Traité populaire d’agriculture/Des engrais

La bibliothèque libre.

SECTION QUATRIÈME.

Des engrais.

On donne le nom d’engrais à toutes les matières de quelque nature qu’elles soient, qui sont nécessaires à la vie des plantes et qui concourent à la nutrition de ces dernières, soit par leur décomposition, soit par leur absorption immédiate.

Il ne faut pas confondre les engrais avec les amendements.

Les amendements changent ou modifient la nature du sol, par le mélange de substances inorganiques qui l’améliorent en l’ameublissant ou en le rendant plus compact. Les engrais, au contraire, fournissent aux végétaux des matières favorables à leur accroissement.

Il existe quatre classes d’engrais :

1oles engrais animaux ;

2oles engrais végétaux ;

3oles engrais minéraux ;

4oles engrais mixtes ou composés.

I
ENGRAIS ANIMAUX.

Comme leur nom l’indique, ces engrais sont tirés du règne animal.

Les engrais animaux sont les plus riches en matières azotées et en même temps les plus précieux pour l’agriculture.

La nature nous en offre plusieurs variétés.

1oDébris d’animaux.

La chair musculaire, le sang, les tendons, la corne, les crins, poils, plumes, etc., etc., tous ces débris d’animaux constituent des engrais très riches, malheureusement trop peu appréciés.

Ils demandent des préparations spéciales pour être convertis en bon engrais.

Les substances molles de ces débris, savoir : la chair musculaire, le sang, les vidanges de boyaux, la cervelle, le foie, les poumons, etc., sont entassées dans des fosses recouvertes d’une couche de chaux vive et d’une couche de terre. En peu de temps elles se décomposent complètement et mêlées alors avec la terre, elles constituent un excellent engrais convenable à toute espèce de sol.

La corne, les sabots, les ergots, etc., se décomposent difficilement par la chaux, à moins qu’ils ne se trouvent à l’état de râpures.

Les plumes, les crins, les poils se décomposent plus facilement lorsqu’on les mélange avec une bouillie de chaux vive et en ajoutant ensuite une partie de terre de jardin ou de sable.

Restent les os qui ne peuvent être employés qu’après avoir été réduits en poudre. La pulvérisation des os ou du moins leur concassage en débris menus se fait au moyen de machines particulières.

Les poissons gâtés, leurs vidanges, leurs écailles, les moules, les oursins, les étoiles de mer sont aussi de très puissants engrais pour les localités qui se trouvent à portée de les recueillir.

2oEngrais liquides.

L’on entend ici par engrais liquides les urines des divers animaux.

Elles ne sont jamais mieux employées que lorsqu’elles sont mêlées aux matériaux qui ont servi à les recueillir. Il arrive cependant, lorsqu’on est à court de litière, que la production de l’urine l’emporte sur son absorption par la paille ou les autres absorbants qu’on emploie, tels que la terre de savane, les curures et levées de fossés, le bran de scie, etc., etc. Il y a alors utilité et profit à recueillir les urines dans des réservoirs en maçonnerie ou encore dans des tonnes bien étanches, pour les faire fermenter. Elles prennent le nom de purin.

Le purin sert à arroser le tas de fumier ; on l’emploie encore avec avantage, après l’avoir étendu de cinq à six fois son volume d’eau, à arroser les prairies, les jardinages.

L’expérience a démontré qu’en mélangeant aux urines des substances terreuses, de la cendre, de la chaux, etc., on atteint plus facilement le but principal dans la préparation et l’emploi des engrais, qui est d’empêcher la déperdition des substances volatiles en obtenant leur fixation à des bases solides.

Ainsi préparées les urines constituent un excellent engrais.

3oMatières fécales.

On désigne sous ce nom les excréments de l’homme.

C’est le plus actif de tous les engrais ; sous une forme concentrée et dans un état de division infinie, la matière fécale renferme, en effet, toutes les substances organiques et salines nécessaires au développement des plantes.

Des expériences ont été faites pour déterminer le degré d’efficacité des excréments humains, comparativement aux autres engrais. On a obtenu le résultat suivant.

Un sol qui reproduit, sans aucun engrais, trois fois la semence qui lui a été confiée, donne, pour une superficie égale, lorsqu’il est fumé avec :

Des engrais végétaux
5 fois la semence.
Du fumier d’étable
7 fois la semence.
De la colombine
9 fois la semence.
Du fumier de cheval
10 fois la semence.
De l’urine humaine
12 fois la semence.
Des excréments humains
14 fois la semence.

Ces états comparatifs peuvent dépendre aussi, il est vrai, de la nature du sol et de bien d’autres circonstances, ce qui les empêcherait d’être donnés comme règle absolue, mais ils n’en font pas moins voir la supériorité d’ailleurs incontestée de l’engrais humain.

Les excréments de l’homme fournissent donc à l’agriculture un moyen précieux de fécondation ; malheureusement cette matière précieuse n’est point appréciée en Canada, son usage est méconnu.

Les matières fécales s’emploient sous différents états :

1oliquides ;

2odesséchées et réduites en poudre ;

3oabsorbées dans des matières charbonneuses ou terreuses.

a]Engrais flamand. — Mélangées avec les urines, additionnées en outre d’une certaine quantité d’eau, si elles sont trop épaisses, les matières fécales portent alors le nom d’engrais flamand.

On les désigne aussi quelquefois sous ceux de courte-graisse, de vidanges, de gadoue.

On répand l’engrais flamand à l’aide d’une voiture à tonneau, semblable aux voitures des porteurs d’eau. Le tonneau est muni d’un robinet qui conduit le liquide dans un tube horizontal percé de trous et placé immédiatement au-dessous de la voiture, en arrière et transversalement à celle-ci.

Les plantes industrielles, — lin, chanvre, tabac, — reçoivent cet engrais avant ou après leur ensemencement ; les plantes alimentaires — racines, céréales — se trouvent bien de l’emploi de la gadoue, si on la répand avant leur semis ; les prairies profitent vigoureusement après un arrosement donné au printemps.

L’engrais flamand agit immédiatement sur le sol qui le reçoit ; son action est instantanée, par cela même peu durable ; elle profite à la récolte à laquelle on l’applique, très peu aux récoltes subséquentes.

L’engrais flamand peut donc être appelé un engrais annuel ; il a pour lui la célérité d’action, si précieuse dans un grand nombre de cas, mais qui ne saurait être comparée à l’action plus lente et plus durable des fumiers ; aussi on aurait tort de considérer l’engrais flamand autrement que comme un auxiliaire précieux des fumures ordinaires.

b]Poudrette. — La poudrette est le résultat de la dessiccation des matières fécales, opérée en plein air, sur une place inclinée, où on les étend et où on les remue de temps à autre, jusqu’à ce qu’elles soient réduites à l’état pulvérulent.

Cette dessiccation est très lente ; elle dure quatre ou six ans. Elle donne lieu à une énorme déperdition de principes volatils et liquides.

La poudrette appartient au commerce et se fabrique dans les grandes villes, dans les centres populeux.

La transformation des matières fécales en poudrette est une absurdité, à raison de l’énorme quantité de substance perdue.

C’est un engrais précieux par la facilité avec laquelle il peut être transporté. On répand la poudrette sur le sol labouré, au moment de la semence.

c]Noir animalisé. — En calcinant de la vase, des boues d’étangs, de fossés, de la sciure de bois, du vieux terreau, du tan qui a servi à la préparation du cuir, on obtient une matière terreuse douée de propriétés absorbantes très énergiques. Après l’avoir réduite en poussière, si on la mélange avec son poids ou même avec deux fois son poids de matière fécale molle ou liquide, l’odeur de celle-ci disparaît presque instantanément.

L’engrais ainsi désinfecté et mélangé avec cette matière charbonneuse porte le nom de noir animalisé.

On obtient ainsi un excellent engrais qui peut être mis immédiatement en usage, sans craindre son contact direct avec les racines et les tiges des plantes.

Dans la culture des céréales on le sème à la main, comme la poudrette, et en même quantité, à la dose moyenne de vingt minots par arpent.

À défaut de terre carbonisée on peut employer, pour désinfecter les matières fécales, des cendres de bois, de tourbe ou de charbon de terre ; mais la propriété désinfectante des cendres étant plus faible, il faut en employer davantage : on met alors trente minots de cendres animalisées par arpent.

Les cultivateurs ne devraient donc jamais laisser perdre ces engrais qui, employés judicieusement, suffisent seuls à la production de tout le blé nécessaire à la famille.

