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Traité populaire d’agriculture/Succession des récoltes

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SECTION DEUXIÈME.

De la succession des récoltes.

Le choix des plantes étant fixé, il faut ensuite déterminer l’ordre dans lequel les récoltes doivent se succéder.

Trois considérations principales doivent entrer ici en ligne de compte : l’état d’ameublissement du sol, l’aménagement des engrais et la successibilité des plantes.

I
AMEUBLISSEMENT DU SOL.

Cet ameublissement peut s’obtenir de deux manières : par une préparation directe et par une préparation indirecte.

1oPréparation directe.

Nous pouvons donner ce nom aux opérations que subit le sol en vue de la culture immédiate de telle ou telle plante.

Ainsi, la jachère est une préparation directe du sol à la culture qui doit la suivre ; tout labour profond, ordinaire ou superficiel, est de même une préparation directe du sol à la culture que l’on veut immédiatement pratiquer.

Un mot sur la jachère.

On donne ce nom à des terrains à la fois en repos et soumis à des cultures préparatoires.

La jachère a un triple but : l’ameublissement du sol, son exposition aux influences atmosphériques, et la destruction des mauvaises herbes qui couvrent sa surface.

C’est le plus puissant moyen d’ameublir le sol et s’il peut être avantageusement remplacé par les récoltes sarclées dans les terres plus ou moins légères, on peut, d’un autre côté, se persuader que les terres fortes, argileuses, ne sont amenées à un état complet de pulvérisation qu’à l’aide de ces labours réitérés que procure la jachère pendant la saison la plus sèche de l’année.

La jachère augmente la fertilité du sol, non seulement par cet ameublissement qu’elle lui donne, mais encore par addition d’engrais. Et en effet, pendant les intervalles de la culture de la jachère, les champs se couvrent d’une verdure qui se renouvelle chaque fois que la charrue la détruit. Le sol reçoit donc un véritable engrais vert ; c’est toute une récolte de mauvaises herbes que l’on enfouit.

Ajoutons que le contact avec l’air des différentes parties de la couche végétale les fait jouir des influences atmosphériques, lesquelles modifient les substances organiques contenues dans le terrain, de manière à les rendre plus facilement assimilables par les plantes.

Enfin, l’expérience le démontre, aucune préparation n’égale la jachère, lorsqu’il s’agit de détruire les mauvaises herbes, surtout les plantes vivaces, à racines traçantes.

À ces avantages, il faut ajouter une économie dans l’engrais.

En effet, puisque la fertilité du sol est augmentée par l’addition des herbes que les labours enterrent, et par la décomposition des matières organiques, grâce aux influences atmosphériques, il est tout naturel qu’il faille une moindre quantité d’engrais additionnel pour arriver au même degré de fertilisation.

L’emploi de la jachère a été vivement combattu.

Nous n’entrerons point sur le terrain de la discussion.

Signalons seulement les objections ; elles se réduisent à deux.

Premièrement, augmentation de travail et par suite de frais ; deuxièmement, perte du produit d’une année.

Nous croyons que c’est l’abus qui a été fait de la jachère qui a valu à celle-ci de nombreux adversaires.

Pour nous, nous la considérons comme un remède efficace auquel il faudra avoir recours lorsque le mal ne pourra être combattu par les moyens ordinaires ; mais ce remède ne convient pas à un sol léger, qui de sa nature n’est déjà que trop privé d’adhésion et de consistance.

Dans tous les cas, et ceci nous ramène à la question, la jachère est une préparation directe du sol à la culture qui doit suivre.

Nous avons dit que tout labour est dans le même cas.

Mais il est facile de comprendre que c’est un avantage inappréciable pour le cultivateur de pouvoir coordonner ses travaux de manière que les façons appliquées à une récolte servent encore de préparation pour celles qui lui succéderont.

Alors, la préparation du sol, directe pour la première culture, devient une préparation indirecte pour les récoltes subséquentes.

C’est ici le temps d’examiner quelle doit être la rotation des plantes.

2oPréparation indirecte.

Après une première récolte, le sol se trouve dans un des états suivants :

1oProfondément ameubli : le sol se trouve ainsi disposé après l’arrachage des carottes, des betteraves, des navets, des pommes de terre.

2oTrès ameubli à sa surface, mais tassé dans les couches inférieures ; c’est ainsi que se trouve la terre après la récolte du chou, du maïs, des légumineuses.

