec de bon beurre, & un peu de verjus. Les jeunes gens, & les personnes d’un temperamment chaud & bilieux, doivent éviter les harengs salez ou fumez ; ils le doivent, sur tout, pendant le Carême, où le jeûne rend le corps plus susceptible des mauvaises impressions du sel. Comme on fait ordinairement sécher le poisson, dont il s’agit : on l’a appellé en François Haran, Hareng ou Harenc, du Latin Harens, ou Harescens, qui devient sec, mot tiré d’Hareo, Haresco, qui s’est dit autrefois pour Areo, Aresco[51]. En sorte que Hareng, signifie poisson qu’on fait sécher[52], d’où est venu le Proverbe, sec comme un hareng. Le nom de Hareng, dit neanmoins l’Auteur du Traité des Dispenses, est tout-à-fait barbare, qui ne tient ni du Grec ni du Latin : ce sont ses termes. Il seroit à souhaiter, pour l’honneur de cet Anonyme, que toutes les questions qu’il décide sans être seur de ce qu’il avance, ne fussent pas plus importantes que celle-ci.

Le Hareng a ses usages en Medecine. Quelques-uns conseillent, pour appaiser les douleurs de la goûte, d’appliquer sur la partie malade, un hareng salé, ouvert en long par le milieu, nous pouvons rendre ici témoignage à la bonté de ce remede, que nous avons vû réussir plusieurs fois. La cendre de hareng, bûë jusqu’à un demi gros ou un gros, dans un peu de vin blanc, est bonne pour détacher le gravier des reins.


DES ANCHOIS
& des Sardines.

L’Anchois est un petit poisson de la grosseur & de la longueur du doigt, tout au plus, lequel a la tête grosse, les yeux larges & noirs, le corps argentin, & le dos rond.

La Sardine est une espèce d’Anchois ; mais elle est un peu plus large & plus plate que l’anchois veritable, & a moins de saveur.

L’Anchois est fort recherché en France pour son bon goût ; on sale ce poisson, pour le conserver ; mais auparavant on en ôte la tête & les entrailles ; aprés quoi on le met confire au sel dans de petits barils. On en fait ordinairement des salades & des sauces, & c’est la maniere la plus commune de le manger. Il est fort aperitif, il fortifie l’estomac, & reveille l’appetit ; mais il faut, avant que de l’emploïer, le faire un peu dessaler dans l’eau. Cet aliment est fort desséchant, & ne convient qu’aux personnes replettes, & d’un temperamment froid & humide. Les Anchois, selon les Naturalistes, ont leur fiel dans la tête ; ce qui est cause qu’ils sont appellez Encrasicholi, mot abregé d’Encaresicholi[53], terme Grec, qui signifie fiel dans la tête.

Les Sardines se préparent avec le sel, comme les Anchois & les Harengs, & ont à peu prés la même qualité.


DU THON.

C’est un grand poisson massif & ventru, couvert de grandes écailles fort unies les unes aux autres, lequel a une chair dont le goût approche, en quelque sorte, de celui du veau ; on salle cette chair pour la conserver & la transporter, & on la nomme alors Thonine.

La chair de Thon est dure, grasse, & d’un goût acre ; elle se digere difficilement ; elle produit des sucs grossiers & mélancoliques, & nuit à ceux qui sont sujets aux hemorrhoïdes. Le Thon est meilleur salé que frais : ce qui vient de ce que les sucs grossiers qu’il contient, s’affinent dans le sel. Il a alors un goût plus agréable, & qui imite davantage celui du veau. Le meilleur endroit du Thon est la tête & le ventre, la queuë est le moindre. Le Thon se mange par tranches ou filets, avec une sauce blanche, ou en salade : on le mange frit, par roüelle ou mariné : on le mange rôti sur le gril, apprêté ensuite à l’orange & au beurre roux. Il est moins sain de ces deux dernieres façons que des deux premieres ; comme il est facile d’en juger par tout ce que nous avons remarqué jusqu’ici sur l’apprêt des autres poissons, dont nous avons parlé. Le Thon reçoit plusieurs noms, selon les différens âges où il passe : on l’appelle Cordille, quand il sort de l’œuf ; Limaire, quand il est plus grand, & qu’il commence à se plaire dans le limon ; Palamide, quand il quitte la bouë ; & Thon, quand il passe un pied de grandeur.


DU SAUMON.

Le Saumon est un grand poisson, qui pese depuis vingt jusqu’à trente ou trente-six Livres. Il est couvert de petites écailles, marquetées de taches rousses ou jaunes ; il a la bouche grande & garnie de dents, les yeux fort apparens, le corps long, large & arondi, la chair rouge, friable, & de bon goût. Cette chair nourrit beaucoup ; mais comme elle est grasse, elle charge un peu l’estomac[54], quand on en mange souvent ; & elle l’affoiblit à la longue. Ce poisson passe de la mer dans les rivieres, où perdant un peu de sa graisse, il devient meilleur, pourvû qu’il n’y ait pas plus d’un an qu’il y soit ; car passé ce tems, sa chair se séche, & n’a plus si bon goût. Les Saumons du Rhein, de la Garonne, ou de l’Allier, sont excellens. On mange le Saumon, ou frais ou salé ; le frais a meilleur goût ; mais il se corrompt aisément. Le meilleur endroit du Saumon est la hure ; on estime ensuite le ventre ; mais comme cet endroit est fort gras, il n’est pas si sain. Ce poisson se mange à l’étuvée, au court-bouillon, en salade, &c. Quelques-uns l’aiment frit avec du beurre, & mitonné ensuite dans une sauce douce, faite avec le vin rouge, le sucre, la canelle, le sel, le poivre, le clou de girofle, & le citron verd ; mais il n’est nullement sain de cette maniere : car outre la friture, qui ne lui communique rien de bon, le sucre & le citron, joint aux autres assaisonnemens de la sauce, où on le met, sont un mélange bizarre, plus propre à allumer la bile, & à exciter des fermentations vicieuses dans le sang, qu’à procurer au corps une nourriture salutaire.


DE LA MORHUE ou MOLUE,
& de la Merluë.

La Morhue, autrement appellée Molue, du nom des isles d’où elle vient[55], est un grand poisson, nommé en Latin Maris Lucius ; en François Merluë, Mer-Luche, ou Brochet de mer, lequel a le dessus du corps d’un gris cendré, parsemé de plusieurs taches noires, avec des lignes tout le long du dos, le ventre blanc, la bouche armée de dents crenelées en forme de scie, & les yeux d’un jaune doré. Ce poisson se mange frais ou sec, on l’appelle Moluë, quand il est frais, & il retient le nom de Merluche, quand il a été séché. La Moluë est, pour ainsi dire, le bœuf des jours maigres ; & c’est un fort bon manger, quand elle n’a pas été salée. La meilleure est celle de Terre-Neuve. Elle s’apprête de plusieurs façons ; mais la maniere la plus saine, c’est celle dont les Cuisiniers l’accommodent le plus communément, lorsqu’ils la font cuire dans une chaudiere avec de l’eau, & qu’aprés l’avoir écumée, ils l’ôtent de dessus le feu, & la couvrent de quelque linge pour l’attendrir, puis l’essuient, & y font une sauce, avec du beurre seulement, & un peu de persil par dessus. La Moluë est encore fort saine au demi-court boüillon, apprêtée avec du beurre bien frais. Mais pour la Moluë en ragoût, la Moluë frite ou rôtie, ce n’est pas ce que doivent chercher ceux qui consultent plus leur santé que leur goût. La Merluë ou Merluche, est fort dure & fort coriasse. C’est pourquoi elle ne convient qu’à de bons estomacs ; cependant quand elle a été bien battuë, & qu’elle est bien apprêtée, soit à l’huile, soit au beurre, elle ne laisse pas d’être presque aussi bonne que la Moluë.



DES POISSONS
d’eau douce.