L’emploi des cabinets d’aisance, de ces garde-robes à terre sèche, earth-closets, devrait être encouragé dans nos villes. Ce sont, en effet, de véritables fabriques de noir animalisé, qui peuvent annuellement livrer à la culture des milliers de minots du plus fécondant des engrais.

Le préjugé ignorant et stupide viendra à disparaître, espérons-le ; on finira par comprendre que, dans sa nutrition, la plante ne prend que les principes nécessaires à sa substance et que l’engrais qu’on lui offre, matières fécales ou fumiers d’étable, n’entre dans le végétal qu’après avoir été décomposé, réduit en d’autres corps plus simples, n’ayant aucunement les qualités physiques de l’engrais qui leur donne naissance.

Avec le système actuel d’égouts on conduit à la rivière, on jette dans le fleuve, des substances précieuses qui, si elles étaient recueillies, pourraient quadrupler le rendement de nos terres.

4oColombine.

Sous ce nom générique, on désigne les déjections de tous les oiseaux de basse-cour.

La colombine est un engrais très énergique, dont il faut user avec précaution ; elle n’a pas moins de chaleur que la poudrette, et cependant, dans le plus grand nombre de nos exploitations, elle est presque perdue par la négligence avec laquelle on la soigne ou l’ignorance avec laquelle on en fait emploi.

Mise sur la terre en sortant du poulailler, la colombine détruit toute végétation par sa chaleur excessive. Il faut donc ou attendre que le temps lui ait fait perdre par l’évaporation une partie de ses principes énergiques, ou, ce qui vaut incomparablement mieux, les modifier par des combinaisons et des mélanges.

Dans le premier cas, on entasse, dans un lieu abrité, la colombine à mesure qu’elle est ramassée ; puis six mois à un an après, au moment des semences, on la réduit en poudre, à coups de masse, et on la répand sur le sol, comme la poudrette, à la volée, à raison de dix à vingt minots par arpent ; la herse enterre ensuite l’engrais avec le grain.

Différents mélanges sont employés pour tempérer la chaleur de la colombine. Souvent on jette sous le perchoir des volailles des menues pailles et des débris, qui, se mélangeant avec la fiente, forment bientôt avec elle une seule et même substance. On augmente ainsi et considérablement la masse de cet engrais.

Le plâtre et même de la simple terre remplace très avantageusement la paille en mélange avec la colombine. À une partie des excréments des oiseaux de basse-cour on ajoute huit à dix parties de terre, formant par des additions subséquentes des couches successives qu’on élève dans une fosse, sous un abri.

La colombine communique ainsi à la terre une partie de sa puissance fécondante. Le mélange peut être répandu sur le sol peu de temps après sa confection.

La colombine prend des noms différents suivant la diversité de son origine.

La fiente de pigeons prend le nom spécial de colombine ; on appelle poulaitte les déjections des poules ; enfin on désigne sous le nom de guano les déjections des oiseaux de mer que l’on trouve en grandes masses sur certaines côtes de la mer du sud.

Le guano, qui forme des dépôts mesurant jusqu’à 75 et 80 pieds d’épaisseur, est l’objet d’un grand commerce. On obtient d’excellents effets de cet engrais lorsqu’on l’emploie avec discernement ; mais il est rare de le trouver exempt de falsifications dans le commerce ; pur, il coûte aujourd’hui un prix exorbitant.

II
ENGRAIS VÉGÉTAUX.

Ce qui distingue ces engrais de ceux que nous venons d’étudier, c’est d’abord leur origine ; les engrais végétaux, en effet, proviennent, leur nom l’indique, du règne végétal.

Leur second caractère distinctif, c’est leur nature même, leur composition chimique ; les engrais végétaux contenant beaucoup moins d’azote que ceux provenant du règne animal.

Or il est démontré par l’expérience que les corps organiques azotés jouissent de la propriété de se décomposer spontanément en présence de l’eau et sous l’influence de la chaleur. Cette propriété paraît intimement liée à la tendance de l’azote à s’unir à l’hydrogène pour former de l’ammoniaque.

Les corps organiques exempts d’azote se décomposent moins facilement et le genre d’altération qu’ils éprouvent diffère beaucoup de la putréfaction des matières azotées.

1oEngrais verts.

La plante, nous le verrons plus loin, vit aux dépens du sol et de l’atmosphère.

Dans le sol, ses racines absorbent les sucs nourriciers ; dans l’air, ses feuilles aspirent les fluides fécondants.

Plus une plante se nourrit aux dépens de l’atmosphère, moins elle épuise le sol.

Les plantes dont les feuilles sont les plus développées, comme le trèfle, les pois, les fèves, vivent surtout des gaz que leur fournit l’air, tandis que les plantes qui ont peu de feuilles, comme les pommes de terre, la betterave, etc., tirent directement leur subsistance du sol même.

Donc, sous ce point de vue, division des plantes en deux classes parfaitement distinctes.

Si maintenant nous prenons une de ces plantes auxquelles l’atmosphère fournit les aliments nutritifs pour en étudier la croissance, nous arrivons, d’accord avec les faits, aux conclusions suivantes.

La plante, pendant la germination, se nourrit aux dépens de la semence. De la semence en effet sort le germe qui se dirige vers la surface du sol ; la semence elle-même pourrit, c’est-à-dire que sa substance, devenue assimilable, passe dans le germe qu’elle développe : première période de la croissance.

Parvenu à la surface, le germe s’appelle tige, verdit au contact de l’air, émet des feuilles, continue son développement, aux dépens de l’atmosphère, jusqu’à cette époque qu’on appelle la floraison : deuxième période de la croissance.

Après la floraison, la plante change d’aspect, la tige se durcit, les différents sucs s’épaississent, les feuilles perdent leur couleur verte et par là même leur propriété d’absorber les fluides de l’atmosphère ; la maturité de la plante, des nombreux fruits qu’elle porte se fait alors aux dépens du sol : troisième période de la croissance.

C’est pendant cette troisième période de sa vie que la plante épuise davantage le sol.

Appliquons maintenant ces connaissances au sujet qui nous occupe.

Et d’abord on appelle engrais verts, l’enfouissement dans le sol des plantes qui ont acquis un certain développement.

Ils sont fondés sur ce principe que toute plante, restituée à la terre avant d’avoir porté graine, augmente sa fertilité, d’abord par la restitution même faite au sol des principes puisés dans son sein, ensuite et surtout par l’addition des principes soustraits à l’atmosphère pendant la deuxième période de la croissance du végétal.

Les plantes réellement propres à l’enfouissage sont celles qui tirent la plus grande partie de leur nourriture de l’atmosphère et, pour une raison bien facile maintenant à comprendre, cet enfouissage doit être pratiqué au moment où ces plantes sont sur le point de fleurir.

On passe sur elles un rouleau d’autant plus pesant qu’elles sont plus rigides ; les tiges sont couchées et facilement enterrées ensuite par la bande de terre renversée par la charrue.

Le meilleur moyen, dit M. E. A. Barnard, dans ses Causeries agricoles, de coucher les tiges que l’on veut ainsi enfouir, est d’accrocher à l’age de la charrue (la perche), près du coutre, une chaîne de trois à quatre pieds de long, au bout de laquelle on attache une pierre ou un poids quelconque d’environ dix livres. Un autre bon moyen est l’emploi d’une chaîne à billot, accrochée d’un bout au grand bacul et attachée de l’autre à l’age de la charrue, de manière à lui faire décrire une courbe qui entraîne et couche les tiges sans cependant en laisser traîner assez long pour qu’elle enterre la chaîne sous le versoir (oreille) de la charrue.

Lorsque l’on sème une plante avec l’intention de l’enfouir, on doit semer plus dru qu’à l’ordinaire, parce qu’alors on vise à la quantité, à la masse de substance végétale qu’on veut immédiatement convertir en engrais.

Parmi les plantes on devra choisir :

1ocelles qui, ayant le feuillage le plus riche et le plus abondant, donnent nécessairement une grande masse de substance organique ;

2ocelles qui parviennent promptement à leur plus grand degré de développement ;

3ocelles dont la semence est de peu de valeur ;

4oenfin celles qui peuvent prospérer dans un terrain déjà peu chargé d’engrais.

Les engrais verts produisent de bons effets dans les terrains sablonneux et calcaires : on s’en sert aussi avec avantage pour fumer de temps en temps les pièces éloignées ou d’un accès difficile.

2oDébris végétaux.