3oTassé à sa surface et dans ses profondeurs, comme après les récoltes qui n’ont pas exigé de façons pendant leur croissance, telles que les céréales, les prairies et les autres plantes semées à la volée.

Les plantes qui ont de longues racines sont aussi celles qui profitent le mieux d’un terrain profondément ameubli ; il en est de même pour les plantes à racines pivotantes, dont les radicelles vont chercher la nourriture à de grandes profondeurs.

Quand le sol est ameubli à sa surface, mais non dans sa profondeur, on cultive avec succès toutes les plantes dont les racines s’étendent horizontalement dans le sol ; les céréales sont de ce nombre et réussissent parfaitement après une récolte sarclée.

Si le sol est tassé à sa surface, on ne peut rien entreprendre avant d’avoir donné à la terre une nouvelle préparation en rapport avec la récolte que l’on veut obtenir.

On revient alors à la préparation directe que l’on dirige comme on l’entend.

II
AMÉNAGEMENT DES ENGRAIS.

La rotation des plantes n’est rien autre chose que la succession d’une récolte à une autre pendant une période d’années, au bout de laquelle on reprend la même succession et dans le même ordre.

Cette succession doit s’opérer de manière à donner le plus grand produit avec le moins de frais possible.

Pour obtenir un produit constant, il faut rendre à la terre les principes fertilisants que lui enlèvent les récoltes.

Donc, nécessité des engrais.

Si le cultivateur était assez riche en engrais pour fumer, chaque année, toutes les récoltes, il ne serait plus question de rotation, d’assolement ; la culture, simplifiée, consisterait à cultiver les plantes les plus lucratives. Mais, dans les circonstances ordinaires, on ne peut pas compter sur des ressources aussi étendues ; l’engrais, toujours insuffisant, ne peut être dispensé qu’avec la plus grande économie.

D’ailleurs, tous les sols ne réclament pas la même dose d’engrais et, quant aux plantes, il y en a qui le préfèrent sous un état de décomposition plus ou moins avancée et, tandis que les unes en absorbent une forte proportion, d’autres en consomment fort peu.

Il faut tenir compte de ces diversités.

Elles ont rapport à la nature du sol et à celle des plantes.

1oNature du sol.

Les aliments apportés par les fumiers forment avec ceux que fournit la décomposition des matières minérales et végétales, la provision nécessaire à l’alimentation des récoltes futures. Ce dépôt d’aliments augmentant d’année en année, le sol s’enrichit et devient plus fécond ; dans le cas contraire, le sol s’appauvrit et sa richesse diminue.

Il lui faut alors une plus grande quantité de fumier.

La quantité d’engrais doit donc accroître en raison directe de l’appauvrissement du sol qu’il s’agit de fumer.

La quantité de fumier à donner au sol dépend aussi de la nature du terrain auquel on l’applique.

Les terrains argileux supportent une plus forte fumure que les terres légères ; on se trouve bien de leur appliquer tout d’un coup une forte dose de fumier et d’y revenir plus rarement.

C’est le contraire pour les terrains légers. Il vaut mieux diminuer la quantité d’engrais, quitte à y revenir plus souvent.

La nature du sol et son degré plus ou moins grand d’appauvrissement déterminent donc la quantité d’engrais nécessaire.

Mais il est une autre considération qui exerce ici une influence considérable : c’est celle de la nature des plantes.

2oNature des plantes.

On a divisé les différents végétaux cultivés par la main de l’homme, relativement à l’influence qu’ils exercent sur la terre, en plantes enrichissantes, améliorantes, ménageantes, appauvrissantes et épuisantes.

a]Plantes enrichissantes. — Ce sont les plantes qui abandonnent au sol plus qu’elles n’en ont reçu. Elles sont peu nombreuses et, à vrai dire, il n’y a de plantes enrichissantes pour le sol que celles que l’on enfouit vertes, ou qui ont occupé le sol pendant une longue suite d’années.

Nous avons vu, en parlant des engrais verts, que les plantes, dans la première phase de leur existence, tirent leurs aliments du grain confié à la terre. Dans la seconde époque de leur vie, c’est-à-dire, depuis le moment où la plante sort de terre jusqu’à celui où elle commence à mûrir sa graine, les végétaux vivent en grande partie aux dépens de l’atmosphère, surtout les variétés dont la végétation est la plus vigoureuse.

