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Traité populaire d’agriculture/Formation des prairies

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SECTION PREMIÈRE.

Formation des prairies.

Dans la formation d’une prairie, il faut tout d’abord choisir et préparer le terrain que l’on destine à la culture des fourrages, y semer ensuite les plantes qu’exigent la nature du sol et l’alimentation du bétail.

Dans toute prairie, il doit donc exister des rapports intimes entre le sol et les plantes qu’on y cultive.

I
DU SOL DANS LA FORMATION DES PRAIRIES.

En général, on peut former des prairies sur tous les terrains, même les moins favorisés sous le rapport de la fertilité ; mais, il est facile à comprendre, tous ne donnent pas un rendement également considérable.

Pour obtenir des produits élevés, il faut choisir les sols qui s’adaptent le mieux à la prairie et leur donner de plus une préparation convenable.

1oChoix du sol.

Il doit être basé sur les propriétés physiques et la constitution même du terrain que l’on veut consacrer à la culture fourragère.

Parmi les propriétés physiques, celle qui influe le plus sur le rendement d’une prairie est sans nul doute l’hygroscopicité, cette propriété qu’a la terre de retenir l’eau entre ses molécules.

L’humidité, en effet, est une condition essentielle à la bonne croissance de l’herbe et le foin n’est abondant que si les végétaux trouvent dans la terre, même dans les longues sécheresses, une bienfaisante et constante humidité.

L’eau, dans le sol, peut s’y trouver en quantité suffisante ou en surabondance, suivant la constitution du sol même et la nature du sous-sol.

Un sol contenant une humidité surabondante produit sur la végétation de funestes effets, le foin y est peu abondant et d’une qualité inférieure.

Un sous-sol saturé d’humidité, s’oppose également à une croissance vigoureuse, surtout si l’épaisseur de la couche arable est peu considérable.

La raison en est bien simple.

Du moment que les plantes ont épuisé cette couche superficielle des principes dont elles avaient besoin pour leur nourriture, elles s’allongent, font pénétrer leurs racines dans les couches plus profondes pour y demander de nouveaux aliments.

C’est ici que se fait sentir la mauvaise influence de l’eau surabondante.

Les racines y pourrissent et les plantes elles-mêmes disparaissent pour faire place aux végétaux particuliers aimant les terrains très humides.

Les terrains trop humides ne conviennent donc nullement aux prairies ; il faut que préalablement ils aient été assainis.

Si la terre ne contient que la quantité d’eau rigoureusement nécessaire, et cela, pendant toute la durée de la végétation, les plantes, se trouvant dans les conditions les plus favorables, donnent un produit très abondant et de très bonne qualité.

L’état d’ameublissement du sol influe aussi considérablement sur la quantité du rendement. Si les sols compacts s’engazonnent bien, quelquefois, ajoutons que l’herbe n’y vient jamais longue. D’un autre côté, les terres sablonneuses dépensant vite la nourriture qu’elles tenaient à la portée des plantes, exigent des frais considérables pour leur entretien et souffrent tellement du manque d’humidité que, dans les grandes sécheresses, les herbes jaunissent et sèchent sur pied.

Entre ces deux extrêmes existe une espèce de sol, parfaitement convenable à la formation des prairies.

Ce sol productif est ordinairement connu sous le nom de terre de consistance moyenne.

Bien préparée, parfaitement ameublie par des labours profonds, et bien assainie, la terre de consistance moyenne donne, dans les années favorables, jusqu’à 300 et même 350 bottes de foin par arpent.

2oPréparation du sol.

En thèse générale, toutes choses égales d’ailleurs, la prairie donne un produit d’autant plus abondant qu’on a apporté plus de soin dans la préparation du sol.

Les cultures antérieures deviennent un excellent moyen de préparer le sol à la formation de la prairie.

Une des premières opérations à exécuter est le nivellement du terrain.

Il faut de toute nécessité enlever les grosses pierres, combler les trous, abattre les buttes. L’emploi de la faux et surtout de la faucheuse, dont l’introduction dans nos fermes tend à se généraliser, exige ces opérations préliminaires. Un bon roulage, en faisant disparaître les mottes de terre, facilite aussi l’emploi de ces instruments.