Parmi les substances d’origine végétale et propres à féconder le sol, on compte encore les végétaux desséchés et morts, les dépôts d’anciens détritus végétaux, les plantes marines, etc., etc.

a]Végétaux desséchés. — Les végétaux desséchés, comme la paille des céréales, ne sont en général employés qu’après avoir servi à la litière des animaux, et certainement, c’est la manière la plus avantageuse de les faire concourir à la fertilité du sol ; mais on peut encore employer, qu’elles aient été macérées par l’humidité, altérées ou réduites en terreau par l’influence de l’air, ou par l’addition d’une certaine quantité de chaux :

1oles feuilles des arbres ramassées dans les bois ;

2oles mauvaises herbes, coupées sur les bords des chemins, avant la maturité de leurs graines ;

3oles mousses qui croissent abondamment en certains lieux ;

4oles balles des graines ;

5oles chenevottes, résidu de la préparation du chanvre et du lin ;

6ola sciure de bois ;

7oles écorces des fosses des tanneurs.

Ces divers débris végétaux peuvent même être mis en fermentation et amenés ainsi à l’état de fumier en un temps plus ou moins rapide.

b]Tourbe. — Les dépôts d’anciens détritus végétaux se présentent au sein de la terre à l’état de tourbe ; la tourbe par elle-même et seule est peu propre à la végétation, cependant elle peut servir à l’activer. Pour cela, il faut laisser la tourbe exposée à l’air et aux influences atmosphériques afin qu’elle se décompose ; on la dessèche ensuite, et on la réduit en poudre. L’addition de quelques centièmes de chaux hâte sa décomposition et lui communique un principe stimulant.

Dans cet état, elle forme un engrais faible mais durable, et peut surtout être employée en couverture sur des plantes déjà développées.

On l’utilise aussi avec beaucoup d’avantage comme litière ; mélangée aux fumiers, elle en absorbe le purin et devient un excellent engrais.

c]Varech. — De toutes les plantes marines, c’est le varech qu’on emploie le plus fréquemment comme engrais.

On obtient le varech de deux manières. On l’arrache sur les rochers à marée basse, on l’appelle alors varech de rochers ; ou bien on ramasse celui que la mer apporte elle-même et fait échouer sur le rivage et qui est connu sous le nom de varech d’échouage.

Ces derniers sont moins riches que les premiers parce qu’ils ont perdu par la macération dans l’eau une partie de leurs principes fertilisants.

Si la saison le permet, il faut étendre et enterrer le varech aussitôt qu’il est recueilli. C’est un engrais qui se décompose rapidement et dont l’action est presque immédiate.

Le varech convient surtout au lin dont il augmente la quantité et la qualité de la filasse ; on l’applique aussi à l’orge et aux pâturages qui donnent alors une herbe plus succulente et que les bestiaux mangent avec plus d’avidité.

III
ENGRAIS MINÉRAUX.

On donne ce nom aux substances inorganiques, appartenant au règne minéral, qui concourent, comme tout engrais, à la nutrition de la plante.

Nous avons pu remarquer, lors de notre étude sur les amendements, que quelques-uns d’entre eux, surtout parmi les amendements calcaires, peuvent, à la faveur de leur solubilité dans l’eau, servir de nourriture au végétal.

Ces substances jouent alors le double rôle d’amendements et d’engrais.

Comme amendements, elles modifient la nature chimique et les propriétés physiques du sol ; comme engrais, elles fournissent directement aux plantes des matières alimentaires.

C’est le fait de plusieurs substances minérales.

Toutefois, étant donnée une substance qui joue ainsi le double rôle d’amendement et d’engrais, il est facile, comparant entre eux ces deux rôles, de déterminer leur importance relative, de les classer par conséquent en rôle principal et rôle secondaire.

Donc, c’est la conclusion que nous tirons de ces considérations, une substance sera pour nous un amendement lorsque son rôle principal sera d’amender le sol, son rôle secondaire de nourrir le végétal ; et nous considérerons comme engrais toute substance servant principalement à l’alimentation de la plante, quoique jouissant secondairement de la propriété d’amender le sol.

À ce point de vue, la marne, la chaux, sont des amendements.

Les engrais minéraux sont assez nombreux ; nous n’étudierons ici que les principaux.

1oSulfate de chaux ou plâtre.

Nous complèterons ici des notions déjà acquises (voir page 24).

La nature nous offre du plâtre sous deux états différents.

1oLe plâtre anhydre. C’est une substance dure, compacte, dépourvue d’eau de combinaison, ayant la composition suivante :

Chaux
40 parties.
Acide sulfurique
60 parties.
100

2oLe plâtre hydraté, c’est-à-dire uni à une quantité fixe d’eau de cristallisation ; c’est une substance très tendre, ainsi constituée :

Chaux
32 parties.
Acide sulfurique
47
Eau
21
100

C’est cette dernière espèce qui est employée en agriculture.

À son état naturel, anhydre ou hydraté, le plâtre porte le nom de plâtre cru.

On calcine le plâtre hydraté dans le but unique de lui faire perdre la moitié de son eau de cristallisation ; on obtient alors du plâtre cuit.

Si la calcination du plâtre est poussée au delà d’une certaine limite, le plâtre fond, sa surface se vitrifie ; on a du plâtre brûlé.

Le plâtre cuit jouit de la propriété de faire avec l’eau une pâte qui se solidifie en quelques instants ; cette propriété, le plâtre cru ne l’a pas et le plâtre brûlé l’a perdue.

Exposé à l’air, le plâtre cuit en absorbe peu à peu l’humidité ; il perd alors la propriété de prendre en pâte avec l’eau. On le dit éventé.

Le plâtre est avantageux dans les terrains qui n’en contiennent pas, pourvu qu’ils ne soient ni extrêmement humides, ni maigres, ni épuisés.

Son action est limitée. Le plâtre agit principalement sur le trèfle, la vesce, les pois, les fèves, le tabac, les choux, le chanvre, le lin, le sarrasin ; il agit peu sur les prairies naturelles, encore moins sur les céréales ; les blés cependant qui succèdent à un trèfle plâtré sont plus beaux que ceux qui succèdent à un trèfle qui n’a pas reçu cet amendement.

La meilleure époque pour épandre le plâtre est celle où la plante a acquis assez de développement pour couvrir le sol ; néanmoins, il paraît certain qu’en épandant une partie du plâtre au moment de la semaille ou un peu auparavant, on assure par ce moyen la réussite de cette semaille. Il faut éviter de plâtrer par un temps venteux ou pluvieux et retarder cette opération jusqu’au moment où les gelées ne sont plus à craindre.

La pratique nous apprend que l’état même de l’atmosphère exerce une influence prononcée sur les effets du plâtrage. Si le printemps est froid, le plâtre agit à peine ; la chaleur et l’humidité réunies développent, au contraire, tous ses effets ; une gelée, même très légère, arrête subitement son action.

Ce que l’expérience nous démontre aussi, c’est que le plâtrage ne doit être employé que tous les cinq ou six ans ; plus souvent, on risque de frapper le sol de stérilité au lieu d’en augmenter la fécondité.

Le plâtre s’emploie à la dose de un à trois minots par arpent.

Mélangé au tas de fumier, le plâtre en diminue la consommation et agit alors sur toutes les récoltes.

Il existe sur la manière dont il agit sur les plantes plusieurs théories, que nous ne discuterons pas dans ce traité.

Voici les principales :

Théorie de Liebig. — L’air atmosphérique contient de l’ammoniaque que les eaux pluviales dissolvent et entraînent jusqu’au sol. Cette ammoniaque se combine avec l’acide carbonique et forme du carbonate d’ammoniaque. Si ce carbonate d’ammoniaque rencontre du sulfate de chaux (plâtre), il se fait un double échange de base et d’acide : l’acide sulfurique s’empare de l’ammoniaque, l’acide carbonique de la chaux ; après cet échange, il n’existe plus que du carbonate de chaux et du sulfate d’ammoniaque, comme on peut s’en convaincre par la formule suivante :

Sulfate de chaux Acide sulfurique × Chaux.
Carbonate d’ammoniaque Ammoniaque × Acide carbonique.
Il résulte du double échange : Sulfate d’ammoniaque. Carbonate de chaux.

Or, le sulfate d’ammoniaque étant de tous les sels ammoniacaux le moins volatil, demeure dans le sol où les racines des plantes le rencontrent et le font passer dans le végétal, qui se l’approprie suivant son besoin.

