Traité des sièges et de l’attaque des places/25

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PRISE DU CHEMIN COUVERT.

Cas où l’on doit attaquer le chemin couvert par industrie.Or, supposant la tranchée arrivée à moitié du glacis, on sera en état de choisir de deux partis l’un ; savoir, d’attaquer le chemin couvert de vive force, ou par industrie. Si par industrie, ce ne pourra être que par l’effet des batteries à ricochet, secourues de la proximité des places d’armes et des cavaliers qu’on aura faits pour imposer audit chemin couvert : parce que les unes mettent les palissades en désordre et chassent l’ennemi de ses défenses, et les autres imposant par leur supériorité, la place ne sera plus tenable, attendu même la proximité de cette troisième ligne, ou place d’armes, qui pouvant contenir et contenant en effet de fort gros détachemens, joints à toute la garde de la tranchée, pourront mettre les assiégeans en état de tomber tout d’un coup sur le chemin couvert par un gros corps, et d’envelopper et tailler en pièces tout ce qui se trouvera dedans dans un tour de main ; chose à quoi l’ennemi doit s’attendre, sans qu’il y ait apparence d’éviter ce coup.

Ce qui bien considéré, la raison veut que les assiégés ne se commettent pas à recevoir un échec qui paraît effroyable, sans fruit et sans aucune apparence de le pouvoir éviter que par l’abandon du chemin couvert ; c’est pourquoi ils n’attendront pas la répétition de cette funeste expérience qu’ils ont tant de fois éprouvée à leurs dépens.

Les apparences presque certaines sont donc qu’ils ne s’y hasarderont pas, et qu’ils n’y laisseront que de petits détachemens ; auquel cas, les ricochets Pl. 13.
Pl. 10.
et les petits cavaliers que nous supposons faits à mi-glacis, prendront infailliblement le chemin couvert, sans coup férir de notre part.

Cas d’une attaque gé­nérale du chemin cou­vert.Mais si ce chemin couvert n’est point battu des ricochets, qu’on ne soit pas en état de le dominer par les petits cavaliers, qu’il soit bien traversé et la garnison forte, on sera peut-être obligé d’en venir aux mains, et de les forcer par une attaque générale.

Premier mo­yen.En ce cas, après avoir bien achevé et muni abondamment la troisième ligne d’outils, sacs à terre, gabions et fascines, on fait commander huit ou dix compagnies de grenadiers d’extraordinaire, plus ou moins, selon que la garnison sera forte ou faible, que l’on joint à ceux de la tranchée Pl. 6.
Profil .
avec d’autres détachemens de fusiliers disposés tout le long de la troisième ligne ou place d’armes, sur trois ou quatre rangs de hauteur rangés contre le parapet, les travailleurs commandés Couronnement du chemin couvert à la sape volante.derrière eux, sur et joignant le revers de ladite place d’armes, fournis de gabions, fascines, sacs à terre, etc., et chacun de deux outils.

Quelque temps avant cela, on doit avoir averti les batteries de canons, bombes et pierriers de se tenir prêtes, et de ce qu’elles ont à faire, comme aussi du temps qu’on attaquera, afin qu’elles se mettent en état de même que les autres postés de la tranchée qui doivent concourir à l’action ; et quand tout est prêt et l’heure venue, on donne le signal, ce qui se fait par une certaine quantité de coups de canon ou de bombes, desquelles les trois ou quatre dernières traînent un peu, afin de donner le temps aux troupes de se développer ; et quand le dernier coup a fini le signal, tous les gens commandés passent brusquement par dessus le parapet de la place d’armes, marchent à grands pas au chemin couvert, qu’ils enveloppent de tous côtés, et entrant dedans par les ouvertures, chargent tout ce qu’ils rencontrent et chassent l’ennemi hors dudit chemin couvert, pendant que les ingénieurs établissent promptement les travailleurs sur le haut de son parapet, qui ne sont pas plutôt arrangés qu’on leur fait incessamment servir des sacs à terre et des fascines par d’autres.

On rappelle presque à même temps les troupes qui ont chargé, lesquelles se viennent rallier derrière les travailleurs, où elles restent, genou en terre, jusqu’à ce que le logement soit en état de les couvrir.

Pendant cette action qui est toujours très-violente, toutes les batteries de canons et de mortiers tirent incessamment aux défenses de la place, aussi bien que les places d’armes de la tranchée qui ont des vues sur les mêmes défenses.