Les poissons d’eau-douce, les plus usitez en Carême, sont la Carpe, la Truite, la Perche, le Brochet, l’Anguille, la Tanche, le Barbet.


DE LA CARPE.

La Carpe est un poisson sans dents, couvert d’écailles jaunes & luisantes, lequel se plaît dans les eaux bourbeuses, où il se nourrit d’herbe & de limon, & qui dans l’espace de trois ans, devient grand d’un pied, entre œil & fourche, ou entre œil & bat[56] : on prétend qu’il vit long-tems, & Villugbhi, dans son Traité des Poissons, fait mention d’une carpe qui avoit vêcu cent ans. Les meilleures carpes sont celles de la Saône, de la Loire, & de la Seine. On estime, sur tout, celles de la Loire, parce qu’elles sont dans une eau plus pure & plus rapide. La Carpe se nourrit d’herbe & de limon ; ce qui la rend ordinairement d’une chair molasse & fade. Mais cette mauvaise qualité se corrige par la maniere dont on apprête ce poisson, qui est de le faire cuire, ou au court-boüillon, ou au demi-court-boüillon, ou à l’étuvée, avec le sang même, ou sur le gril, ou en friture. Comme la carpe abonde en sucs visqueux, elle est assez bonne frite, quoi-qu’à parler en général, la friture ne soit pas saine. On fait des hachis de carpes, qui sont fort sains, pourvûs qu’on n’y prodigue point l’assaisonnement. On trouve dans les laitances de ce poisson un manger délicat, qui peut même tenir lieu de viande à plusieurs infirmes ; & nous avons vû des Ethiques guéris par l’usage de ces laitances. Les œufs de carpes sont encore fort bons ; mais il s’en faut de beaucoup qu’ils soient aussi agréables au goût, & aussi convenables à la santé que les laitances. Le palais de la carpe est un morceau fort exquis ; c’est ce qu’on appelle vulgairement Langue de Carpe. On trouve dans les rivières deux poissons assez semblables à la Carpe, sçavoir, la Breme & la Vandoise, le goût en est un peu plus agréable : du reste, ils ont à peu prés la même qualité. La Carpe, pour être bonne, ne doit être ni trop jeune ni trop vieille, & ces vieilles carpes qu’on estime tant, pour leur énorme grosseur, sont dures, coriasses, & fort mal-saines.

Quelques-uns ont voulu faire passer la carpe pour un mauvais poisson ; l’Auteur du Traité des Dispenses s’éleve, avec raison contre ce sentiment[57] ; mais les moïens dont il se sert pour le combattre, sont singuliers. « On ne voit pas trop, dit-il, par où la carpe seroit d’une si mauvaise qualité. On la croit pleine de sucs impurs, & cependant elle abonde en soufre & en volatil, au sentiment de M. Lemeri. On la trouve froide & pituiteuse ; aucun autre poisson n’a pourtant tant de vrai sang qu’elle (ce sont les propres termes de l’Auteur) on la fait passer pour dangereuse à la santé, tandis qu’on l’accorde dans les maladies les plus difficiles, telle que la phthisie. Mais plus que tout cela, la grande consommation qui s’en fait, au contentement de tout le monde, est la meilleure des apologies. Quelle apparence enfin, que la Providence eût mis entre les mains & à la discrétion de tout le monde, un poisson mal-faisant, l’aïant d’ailleurs rendu le plus fecond de tous, puisqu’il porte & fait ses petits six fois l’an. Ne seroit-ce pas au contraire pour nous apprendre que l’usage en seroit seur, en Carême sur tout, où cette Providence a permis que la carpe fût dans toute sa bonté. »

Nous ne prétendons pas nier que la carpe ne soit un bon poisson ; mais quand il seroit aussi excellent que la Vive & que la sole, il ne laisseroit pas d’être fort inferieur à la viande. Ainsi, on ne voit pas pourquoi l’Auteur se met tant en peine de justifier la carpe, puisque cela ne sert de rien au dessein qu’il a de prouver en détail, que de toutes les sortes de poissons qui sont d’usage en Carême, il n’y en a point qu’on ne doive préferer à la viande. La carpe, encore une fois, est un bon poisson ; mais nous soutenons de plus, que les raisons dont on vient de se servir pour le prouver, sont trés-insuffisantes, & que ce poisson trouve ici un fort mauvais Avocat. On croit, dit l’Anonyme, que la carpe est pleine de sucs impurs ; & cependant, au sentiment de M Lemeri, elle abonde en soufre & en volatil. Mais de ce qu’une chose abondera en soufre ou en volatil, est-ce une consequence qu’elle n’aura point de sucs impurs ? On en appelle à l’Auteur lui-même, qui nous disoit tout-à-l’heure, en parlant de la viande : Que n’auroit-on pas à dire contre la malignité de ses soufres ? Nous ne voulons point, au reste, examiner ici la décision de M. Lemeri, la chose importe peu.

« On trouve, continuë nôtre même Auteur, que la carpe est froide & pituiteuse, aucun autre poisson n’a pourtant tant de vrai sang qu’elle ; » c’est-à-dire, qu’il y a deux sortes de sang, un vrai & un faux, & que le vrai ne se trouve jamais dans les animaux qui sont froids & pituiteux ; la remarque est singuliere.

Le troisiéme reproche ; sçavoir, que la carpe est dangereuse à la santé, est aussi bien repoussé. Comment la faire passer pour telle, tandis qu’on l’accorde dans les maladies les plus difficiles. L’Anonyme raisonne ici comme il a fait sur les Avelines, sur le Chou, & sur le poisson. « Comment, dit-il, les Avelines seroient-elles desséchantes, puisqu’elles engraissent ? Comment le Chou nuiroit-il à la vûë, puisqu’on le croit propre à la fortifier ? Comment le poisson seroit-il mal-sain, puisqu’on sçait au contraire que rien n’est si sain ? » Mais revenons à la carpe, la grande consommation qui s’en fait, au contentement de tout le monde, dit-il, est la meilleure de toutes les apologies. Il a raison ; mais qu’il ne déclame donc plus tant contre la viande ; qu’il ne parle donc plus de la prétenduë malignité de ses soufres, qui la rendent, dit-il, si fort inflammable ; des horreurs de ses graisses, qui rebutent tant d’estomacs ; de la tissure de ses fibres, qui la rend si rebelle à la digestion ; de sa facilité à se corrompre ; de sa difficulté à se distribuer, &c. Si la grande consommation qui se fait de la carpe, au consentement de tout le monde, est la meilleure apologie qu’on puisse faire de ce poisson ; la consommation encore plus grande qui se fait de la viande, au contentement de beaucoup plus de gens, devra justifier pleinement cette nourriture.

« Quelle apparence enfin, dit-il, que la Providence ait mis entre les mains, & à la discretion de tout le monde, un poisson mal-faisant, l’aïant d’ailleurs rendu le plus fecond de tous, puisqu’il porte six fois l’année ; ne seroit ce point, au contraire, pour nous apprendre que l’usage en seroit seur en Carême principalement, où cette Providence a permis que la Carpe fût dans toute sa bonté. »

Nous n’avons garde de toucher à une preuve si solide ; la carpe est à la discretion de tout le monde ; la carpe fait des petits six fois l’an ; la carpe, comme l’alose[58], est tout justement dans sa bonté, quand le Carême arrive ; il n’y a plus moïen aprés cela de médire de la carpe. Cependant, s’il est vrai que la Providence, aïant mis ce poisson entre les mains & à la discretion de tout le monde, il ne puisse être mal-faisant : comment donc la viande, qui est encore plus commune, sera-t-elle mal-faisante ?


DE LA TRUITE
& de la Perche.

La Truite est un poisson saxatile, de la grandeur du hareng, ressemblant à un petit saumon, & couvert d’écailles marquetées de taches jaunes & rouges, lequel est armé de petites dents sur la langue, & se nourrit de vers, de petits poissons, & d’écume.