Si, à cette période de leur croissance, on enterre les plantes par un labour, il s’ensuit que la terre s’enrichit des principes nutritifs que les plantes enfouies avaient tirés d’ailleurs que du sol.

Traités de cette manière, le sarrasin, les fèves, les vesces, sont des plantes enrichissantes.

Le gazon des pâturages enrichit aussi le sol, et il l’enrichit d’autant plus qu’il est plus fourni, qu’il permet par conséquent à un plus grand nombre d’animaux d’y trouver leur subsistance et d’y laisser une masse plus considérable de déjections.

Enfin, le défrichement des forêts et des vieilles prairies augmente la fertilité du terrain par la grande quantité de leurs débris organiques.

b]Plantes améliorantes. — Il y a des plantes qui, sans toutefois enrichir le sol, lui rendent par leurs débris autant qu’elles en ont tiré ; on les appelle améliorantes.

On donne aussi, et avec plus de raison, ce nom aux plantes qui améliorent véritablement le sol par les cultures qu’elles exigent, et qui, sans appauvrir la terre, deviennent une excellente préparation pour une récolte subséquente.

À la classe des plantes améliorantes appartiennent le trèfle, les plantes des prairies, le tabac, le maïs, les féveroles.

Le maïs cependant n’est regardé comme plante améliorante que dans les pays chauds et s’il vient dans un sol propice.

Quant au tabac, il est vrai, dit Schwerz, qu’il exige beaucoup d’engrais ; mais comme sa culture doit être très soignée, qu’il occupe la terre peu longtemps, qu’il lui restitue beaucoup par ses tiges et ses racines, et qu’il la prépare très bien pour une récolte de blé, puis pour une autre d’orge, on doit nécessairement le compter parmi les récoltes améliorantes, malgré la grande quantité d’engrais qu’il exige.

c]Plantes ménageantes. — Dans cette classe, il faut ranger toutes les plantes qui, quoique n’enrichissant pas et n’améliorant pas le sol, ne lui enlèvent que peu et ne l’appauvrissent pas.

Les plantes fauchées en vert, c’est-à-dire séparées du sol avant d’y puiser les principes nécessaires à la maturation de leurs graines, sont véritablement des plantes ménageantes.

Entre autres, nommons les lentilles, les pois, les vesces, le seigle, l’orge, l’avoine.

Les lentilles, les vesces et les pois sont considérés comme plantes ménageantes, même lorsqu’on ne les récolte qu’après leur parfaite maturité, pourvu qu’ils aient été bien garnis et d’une végétation vigoureuse.

En Angleterre où les navets sont consommés sur place par les bêtes à laine, on les compte au nombre des plantes ménageantes.

d]Plantes appauvrissantes. — Toutes les plantes le sont dans la véritable acception du mot, parce que toutes vivent aux dépens du sol dans lequel elles végètent, toutes s’approprient quelques-uns des principes organiques qui se trouvent dans la terre.

« La différence, dit un agronome, n’est que dans le plus ou le moins, qui résulte en partie de la quantité et de la qualité des produits, en partie de la restitution que les plantes exercent envers le sol par leurs débris, en partie par la compensation qu’opère une culture plus soignée, en partie par les influences chimiques qu’elles exercent sur la terre et sur les récoltes suivantes. »

Voici dans quel ordre on a rangé, sous le rapport de leur faculté épuisante, les plantes de la classe qui nous occupe.

Navets, choux, betteraves, pommes de terre, blé, orge, seigle, avoine, et en ajoutant à cette nomenclature les plantes ménageantes et améliorantes, on a, commençant par les plus épuisantes, pois, vesces, lentilles.

Si l’on cherche l’ameublissement du sol au lieu de l’aménagement de l’engrais, on renverse l’ordre qui vient d’être donné et, plaçant au premier rang les céréales, comme nuisant davantage au sol, on a : blé, orge, seigle, avoine, pois, vesces, lentilles, navets, betteraves, choux, pommes de terre.

e]Plantes épuisantes. — On a défini une plante épuisante, celle qui exige beaucoup d’engrais, ne permet pendant sa végétation aucune opération culturale et qui ne rend absolument rien au sol en échange des principes nutritifs qu’elle y a puisés.

Nous en avons deux exemples frappants dans le lin et le chanvre.