Théorie de Guéranger. — Les plantes sont composées de parties solides et de parties fluides. Parmi ces dernières, nous trouvons et en abondance dans certaines plantes un principe immédiat connu sous le nom de légumine. Ce principe contient une quantité notable de soufre. La présence du soufre dans les parties liquides des plantes légumineuses paraît avoir pour origine le sulfate de chaux (plâtre), ce qui expliquerait parfaitement pourquoi une partie de ce sel se retrouve dans la plante à son état naturel et une autre partie à l’état de carbonate. En effet, l’acide sulfurique, contenu dans une partie de sulfate de chaux, se décompose, fournit du soufre à la légumine, et la chaux, restée libre, s’unit à l’acide carbonique que les plantes absorbent du sol par leurs racines, et aspirent de l’atmosphère par leurs feuilles.

2oCendres.

C’est le nom donné à cette matière pulvérulente résultant de la combustion des substances végétales et animales.

Les cendres représentent donc une partie des éléments constitutifs de la plante elle-même.

Ce sont ses éléments minéraux.

Rien d’étonnant qu’on ait songé à l’emploi des cendres comme engrais, puisque c’est rendre à une récolte les principes minéraux nutritifs enlevés au sol par une récolte antérieure.

La nature des cendres varie avec la nature des matières combustibles qui les fournissent. Aussi nous distinguerons :

1oles cendres de bois ;

2oles cendres de tourbe ;

3oles cendres de houille.

a]Cendres de bois. — Les cendres de bois contiennent, comme toutes les autres espèces de cendres, des matières solubles et des matières non solubles dans l’eau.

La potasse et la soude, à l’état de carbonates, constituent, à elles seules, plus de la moitié de la partie soluble des cendres de bois.

Parmi les matières insolubles, le carbonate de chaux est celle qui prédomine.

À leur état naturel, avant d’être traitées par l’eau, les cendres portent le nom de cendres vives.

Traitées par l’eau, les cendres vives perdent leurs matières solubles : on les appelle alors cendres éteintes ou charrée.

L’eau tenant en dissolution la partie soluble des cendres vives, porte le nom bien connu de lessive.

Les cendres de bois, dans la pratique, sont divisées en cendres de bois francs et en cendres de bois mous, suivant qu’elles proviennent de la combustion des bois durs ou des bois résineux.

C’est ordinairement à l’état de charrée qu’on emploie les cendres.

On emploie les lessives aux usages économiques : confection du savon, blanchissage du linge, etc.

Les cendres lessivées retiennent encore des matières solubles, entr’autres le silicate de potasse qui résiste longtemps à l’action dissolvante de l’eau.

C’est à la présence de ces matières solubles que la charrée exerce, pendant si longtemps, des effets si marqués sur la végétation.

Les cendres agissent comme amendement et comme engrais.

Comme amendement, elles conviennent aux sols non calcaires, aux terrains argileux, compacts, humides et froids, dans lesquels elles facilitent la végétation et détruisent les mauvaises herbes.

Comme engrais, elles sont profitables à toutes sortes de récoltes.

La charrée agit surtout par les phosphates qu’elle contient ; elle possède aussi la propriété de favoriser la production de l’acide nitrique, par conséquent d’utiliser l’azote de l’air atmosphérique.

Là où son action se manifeste avec le plus d’éclat, produit les effets les plus durables, c’est sur la prairie dont elle est l’engrais par excellence. On peut alors se dispenser des engrais organiques, car, sous l’influence de la charrée, les plantes tirent de l’atmosphère tout le carbone et l’azote dont elles ont besoin.

L’effet de la charrée dure de six à buit ans.

On répand les cendres éteintes à la main ou avec une pelle, à la dose de 50 à 150 minots par arpent.

b]Cendres de tourbe. — Les cendres de tourbe contiennent beaucoup moins de parties solubles que les cendres de bois ; elles renferment, par conséquent, moins de potasse et de soude.

Les phosphates y sont aussi en moindre quantité, mais, d’un autre côté, ces cendres renferment une proportion assez considérable de sulfate de chaux.

Leur action sur la végétation doit donc se rapprocher de celle du plâtre.

Et, en effet, c’est sur le trèfle surtout que leur action est vraiment surprenante.

On emploie aussi et avec beaucoup d’avantage, les cendres de tourbe pour les fourrages artificiels, le lin, le chanvre.

On les répand le printemps, sur les prairies naturelles, à la dose de 50 à 100 minots par arpent.

Les bonnes cendres de tourbe sont blanches ou grisâtres, légères, pesant au plus 30 lbs le minot ; leurs qualités sont en raison inverse de leur pesanteur ; on les juge déjà médiocres lorsqu’elles pèsent 40 lbs.

Les cendres de tourbe ont d’autant plus de valeur que les tourbières (savanes) sont plus voisines de la mer, ou qu’elles ont été dans des terrains autrefois submergés.

c]Cendres de houille. — Voici leur composition :

Argile (silicate d’alumine)
62
Alumine
5
Chaux
6
Magnésie
8
Oxyde de manganèse
3
Oxyde et sulfure de fer
16
100

La grande quantité d’argile qu’elles contiennent, et ici l’argile est calcinée, la couleur foncée de leur substance, la forte proportion d’oxyde de fer qu’elles renferment, la faible proportion de leurs autres composants : voilà plus qu’il ne faut pour ranger les cendres de houille parmi les amendements.

Elles agissent aussi comme engrais, mais leur durée est assez limitée.

Elles conviennent parfaitement aux terres argileuses qu’elles ameublissent et fertilisent ; elles foncent la couleur des terres blanches et froides et les rendent plus sensibles à l’action de la chaleur solaire.

Comme engrais, on les applique aux pommes de terre, au seigle et au trèfle, à raison de 50 à 100 minots par arpent.

3oSel marin.

Il porte différents noms : sel de table, sel commun, chlorure de sodium. Ce dernier, qui est son nom scientifique, indique quelle est sa composition.

Le sel marin, en effet, est un composé de chlore et de sodium.

Or, presque toutes les plantes contiennent et du chlore et du sodium.

Le sel marin serait donc un engrais nécessaire, la substance qui fournirait le mieux aux plantes ces deux éléments de leur composition.

De nombreux faits semblent conduire à cette conclusion ; d’autres faits, non moins nombreux, semblent indiquer le contraire, en attribuant au sel une action malfaisante sur la végétation.

De là, divergence d’opinions, théories diverses, discussions animées qui ont longtemps divisé et qui divisent encore les plus illustres agronomes de tous les pays.

Nous n’avons pas la prétention de trancher la difficulté, de prononcer en dernier ressort ; mais nous avons, toutefois, le droit incontestable de nous rallier à l’une ou à l’autre de ces opinions.

Nous approuvons donc l’emploi du sel comme engrais, tout en conseillant à ceux qui veulent tenter l’efficacité du chlorure de sodium d’expérimenter d’abord en petit. Les résultats qu’ils obtiendront décideront de l’emploi sur une plus vaste échelle.

Il est admis néanmoins :

1oque le sel est utile aux sols qui n’en contiennent pas du tout ;

2oque les terrains secs s’accommodent moins bien de l’intervention du sel que les terrains humides ;

3oque c’est dans les terres qui renferment du calcaire que se font sentir les heureux effets du sel ;

4oque le sel détruit énergiquement les larves (chenilles, vers) des insectes destructeurs de nos récoltes.

Si le sel, judicieusement employé, exerce sur la végétation sa salutaire influence, les faits nous démontrent que la manière même d’administrer cet engrais contribue, pour beaucoup, à en assurer le succès.

Il est reconnu qu’une faible proportion de cette substance, appliquée sur les feuilles ou les racines, exerce des effets désastreux, tandis qu’une forte quantité absorbée n’empêche pas les plantes de croître avec force.

Il faut donc présenter le sel aux plantes en très petite quantité à la fois, par l’intermédiaire de l’eau ; c’est le meilleur moyen de faire produire à la terre des fourrages de qualité supérieure.

L’opération est bien facile ; on fait dissoudre du sel dans l’eau et on répand cette dissolution, sous forme d’arrosement, par un temps humide.

Ce qui est plus simple encore et nécessite moins de main-d’œuvre, c’est de mélanger le sel aux fumiers.

Une autre méthode qui devrait se généraliser, parce qu’elle a produit jusqu’ici les meilleurs effets, est la suivante :

On mêle ensemble une partie de sel avec deux parties de chaux ou de carbonate de chaux ; le mélange est humecté, puis recouvert de terre ou placé sous un abri. Trois mois après, on peut l’employer et de la manière la plus facile ; 5 à 6 cents livres suffisent par arpent ; c’est au printemps, sur les récoltes déjà levées, qu’on l’épand à la main, absolument comme on sème le plâtre.