La préparation du sol demande encore que le terrain destiné à la prairie soit ameubli par des labours profonds, enrichi par une abondante fumure, nettoyé de toutes les mauvaises herbes par des sarclages répétés.

On arrive à ce triple résultat en faisant précéder la prairie par la culture des récoltes-racines, telles que carottes, betteraves, navets, pommes de terre, ou diverses autres plantes exigeant les mêmes soins.

La terre ameublie, enrichie, nettoyée par la culture des plantes sarclées, on procède l’année suivante au semis des graines qui doivent former la prairie.

II
DES PLANTES DANS LA FORMATION DES PRAIRIES.

La formation d’une prairie, le sol étant convenablement choisi et préparé, s’opère de trois manières différentes :

1opar semis ;

2opar transplantation ;

3opar croissance spontanée.

De l’emploi de l’un ou l’autre de ces moyens surgit une première distinction entre les prairies artificielles et les naturelles.

1oSemis.

Nous allons sous ce titre étudier : 1o le choix des semences ; 2o leur composition ; 3o leur proportion relative ; 4o l’époque de l’ensemencement ; 5o le mode.

a]Choix des semences. — Citons Dubreuil.

« Trois procédés sont employés pour se procurer les semences destinées à la formation des prairies.

« Le premier consiste à semer les balayures des greniers à foin. On ne saurait trop s’élever contre cette pratique vicieuse ; car les foins, étant en général récoltés au moment de la floraison des meilleures espèces qui dominent dans le mélange, il s’ensuit que ces balayures ne renferment pas de graines mûres de ces espèces ; l’on n’a ainsi que les graines des espèces précoces nuisibles ou inutiles. D’ailleurs, quelques bonnes graines y fussent-elles même mêlées, les foins qui ont donné ces graines n’ayant pas toujours été récoltés sur un sol identique à celui que l’on veut engazonner, les espèces qu’elles pourront produire ne seront pas toujours appropriées à la nature de ce terrain.

« On n’obtiendra donc que de mauvais résultats de cette pratique que nous ne saurions trop conseiller d’abandonner.

« Le procédé suivant est préférable. On choisit, dans le voisinage du terrain à ensemencer, une prairie exactement de la même exposition, assise sur un sol offrant la même composition élémentaire et la même dose d’humidité habituelle, donnant enfin de très bons produits. On recherche dans cette prairie la partie la moins salie par les plantes nuisibles. On laisse le plus grand nombre des plantes arriver à leur maturité complète, puis on fauche et après le fanage on sépare les semences au moyen du battage.

« Ces graines toutefois ne sont pas non plus exemptes de reproches. En effet, ce mélange renferme toujours une certaine quantité de graines de plantes nuisibles ou inutiles, surtout si l’on n’a pas fait pratiquer un sarclage au commencement de la végétation ; puis, d’un autre côté, il n’est pas possible de faire varier ainsi la proportion des espèces dont on veut augmenter ou diminuer la quantité.

« Il est donc plus rationnel d’adopter le troisième mode, qui consiste à acheter tout simplement les graines des diverses espèces dont on veut composer la prairie.

« Aujourd’hui on trouve dans le commerce les semences de la plus grande partie de ces espèces. Quant au petit nombre de celles qu’on n’y rencontre pas encore, on les récoltera à la main dans les prairies où elles sont les plus abondantes. »

La récolte de graine de mil est des plus faciles. On n’a qu’à choisir et mettre de côté les plus beaux épis qu’on fait passer ensuite et par deux fois dans le cylindre d’un moulin à battre. Par ce moyen on est sûr d’avoir de la graine parfaitement nette. Cultivé pour sa graine, le mil peut en donner jusqu’à 20 minots par arpent.

