Traité des sièges et de l’attaque des places/03

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INVESTITURE.

Supposons présentement qu’on puisse éluder tous les inconvéniens dont nous venons de parler ; que toutes les mesures soient bien prises, les résolutions d’un siége arrêtées, et enfin les armées en campagne en état d’agir, toutes choses étant préparées, le général, Manœuvres de l’armée assiégeante pour faire prendre le change à l’ennemi.par ses mouvemens, doit faire son possible pour éloigner les soupçons que l’ennemi peut avoir de ses desseins, et les détourner autant qu’il pourra. Quelquefois cela va jusqu’à investir une place qu’on ne veut pas attaquer, pour lui faire prendre le change, et lui donner lieu d’affaiblir la garnison de celle sur qui on a dessein ; ou bien on pousse l’ennemi pendant quelques jours pour l’éloigner de la place à qui l’on en veut, après quoi, et quand les affaires sont réduites au point qu’on les désire, la première chose qu’on doit faire est l’investiture de la place ; ce qui se fait ordinairement par un détachement de quatre ou cinq mille chevaux, plus ou moins, selon que la garnison est forte, commandés par un lieutenant-général, et deux ou trois maréchaux-de-camp, qui pour bien faire doivent marcher jour et nuit, avec toute la diligence possible, jusqu’à ce qu’ils soient à une lieue ou deux de la place, où faisant halte, ils règlent leurs détachemens particuliers, et les dispositions de l’investiture, en sorte qu’ils puissent arriver tous à la même heure à un peu plus de la portée du canon de la place, à laquelle on ne se doit montrer que par des détachemens qui, poussant de tous côtés jusqu’aux portes de la ville, enlèvent tout ce qui se trouve dehors, hommes et bestiaux. Ces détachemens doivent être soutenus par quelques escadrons qu’on fera avancer autant qu’il sera nécessaire ; il sera même bon d’essuyer quelques volées de canon pour avoir lieu d’en remarquer la portée. Pendant que cette petite expédition se fait, on doit se saisir de toutes les avenues favorables au secours qui pourrait se jeter dans la place. En un mot, bien investir la place, la serrant le plus près que l’on peut par les postes que l’on prend tout autour. Le jour on se tient hors la portée du canonPositions va­riables des postes d’in­vestissement., et toujours en état de se donner la main les uns aux autres. De nuit on s’approche à la portée du mousquet pour pouvoir former autour de la place un cercle garni de troupes, en sorte qu’il n’y reste point ou peu de vide qui n’en soit rempli. En cet état on tourne le dos à la place, et on dispose des petites gardes devant et derrière pour n’être pas surpris ; on fait enfin tête à l’ennemi de quelque côté qu’il se puisse présenter, tenant toujours moitié de la cavalerie à cheval, pendant que l’autre met pied à terre, peut un peu reposer les chevaux et les hommes. Le matin on se retire peu à peu avec le jour, faisant souvent halte, jusqu’à ce que le lever du soleil donne lieu de se retirer au quartier, posant des gardes ordinaires qui font tête à la place, et d’autres plus fortes sur les avenues du côté des secours ; après quoi, les escadrons qui ne sont pas de garde, se retirent au camp pour prendre un peu de repos, sans se déshabiller ni desseller les chevaux, qu’autant de temps qu’il est nécessaire pour les panser.

Pendant ce temps-là, celui qui commande envoie des partis à la guerre pour apprendre des nouvelles des ennemis, et continue de s’arranger et de régler ses gardes. On commence aussi à reconnaître la situation plus convenable pour asseoir les camps et les lignes quand l’armée sera arrivée ; et c’est à quoi les ingénieurs qu’on suppose devoir être arrivés aussitôt que le détachement, se doivent particulièrement appliquer. Quand ceux qui investissent ont quelques troupes d’infanterie avec eux, on les dispose par petites gardes sur les principales avenues de la place, soutenues par de plus grandes, que l’on poste derrière elles ; au défaut d’infanterie, on emploie des dragons.

Dès le jour même que la place est investie, tout se met en mouvement, l’artillerie et sa suite ; les vivres et tous les caissons ; les paysans commandés, et les chariots ; enfin tout charge dans les places voisines, et se met en marche pour se rendre devant la place investie ; ce qui se fait à la diligence de l’intendant de l’armée qui a ses correspondances avec ceux des provinces voisines, et qui a fait les envois dans les pays voisins quelques jours avant l’investiture, et à celle du lieutenant-général de l’artillerie, qui de sa part tire les munitions de tous les magasins où il a fait ses amas : il emploie à cet effet les chevaux d’artillerie, et les chariots que l’intendant lui fait fournir ; le tout en conséquence des ordres du général, qui a, pour l’ordinaire, le commandement supérieur sur les provinces voisines, et à portée de la place dont il s’agit.

Pendant que les dispositions de l’investiture se fontArrivée de l’armée de­vant la place., l’armée marche à grandes journées et arrive devant la place, pour l’ordinaire deux, trois, quatre ou cinq jours après l’investiture ; le lieutenant-général qui l’a faite, va au-devant d’elle, une demi-lieue ou environ, pour rendre compte au général de ses diligences ; lequel général fait ensuite sa première disposition pour le campement de l’armée autour de la place, le lendemain il le rectifie, et fait avec les officiers généraux ; et les principaux ingénieurs, le tour de ladite place pour en déterminer la circonvallation ; et après avoir résolu la figure et le circuit des lignes, qui est toujours celui qui doit être la règle du campement, toutes les troupes se placent selon les quartiers qui leur sont destinés, et le général distribue aux officiers généraux chacun le leur. On règle à même temps le quartier du roi ; celui des vivres, et le parc de l’artillerie ; ce qui se rectifie les jours suivans, et, autant qu’il est possible, par rapport aux attaques de la place, dont on doit déjà avoir quelque notion. On doit cependant disposer des petites gardes avancées aux environs de la place, soutenues par de plus fortes pour la resserrer autant que l’on peut, et les poster le plus avantageusement qu’il sera possible, pour empêcher la garnison de sortir et de fourrager. Après quoi les ingénieurs tracent les lignes à la perche et aux piquets, afin que les troupes puissent régler leurs camps à demeure ; ce qui se fait en établissant le front de bandière, parallèle aux lignes, à la distance de 60, 80, 100 ou 120 toises au plus ; on les trace après cela au cordeau avec un peu plus de loisir et de rectitude.