Ainsi mélangé à la chaux, le sel marin convient à un plus grand nombre de terrains, puisqu’il fournit en même temps le calcaire aux sols qui en sont dépourvus.

Mais, ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que le sel marin, pas plus que le plâtre, n’apporte aucune amélioration notable dans un sol médiocrement fumé. Il peut doubler les récoltes si l’on ne néglige pas les autres conditions d’une bonne culture.

4oPhosphates.

Les phosphates que l’on trouve dans les plantes ne sont pas tous de même nature ; mais tous renferment un élément commun, l’acide phosphorique.

Suivant que cet acide phosphorique est combiné avec de la chaux, de l’ammoniaque ou de la magnésie, nous avons des phosphates de chaux, d’ammoniaque ou de magnésie.

Le phosphate de chaux, beaucoup plus commun et par là même beaucoup moins dispendieux que les autres phosphates, est le seul aussi qui ait un usage répandu, comme engrais.

Il y a trois espèces de phosphate de chaux :

1ophosphate neutre de chaux ;

2ophosphate basique de chaux ;

3ophosphate acide de chaux.

Lorsqu’on a une partie d’acide phosphorique combinée à une partie de chaux, la combinaison porte le nom de phosphate acide de chaux ; c’est le superphosphate du commerce.

Une partie d’acide phosphorique avec deux parties de chaux donne le phosphate neutre.

Enfin la combinaison d’une partie d’acide phosphorique avec trois parties de chaux nous fournit le phosphate basique de chaux ; c’est ce phosphate qui constitue la plus grande partie des os de l’homme et des animaux.

Nous allons commencer par étudier ce dernier phosphate, qui est le plus important.

a]Des os. — Les os contiennent, en moyenne, à l’état frais, la moitié environ de leur poids de phosphate de chaux mélangé d’un peu de phosphate de magnésie.

Les os contiennent encore à l’état frais, de l’eau, des matières grasses, de la gélatine, de la soude et de la chaux, à l’état de carbonate.

L’action fertilisante des os provient de deux sources :

1ode la matière organique azotée contenue dans la graisse et la gélatine et qui, par sa décomposition, fournit des sels ammoniacaux ;

2odu phosphate de chaux qui y est si abondant.

Comme les agents atmosphériques n’exercent qu’une action extrêmement lente sur les os, on ne les emploie pas entiers, mais on les amène à un état de division plus ou moins parfait ; on facilite ainsi leur action fertilisante.

Les os sont broyés à l’aide de diverses machines. Pour faciliter leur pulvérisation, on les fait roussir au four, ils deviennent alors très friables.

L’expérience nous apprend que, non seulement il faut employer les os dans le plus grand état de division possible, mais encore qu’on ne doit en faire usage qu’après leur avoir fait subir pendant quelque temps une ébullition dans l’eau.

Cette ébullition leur fait perdre leur graisse ; or, il est constaté que les graisses et les huiles n’exercent aucune influence comme engrais et sont même nuisibles à la végétation.

Il est donc avantageux de n’employer que des os dégraissés.

Les os peuvent aussi servir comme moyen d’amendement ; on obtient cet effet en concassant grossièrement les os que l’on enterre par un labour léger.

On emploie les os comme engrais à la dose de 15 à 40 minots par arpent, la dose variant suivant le degré de ténuité de leur poussière.

On épand cet engrais au printemps sur les prairies, et en même temps que les semences sur les terres à grains.

Son effet dure de trois à huit ans suivant les circonstances.

b]Noir animal. — Lorsqu’on calcine, dans des vases clos, des os quelconques avant qu’ils aient perdu la totalité de la gélatine qu’ils renferment, on obtient comme produit un mélange d’os et de charbon : c’est le noir animal.

Pulvérisé, le noir animal possède à un très haut degré la propriété d’absorber une foule de matières colorantes. Cette propriété a fait adopter le noir animal dans les fabriques de sucre pour la décoloration des liqueurs sucrées.

Voici comment se fait la clarification du sucre. On ajoute 1 pour 100, en poids, de sang de bœuf et 3 à 4 pour 100 de noir animal. Le sang se coagule et se dépose avec le noir animal, tous deux entraînant avec eux les impuretés et les matières colorantes du sucre.

Ce mélange constitue ce qu’on appelle le noir des raffineries.

C’est ce noir des raffineries qu’on utilise comme engrais et c’est un engrais très énergique.

Il agit et par son phosphate de chaux et par la matière organique azotée qu’il contient.

La matière organique se décompose et fournit de l’acide carbonique et des sels ammoniacaux qui, à leur tour, facilitent la dissolution du phosphate de chaux dans l’eau et par conséquent son absorption par le végétai.

Le sang que contient le noir des raffineries agit d’une manière remarquable, tout à fait extraordinaire. 20 à 22 par 100 de sang sec, et c’est ordinairement la proportion du sang dans les bons noirs des raffineries, agissent comme engrais d’une manière plus utile que 400 parties de sang liquide.

Dans la culture des céréales, on emploie le noir des raffineries à la dose de 4 à 5 minots par arpent dans les terres argileuses, de 3 à 4 minots dans les terrains calcaires ou siliceux. Sur les prairies, on en sème trois minots par arpent et l’effet obtenu est excellent.

Son application se fait d’une manière plus facile si l’on mélange le noir des raffineries avec une quantité double de terre qu’on passe à la claie.

c]Superphosphates. — On donne ce nom impropre au phosphate acide de chaux.

C’est un composé qui contient, comparé au phosphate de chaux composant les os, une plus forte proportion d’acide phosphorique, pouvant par conséquent, sous un même volume, en fournir une plus grande quantité aux végétaux. Mais là ne se borne pas son action.

En étudiant son mode de préparation, nous nous rendrons compte de sa manière d’agir.

Voici comment on le prépare.

On traite les os broyés et trempant depuis deux jours dans l’eau, par 35 pour 100 de leur poids d’acide sulfurique. Il se produit une vive effervescence, l’acide sulfurique attaque tout d’abord le carbonate de chaux de l’os, met l’acide carbonique en liberté et forme du plâtre (sulfate de chaux). Mais le phosphate des os est également attaqué ; l’acide sulfurique se combine avec une portion de sa chaux. De là, formation nouvelle de plâtre. D’un autre côté, l’acide phosphorique, séparé ainsi de la chaux à laquelle il était uni, se combine avec les os qui restent. Les os, presqu’insolubles auparavant, se trouvent ainsi transformés en phosphate acide de chaux qui se dissout dans l’eau avec facilité.

On pourrait se servir, en cet état, des os acidifiés ; mais il est plus commode de les dessécher en les mélangeant avec de la terre sèche en poudre, de la sciure de bois, etc., de manière à en former un engrais pulvérulent, qu’on sème à la volée, à raison de 280 lbs par arpent.

Une fois répandu sur le sol, le phosphate acide de chaux se combine avec différentes bases qu’il trouve dans la terre et donne naissance à du phosphate neutre de chaux, substance très propre, grâce à son grand état de division, à entrer en dissolution dans l’eau contenant de l’acide carbonique ou de l’ammoniaque.

Le superphosphate agit particulièrement sur les racines des plantes dont il accroît considérablement le volume ; il convient donc aux navets, betteraves, carottes, etc., etc.

IV
ENGRAIS MIXTES.

L’animal vit, il a des organes de locomotion, de respiration, etc.

La plante vit ; elle a ses organes de respiration, de reproduction, d’absorption, etc.

Le minéral est masse inerte ; chez lui, point de sang, point de sève ; point d’organes, point de vie.

L’animal et la plante sont des matières organisées, des matières organiques.

Les minéraux sont des matières inorganiques.

Tout engrais provient de l’une de ces trois sources : règne animal, règne végétal, règne minéral.

Provenant du règne animal ou du règne végétal, les engrais sont organiques et, au contraire inorganiques, lorsque c’est le règne minéral qui les fournit.

Ces quelques notions étant posées, nous donnons le nom d’engrais mixtes à tout mélange de deux ou plusieurs engrais provenant de deux sources différentes.

Ainsi, les mélanges suivants :

1oengrais animal avec engrais végétal,

2oengrais animal avec engrais minéral,

3oengrais végétal avec engrais minéral,

4oengrais animal et végétal avec engrais minéral, sont autant d’engrais mixtes.

