Traité des sièges et de l’attaque des places/37

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ATTACHEMENT DU MINEUR
ET SA SUITE.

Pl. 17. Après avoir suffisamment expliqué l’effet et la nature des mines, j’estime qu’il est temps d’en faire entendre l’usage.

Attachement du mineur. L’attachement du mineur se fait au milieu environ des faces, sinon au tiers, à le prendre du côté des angles saillans des bastions, demi-lunes, ou autres ouvrages équivalens. Il vaudrait mieux que ce fût en approchant des épaules, parce que l’effet de la mine couperait partie des retranchemens ; mais on va pour l’ordinaire à la partie la plus tôt en état et la plus commode. Cet attachement doit toujours être précédé de l’occupation du chemin couvert, de l’établissement des batteries nécessaires sur le même, de la rupture des flancs qui peuvent avoir vue sur le logement du mineur, Nécessité d’un logement pour le soutenir. et de la descente et passage du fossé, auquel il faut ajouter un logement capable de 20 ou 30 hommes dans le même fossé, pour la garde du mineur.

Dans le temps qu’on achève ces préparations, on doit travailler à l’établir ; ce qui se fait en deux manières, Ancienne manière d’attacher le mineur. l’une ancienne et l’autre moderne ; l’ancienne est d’envoyer deux ou trois travailleurs, qui s’enfoncent dans les décombres tombés au pied du revêtement, où ils font place pour poser des madriers, remarquant que si c’est un fossé plein d’eau, il faut se mettre en état de commencer l’œil de la mine à un pied au-dessus de la superficie de l’eau, supposé qu’on ne la puisse pas rehausser : et si c’est un fossé sec, il le faut commencer le plus près du fond qu’on pourra, afin de tenir toujours le dessous.

Pl. 17.
Fig. 1.
Après la place préparée, on y fait porter 6, 7 ou 8 madriers de 7 à 8 pieds de long chacun, sur un de large, et 4 pouces d’épais, couverts de fer blanc, à cause des feux d’artifice : on les appuie bien joints les uns aux autres contre le mur, leur donnant assez de pied pour que deux mineurs se puissent loger dessous un peu commodément, et y travailler à leur aise.

On les couvre après cela de peaux de bœufs fraîchement tués, quand on en a, et on bouche l’ouverture sous les madriers du côté du flanc, avec des sacs à terre, donnant toute l’épaisseur qu’on peut à cet épaulement.

Après quoi, on fait entrer le mineur sous les madriers, qui commence aussitôt à percer dans le parement, et à s’enfoncer dans le corps du mur du mieux qu’il peut.

Inconvéniens de l’ancienne manière d’at­tacher le mi­neur. Il faut avouer que cette méthode est dure, longue, très-dangereuse, et qu’elle a fait périr une infinité de mineurs, car ils sont long-temps exposés : 1o Au canon des flancs, dont l’ennemi vous dérobe toujours quelques coups de temps en temps, bien que démontés et en grand désordre, parce qu’il y remet de nouvelles pièces avec lesquelles il tire quand il peut, et ne manque guère le logement du mineur.

2o Au mousquet des tenailles et des flancs hauts et bas, s’il y en a qui soient un peu en état.

3o Aux pierres, bombes, grenades et feux d’artifices, que l’ennemi tâche de pousser sur lui du haut en bas des parapets.

4o Aux surprises des sorties dérobées, dont on ne manque pas de le régaler souvent, et par dessus cela, à toutes les ruses et contradictions des contre-mines.

De sorte que la condition d’un mineur en cet état, est extrêmement dangereuse et recherchée de peu de gens ; et ce n’est pas sans raison qu’on dit ce métier être le plus périlleux de la guerre.

Quand cet attachement est favorisé du canon en batterie sur les chemins couverts, c’est tout autre chose, le péril n’en est pas à beaucoup près si grand. On enfonce Manière préférable d’attacher le mineur. un trou de quatre ou cinq pieds de profondeur au pied du mur, où le mineur se loge et se met à couvert en fort peu de temps du canon et du mousquet des flancs, des bombes, grenades et feux d’artifice qui ne peuvent plus lui rien faire peu de temps après son attachement ; il n’a plus que les sorties et les contre-mines à craindre.

Suite de l’attachement du mineur. Ajoutons à cela, que si après avoir décombré et vidé son trou de ce qu’il y aura trouvé d’ébranlé du canon, il en ressort pour un peu de temps, et qu’on recommence par y faire tirer 50 ou 60 coups de canon bien ensemble, cela contribuera beaucoup à l’agrandir et enfoncer.

Ce même canon lui rend encore un bon office, quand il y a des galeries en contre-mines dans l’épaisseur des murs, parce qu’il les peut enfoncer à droite et à gauche, à quelque distance du mineur ; et, par ce moyen, en interdire l’usage à l’ennemi ; il sert même à disposer la prochaine chute du revêtement et à la faciliter.

Les mineurs se relèvent de deux heures en deux heures, et travaillent avec toute la diligence possible, jusqu’à ce qu’ils soient prêts à chambrer. Pendant qu’ils avancent leur ouvrage, on fait approcher les poudres, les sacs à terre, et les fumiers nécessaires au bouchement de la mine, à portée dans les places d’armes plus prochaines ; les charpentiers de l’artillerie préparent à même temps les étais, les bois, les planches pour la galerie et pour boucher.