Il a une chair friable & délicate, qui se digere aisément, & qui fournit un bon suc[59]. C’est le plus sain de tous les poissons d’eau-douce : aussi convient-il à plusieurs infirmes : il est peu inferieur en bonté à la viande même ; mais il faut le bien choisir ; celui qui a la chair rougeâtre, & qui a été pesché dans une eau bien pure, est le meilleur. Les Truites de lacs sont plus belles & plus grosses ; mais il s’en faut de beaucoup qu’elles vaillent les petites truites de riviere. Ce poisson se mange ordinairement apprêté au court-boüillon. Quelques-uns l’aiment mieux frit ; d’autres rôti : il est plus sain de la premiere façon. La tête de la truite est excellente boüillie dans du vin & de l’eau, avec quelques grains de sel, puis servie avec un peu de vinaigre. Ce poisson se corrompt aisément, & il faut le manger presque au sortir de l’eau. En plusieurs païs on le sale comme le hareng ; mais il perd beaucoup de sa bonté par cette préparation. La carpe se plaît dans la bourbe, & ne se nourrit presque que de limon ; la truite au contraire cherche l’eau claire & courante ; ce qui ne contribuë pas peu à la bonté de son suc.

La Perche est un poisson sans dents, & à petites écailles, duquel il y a deux especes ; sçavoir, la grande & la petite Perche ; la grande est longue d’un pied, ou d’un pied & demi, large à proportion, couverte de menuës & petites écailles fortement attachées, elle a le corps de couleur cendrée noirâtre, & sur le dos deux arêtes pointues, dont la piqueure est dangereuse. La seconde est plus petite, & a le corps épineux, de couleur rougeâtre & jaunâtre. L’une & l’autre n’ont point de dents ; elles ne laissent pas de manger d’autres poissons, comme fait le brochet ; mais le brochet ne peut manger la Perche ; parce qu’elle a un aileron piquant qu’elle herisse à son approche.

Ce poisson est un peu visqueux : on y trouve neanmoins une nourriture presque aussi saine que dans la truite. Les œufs en sont fort bons, & ils se mangent d’ordinaire rôtis sur le gril.


DU BROCHET.

C’est un long & gros poisson, qui a la tête grande, maigre & carrée, le museau long & fort ouvert, la bouche garnie de dents aiguës, la machoire de dessous, plus avancée que celle de dessus, & creusée en forme de cuillier, les yeux d’un jaune d’or, le dos large & presque quarré, la queue courte, tout le corps couvert de petites écailles fort minces ; lesquelles sont jaunâtres sur le dos, & blanchâtres vers le ventre. Il se nourrit dans les étangs, dans les lacs, dans les rivieres, & il dévore les autres poissons. On lui donne plusieurs noms, selon sa grandeur. Les petits Brochets se nomment Lancerons, ceux d’entre les gros qui ont plus de dix-huit poulces, entre œil & bat, Brochets Carreaux, & les moïens Brochets. La chair du Brochet n’est pas si facile à digerer que celle de la Truite ou de la Perche ; aussi le Brochet ne convient guéres aux infirmes, comme nous le remarquerons dans un moment. Le foïe de ce poisson est bon à manger ; mais les œufs n’en valent rien. Le Brochet s’apprête de plusieurs façons differentes. Il est assez sain, soit à la sauce d’Allemagne, soit au bleu, soit rôti à la broche. Plusieurs le mangent frit ; mais il est alors beaucoup plus difficile à digerer[60]. Le Brochet en casserolle ou au beurre roux, est encore assez mal-sain, sur tout quand il est lardé d’anguille, selon l’usage ordinaire ; car l’anguille est déja fort mal-saine de sa nature, ainsi que nous le verrons plus bas. On trouve dans l’estomac du Brochet une veritable présure, qui caille le lait, comme fait la présure ordinaire[61] : les fromages, qui sont faits avec cette présure, ne sont pas plus défendus en Carême que le lait simple. Au reste, les vieux Brochets, & ceux qui se nourrissent dans des eaux bourbeuses, sont fort mal-sains.

L’Auteur du Traité des Dispenses, dit qu’un poisson, « aussi plein de vie que le Brochet, puisque les plus énormes plaies ne le peuvent tuer, & si sujet à vieillir, puisqu’il survit à des siécles entiers, & qu’il va quelque-fois à deux cens ans, paroît comme fait pour la santé. Qu’aussi le destine-t-on pour la rétablir dans les maladies les plus désesperées, telle qu’est la phtisie, &c. »

L’Anonyme a déja dit plus haut, en parlant du poisson en general, que le Poisson vivoit des siécles entiers, & qu’il étoit trés-propre à prolonger la vie. Mais c’est une simplicité de s’imaginer que parce qu’un animal vit long-tems, la chair en soit meilleure pour la santé, & puisse prolonger les jours. Si cela étoit, il n’y auroit pas de viande plus saine que la chair de cerf & de corneille. A la verité quelques uns l’ont conseillée comme capable de procurer une longue vie, de rétablir les forces abbatuës, de rappeller même la vigueur des premieres années ; mais c’est une imagination qui ne merite pas même d’être refutée, & que Nonnius, & quelques autres Medecins célébres, traitent avec raison de crédulité grossiere[62]. L’Anonyme ajoûte que le Brochet est si sain, que les medecins le destinent pour rétablir la santé dans les maladies les plus désesperées, comme la phthisie ; & que d’autres en permettent l’usage dans les tems même où il est dangereux d’accorder de la nourriture, tel que celui des couches des femmes. Mais il y a des Medecins de toutes les sortes ; & l’Auteur du Traité des Dispenses ne sçait pas apparemment ce que disent là-dessus de sçavans Praticiens, qui ont examiné avec soin la nature de ce poisson. Il est étonnant, remarque Nonnius, qu’il se trouve quelques Medecins qui mettent le Brochet au rang des poissons les plus propres à la santé ; il faut pour cela n’avoir pas examiné ce que c’est qu’un aliment salutaire ; Parum illi pensiculate salubris alimenti naturam expendunt[63]. Le Brochet, dit Pisanelli, doit être défendu aux malades, quelque chose que puissent objecter là dessus certains Medecins du commun, quidquid trivialum Medicorum turba obganniat[64] ; c’est que la chair de Brochet demande un bon estomac : ce qui la rend par consequent peu propre aux infirmes[65].


DE L’ANGUILLE,
& de la Tanche.

L’Anguille est un poisson long & menu, de la figure d’un serpent, & dont la peau, qui paroît extrêmement unie & glissante, ne laisse pas d’être couverte d’écailles, comme celle du Brochet, & de quelques autres poissons, ainsi qu’on le voit par le Microscope.

Ce poisson a une chair extrêmement grossiere & visqueuse ; il convient peu par consequent à la santé, comme le remarquent les Medecins, & il a plus besoin, que tout autre, d’être corrigé par l’assaisonnement : c’est pourquoi l’Anguille apprêtée au blanc, est ordinairement moins mal-faisante ; car il est difficile que par cette préparation elle ne perde beaucoup de sa viscosité. En effet, aprés qu’elle a été écorchée, & ensuite coupée par morceaux, les Cuisiniers la font blanchir dans l’eau boüillante, puis la laissent rendre son eau sur une serviette, aprés quoi ils la passent au beurre blanc, & la font cuire dans du vin avec du sel, du poivre, de la muscade, & des feüilles de laurier ; ce qui doit necessairement corriger, sinon en tout, du moins en partie, les sucs visqueux de ce poisson.

L’Anguille s’apprête de plusieurs autres manieres differentes, dont nous ne ferons point le détail, nous nous contenterons d’avertir, que plus on la dépoüille de sa viscosité, & moins elle est mal-faisante.