Le premier mélange est un engrais organique, les deux substances qui le composent étant toutes deux des substances tirées du règne animal et du règne végétal.

Les trois derniers mélanges comptent parmi leurs composants des substances inorganiques aussi bien que des matières organiques.

Nous n’étudierons des engrais mixtes que les suivants ; ils correspondent, les fumiers, au premier des mélanges précédemment énumérés ; les composts, au quatrième de ces mélanges.

1oDes fumiers.

On donne ce nom aux pailles — substance végétale — qui ont servi de litière aux animaux domestiques, qui ont été imprégnées de leurs urines — substance animale ―, mélangées à leurs excréments —substance animale — et qui, après ce mélange, ont subi, par la fermentation, un degré plus ou moins avancé de décomposition.

C’est donc un engrais mixte, formé par le mélange de deux substances organiques provenant l’une du règne animal, l’autre du règne végétal.

C’est l’engrais par excellence.

D’un côté, grâce à sa composition, il réunit tous les éléments de fertilité ainsi que les substances minérales nécessaires au développement des végétaux ; par sa décomposition lente, il fournit aux plantes les sucs nourriciers au fur et à mesure qu’elles en ont besoin. D’un autre côté, il agit physiquement et apporte une amélioration durable au sol qu’il divise et ameublit. Enfin, c’est généralement le seul engrais que le cultivateur puisse se procurer en assez grande quantité.

C’est donc le fumier seul sur lequel on puisse fonder une culture régulière et sur lequel on puisse compter pour maintenir la terre en état de produire avantageusement des récoltes.

C’est de la ferme même, c’est de la terre que l’on cultive que l’on doit tirer le fumier nécessaire à sa fertilisation.

C’est là la règle générale.

Ce n’est que par exception, aux environs des villes, près des centres populeux, que le cultivateur peut se procurer du fumier ou des engrais en dehors des ressources de son exploitation.

L’importance du fumier est admise par tous les cultivateurs ; aucun autre engrais ne jouit d’une réputation mieux méritée, ni plus solidement établie.

Le fumier est la base de toute production agricole.

On ne saurait donc l’étudier avec trop de soin, examiner avec trop d’attention tout ce qui est susceptible d’en accroître la valeur.

L’importance du sujet justifie les développements que nous allons lui donner.

a]Nature du fumier. — Nous l’avons dit, le fumier c’est une litière imprégnée de déjections. Il en résulte qu’en faisant varier la litière ou l’espèce animale on fera varier le fumier lui-même, sa nature.

I. — La litière la plus ordinairement employée est la paille des céréales ; elle assainit l’étable par ses propriétés absorbantes et elle procure au bétail un coucher doux et peu humide.

Par elle-même, la paille contribue à accroître en même temps que la quantité, la qualité des fumiers, attendu qu’elle renferme des principes dont l’utilité, comme engrais, ne saurait être douteuse. Le canal dont elle est creusée la rend très apte à l’absorption des fluides qui, sans son intervention, bien souvent s’échapperaient en pure perte. Elle se mélange parfaitement avec les excréments, sert de liant entre les déjections solides et liquides et facilite ainsi leur accumulation et leur transport : sa décomposition est prompte, et, en peu de temps, elle est intimement unie à la masse des fumiers. Elle offre aussi l’avantage de ne pas adhérer à la peau des animaux.

La paille divisée se laisse facilement pénétrer par les urines. Ce n’est donc pas la paille entière et intacte qui s’incorpore le mieux aux déjections et qui est la plus propre à servir de litière ; celle qui a perdu sa rigidité, qui a été préalablement brisée, est préférable. Aussi la paille qui sort de la machine à battre convient-elle parfaitement pour cet usage, et même, dans certaines fermes, on ne l’emploie comme litière qu’après l’avoir fait passer au coupe-paille.

La litière n’est pas toujours nécessairement de la paille ; le bon sens indique, en effet, que si la paille est rare, il sera quelquefois convenable de la réserver pour l’alimentation et de lui substituer des matières absorbantes, ou mieux encore des substances à la fois absorbantes et fertilisantes.

Les fanes de pommes de terre (cotons de patates), les feuilles de maïs (blé d’Inde) ne sauraient être dédaignées. Des terres et des tourbes sèches, de la sciure de bois, de la tannée, des feuilles et des débris végétaux divers peuvent être, dans telle ou telle circonstance, employés avec grand profit.

L’emploi de la paille ou de l’une ou l’autre de ces litières communique au fumier une composition qui varie suivant la litière elle-même.

II. — Ce qui contribue aussi et puissamment à modifier la nature du fumier, c’est la nature différente des déjections qui le composent, nature qui varie avec l’espèce du bétail.

On distingue en effet plusieurs sortes de fumiers, suivant qu’ils proviennent de tel ou tel bétail.

À ce point de vue, on divise généralement les fumiers en deux classes, savoir : les fumiers chauds et les fumiers froids.

Les fumiers froids sont moins actifs, moins prompts à fermenter, plus aqueux, plus spongieux et plus aptes à retenir l’humidité, à entretenir plus de fraîcheur à la terre. Ces fumiers agissent donc plus lentement, mais aussi d’une manière plus continue et plus uniforme, et, s’ils donnent des récoltes moins belles, elles sont plus prolongées.

Les fumiers chauds ont des caractères opposés, une action contraire à celle des fumiers froids.

1oFumier des bêtes bovines. — C’est un fumier froid. C’est, nul doute, le fumier le plus répandu et le plus généralement employé. Il se distingue par la grande quantité d’eau qu’il renferme, la lenteur de sa décomposition, ses effets durables mais peu énergiques. Il s’applique à tous les terrains et à presque toutes les récoltes ; on le destine de préférence aux terres légères, auxquelles il communique des propriétés avantageuses. Une autre propriété du fumier des bêtes à cornes est celle de se lier très facilement, à cause de son état presque fluide, avec toute espèce de litière, propriété que n’ont pas les fumiers de cheval et de mouton.

2oFumier des porcs. — Le fumier de cochon est doux, aqueux et frais ; il fermente lentement et dégage peu de chaleur. Dans aucun autre fumier on n’observe autant l’influence de l’alimentation ; c’est pour cela que les opinions sont si partagées relativement à cette espèce d’engrais. En général, nos cultivateurs n’ont qu’une médiocre estime pour ce fumier, il en est même qui le regardent comme nuisible aux récoltes. Les connaisseurs en cette matière ne partagent pas cette opinion. Le mode d’entretien des porcs explique amplement cette divergence d’appréciation. Tout cultivateur peut observer, en effet, qu’aussitôt que les porcs sont bien nourris, leurs excréments se modifient et leurs engrais gagnent de la valeur.

Les exploitations où ce fumier peut être employé isolément sont assez rares en ce pays ; on le mélange habituellement à celui des autres animaux de la ferme et c’est, croyons-nous, la meilleure méthode qui puisse être adoptée. De cette façon les différentes espèces de fumier se bonifient l’une par l’autre pendant la fermentation en tas et l’on n’a rien à redouter dans leur emploi.

3oFumier de cheval. — Beaucoup plus sec que les précédents, il est considéré comme un engrais chaud et réservé par là même pour les terres compactes, froides et humides. Comme il contient peu d’humidité, il entre vite en fermentation et sa décomposition marche promptement ; aussi exige-t-il beaucoup plus de soins et un traitement plus attentif que celui des bêtes à cornes. Supérieur à ce dernier, il perd bientôt cette supériorité pour peu que sa préparation soit négligée.

Le fumier de cheval ne recevant, par les urines, qu’une dose insuffisante d’humidité, il convient, quand il est mis en tas, de l’arroser fréquemment. Si l’on néglige les arrosements, ce fumier se dessèche promptement, perd de son poids et de ses qualités.

Le fumier de cheval convient non seulement aux terres argileuses et compactes, il réussit encore dans les terres sablonneuses quand elles ont de la propension à retenir l’humidité.

4oFumier de mouton. — Les moutons donnent peu d’urines, de sorte que la litière déposée dans les bergeries suffit toujours pour les absorber complètement, tandis que les chevaux et surtout les bêtes à cornes urinent abondamment. L’abondance des urines nécessitant l’emploi d’une forte quantité de litière, le fumier de mouton, sous un poids donné, contiendra toujours moins de paille et plus de parties animales et aura conséquemment une valeur plus grande. En outre, conservé ordinairement dans les bergeries jusqu’au moment de son transport, cet engrais est fortement tassé par le piétinement incessant des moutons : abrité contre les eaux pluviales et le renouvellement de l’air, il est préservé des causes qui détériorent si facilement les fumiers des autres animaux de la ferme.