La place de son côté se défend et fait du pis qu’elle peut ; et comme la plus grande partie, ou pour mieux dire, Cette attaque coûte tou­jours beau­coup de mon­de à l’assiégeant.tout ce spectacle se fait à découvert de la part des assiégeans, et dure quelquefois deux ou trois heures ; il y a toujours beaucoup de sang répandu de la part de ceux qui attaquent, et de ceux qui défendent ; mais pour l’ordinaire, beaucoup plus des premiers que des derniers.

C’est pourquoi toutes les fois qu’on peut se rendre maître du chemin couvert par industrie, sans être obligé d’en venir aux mains, c’est, sans contredit, le meilleur moyen qu’on y puisse employer.

Deuxième moyen.
Détails sur l’attaque par industrie.
Supposons présentement que les ricochets soient bien disposés, et que leur effet, joint à celui des cavaliers et de la place d’armes, puissent nous donner assez d’ascendant sur le chemin couvert pour imposer à un ou à plusieurs de ses angles par les enfilades ou plongées des cavaliers : pour lors, quand la tranchée sera parvenue au pied du glacis, il n’y aura plus guère de retours à faire, encore ne pourra-t-on pas s’empêcher de les enfiler ; Cas où les zigzags sont enfilés du che­min cou­vert.mais il faut tâcher que ce ne soit que du chemin couvert, et briser souvent : moyennant quoi on couvre aisément les enfilades, dont les coups partant d’un lieu près et peu élevé, ne font que raser l’horizon et ne plongent guère.

Après le deuxième ou troisième retour au plus, le mieux sera de s’enfiler le long de l’arête du glacis par une sape double, qui se couvre des deux côtés à l’ordinaire, et sa tête par des mantelets roulans Mention des gabions far­cis.
Voy. p. 34.
ou des gabions pleins de fascines et de sacs à terre, que les sapeurs poussent et arrangent devant eux, selon leur besoin : moyennant quoi, cette tranchée s’achève sans beaucoup de péril, Suivre l’arête du glacis.
Voy. p. 135.
pourvu qu’on suive directement l’arête ; car les ouvertures de la palissade qui sont à la pointe, et joignant le parapet, font un biais qui ne présente point à l’arête, mais vis-à-vis des faces seulement. Il n’y a tout au plus que la place d’un fusilier ou deux, qui puissent voir la tête des tranchées, à qui il est facile d’imposer par le feu de la troisième ligne, qui doit être pour lors en état, et par les ricochets.

Portée des grenades à main.Quand on sera assez avancé pour juger qu’on n’est plus qu’à 13 ou 14 toises du chemin couvert, ce qui se connaît par le jet des grenades à main dont la portée ne va pas plus loin ; il faudra s’arrêter là, et s’étendre à droite et à gauche, parallèlement au chemin couvert, ayant soin de se bien couvrir contre les enfilades des angles saillans de la droite et de la gauche, et quand on sera parvenu jusqu’à doubler ledit chemin couvert de 7 ou 8 toises de chaque côté, il faut se barrer contre les enfilades par de grosses traverses assez étendues pour couvrir entièrement le derrière des cavaliers.

Position des cavaliers de tranchée.Il est à remarquer que la distance de 14 toises met l’intérieur de ces cavaliers à couvert de l’effet des grenades, et hors de la situation des mines ; car si l’ennemi ne veut pas chambrer trop près de sa palissade de peur de la faire sauter et de s’ouvrir, il ne voudra pas non plus les faire si éloignées que leur effet ne puisse nuire au logement établi sur le haut du parapet, ce qui arriverait, s’il les poussait à une distance à peu près égale à celle des cavaliers : c’est pourquoi il ne le fera pas, et vraisemblablement il prendra un milieu, qui sera de ne point hasarder le saut de la palissade, et de chambrer sa mine à portée de pouvoir nuire au logement ; cela veut dire qu’il aura fait ses mines à 4, 5 à 6 toises de la palissade, qui est à peu de chose près la moitié de la distance aux cavaliers ; en ce cas, elles ne feront pas de mal au logement en bordant ledit chemin couvert de près, ni aux cavaliers, parce qu’ils en seront distans de 7 à 8 toises, si ce n’est par la chute de quelques débris de mine, qui étant peu de chose ne feront pas grand fracas.

Au surplus, comme les mines se font et se chargent avant l’érection des cavaliers, leur situation aussi bien que leur effet sont toujours fort incertains.