L’Auteur du Traité des Dispenses, remarque[66] 1o. qu’un des Conviez d’Athenée disoit, qu’en matiere d’aliment délicieux, l’Anguille étoit ce qu’est une Reine au dessus des autres femmes. 2o. Que les Epicuriens trouvoient autant de plaisir dans l’Anguille que de charmes dans Helene. 3o. Qu’il étoit ordinaire aux anciens Grecs d’honorer l’anguille du nom de Reine, de Nymphe, de Vierge, de Belle, d’Astre, & de Déesse. Mais toutes ces fleurettes que l’Auteur conte à l’Anguille, & qu’il a prises, quoi-que sans en rien dire, dans le Livre de Pierre Gontier, sur les poissons, ne servent de rien ici pour prouver que la chair de l’Anguille vaille mieux que celle de tous les Quadrupedes, & de tous les oiseaux. L’Anguille renferme un suc visqueux & pesant, qui ne sçauroit être favorable à l’estomac : c’est ce que l’experience fait voir, & de quoi conviennent les plus célèbres Medecins, qui ont examiné avec soin la nature des alimens ; & sans parler d’Hippocrate & de Galien[67] qui la regardent comme dangereuse à la santé ; Angelus Sala met l’Anguille au rang des mets les plus pernicieux, & il la défend en tems de peste[68]. Quercetan soûtient qu’elle fait tort à la plûpart des visceres[69], par le sang épais & grossier qu’elle produit. Horstius dit que ceux qui veulent veiller à la conservation de leur santé, doivent éviter ce poisson[70]. Pierre Gontier prétend qu’il n’y a personne, soit sain ou malade, à qui l’anguille puisse faire du bien[71] : il ajoûte que la chair en est d’un goût agréable ; mais que ce goût est un piege dangereux. Ab his saltem ægri, fortè & sani, in totum abstinere deberent, sed gulæ quis resistat, potissimum dum Saporis suavitas pro hamo est. L’Auteur du Traité des Dispenses convient même que l’Anguille a un suc visqueux & gluant ; mais il prétend justifier ce suc gluant, en disant que les choses les plus visqueuses sont emploïées pour la guérison des maladies les plus opiniâtres, comme les limaçons, les extrêmitez des animaux, les gelées, les pulpes, &c. Pour les limaçons, il n’y a point de Medecin entendu qui les puisse conseiller, comme un aliment sain ; car il ne s’agit pas ici des préparations qu’on en peut faire, pour en tirer des médicamens : tout seroit bon sur ce principe, n’y aïant rien de si mauvais que la medecine ne fasse servir à la guérison de quelque maladie. Quant aux extrêmitez des animaux, c’est peut-être ce qu’il y a de moins sain dans la viande ; & un Medecin qui voulant nourrir un malade avec de la gelée, ordonneroit que cette gelée ne fût faite que de pieds ou de jarrêts de veau, s’y prendroit fort mal. Le suc visqueux de ces parties n’est gluant, comme il est, que parce qu’il n’a pas encore reçû toute la coction necessaire, qu’il n’est qu’à demi travaillé, & qu’il contient ce que le chyle y a laissé de plus crud : en sorte que ces parties ne peuvent être que d’une trés-difficile digestion, comme le remarque un sçavant Auteur. Edulia ex trunculis extremorum membrorum parata, difficilioris sunt coctionis, & pauci nutrimenti… pedes & aliæ partes exangues exiguum dant alimentum, crassum & glutinosum[72]. Un autre Auteur, non moins renommé, ne fait point difficulté d’avancer que l’usage de ces sortes de viandes peut causer la pierre[73].

La Tanche a la figure de la Carpe ; mais les écailles plus petites & plus jaunes, sa longueur est d’environ demi-pied, & sa grosseur, du bras.

Ce poisson est presque aussi visqueux que l’anguille, & n’a gueres moins besoin du secours des assaisonnemens : il est peu propre aux temperammens pituiteux, car il produit des sucs trés-grossiers ; c’est la remarque du docte Quercetan[74] qui ne dit rien en cela dont l’experience ne convainque.


DU BARBEAU,
& du Meusnier.

Le Barbeau de riviere, autrement dit Barbot, a le museau long, pointu & cartilagineux, une espece de barbe à chaque côté des lévres, la bouche sans dents, les yeux petits, le dos blanc & jaunâtre, parsemé de quelques taches noires, & le ventre blanc comme du lait. Ce poisson pese ordinairement deux à trois livres ; mais il s’en trouve dont le poids va jusqu’à huit livres. Il a une chair molle & aqueuse, qui nourrit peu, mais qui se digere assez aisément. Les œufs de ce poisson sont trés-dangereux, & ils dévoïent par haut & par bas, avec tant de violence, qu’il n’y a point de fort émetique qui produise un si rude effet. Les Païsans en Allemagne[75] s’en servent quelque-fois pour se purger ; mais la Medecine n’a point encore adopté ce violent remede. Le Barbet est extrêmement insipide, & il a plus besoin qu’un autre, du secours de l’assaisonnement. Il se mange ou au court-boüillon, ou à l’étuvée, & il n’est point mal-sain de la sorte.

Le Meunier[76], ainsi appellé, parce qu’il est ordinairement prés des moulins, a le corps assez semblable à celui du Barbet : du reste, il n’a rien de recommandable, ni par son goût, ni par la qualité de sa substance. Il est tout-à-fait insipide, il se digere à peine, ne nourrit presque pas. Ce qui fait dire, avec raison, à un sçavant Medecin, que ce poisson ne merite pas même qu’on en parle[77].

Aprés l’Article des Poissons, il nous reste à parler des Amphibies, suivant l’ordre que nous nous sommes proposé.


DES AMPHIBIES,



Les Amphibies, qui se mangent en Carême, sont les Grenoüilles, les Macreuses, les Loutres, les Tortues, les Limaçons. Nous allons exposer en détail les differentes qualitez de ces alimens.


DE LA GRENOUILLE.

C’est un petit Amphibie quadrupede, qui ne marche qu’en sautant, & qui nage fort vite, lequel est couvert d’une peau dure, verte, plissée, & a la tête grosse, la bouche trés-fendue, les yeux à fleur de tête, le dos large & plat, le ventre ample & gonflé, les pates écrasées ; un animal enfin fort ressemblant au crapeau, mais qui est fort bon à manger.

Les bonnes Grenoüilles sont celles qui se prennent dans une eau pure, qui sont vertes, & dont le corps est marqué de petites taches noires. La chair de la grenoüille se digere difficilement ; mais quand on a l’estomac bon, elle nourrit beaucoup. Quelques uns conseillent aux Hectiques, aux Phtisiques, & à ceux que de longues maladies ont desséchez, de manger des grenoüilles ; mais ce sont les boüillons de grenoüilles[78], & non les grenoüilles en substance, qui conviennent dans ces occasions. La chair de ces animaux est trop difficile à digerer, pour être propre dans des maladies, où on remarque que l’estomac est beaucoup plus débile que dans aucune autre ; ainsi qu’il est facile de le juger par la qualité des déjections. Les bouillons de grenoüilles sont encore fort bons dans les toux inveterées, ils humectent, ils adoucissent, ils font dormir[79]. Quand on veut manger les grenoüilles, il faut, aprés qu’elles sont écorchées, les faire jetter d’abord dans de l’eau chaude, puis dans de l’eau froide, cela les attendrit, & les rend plus faciles à digerer. Elles se mangent apprêtées de plusieurs façons differentes : on en prépare sur tout, des potages, qui sont fort sains, & dont même quelques Dames usent pour entretenir la fraîcheur de leur teint[80] : ce qui, au reste, n’est guéres conforme à l’esprit du Carême. Quelques Auteurs écrivent que le fréquent usage des grenoüilles donne mauvais visage, & cause la fiévre. Mais nous pouvons assurer, avec un sçavant Medecin, en avoir vu des experiences contraires. Les grenoüilles s’emploïent contre plusieurs maladies, & entr’autres, contre les bubons pestilentiels, appliquées sur le mal, & contre les apostemes[81]. On s’en sert contre les maux de dents,

en se lavant la bouche avec de l’eau & du vinaigre, où l’on en a fait boüillir quelques-unes[82] : Remede que nous avons vû réüssir diverses fois. On fait avec le frais de grenouilles une eau distillée, excellente contre les inflammations des yeux, les éresipeles & les feux volages[83]. Le fiel de grenoüille, reduit en cendre, & pris jusqu’à un gros dans du vin blanc, est un fort bon febrifuge[84], pourvû que le malade ait été auparavant disposé par les remedes generaux. On prépare avec des foyes de grenoüilles un excellent remede contre l’épilepsie. Il faut prendre dans le mois de Mai, de Juin, ou de Juillet, environ quarante grenoüilles, des plus vertes, en ôter les foyes, pour les faire sécher à une chaleur lente, puis les réduire en poudre, & séparer cette poudre en six doses égales ; en donner une dose au malade le matin à jeûn, dans un peu de vin, lui recommandant de ne point manger de deux bonnes heures aprés ; lui en faire prendre une autre le soir, & continuer ainsi trois jours de suite : on réïtere selon le besoin ; & c’est par ce remede que fut guéri l’Electeur Palatin, Frideric IV[85].