Pour récolter la graine de trèfle, on procède un peu différemment. La première récolte de trèfle est fauchée de bonne heure et convertie en foin. On laisse parfaitement mûrir la seconde récolte qui devient très abondante sur un sol propice. Ce trèfle une fois coupé est traité comme le grain ; on le fait passer et par deux fois dans le cylindre du moulin à battre, puis au crible et au moyen de ces opérations on obtient une graine très nette.

b]Composition des semences. — Les différentes plantes fourragères qui peuvent entrer dans la composition d’une prairie varient pour ainsi dire à l’infini. Mais il est important de le savoir, chaque plante a des exigences avec lesquelles tout cultivateur doit compter.

C’est ainsi que certains végétaux demandent au sol une dose d’humidité abondante et toujours égale ; d’autres, au contraire, se contentent des sols les plus secs ; d’autres, enfin, préfèrent le milieu entre ces deux extrêmes. La dose d’humidité que réclame la culture de certaines plantes fourragères est une de ces exigences qui s’imposent et, à ce point de vue, les plantes qui se trouvent placées dans une situation autre que celle qui leur est naturelle, donnent pendant quelque temps un pauvre rendement, finissent par laisser cette terre qui ne leur est pas propre et cèdent la place à des herbes dont la valeur comme fourrage est souvent nulle.

La composition élémentaire du sol peut aussi influer sur celle des semences. Il y a, en effet, certaines plantes qui ne donnent de forts produits que dans des sols particuliers, d’une composition déterminée. Ces plantes sont, à vrai dire, en petit nombre.

Une condition plus importante, d’une influence marquée sur la quantité et la qualité du fourrage, c’est de choisir, pour le mélange, des graines ayant la même précocité, dont les plantes devront mûrir ensemble, vers la même époque.

Si l’on sème dans une prairie des plantes à végétation rapide avec d’autres dont la végétation est lente, il est facile de comprendre que dans tous les cas, soit que l’on fauche de bonne heure, soit que l’on fauche tard, le rendement subira une perte considérable. En effet, si l’on fauche à l’époque de la floraison des plantes hâtives, les espèces tardives n’étant pas encore assez développées, contenant peu de principes nutritifs, sont coupées dans un temps où la dessiccation diminue encore considérablement leur volume ; il y a donc perte sensible sous le rapport de la quantité. Si, d’un autre côté, on ne fauche que lorsque les espèces les plus tardives sont en fleur, la perte n’en est pas moins grande. Toutes les plantes précoces étant, en effet, mûres depuis longtemps, ayant perdu leurs graines, leurs sucs nourrissants, il ne reste plus de ces végétaux qu’une tige sèche, dure, coriace. Dans ce cas, la diminution se fait principalement sentir dans la qualité du fourrage récolté.

c]Quantité et proportion relative des semences. — Dans la création d’une prairie, le but principal est d’obtenir sur une surface donnée la plus grande quantité possible de fourrage de bonne qualité. Ce but diffère essentiellement de celui que l’on a en vue dans la culture des céréales, où la production des semences nécessite de réserver entre chaque graine, un espace suffisant pour que les plantes puissent se développer à leur aise et fournir ainsi une abondante récolte de semences. Si les plantes des prairies étaient semées de la so[sic][1] nul doute, elles deviendraient plus grandes, leurs tiges seraient plus grosses, plus vigoureuses, on pourrait même obtenir une plus grande quantité de fourrage, mais ces produits seraient de mauvaise qualité. Les tiges trop grosses, trop dures, opposeraient une grande résistance à l’action de la mastication des animaux. Semées dru, au contraire, les tiges, si elles sont moins élevées, sont plus nombreuses, plus déliées, plus tendres, plus facilement mangées par le bétail. Elles sont aussi moins aqueuses, plus nourrissantes à poids égal et bien plus facilement transformées en fourrage sec. Enfin, un ensemencement serré étouffe, dès la première année, les plantes étrangères qui lui disputent le terrain et maintient le sol dans un état d’humidité favorable en l’abritant contre les ardeurs du soleil.

La quantité de semences qu’il faut employer varie nécessairement suivant les circonstances. Ainsi, il faut plus de graines dans une terre légère que dans les sols compacts où les plantes tallent davantage. Il en faut plus aussi dans les terres salies par les mauvaises herbes que dans celles qui n’en sont point infestées ; plus dans les sols pauvres que dans ceux qui sont richement fumés.