Introduit dans le sol, le fumier de mouton n’y produit pas des effets de longue durée : sa décomposition rapide en est la cause.

C’est un engrais chaud.

Il convient très bien aux terres froides, argileuses et compactes.

III. — Une troisième cause qui influe sur la composition du fumier, qui en varie la nature, c’est le régime alimentaire.

La nourriture exerce dans la production des engrais une influence évidente, que tout cultivateur peut vérifier ; elle en augmente la qualité et la quantité.

Les animaux bien nourris donnent constamment plus et du meilleur fumier que ceux qui sont soumis au régime d’une alimentation pauvre ou insuffisante. Il n’est certes aucun cultivateur qui n’ait eu occasion de constater ce fait, en comparant sous ce double rapport, l’engrais fourni par le bétail livré à l’engraissement et celui des bêtes de travail.

Mais, pour arriver à une appréciation exacte, il ne suffit pas d’estimer uniquement la quantité de nourriture ; il faut aussi, et surtout, prendre en considération la valeur nutritive de l’aliment employé, la substance la plus nutritive fournissant toujours un engrais de meilleure qualité.

Au reste, pour se convaincre de l’influenee décisive exercée par le régime alimentaire sur la valeur des déjections, on n’a qu’à comparer l’activité fécondante des diverses espèces d’excréments. Sous ce rapport ceux de l’homme tiennent le premier rang, puis viennent ceux des animaux qui se nourrissent de grains et de substances très nutritives.

Une nourriture abondante et substantielle peut donc seule mettre le bétail dans les conditions requises pour nous donner du fumier en grande quantité et de bonne qualité. Les animaux ne donnent qu’en raison de ce qu’ils reçoivent.

IV. — La nourriture ne communique pas toujours aux engrais les mêmes qualités. La raison en est qu’elle est différemment utilisée par les animaux qui la consomment.

Les jeunes bêtes, en effet, empruntent à leur nourriture les éléments de leur croissance ; c’est dans les fourrages qu’on leur administre qu’elles puisent les matériaux de leur charpente osseuse, les tissus de leurs organes. Tout ce qui est ainsi absorbé par l’organisme pour les besoins de l’animal qui se développe est irrévocablement perdu pour les fumiers qui, dès lors, doivent être moins abondants et de moindre qualité. Aussi les engrais des jeunes animaux sont généralement moins estimés ; on leur préfère de beaucoup, et avec raison, ceux que donnent les bêtes arrivées à leur complet développement.

Ici encore, on trouve, chez les animaux du même âge des influences qui agissent différemment et qui donnent aux fumiers une valeur inégale.

Ainsi, on a remarqué depuis longtemps, que les vaches laitières fournissent un engrais qui, pour la richesse, est inférieur à celui des vaches à l’engrais. Rien d’étonnant : le lait ne s’élabore qu’aux dépens des matériaux que les fourrages introduisent dans l’économie animale.

Ce sont les animaux à l’engrais qui produisent le meilleur fumier et en donnent la plus forte quantité.

b]Préparation du fumier. — C’est là une question importante, toute de pratique.

Nous la traiterons spécialement, en lui donnant les développements nécessaires, au chapitre des produits généraux du bétail, livre troisième de ce traité.

C’est un fait connu, les engrais de nos animaux ne reçoivent habituellement leur destination qu’après un séjour plus ou moins prolongé en tas. Il s’écoule ainsi, entre le moment de leur production et celui de leur emploi, un intervalle pendant lequel les fumiers doivent être l’objet de soins attentifs ; sinon, ils éprouvent des pertes considérables.

Malheureusement chez la très grande majorité de nos cultivateurs, une incurie impardonnable, désastreuse, ou une ignorance profonde, non moins impardonnable, préside seule à la préparation du fumier de la ferme. « Malheur à l’exploitation, s’écrie Schwertz, où, faute d’espace, le fumier est déposé le long du chemin, ou jeté dans quelque coin contre un bâtiment, laissant perdre le liquide qui en suinte ! Malheur à la ferme dont toutes les toitures déversent les eaux de pluie sur le fumier et dans laquelle il faut dévier cette eau ou en laisser noyer toute la cour, la partie la plus précieuse de l’engrais se répand ainsi au dehors ! Malheur à la ferme où l’on ne peut prendre de dispositions pour rendre, de temps en temps, au fumier l’eau grasse qui en découle, y maintenir une humidité nécessaire et le préserver de la moisissure ! »

Signalons, en passant, que la préparation du fumier comprend :

1oSon emplacement ; — 2o sa mise en tas ; — 3o le traitement qu’il réclame.

c]Emploi du fumier. — Cette question comprend les suivantes : Dose, état, époque, transport, épandage, enfouissage.

I.Dose des fumiers. — En principe, une fumure a pour objet de fournir au sol les éléments de la récolte qu’on veut obtenir. Cette récolte devant en général être la plus grande possible, la fumure doit, elle aussi, être la plus forte que la puissance du sol et la faculté assimilatrice des plantes puissent supporter.

Le sol agit sur la végétation en recevant et en conservant, pour les mettre à la disposition des plantes, au fur et à mesure de leurs besoins et dans les conditions les plus convenables d’assimilation, les matériaux de leur développement. L’abondance de ces matériaux constitue la richesse du sol ; l’action de celui-ci sur l’assimilation est sa puissance. La puissance et la richesse combinées forment la fertilité.

La dose de fumier doit donc être proportionnée : 1o aux éléments de fertilité que la récolte doit absorber ; 2o à la richesse de la puissance du sol ; 3o à la richesse du fumier lui-même.

On peut considérer comme une très forte fumure 60 à 70 voyages de fumier par arpent ; une fumure forte 50 voyages, bonne 40 voyages, ordinaire 30 voyages.

II.État d’emploi. — On donne les noms de fumier frais, fumier long, fumier pailleux au fumier sortant des étables et n’ayant encore subi que peu ou point d’altération et l’on réserve les dénominations de fumier gras et de fumier court à celui dans lequel la litière n’est plus guère reconnaissable, par suite de la décomposition qu’elle a éprouvée, soit en tas, soit dans les bâtiments.

Parfois même, au moment de leur emploi, les fumiers ont subi une altération plus profonde encore et offrent alors l’aspect d’une pâte noire, onctueuse, homogène, où l’on ne discerne plus les débris de la litière, et que l’on désigne sous le nom de beurre noir.

Sous quel état convient-il d’employer les fumiers ?

Qu’on enfouisse les engrais à leur sortie des étables ou qu’on ne les emploie qu’après une fermentation préalable, toujours est-il que pour servir au développement des plantes, ils doivent être amenés à un état de décomposition très avancé.

Le fumier enterré frais éprouve exactement les mêmes altérations que celui qui est mis en tas ; seulement, les phénomènes de décomposition ne se manifestent pas avec une égale promptitude ; ils sont moins rapides dans le premier cas, voilà tout.

La première question se réduit donc réellement à la suivante :

Est-il plus avantageux de laisser fermenter les fumiers dans le sol même qu’ils doivent fumer ?

Examinons.

La fermentation en tas, telle qu’elle s’opère dans notre pays, grâce à notre incurie, diminue énormément la quantité du fumier ; cette diminution est telle qu’elle dépasse, quelquefois, la moitié du poids de la masse primitive.

Cette réduction considérable est due, en grande partie, à la transformation en principes volatils (gaz) d’une partie des éléments constituants de l’engrais.

Ces gaz, s’échappant dans l’air, sont perdus pour la plante.

Enfouis à l’état frais, les fumiers éprouvent aussi la fermentation qui doit les transformer peu à peu en aliment pour les récoltes, mais ils se trouvent alors placés dans des conditions extrêmement favorables à la conservation de leurs éléments fertilisants. La couche de terre dont on les recouvre absorbe les produits gazeux et remplit à leur égard le rôle de condensateur.

La différence, ici, est en faveur des fumiers frais.

Autre différence.

La transformation des fumiers enfouis à l’état frais en matière assimilable ne s’opère pas avec la même promptitude que dans les tas, attendu que le fumier est divisé en couches de peu d’épaisseur, et que, d’ailleurs, la putréfaction se trouve encore ralentie par l’interposition des débris terreux.

Le fumier frais ne devient donc que lentement assimilable ; son action sur la végétation est plus longue et plus durable.