DE LA TORTUE.

La Tortue est un quadrupede, couvert d’une grande écaille dure, ovale & voûtée, posée sur un os qui enferme les entrailles de l’animal, comme le crâne enferme le cerveau. Cet os tient de chaque côté par de forts ligamens, à un autre os, situé sous le ventre ; & ces ligamens, qui sont fort durs, ont deux ouvertures, dont l’une laisse sortir la tête, avec les deux jambes de devant, & l’autre la queuë, avec les deux jambes de derriere. Les pates & la queue sont couvertes d’une peau grossiere, large, ridée, & grenuë comme du maroquin ; mais la tête est revêtuë d’une peau mince. Cette tête ressemble presque à celle d’un laisard ; les yeux de la Tortuë sont petits, & n’ont qu’une paupiere qui les ferme ; ses levres sont coupées en façon de scie, & armées d’un cuir dur, qui couvre deux rangs de dents ; les pates de devant ont chacune cinq doigts ou ongles ; celles de derriere n’en ont que quatre, sa queuë est grosse au commencement, & se termine en une pointe faite en maniere d’ergot. Il y a des Tortuës de differentes grandeurs, & on en voit dans l’Amerique, qui ont cinq pieds de long & quatre de large. Les Tortuës sont ou terrestres ou aquatiques ; les terrestres vivent plus sur la terre que dans l’eau ; & les aquatiques, plus dans l’eau que sur la terre : ces dernieres sont ou de mer ou d’eau douce ; les meilleures sont celles de mer.

La chair de ces animaux est fort nourrissante, mais elle demande un bon estomac[86]. Plusieurs se sont imaginez qu’il n’y avoit rien de meilleur aux phtisiques que de manger des Tortuës. Mais il en est ici des Tortuës comme des Grenoüilles : ce sont les boüillons de Tortuës, & non les Tortuës mêmes qui conviennent aux phtisiques. La chair de ces animaux, comme le remarque un sçavant Auteur, est d’une substance trop terrestre, pour pouvoir se digerer comme il faut dans l’estomac d’un phtisique, à moins qu’on n’ait soin de mêler cet aliment avec quelque autre plus délicat, qui en corrige la grossiereté : Cum ejus substantiæ viscidior & crassior sit, ut quæ plurimum terræ conditionis habeat, vix laudabile præbet alimentum, quare tabidis non debet exhiberi, nisi aliis admixta carnibus delicatioribus simul concisis[87]. Quelques-uns s’imaginent encore, qu’il n’y a pas de meilleur moïen pour se faire un tempérament fort & robuste, que de vivre de Tortuës, & la raison, c’est qu’elles ont la vie fort dure ; jusques-là même que si aprés les avoir détachées de leur écaille, par la violence du feu, on les remet toutes vives dans la mer, elles font une nouvelle écaille. On ne peut nier que la Tortuë n’ait la vie fort dure ; mais de croire que pour cette raison, elle soit propre à fortifier le tempérament, c’est raisonner aussi sçavamment que l’Auteur du Traité des Dispenses, qui croit que parce que le Brochet vit des siécles entiers, ce poisson est propre & comme fait pour donner de la santé[88]. Il y a des personnes à qui la Tortuë peut faire beaucoup de bien. C’est à ceux qui ont l’estomac bon, mais le sang trop bouillant, & la bile trop exaltée, car la chair de cet animal tient de la qualité de son sang qui est fort froid. Que le sang de la Tortuë soit froid, c’est un fait certain par l’expérience, & qui ne doit pas paroître extraordinaire, si on fait reflexion que la plûpart des animaux qui n’ont presque point de cerveau, comme sont presque tous les poissons[89], ont le sang trés-froid. Or les plus grosses Tortuës, comme celles des Antilles, par exemple, dont la tête égale celle d’un veau, n’ont pas le cerveau plus gros qu’une féve. Il n’y a dans la Tortuë, que le corps de bon à manger ; la tête, les pieds & la queuë n’en valent rien. Ce mets s’apprête de plusieurs façons différentes ; mais il est plus sain boüilli dans une marmite, avec du sel & quelques autres assaisonnemens, puis coupé par morceau, & servi avec une sauce convenable. Les Tortuës marinées, puis frites dans du beurre, & servies avec du persil, du jus d’orange, & du poivre, sont fort agréables au goût, mais peu saines, à cause de la friture qui ne convient guéres à une chair aussi abondante en parties terrestres. On mange aussi des Tortuës dans le potage, & elles sont fort saines de cette maniere, pourvû qu’elles n’aient été que légerement passées par la poële, & qu’elles soient suffisamment mitonnées dans le boüillon. Au reste les Tortuës ont beaucoup de graisse : cette graisse se conserve long-tems, elle a bon goût, & peut suppléer à du beurre. Les œufs de Tortuë sont bons à manger, & Pisanelli en conseille l’usage aux fébricitans. Ils procurent le sommeil, & ils rafraîchissent. Ceux qui sont tachez, & dont la coquille est la plus dure, passent pour les meilleurs ; ils sont plus sains un peu gardez, que tout recens.


DU LOUTRE, ET DU CASTOR.

Le Loutre est un animal à quatre pieds, tout couvert de poil, & de la grosseur d’un chat ; il a les jambes courtes, la queuë longue, les oreilles petites, & la tête semblable à celle du chien. Il est rare en Europe, mais fort fréquent en Canada ; il habite proche des lacs & des rivieres, où il se nourrit de poissons, d’écorces d’arbres, de fruits, d’herbes, &c. Il a l’odeur & le goût du poisson ; mais c’est une trés-mauvaise nourriture, dont l’usage est néanmoins commun dans plusieurs Maisons Religieuses. La chair en est dure, coriasse, & remplie de sucs grossiers, qui ne peuvent produire qu’un sang visqueux & mélancolique. Le Loutre ne laisse pas de trouver place quelquefois sur les bonnes tables ; on le mange d’ordinaire ou cuit au court-boüillon, & servi à sec dans une serviette avec du persil ; ou rôti, soit sur le gril, soit à la broche, & servi avec une sauce de haut goût. Mais de quelque maniere qu’on s’y prenne, on n’en sçauroit faire un bon mets, ni pour le goût, ni pour la santé.