Une prairie, tout le monde le sait, se compose de la réunion d’un certain nombre de plantes d’espèces différentes. Il convient donc de déterminer les proportions relatives que l’on doit établir entre elles, et pour cela la quantité de graines de chacune d’elles qu’il faut répandre sur une surface déterminée.

Le tableau suivant indique la quantité et la proportion relative à établir dans le mélange.

ESPÈCES. QUANTITÉ. PROPORTION.
Avoine fromentale
66 lbs. 1/25
Fétuque des prés
32 bs. 1/25
Fléole des prés (mil)
30 bs. 5/25
Flouve odorante
26 bs. 1/25
Ivraie vivace
32 bs. 1/25
Gesse des prés
61/2 gallons. 1/25
Trèfle blanc
8 lbs. 6/25
Trèfle rouge
10 bs. 8/25
Vesce multiflore (jarseau)
61/2 gallons. 1/25

La proportion indiquée au tableau suppose que toutes les espèces nommées font partie du mélange ; ainsi dans tel mélange on ajoutera le trèfle rouge dans la proportion de 6/25 de huit livres, soit deux livres à peu près.

Les quantités sont calculées pour un arpent.

Si l’on ne veut semer qu’une seule plante, la quantité de semence est indiquée dans la première colonne du tableau.

Ainsi le trèfle rouge seul se sème à raison de dix livres par arpent.

Si l’on veut semer un nombre déterminé de graines, rien de plus facile que d’en déterminer les proportions relatives.

Prenons le mélange suivant :

Mil, trèfle rouge et trèfle blanc.

Dans le tableau le mil a pour chiffre proportionnel 5/25, le trèfle rouge 8/25, le trèfle blanc 6/25.

Or 5/25 plus 8/25 plus 6/25 égalent 19/25 ; ici, 19/25 est considéré comme un entier, c’est le mélange des trois plantes ci-dessus nommées. Il faut que cela soit pour que la quantité du mélange convienne à la surface déterminée. Il faut donc remplacer 19/25 par un entier, ou 19/19. On a alors : mil 5/19, trèfle rouge 8/19, trèfle blanc 6/19 ; ou, en poids : mil 8 lbs, trèfle rouge 41/5 lbs, trèfle blanc 21/2 lbs.

Un autre mélange :

Mil et trèfle rouge.

Dans le tableau, mil 5/25, trèfle rouge 8/25, soit 13/25, équivalant dans le mélange actuel à 1 entier ou 13/13.

On a donc : mil 5/13 et trèfle rouge 8/13, ou en poids : mil 12 lbs, trèfle rouge 62/3 lbs.

Il est bon de faire observer que les quantités de graines des espèces indiquées dans le tableau et prescrites pour l’ensemencement complet d’un arpent supposent les circonstances les plus favorables à la végétation. Ces quantités devront donc être augmentées lorsque le sol sera de moins bonne qualité, qu’il aura été moins bien préparé, que l’ensemencement sera fait à une époque tardive, ou enfin que le climat sera moins propre à la végétation des herbes.

d]Époque de l’ensemencement. — Elle est déterminée par le climat, la nature du sol et la rusticité plus ou moins grande des plantes qui forment le mélange.

Avec un climat variable, et plutôt humide que sec pendant l’été, on doit préférer l’ensemencement du printemps. Les jeunes plantes croissent assez vite pour prendre racine et deviennent assez fortes pour braver les rigueurs de l’hiver. Au contraire, si la nature du climat fait redouter un été sec et prolongé, qui ralentisse et arrête la végétation, on doit donner la préférence à l’ensemencement d’automne.

e]Mode d’ensemencement. — On sème sur le sol nu, ou avec une autre récolte, ou sur une autre récolte déjà semée ou même déjà levée.

Chacune de ces méthodes a ses avantages et le choix que l’on en doit faire dépend souvent de l’époque même de l’ensemencement.

Si on sème à l’automne, c’est ordinairement sur le sol nu, après l’enlèvement de la récolte.