Ces deux plantes exigent, en effet, une fumure copieuse, ou du moins un sol riche en vieil humus. Lorsqu’elles ont parcouru les différentes phases de leur végétation, vivant aux dépens de l’atmosphère et du sol, et surtout de ce dernier, on les sépare de la terre non comme on le fait pour les autres plantes, c’est-à-dire par la coupe qui laisse les racines dans le sol.

Loin de là, on arrache ces plantes tout entières, tiges et racines, et le sol ne reçoit aucun de leurs débris.

Ce sont donc des plantes véritablement épuisantes.

III
SUCCESSIBILITÉ DES PLANTES.

C’est tout simplement la propriété qu’ont les plantes de pouvoir ou de ne pouvoir pas se succéder à elles-mêmes ou à d’autres plantes.

Les plantes ayant ce pouvoir sont dites sympathiques ; celles qui ne jouissent pas de cette propriété sont appelées antipathiques.

1oPlantes sympathiques.

Nommons les plantes ou si l’on préfère l’herbe des prairies naturelles et des pâturages, le chanvre, le tabac, le seigle, l’avoine et les pommes de terre fumées.

De toutes ces plantes c’est probablement le seigle qui jouit au plus haut degré du pouvoir de se succéder à lui-même pendant plusieurs années sans interruption et sans diminution sensible dans son rendement.

Il lui faut, toutefois, le sol qui lui convient, une terre très légère et les engrais qu’il réclame.

L’avoine est à peu près dans le même cas ; dans une terre plus tenace, dans un sol argileux, elle se succède longtemps à elle-même, même sans fumure.

L’avoine succède aussi facilement à n’importe quelle autre récolte, elle réussit après l’orge.

Inutile de parler ici des nombreuses plantes de nos prairies naturelles dont la successibilité est un fait connu de tous.

Des essais ont prouvé que le tabac et le chanvre peuvent se succéder à eux-mêmes ou aux autres récoltes.

La culture continue de la pomme de terre sur un même terrain pendant cinq, dix et même trente ans, établit d’une manière irrécusable que ce tubercule peut entrer dans la classe qui nous occupe ; mais il lui faut des fumures répétées.

L’orge peut aussi supporter plusieurs cultures consécutives sur le même terrain, pourvu qu’on laboure ce dernier, une année superficiellement et une année profondément, avec fumure suffisante.

2oPlantes antipathiques.

Les plantes antipathiques le sont ou à elles-mêmes ou à d’autres.

L’antipathie des plantes à elles-mêmes est la plus fréquente et c’est un fait prouvé par l’expérience que cette antipathie se fait sentir plus longtemps que celle des plantes entre elles.

Nous ne chercherons pas ici les causes de ce phénomène ; nous ne parlerons pas des différentes théories émises pour expliquer un fait que nous ne faisons que constater.

Nous savons les conséquences de cette antipathie : elles se trahissent par l’impossibilité de faire succéder avantageusement les plantes antipathiques, soit immédiatement, soit à des intervalles peu éloignés.

On surmonte quelquefois cette antipathie par une addition d’engrais, une culture soignée ou un intervalle convenable dans le retour des plantes antipathiques. Souvent il suffit, d’après Scherwz, d’intercaler une autre plante. Ainsi, entre deux récoltes épuisantes on en place une qui ménage le sol ; entre deux récoltes qui salissent, une qui nettoie ; entre deux qui occupent longtemps la terre, une autre dont la végétation est rapide ; entre deux pour lesquelles on ne laboure que superficiellement, une qui exige un labour profond.

Parmi les plantes antipathiques on doit en premier lieu mentionner les pois, le trèfle, le lin et le blé.

Les pois sont très antipathiques à eux-mêmes ; dans certains terrains, au bout de trois ans leur culture ne réussit point ; elle est douteuse au bout de six ans et il y a même des sols où les pois ne peuvent revenir qu’à la neuvième année.

Le trèfle ne réussit que la sixième année ; parfois même, il demande neuf ans avant de reparaître sur le même terrain.

Le lin est dans le même cas ; il demande au moins six ans d’intervalle entre deux récoltes sur le même champ.

Quant au blé, l’expérience nous a assez instruits sur les exigences de sa culture, et tout le monde sait qu’il n’y a que des sols privilégiés qui puissent fournir consécutivement deux récoltes de cette céréale.

Certaines variétés de blé peuvent toutefois réussir après d’autres.

Ajoutons enfin que les pommes de terre sont antipathiques, sauf les restrictions mentionnées à l’article précédent.