Le Castor, en Latin Fiber, & en vieux François Bievre, est un quadrupede, moitié chair & moitié poisson, lequel a le corps court, massif, & de la grosseur de celui d’un cochon de six mois, la peau couverte de poils doux, la queuë longue d’environ un pied, épaisse d’un pouce, plate & sans poil, large de quatre doigts, écailleuse & grise ; les jambes de devant, semblables à celles du Blaireau, & les jambes de derriere, à celles du Cigne : il mange sur terre des écorces de saule, des feüilles d’arbrisseaux, des fruits : & dans les rivieres il se nourrit d’écrevisses, & d’autres poissons. Il n’y a que la queuë de cet animal qui soit poisson, les autres parties tiennent de la nature de la viande ; cette queuë est couverte d’écailles, & a toute l’odeur & tout le goût du poisson, aussi est-elle toûjours dans l’eau, lors même que le Castor est hors de l’eau : nous verrons plus bas comment cela se fait ; la chair en est tendre, douce & grasse, comme celle de l’Anguille. On la fait cuire dans de l’eau, avec un peu de vin blanc, du sel, de la sauge, & elle se sert avec une sauce blanche ; elle n’est point mal-faisante comme le Loutre.


DE LA MACREUSE.

La Macreuse participe de la nature du poisson, elle a l’apparence du canard, & demeure presque toûjours sur la mer, où elle plonge jusqu’au fond de l’eau, pour chercher dans le sable de petits coquillages dont elle se nourrit[90]. Elle a le bec plat & large, avec une élevation considerable au dessus des narines, vers lesquelles il y a beaucoup de jaune & un peu de rouge. Elle a les pieds noirs, dont les doigts, qui sont noirs aussi, & quelque-fois rouges, tiennent à une membrane noire, qui sert à nager ; les plumes de cet oiseau sont noires au mâle, & grises à la femelle. Il ne peut marcher sans s’aider de ses ailes, ni voler plus de trois pieds de haut. Il a une chair dure, coriasse, & d’un suc grossier, dont le goût est fort marin & sauvage : cette chair a cela de commun, avec celle du poisson, qu’elle renferme beaucoup d’huile, ainsi que chacun s’en peut convaincre, en la faisant rôtir, & en examinant ce qui en découle. Le Foye de la Macreuse est sur tout extrêmement huileux, & il y a peu de poisson dont le foye le soit davantage[91].

La Macreuse noire passe pour la meilleure ; la grise, qui est la femelle, comme nous venons de dire, & qu’on appelle communément Bisette, est plus coriasse. On a trouvé l’art de corriger par le moïen des assaisonnemens, sinon en tout, du moins en partie, le mauvais goût & la mauvaise qualité de la Macreuse. On la fait cuire quatre ou cinq heures à petit feu, avec de l’eau, du beurre, & un peu de vin blanc, mêlez de sel, de fines herbes, de laurier, de cloud de girofle, & de poivre ; puis on la mange avec une sauce au beurre blanc, relevée d’un peu de vinaigre. Comme la chair de cet Amphibie n’est pas fort agréable par elle-même ; il est certain que cet assaisonnement doit un peu la corriger.

La Macreuse, apprêtée au chocolat, perd encore beaucoup, & de son mauvais goût, & de sa mauvaise qualité. On la lave bien aprés l’avoir vuidée, & on la fait blanchir sur la braise : ensuite on la met avec un peu d’eau dans un vaisseau de terre, où on la fait cuire avec du sel, du poivre, du laurier, & de fines herbes, aprés quoi on prépare un peu de chocolat, de la même maniere que si c’étoit pour le boire, & on le jette dedans : la Macreuse étant cuite de la sorte, on la mange avec tel ragoût que l’on veut. On remarque qu’elle est beaucoup moins coriasse, ainsi préparée, que d’aucune autre maniere : ce qui vient de la substance fine & sulfureuse du chocolat, qui en penetrant la chair de la Macreuse, en attendrit les fibres. On fait encore de cet Amphibie un mets assez innocent, en le faisant rôtir à la broche, aprés en avoir rempli le corps, d’une pâte composée de mie de pain, de sel, de poivre, de clou de girofle, de feüilles de laurier, de thim, d’écorce d’orange, de persil, de vin rouge, & de beurre. Mais aprés tout, comme ce n’est qu’à force de soin qu’on peut rendre cet aliment, ou supportable au goût, ou innocent pour la santé, il y a sujet de s’étonner que dans les lieux où il n’est pas commun, on le préfere à tant d’autres, qui sont meilleurs par eux-mêmes, qu’on peut avoir plus facilement, & qui demandent moins de préparations.


DES LIMAÇONS.

Les Limaçons que l’on mange, sont de petits insectes, cornus & visqueux, enfermez dans des coquilles faites en forme de vis, d’où ils ne peuvent tirer que la moitié de leur corps, & qu’ils traînent avec eux quand ils changent de place. Il en a de plusieurs sortes, selon les endroits où ils se nourrissent ; ceux des lieux ombrageux, sentent la bourbe & le limon ; ceux qui se nourrissent en plein air, & qui vivent de serpolet, de pouliot, d’origan, & autres herbes aromatiques, ont meilleur goût. Les limaçons d’Hyver, & que l’on prend dans la terre, où ils se tiennent cachez, sont préferables à ceux du Printems & de l’Eté. Mais ni les uns ni les autres ne meritent place sur les tables, quelque estime d’ailleurs que les Grecs[92] & les Romains[93] aïent fait autre-fois de cette sorte d’aliment. Ces animaux sont d’une substance visqueuse & gluante, qui malgré tous les soins qu’on se donne, soit de les laver, & de les faire cuire dans plusieurs eaux, soit de les assaisonner avec le poivre, le sel, le vin, l’huile, & les aromates, ne peut produire dans le corps, que des humeurs grossieres & mélancoliques, capables d’embarrasser le cours du sang, & de faire des obstructions considerables dans les principaux visceres. Les moins mal-faisans sont ceux qui se trouvent dans les vignes & dans les buissons. Quelques-uns conseillent aux Phthisiques, & à ceux qui veulent engraisser, de manger des Limaçons ; mais cette nourriture est trop difficile à digerer, pour leur être propre ; & c’est avec raison qu’un sçavant Praticien la condamne comme dangereuse dans ces occasions. Caro Cochlearum admodum dura est, atque contumaciter coquitur… sunt qui tabidis præscribant, & aliis qui impinguescere volunt, quos tamen non reor esse imitandos. In Phtisicis siquidem imbecillus calor, cum jam langueat, escæ coquendæ tam pertinaci, non nisi impar est ; quare cibi euchymi sunt præferendi[94]. Au reste, si les Limaçons ne sont pas sains en aliment, ils ont leur utilité, comme médicament, & on en prépare des boüillons, qui sont fort propres pour adoucir les acretez de la poitrine, pour épaissir les humeurs trop exaltées, & pour procurer le sommeil.

Nous venons de parler de la Macreuse, de la Tortuë, & du Loutre, comme d’alimens permis en Carême, & nous les croïons tels en effet ; mais on soûtient dans le Traité des Dispenses, que l’usage n’en est point licite alors ; & on allegue là-dessus diverses raisons, ausquelles on prétend que les Lecteurs qui ont un peu d’équité & de Religion, doivent se rendre absolument. Nous ne sçaurions guéres nous dispenser d’examiner ces raisons : c’est à quoi nous allons emploïer l’Article suivant : on dira peut-être, que pour ce qui regarde la Macreuse, elle n’est point si exquise, qu’on doive se mettre tant en peine d’en justifier l’usage en Carême ; mais ce n’est point non plus par un tel motif que nous entreprenons de faire cet examen, puisque si elle étoit exquise, ce seroit plûtôt une raison de s’en priver dans un tems de penitence ; mais c’est parce qu’elle est d’un grand secours dans plusieurs Provinces, où elle ne coûte presque rien, en comparaison du poisson. Si la Macreuse est veritablement chair, on est d’autant plus obligé d’en informer le public, qui la croit de la nature du poisson, que le desir de l’épargne peut en bien des endroits, engager plus de gens à persister dans cette erreur. Mais si elle est poisson, ou pour parler sans équivoque, si elle est de la nature du poisson, il ne faut pas non plus, par un excés de séverité, ôter aux pauvres un secours, qui en leur sauvant de la dépense, peut leur rendre le Carême plus praticable. Nous disons la même chose des autres Amphibies usitez en Carême, lesquels sont en plusieurs endroits à beaucoup meilleur marché que le poisson.