Voici alors comment on procède.

Au printemps, on sème un grain hâtif qui pourra se récolter de bonne heure à l’automne, ce qui permet de semer les graines de prairie vers le milieu d’août, afin que les plantes aient le temps de pousser de fortes racines avant l’hiver.

Huit jours avant les semailles on donne un labour superficiel de 4 à 5 pouces de profondeur, qu’on fait suivre d’un hersage croisé afin d’obtenir un émiettement complet du sol. On sème alors, on enterre les plus grosses graines avec le dos d’une herse ou avec un châssis garni d’épines. Cette opération terminée, on roule légèrement ou énergiquement le sol suivant qu’il a déjà quelque consistance ou qu’il est très poreux.

Si l’on sème au printemps, le sol devra être purgé de toutes les mauvaises herbes, au moyen de cultures convenables, et c’est ici que les récoltes sarclées rendent de très grands services. L’année suivante, on cultive une céréale, et c’est dans cette dernière que l’on sème les graines des plantes fourragères.

Quelquefois, cependant, la récolte sarclée peut être enlevée assez tôt pour permettre au cultivateur de confier à la terre un grain d’automne. On sème alors la graine de prairie, au printemps suivant, dans le mois de mai, sur la céréale déjà levée. On enterre au moyen du rouleau.

Ainsi semées avec ou sur une céréale, les graines fourragères et surtout les jeunes plantes qui en naissent se trouvent bien de l’abri que leur procurent les longues tiges des grains, en les préservant des grandes sécheresses de l’été.

Mais il ne faut pas que le grain soit semé trop fort, car alors les jeunes plantes, soustraites aux heureuses influences de l’air, s’étiolent et ne reçoivent pas en assez grande abondance la nourriture dont elles ont besoin. La céréale qui recevra les graines des prairies devra donc toujours être semée plus claire que d’ordinaire.

Une autre considération importante, c’est de semer la céréale le plus tôt possible, de choisir même, lorsque d’ailleurs les exigences de la culture ne s’y refusent point, parmi les céréales, celle qui mûrit le plus vite, afin qu’une récolte hâtive permette aux jeunes plantes de la prairie, en occupant seules désormais le sol, de s’allonger, de consolider leurs racines, de pousser en touffes serrées, de préparer enfin une résistance plus effective aux rigueurs de l’hiver.

Les graines de prairie doivent être enterrées superficiellement ; une herse légère, un fagot d’épines ou même simplement un tour de rouleau, si le sol est meuble et le temps frais, suffit pour les mettre en état de germer. Le tassement du sol, à l’aide du rouleau, favorise toujours la levée des graines et prépare au fauchage une tâche plus facile et plus prompte.

2oTransplantation.

C’est le second mode auquel on peut avoir recours pour la formation d’une prairie. Il est très peu usité, quoique certains auteurs préconisent fort son emploi.

Nous empruntons les détails de l’opération.

On prépare la surface que l’on veut gazonner comme si l’on voulait l’ensemencer et l’on y trace avec un rayonneur des lignes distantes de trois pouces les unes des autres ; après quoi, on cherche une prairie couverte d’un gazon épais déjà anciennement formé et composé de plantes de bonne qualité et surtout à racines traçantes. On la découpe par bandes au moyen d’un tranche-gazon dont les lames sont disposées de façon à laisser entre elles un espace de trois pouces seulement ; on fait passer ensuite dans la direction de ces bandes une charrue qui renverse alternativement deux tranches de gazon et en laisse une intacte. Ces bandes étant coupées par fragments de trois pouces de longueur, on les enlève, puis on répète la même opération, mais dans une direction perpendiculaire à la première ; de sorte que ce champ, ainsi partiellement dépouillé, reste couvert de petites plaques de gazon de trois pouces carrés et séparées les unes des autres par un espace vide de six pouces. L’entrure de la charrue destinée à lever les gazons doit être réglée de manière à conserver à ceux-ci une épaisseur de 2 à 21/2 pouces.