Dimensions de la galerie. La galerie doit avoir trois pieds et demi de haut sur deux et demi de large bien francs ; et quand on travaille aux rameaux, on réduit, autant que l’on peut, leur galerie à deux pieds et demi de haut sur deux de large.

Le mineur doit extrêmement se méfier des contre-mines, souvent écouter s’il n’entend pas travailler pour venir à lui, auquel cas il doit sonder du côté qu’il entendra le bruit ; souvent on en fait d’un côté pendant qu’on travaille de l’autre, pour tromper l’ennemi (ce qui ne se peut guère que quand on est dans les terres) ; pour lors on peut travailler avec Ciseaux plats pour travailler sans bruit. de gros ciseaux plats, qu’on pousse de la paume de la main, sans frapper autrement que par le poing sur le manche, pour faire éclater la terre sans bruit.

Moyens de donner le camouflet. Si l’ennemi vous presse, il faut le prévenir, s’il se peut, par une fougasse qui l’étouffe dans sa contre-mine ; pour cet effet, on pourrait se servir de sondes faites en tarières brisées de deux ou trois pièces qui s’ajustent les unes aux autres.

Ces tarières, qui sont de différens calibres, s’introduisent dans le trou l’une après l’autre, pour l’agrandir jusqu’à lui donner cinq ou six pouces de diamètre ; on l’enfonce le plus avant que l’on peut du côté de l’ennemi, comme de 5, 6 à 7 pieds, après quoi on y pousse une grosse gargouche de même calibre, contenant 10 ou 12 livres de poudre, qu’il faut bien boucher et tamponner de notre côté, la très-fortement étayer, et y donner le feu par un tuyau percé de long et par le milieu du tampon, comme ceux des bombes.

Si la galerie de l’ennemi n’est qu’à 4 pieds de la tête de cette fougasse, il est sûr qu’elle en sera enfoncée.

Autres moyens de donner le camouflet. D’autres se Servent de deux à trois bombes jointes ensemble pour faire cet effet ; d’autres d’un petit fourneau de 80 à 100 livres de poudre, fait à la hâte, pour enfoncer la galerie de l’ennemi, qui quelquefois vous prime aussi de son côté ; comme il ne manque pas de sonder pour savoir à quelle distance vous êtes de lui, il faut être alerte, et quand le bout de la sonde paraît, être prompt à remplir le trou, quand il la retire, par le bout d’un pistolet, qui, étant introduit juste et à propos par un homme assuré, ne manque guère de tuer le mineur ennemi.

Il faut faire suivre ce coup de trois ou quatre autres, après quoi y pousser une sonde pour nettoyer le trou et empêcher qu’il ne le bouche de son côté.

Nota. Qu’il est bon, dans ces rencontres, d’être précautionné d’un plateau de bois grand comme un plat, de quatre pouces d’épais, avec une cheville dans le milieu, pour le tenir et l’opposer à ce trou, comme un bouclier, si l’affaire tourne en dispute.

Plus, avoir une lance à feu puante, toute prête pour l’introduire dans le même trou, et, après lui avoir donné feu, bien boucher de notre côté, afin que toute la fumée passe dans la galerie de l’ennemi, d’où on le chassera pour quelque temps ; pendant quoi il ne faut pas manquer de chambrer et de lui faire jouer un petit fourneau qui le chasse tout-à-fait de sa galerie et la crève.

Autres chicanes de mineur à mineur. Selon que les ouvertures sont grandes de l’une à l’autre, on y insinue quelquefois une bombe, qui y fait merveille.

D’autres fois des porte-feux, seulement pour l’épouvanter ; d’autres fois des grenades : le meilleur est la bombe, quand on le peut, car elle rompt la galerie. Un pétard y peut être aussi employé quand il y reste peu à percer ; et, pour conclusion, on se fait tout du pis qu’on peut.

Voilà à peu près les chicanes qui se font sous terre de mineur à mineur, où les plus adroits et les mieux précautionnés ont ordinairement l’avantage ; mais, quand on craint de tomber dans ces cas, le mieux est de mettre la chose en deux, et de faire jouer une mine médiocre dans le commencement, pour crever les galeries des ennemis et les en chasser pour deux ou trois jours, pendant quoi on rattache le mineur de notre côté, et pour le coup on s’enfonce hardiment dans la masse du rempart.

On dit chasser l’ennemi de sa galerie pour deux ou trois jours, parce que la terre s’émeut et se meurtrit (pour parler en terme de mineur) à 5 ou 6 toises de l’endroit où la mine a joué, et remplit tout de fumée si puante que personne ne peut en soutenir l’odeur, ce qui ne fait pas le même effet du côté de l’assiégeant, parce qu’il a plus d’air et qu’il n’est pas question d’employer de si longues galeries. Quand l’effet des mines est soutenu par celui des grosses batteries établies sur le bord du fossé contre les flancs et les brèches, que les bombes sont abondamment servies, et que les pierres se mettent de la partie, les conditions de l’ennemi deviennent dures et si mauvaises dans les pièces attaquées, où tombent tous ces orages, qu’il ne s’y peut remuer en grosses troupes sans être exposé à mille dangers qui lui déciment à tous momens son monde, et toujours en diminution de sa garnison : c’est pourquoi il paie de patience, et ne fait pour l’ordinaire pas grand bruit quand il est bien entrepris.