  1. En latin Rhombus aculeatus, à cause des aiguillons qu’il a à la tête & à la queuë.
  2. Rhombus, Figure quadrangulaire, ou losange.
  3. En Latin Rhombus lævis, parce qu’il ne differe du Turbot, proprement dit, qu’en ce qu’il n’a point d’aiguillons ; ainsi il ne faut pas confondre la Barbuë avec le Barbeau, comme font quelques-uns.
  4. Horat. Satyr. lib. 22. Sat. 2.
  5. Pers. Satyr. 6. vers. 2.
  6. Joseph Quercet. Diætet. Polyhistor. sect. 3. cap. 7.
  7. Horst. de Escul. et Potulent.
  8. Pag. 126. de la 1e. édit. & p. 210. de la 2e. tom. 1.
  9. Pag. 128. de la 1e. édit. & p. 216. de la 2e. tom. 1.
  10. Galen. lib. 3. de Aliment. facult.
  11. Xenocrat. apud Oribas. Voïez Nonnius, de re Cibar. l. 3. c. 27.
  12. Nonn. ibid.
  13. δυσδιοικητος vient de δυς difficulter, ægre & de διοικέω habito. Ainsi δυσδιοικητος est la même chose que difficilis locatu.
  14. Voïez nonnius, de re Cibar. lib. 3. cap. 21. Sed non video. Quo pacto conveniunt δυσδιοικητον, & ευδιαχόρητον. Vix enim fieri potest aliquid difficulter distribui, & facilà per alvum sub luci, non dubito mendum hîc latere, emendet cui melior codex obtigerit.
  15. Page 155. de la premiere édit. & p. 258. de la seconde, tome 1.
  16. Page 155. à la fin de la page, prem. édit. & p. 259. de la 2. tom. 1.
  17. Recuëil de Thevenot.
  18. Horat. Sat. lib. 2. Satyr. ult.
  19. Cum carne sit pingui minimeque friabili, nequit ob lentorem suum ex illa salubre aut εὔχυμον alimentum confici : id circo à prudentioribus inter suspecta atque intuta alimenta habetur. Ludov. Nonn. de re Cibar. lib. 3. cap. 32.
  20. Ludov. Nonn. Ibid. Petrus Gontier, lib. 12. cap. 28.
  21. Horat. Sat. lib. 2. Satyr. ult.
  22. Quercet. Diætet. Polyhistor. Class. 3. c. 7.
  23. Elle se nomme ainsi en Grec ; Aurata en Latin.
  24. Ovid. in Halieus.
  25. Petrus Gontier, lib. 2.. cap. 20.
  26. Petrus Gontier, lib. 12. cap. 29.
  27. Nonnius, de re Cibar. lib. 3. c. 33. Gont. lib. 12. c. 29.
  28. Œufs de Poissons salez, & qu’on a confits avec de l’huile et du vinaigre. On les enferme dans des bariques, & on les envoïe ainsi en divers lieux éloignez de la mer.
  29. πολύποδες δὲ καὶ σηπίαι καὶ τὰ τοιαῦτα οὔτε κοῦφα ὡς δοκέει ἐστὶν οὔτε διαχωρητικὰ διὸ καὶ τοῦς ὀφταλμοὺς βαρύνουσιν ἐσθιόμενοι, πλὴν οἱ ζωμοὶ τουτέων διαχωρέουσι. Hipp. de victûs ration. lib. 2.
  30. Pag. 135. de la 1e. édit. & p. 226. de la 2e. to. 1.
  31. Pag. 131. de la 1e. édit. & p. 219. de la 2e. to. 1.
  32. Voïez plus bas l’Article des Grenoüilles, il dit qu’elles ont peu de volatil, & que c’est pour cela qu’il les croit permises en Carême.
  33. Ostreæ minùs nutriunt, difficulter coquuntur, & ventriculum pituosis Humoribus facile
  34. replent. Horstius, de Esculent. & Potul.
  35. Ostrearum esum haud ferunt pituitosi. August. Rivin. Dissert. disputat. 6. de Medicinâ in Aliment.
  36. Cancri fluviatiles mire prosunt ad acrimoniam illam obtundendam, in scorbuto, malo Hypochondriaco, doloribus licnis, arthritide, &c. August. Riv. Dissert. disput. 6. de Medic in Aliment.
  37. Cum verò illorum usus capitis dolorem & somnia turbulenta excitet, cautiores ideò sint qui in atrophiâ præscribunt ne citiùs quàm par est, igniculum superstitem extinguant : habent siquidem narcoticum quid. Petrus Gontier, lib. 12. cap. 3.
  38. Pag. 131. de la 1e. édit. & p. 219. de la 2e. tom. 1.
  39. Pag. 135. de la 1e. édit. & p. 226. de la 2e. tom. 1.
  40. Pa. 131. de la 1. édit. & pag. 219. de la 2. tome 1.
  41. Matth. c. 3. v. 4.
  42. Marc. c. 1. v. 6.
  43. S. Hieron. c. 36. contr. Jovin. Tract. 1. Ascens. in Aulu-Gel. lib. 16. cap. 11.
  44. Omne de volucribus quod graditur super quatuor pedes, abominabile erit vobis, quidquid autem ambulat quidem super quatuor pedes, sed habet longiora retròcrura per quæ salit super terram comedere debetis, ut est Bruchus in genere suo, & attacus, atque Ophiomachus ac locusta, singula juxta genus suum. Levit, c. 11. vers. 20. c’est-à-dire, parmi ce qui vole, tout ce qui marche sur quatre pieds, vous sera en abomination ; mais cependant tout ce qui marche sur quatre pieds, & qui aïant les pieds de derriere plus longs, saute sur la terre, vous pouvez en manger comme le Bruchus, selon son espece, l’Attachus, l’Ophiomachus, & la Sauterelle, chacun selon son espece.
  45. Tradit autem Diodorus Siculus, l. 3. cap. 3. Acrido-Phagos vitæ brevis esse, aut à pediculis alatis infessatos interire, sed nil horum habet Dioscorides qui eorum regiones peragrasset, & in eorum vicinia esset natus. Mund. de Amphib. c. 17.
  46. Levit. loco citat.
  47. Mund de Amphib.
  48. Petrus Gontier, de Cib. qui ex carnib. sumuntur.
  49. Galen. l. 11. de Simpl. Medic. Facult. Quercet. Diætet. Polyhistor. Class. 3. c. 7. Schrod. Pharmac. lib. 5. Class. 3.
  50. Horst. de Escul. & Potulent. Harengus est piscis carnem boni succi facilisque concoctionis obtinens, at difficilioris digestionis minusque boni succi redditur ubi piscis hic sale conditus vel exsiccatus ad alias regiones transfertur.
  51. Saur ou Sauret, mot gothique, qui signifie roussi à la fumée.
  52. On a dit aussi Harea, Hareola, pour Area, Areola, lieu plat & uni, que le soleil ou le grand air a séché.
  53. Mot composé de εν dans, de καρησι, tête, au datif ou ablatif pluriel, & de χολη, bile. Anton. Merindol. Exercit. octav.
  54. Quercet. Diætet. Class. 3. c. 7. Gontier, lib. 12. cap. 32.
  55. In Insulis, quas Moluas navigantes nominant, capitur. Petrus Gontier, l. 12. c. 25.
  56. C’est-à-dire, entre la tête & la queuë.
  57. Pag. 146. de la 1. édit. & p. 243. de la 2. tom. 1.
  58. Voïez ci-dessus, p. 322. où il est dit que l’alose doit être regardée comme un present du ciel, puisque le ciel permet que ce soit sur tout en Carême que l’alose paroisse dans toute sa bonté, & en abondance.
  59. Ludov. Nonn. de re Cibar. lib. 3. cap. 30. Petrus Gontier, de Sanitat. tuned. lib. 13. cap. 1.
  60. Voïez-en la raison plus haut, p. 265.
  61. Pierre Gontier, lib. 13. cap. 3.
  62. Plurimi vanissimâ credulitate sibi persuadent Cervorum esu, vitæ spatium in multos annos posse produci quia nanimal illud longævum ab pronibus credatur, quasi illius vivacitas in humanam speciem transire posset. Nonn. de re Cibar. lib. 2. cap. 5. Voïez aussi Pierre Gontier, lib. 2. de Cib. qui ex carnib. sumuntur, cap. 10. in fine.
  63. Mirum est Medicos non nullos, inter saluberrimos pisces lucium recensere, sed parum illi pensiculate salubris alimenti naturam expendunt. Nonn. de re Cibar. lib. 3. c. 34.
  64. Lucius infirmis, omnino vitandus, quidquid tandem trivialum Medicorum turba obganniat, qui sine delectu imprudenter ejus usum ægris præscribunt. Balthaz. Pisanell. de Escul. & Potul. Facult.
  65. Ludov. Nonn. de re Cibar. lib. 3. cap. 34.
  66. Page. 147. de la 1e. édit. & p. 245. de la 2e. tom. 1.
  67. Hippoc. de intern. affect. initio & de victus ratione, lib. 2. Galen. lib. de succ. bon. & Vit.
  68. Angel. Sal. Tract. de Peste.
  69. Anguilla sive marina, sive fluvialis plus noxæ in corpore parit, quàm utilitatis, viscosam enim carnem habet, stomachum aliaque nutritionis viscera ex crasso viscidoque illo sanguine inde producto, gravat. Jos. Quercet. Diætet. Polihist. sect. 3. cap. 7.
  70. Anguilla succi est lenti, viscidi, minimeque pro conservatione sanitatis, convenientis, quàm ob causam piscis hic minimè salubris statuitur. Horstius, de Esculent. & potul.
  71. Petrus Gont. l. 13. de piscib. cap. 10.
  72. Petrus Gontier, lib. 10. de Cib. qui ex carnib. sumuntur.
  73. Untzer, de Nephritide, lib. 1. cap. 3.
  74. Jos. Quercet. Diætet. Polyhistor. sect. 3. c. 7.
  75. Schrod. Pharmac. lib. 5. Class. 3.
  76. Autrement dit Vilain, à cause qu’il se plaît dans la bourbe, & Testu ou Testar, à cause de sa tête qui est fort grosse.
  77. Jos. Quercet. Diæt. Class. 3. cap. 7.
  78. Jos. Quercet. Diæt. Class. 3. c. 7.
  79. Id. ibid. Petrus Gontier, lib. 13. cap. 2..
  80. Ex Ranis jus sive offa paratur, quibus omnibus modis splendidæ quædam fœminæ utuntur, ut bene curato & succoso sint corpore. Petrus Gontier, lib. 13. cap. 22.
  81. Gradus refert Historiam rustici qui suo tempore dum pestis grassaretur, ranas virentes scissas & non scissas venenosis apostematibus applicabat, & illico ranæ moriebantur, & apostemata foras educebantur, & ita extracto veneno omnes liberabantur : quod audivi, inquit Gradus, à fide dignis verum esse.