Les fumiers longs sont avantageux dans les terres fortes et compactes qu’ils contribuent à réchauffer et dont ils modifient la ténacité par l’interposition entre leurs particules, des débris pailleux. La chaleur que provoque leur décomposition fait germer les graines des mauvaises herbes. On fait disparaître ce mauvais effet en appliquant le fumier long aux plantes qui permettent d’effectuer des sarclages et des binages.

Si les fumiers longs accumulent dans le sol la plus grande somme de principes fertilisants, s’ils sont avantageux aux terres froides et argileuses qu’ils réchauffent et ameublissent, si, enfin, ils conviennent aux plantes qui occupent longtemps le sol, on peut dire des fumiers courts, qu’ils doivent avoir la préférence dans les terres meubles et légères surtout quand elles sont sèches ; que, par leur action plus prompte et moins durable, ils conviennent aux plantes dont la végétation est rapide ; enfin, qu’on les applique de préférence aux plantes qui ne permettent ni sarclages ni binages.

III.Transport et disposition des fumiers. — Le chargement et le transport des fumiers sont une partie importante des travaux, des attelages et de la main-d’œuvre. On doit combiner ce travail de manière à en tirer le plus grand effet utile. Il faut que toutes les forces soient en activité constante, en employant tous les attelages disponibles et en prenant des dispositions qui permettent d’occuper constamment les chargeurs.

Le fumier transporté est déposé en petits tas, également volumineux, auxquels on donne le nom de fumerons. Ceux-ci doivent être uniformément distribués, régulièrement répartis sur la surface du terrain, afin de faciliter l’épandage de l’engrais et de donner à la fumure toute la régularité possible. La quantité de fumier à distribuer étant déterminée, il est facile de fixer l’écartement des tas et celui des lignes suivant lesquelles doivent cheminer les voitures qui transportent l’engrais.

Si le transport du fumier s’effectue à l’automne ou pendant l’hiver, c’est-à-dire, dans un temps où l’on ne peut étendre l’engrais au fur et à mesure qu’il est conduit au champ, on remplace les fumerons par des tas plus considérables contenant de 25 à 30 voyages, que l’on construit avec soin.

Aux endroits où l’on dépose ce fumier on répand une couche de terre, mesurant dix à douze pouces d’épaisseur, destinée à recevoir dans sa substance les parties liquides qui suintent du tas de fumier. On recouvre aussi le tas d’une couverture de paille qui modère l’action du soleil et empêche la volatilisation trop grande des principes fertilisants.

IV.Épandage et enfouissage du fumier. — Le fumier transporté doit être épandu le plus tôt possible, pour éviter que les tas ne déposent un excès de matière fertilisante sur la place qu’ils occupent, fait dont la végétation témoigne suffisamment par la suite. Cet excès de principes fertilisants nuit à la bonne répartition de la fumure sur toute l’étendue du champ : il y a alors des parties qui sont trop fumées et d’autres qui ne le sont pas assez ; résultat qui n’est jamais avantageux.

Pour prévenir tout inconvénient, il faut laisser les fumiers séjourner en petits tas le moins possible et faire en sorte que l’épandage suive de près le transport des engrais sur les champs.

L’épandage se fait à la fourche.

Il est suivi de l’enfouissage. On recouvre le fumier par un labour de six pouces environ, moins profond même dans les terres compactes. Si le fumier est long et pailleux un enfant précède la charrue et attire, à l’aide d’un râteau, le fumier dans la raie.

Le fumier est enfoui plus profondément dans les terres sèches et légères et lorsqu’il doit servir à l’alimentation de plantes pivotantes ; moins profondément dans les terres froides et humides, pour les plantes traçantes.

Quelquefois le fumier n’est pas enterré, c’est ce qu’on nomme fumier en couverture. On fume ainsi les prairies artificielles, les trèfles, etc.

Les opinions sont partagées sur les avantages de ce procédé appliqué aux cultures.

Le fumier enfoui immédiatement se conserve plus longtemps dans la terre et exerce plus lentement et plus tardivement son action.

On doit donc recourir à l’enfouissage immédiat, lorsque, dans l’intérêt de la plante, le fumier ne doit agir que lentement et successivement ; lorsqu’on ne peut fumer qu’à de longs intervalles ; lorsqu’on est obligé d’économiser les engrais ; lorsque le champ a une forte pente.

Le fumier étendu à la surface du sol devient plus facilement décomposable.

Lors donc qu’il importe de faire agir la plus grande force d’une fumure sur une première récolte, lorsqu’on est dans le cas de fumer souvent, tous les ans, il convient alors de laisser le fumier pendant un certain temps étendu à la surface du sol.

2oDes composts.

Par composts on entend une espèce d’engrais mixte qui est composé d’un ou de plusieurs corps terreux, de déjections animales et de débris végétaux.

Toutes les matières organiques qu’on laisse perdre habituellement : la tourbe, le tan, le bois pourri, la sciure de bois, les feuilles d’arbres, leur écorce, les mauvaises herbes, les débris de paille, la poussière des greniers à foin et à grains, les ratissures des allées, les gazons, les épluchures de légumes, etc. ;

Tous les liquides chargés de matières salines ou de matières organiques : les urines, le purin, les eaux grasses, les eaux de savon, etc. ;

Toutes les terres, les sables de route, les boues, les cendres de foyer, les cendres de houille, les charrées qui ont servi au lavage des planchers, au lessivage du linge, la suie, les curures de fossés, les débris de démolition, etc. ;

Tous les débris animaux : cadavres de bêtes mortes, os concassés, poils, cheveux, plumes, débris de cuir, râpure de corne, sang des animaux, vidanges d’intestins, etc. ;

Toutes ces substances diverses peuvent concourir à la confection des composts. Tout doit être utilisé dans une ferme bien administrée, car tout peut servir à l’engraissement de la terre, tout peut augmenter la quantité des engrais. Dans toutes les positions, dans toutes les localités, le cultivateur trouve sous sa main d’immenses ressources pour entretenir et accroître la fertilité de sa terre.

Les composts sont sans contredit un engrais très efficace ; ils offrent en outre l’avantage d’amender le sol en même temps qu’ils l’engraissent ; prenant ce dernier fait en considération, la base des composts sera sableuse et calcaire, lorsqu’on voudra fumer un sol argileux ; elle sera argileuse si l’on veut engraisser un sol sablonneux.

Le procédé le plus simple pour préparer les composts est de placer les diverses substances, couches par couches, les unes sur les autres. Ainsi on réunira les boues, les cendres de toute espèce, les immondices des maisons, les mauvaises herbes des jardins et des champs, etc. ; le tout mêlé aux terres argileuses, à la chaux, à la marne, etc. Pour faciliter la décomposition et la réunion de toutes ces substances, il convient d’arroser les tas avec de vieilles lessives et des urines ou tout autre liquide de cette nature.

Dans la préparation des composts le point principal n’est pas d’exciter dans les amas une chaleur excessive et de hâter ainsi la décomposition des matières organiques. Ce serait là méconnaître les vrais principes scientifiques de la préparation des engrais. Ce qu’il faut c’est d’entretenir une fermentation lente et bien réglée, pour ne pas donner lieu à une déperdition considérable des parties fertilisantes des engrais.

Les composts, trop vantés par les uns, trop dépréciés par les autres, ne sauraient, dans tous les cas, en aucune façon, être comparés au fumier d’étable comme moyen régulier de fumure ; ils n’en sont qu’un utile accessoire. C’est un moyen de mettre à profit, comme engrais, une foule de débris qui, sans les composts, seraient perdus pour l’agriculture ; ramenés à cette valeur, ils méritent toute l’attention du cultivateur. On devrait en former tous les ans une certaine quantité, car, dans l’ordre ordinaire des choses, on est rarement assez riche en fumier pour ne pas chercher à utiliser tout ce qui peut contribuer à maintenir le sol en bon état et à accroître sa fertilité.

On doit donner au compost une hauteur convenable, de quatre à six pieds. Trop haut, la fermentation s’établit difficilement dans les couches inférieures ; trop bas, il y aurait une trop abondante évaporation des principes divers qui doivent se combiner.

Dès que les substances composant le compost ont eu le temps de se décomposer, ce qui a eu lieu tantôt au bout de six mois, tantôt au bout de l’année, on retourne le compost et on le brasse en tous sens, afin d’opérer un mélange complet de toutes ses parties. Cela fait, on le transporte sur les champs et on l’épand soigneusement à la surface du sol.

C’est un excellent engrais en couverture et on l’applique de préférence aux prairies.