À mesure que les gazons sont détachés, on les transporte sur le champ à gazonner où on les enterre à moitié, en les disposant comme un échiquier et en laissant entre eux un espace vide de 6 pouces. Les lignes tracées par le rayonneur guident les ouvriers. Immédiatement après, on répand sur toute la surface du champ un demi-ensemencement avec des graines de très bonnes espèces. Cette semaille hâte le gazonnement des parties qui restent vides entre les plaques des gazons. On termine en faisant passer un rouleau pesant, qui achève d’enfoncer ces plaques jusqu’au niveau du sol. Un arpent de prairie peut servir à gazonner huit arpents de terrain, tout en conservant assez de gazon pour remplacer bientôt celui dont il vient d’être privé. On ne doit détacher de gazons que ce que l’on pourra en placer dans la journée, autrement les racines seraient fatiguées et leur reprise serait plus difficile. Cette opération est pratiquée à l’automne ou au commencement du printemps, suivant que le sol est plus ou moins exposé à la sécheresse. La prairie ainsi formée n’exige ensuite que quelques roulages pour forcer l’herbe à taller et l’empêcher de se développer en petites buttes.

Quant à la prairie que l’on a partiellement dépouillée, on y répand aussi un demi-ensemencement de bonnes graines et une bonne fumure pour lui faire réparer ses pertes, on y suspend la récolte pendant la première année et on lui applique plusieurs roulages.

Les avantages de ce mode de création, ajoute Dubreuil, sont les suivants : au moyen d’un arpent de bonne prairie on en forme huit sur lesquels le gazon est très promptement composé des espèces qui peuvent s’associer et donner un bon fourrage. Cette prairie arrive beaucoup plus vite que par l’ensemencement à un état stable et à son plus haut degré de fertilité. Mais les inconvénients ne sont pas moins nombreux ; et sans parler de l’improduction de la surface pendant deux ans, les frais de découpage et de transplantation, joints à ceux de fumure, roulages, etc., sont tels qu’il convient de n’employer ce procédé que pour des circonstances exceptionnelles.

3oCroissance spontanée.

La formation d’une prairie est laissée quelquefois aux seules forces de la nature : l’homme n’intervient point.

Le sol qu’il a cultivé est abandonné à lui-même ; quelques espèces voraces se montrent d’abord et s’emparent du terrain ; à côté d’elles, apparaissent bientôt des plantes, plus faibles à leur naissance, mais plus tenaces, qui ne tardent pas à étendre leurs racines traçantes. Chaque espèce combat ses voisines, lutte avec elles, leur dispute la jouissance du sol et ce n’est qu’après plusieurs années de lutte que l’équilibre s’établit enfin et que chacune d’elles finit par occuper un rang en rapport avec sa force de végétation ou sa facilité de multiplication.

La prairie est alors formée.

Sa composition végétale reste à peu près la même, sauf quelques modifications particulières produites par des positions exceptionnelles.

On peut donc abandonner à la nature le soin de la formation d’une prairie et malheureusement un grand nombre de nos cultivateurs agissent de la sorte. Ils devraient pourtant comprendre qu’il se passe plusieurs années avant qu’une prairie ainsi formée puisse donner un produit important.

Ce sont autant d’années perdues, grâce à une parcimonie inintelligente qui leur fait manquer un gain considérable.

Il est en effet facile de comprendre que le concours de l’homme hâte le résultat que l’on attend d’une prairie, en substituant à la croissance spontanée la formation par le semis qui permet de faire entrer immédiatement dans la prairie les espèces utiles qui auraient fini par s’y établir exclusivement et d’y écarter en même temps, dès le principe, les espèces inutiles ou nuisibles.

On peut donc aussi facilement conclure, qu’en général, c’est une faute grave, une perte d’argent véritable que de laisser à la nature seule le soin de former les prairies et c’est une faute d’autant plus grave, une perte d’autant plus sensible, que la production fourragère est et doit être la base de l’agriculture canadienne et que bien comprise et bien pratiquée, elle est, dans les circonstances actuelles, destinée à devenir la source la plus féconde de richesses.

  1. Note Wikisource. — Le contexte laisse supposer que la portion de texte manquante est « sorte, ».