    Forestus. lib. 19. observat. 35.

    Super tumores pestilentes aliqui recentiores ranas ligant, & mortuis recentes substituere pergunt, donec nulla ampliùs moriatur. Gesner, de Aquatil. & ins.

    Ranæ vivæ sæpius mutatæ pestilentes bubones retrahunt. Tumanellus, lib. de Pest.

    Rana viva ligetur super apostemata, idque toties facies, donec materia venenosa ab apostemate sit extracta. Ulstadius, de Epidem.

    Alii ranam vivam buboni pestifero adposuerunt, donec superstitem unam remansisse viderunt felici successu & remedio. Mizaldus Centur. 6. Distinct. 34. Idem vide apud Libav. lib. 2. Batrach. c. 11.

    Rana in Peste utiliter ab extra imponitur, siquidem venenum attrahit. Joh. Dan. Mylius, lib. 1. Antidotat. cap. 5. & Crollius, de Signat. rer. intern.

    Apud Matth. Untzer. Antid. Pest. lib. 2.

  82. Jos. Quercet. Diætet. Polyhistor. Clas. 3. c. 7.
  83. Appliquée exterieurement.
  84. Fel prætetea Ranarum, in cinerem redactum & cum vino albo propinatum, ad dimidiam, quartanis febribus certissimum esse auxilium, certò creditur. Quercet. Diætet. ibid.
  85. Enchirid. Johan. Vincent. Finoxii. apud Matth. Untzer. de épileps. lib. 2.
  86. Petrus Gontier, lib. 12. c. ult.
  87. Petrus Gontier, ibid.
  88. Pag. 144. de la 1e. édit. & p. 240 de la 2e. tom. 1.
  89. La plûpart des poissons n’ont presque point de cerveau ; & ce que rapporte là-dessus le sçavant M. Stenn, est digne de remarque ; sçavoir, qu’aïant dissequé un poisson, qui pesoit plus de trois mille livres, il y trouva à peine à peine trois onces de cervelle : c’étoit un Carcharias, ou Requiem.

    Cerebri moles admodum exigua, vix tres uncias æquabat in pisce, cujus pondus ter mille libras superaverat. Sed piscibus id familiare videtur, ut magna corporis moles minuto cerebro animetur. Nicol. Stenon, Canis Carchariæ dissectum caput.

    Il dissequa un poisson d’une autre espece, lequel pesoit vingt six livres, & aprés en avoir mis le cerveau dans une balance, il trouva que ce cerveau pesoit à peine 3. deniers. Ut cerebri ad reliquum corpus proportionem invenirem, lancem adhibui, qui patuit, cerebrum tres denarios vix attingere, cum piscis ovisceratus quindecim libras excederet, & una cum visceribus suis viginti sex libras aquaret. Nicol. Stenon. Historia dissecti piscis ex canum genere.

  90. La Macreuse est presque toûjours sur la mer, & se tient fort écartée des bords. Elle ne vole qu’avec beaucoup de peine, aïant les plumes fort petites, à proportion de la pesanteur de son corps : ce qui est cause qu’elle ne s’eleve jamais plus de deux pieds au dessus de l’eau. Ses pieds, qui sont trés-foibles, lui servent plûtôt de nageoires que de pieds, & ses ailes autant à marcher sur la surface de l’eau, qu’à voler. En effet, lorsqu’elle veut se transporter promptement d’un lieu à un autre, elle se soûtient sur l’extrémité de ses pieds & de ses ailes, court ainsi avec beaucoup de vîtesse sur la surface de la mer. Elle plonge jusqu’au fond de l’eau, pour chercher dans le sable, de petits coquillages, nommez Fliont, dont elle se nourrit. Les Pescheurs se servent alors de l’occasion pour la prendre dans des filets plats, qui l’arrêtent, lorsqu’elle remonte du fond de la mer ; ce qui l’étouffe aussi-tôt ; en sorte qu’il arrive rarement qu’on prenne la Macreuse vive. Qu’elle se nourrisse de fliont, on n’en peut douter, puisqu’on trouve autre chose dans son estomac. Le fliont est un petit poisson enfermé entre deux coquilles ovales, fort petites & fort dures.
  91. In piscibus Hepar oleo, præ reliquo eorum corpore abundat, in quod ex roto fere veluti liquatur. Lister. de Humorib. cap. 35.

    Le foye d’une Macreuse qu’on fait rôtir, tombe à grosses goutes tout en huile.

  92. Græcos quoditie cochleas manducasse scripsit Galenus, proptereà tamen salubriores ne existimes. Etenim prava consuetudo errori patrocinium non patit. Petrus Gontier, l. 10. c. 17.
  93. Ils avoient des garennes & des viviers, pour nourrir & engraisser des Escargots.
  94. Petrus Gontier, lib. 10. c. 17.